Publié le 7 Décembre 2024

 
Ce projet consiste à inventer une histoire dans laquelle nos personnages vont se rencontrer et interagir, lors de leur voyage dans l’Orient-Express, en cinq ateliers.
 
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LE COIN DES INTERNAUTES :

Ici, la participation de Marie-Sylvie, via son blog "L'écho de la Plume" :

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Publié le 7 Décembre 2024

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Publié le 7 Décembre 2024

DELAPLACE Laurent
48 ans
Célibataire
Réalisateur de films
Grand, élégant, cheveux bruns grisonnant, yeux noisette, sportif.
Cherche à réaliser le film parfait. Fais ce voyage car a le projet de mettre en scène une intrigue se déroulant dans l'Orient Express.
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Le départ
Avec une série de secousses, le convoi s'ébranla. L'Orient-Express venait d'entamer son long voyage de trois jours à travers l'Europe.
Laurent Delaplace se met à la fenêtre, un peu pour regarder défiler le quai, beaucoup pour observer les allées-venues des passagers, s'imprégner de l'atmosphère et, peut-être, trouver des acteurs pour son prochain film.
Réalisateur depuis plus de vingt ans, il n'a jamais produit de chef d’œuvre, jamais eu de palme d'or à Cannes. Il compte bien y parvenir pour son prochain long métrage : une intrigue dans l'Orient Express. D'où ce voyage.
Le roulement du train rythme sa pensée, l'encourage, comme une promesse. Quelques idées affleurent, qu'il note aussitôt sur son carnet bleu. Le bruit d'une porte qui s'ouvre lui fait lever la tête. Il a juste le temps d’apercevoir une ravissante jeune femme entrant dans sa cabine. Vision fugitive, romantique, magnifique, à reproduire impérativement devant caméra. Carnet bleu, il note.
Le couloir est désert à présent. Tous les passagers ont rejoint leur cabine. Laurent en fait autant. Une cabine somptueuse qui l'attend, avec des rideaux en velours, une couchette, lit spacieux, confortable, douillet, aux oreillers gonflés de plumes douces et aux draps les plus soyeux qui soient. Des dorures pour souligner la chaleur de l'acajou. Grand luxe.
 
Le train a quitté la ville, file à présent dans la campagne. Le paysage, doucement vallonné, se teint de rose dans les couleurs mordorées du couchant. L'heure du dîner approche. Laurent troque ses vêtements de voyage conte un élégant costume, se fend d'un nœud-papillon, se dirige vers le wagon restaurant.
Devant des œufs brouillés...
Le wagon restaurant accueille Laurent dans la lumière douce, chaude, des lampes Gallé.
Des tables de deux et quatre personnes sont alignées, rigoureusement rectilignes, contre les parois. Chaises au dossier de cuir fauve, nappes blanches, vaisselle raffinée... luxe, calme et volupté... Petit bouquet de fleurs fraiches sur chaque table. Leur parfum subtil se perd dans le fumet puissant des œufs brouillés aux truffes, déposés devant quatre convives à la gaité gourmande. Au bout de leur table, des rideaux de velours rouge encadrent une fenêtre noire de nuit.
Le wagon bruisse de murmures, conversations discrètes, quelques rires viennent parfois éclater l'atmosphère feutrée. Un serveur à la veste blanche impeccable s'approche de Laurent, l'invite à s’assoir à une table pour deux, face à un homme au bouc soigné qui le salue d'un hochement de tête.
 
L'homme semble timide. Laurent se présente, engage une conversation qui tourne plutôt au monologue. Sigmund, c'est le nom de l'individu, parle peu, observe beaucoup. Il le scrute de son regard perçant...? profond...? inquisiteur...? empathique..?. bienveillant...? impossible à définir. Il s'y passe trop de choses sous la surface. Laurent en reste quelque peu déstabilisé. L'arrivée des plats fait diversion. Les hommes dégustent, à leur tour, les œufs brouillés... autant que le silence. Mais la parole revient s'immiscer dans le repas. L'homme sait trouver les mots incitant aux confidences. Sans l'avoir voulu, Laurent se surprend à raconter sa vie, ses projets, à cet inconnu. Sentiment de s'être fait manipuler, d'autant que Sigmund n'a rien révélé sur lui-même.
 
Quel est donc le pouvoir terrible de cet homme ? Comment a-t-il fait pour provoquer cette envie, ce besoin, ce truc pas maîtrisé qui l'a poussé à se livrer ? 
Laurent ne sait pas l'analyser, il s'en veut. Mais une idée germe : pourquoi ne pas utiliser les compétences de ce monsieur pour l'aider à recruter les personnages de son film ?
Un violon au p'tit dej !
Le lendemain, au petit déjeuner, c'est l'effervescence. Laurent traverse la wagon, assailli de mots jetés en vrac, qu'il intercepte au passage : précieux... introuvable... cette nuit...
Il s'installe à sa table. Sigmund n'est pas encore là. Tant mieux, sa compagnie, sans être désagréable, n'a pas été... comment dire... sereine. Cette façon de lui tirer les vers du nez sans avoir l'air d'y toucher... pas question que ça recommence. Et cette idée stupide de le faire participer au casting, non, oublie ça, Laurent, tu te débrouilleras très bien tout seul.
Laurent s'apprête à déguster son café quand un vieux monsieur, à la table voisine l'interpelle :
-  Professeur Glorieux, bonjour. Vous avez entendu quelque chose cette nuit ?
- ... ?, répond Laurent l'air ahuri.
- Vous n'êtes pas au courant ! On ne parle que de ça depuis ce matin. On a volé le Stradivarius du chef d'orchestre !
- Cette nuit, ajoute une jolie brune aux yeux noirs qui se présente sous le nom de Sophia.
- Quelqu'un aurait entendu un bruit mat, précise la superbe jeune fille aux yeux violets prénommée Satine.
 
Un bruit mat... Laurent frissonne. Un bruit mat l'a visité cette nuit, un bruit étouffé, un bruit inquiet, du genre qui s'immisce sournoisement dans la conscience et vous réveille tourmenté. Puis, le silence, rythmé par le roulement des roues métalliques sur les rails. Lancinant, comme une mise en garde. Mais pas que... Un truc cherche le chemin de sa mémoire, un truc furtif, vu en passant tout à l'heure, alors qu'il se rendait au wagon restaurant pour le petit déjeuner. Un truc chopé du coin de l’œil. Un truc qui s'est logé dans son inconscient, dirait Sigmund. Il saurait le déloger, lui... L'étui ! C'est ça, c'est un étui de violon ouvert, vide, tapissé de velours rouge, aperçu... zut, il ne sait plus où. Il refait le chemin dans sa tête, en vain.
- On va fouiller toutes les cabines, on va tous nous interroger, lui annonce le professeur Glorieux.
- Oui, je m'en doute, soupire Laurent.
 
Son petit déjeuner avalé, Laurent repart vers sa cabine. Un rayon de soleil frappe le couloir de lumière, frappe d'un minuscule éclair son œil. Quelque chose brille sous sa porte. Comme un brin de ficelle d'or. Un bijou ? Il saisit délicatement l'objet, tire sur cette ficelle métallique qui s'allonge, s'allonge... Coincée sous sa porte, une corde de violon ! A croire qu'on l'a mise exprès ici pour le faire accuser ! Mais la ficelle, c'est le cas de le dire, est un peu grosse. Comment un enquêteur pourrait croire qu'un voleur de violon soit assez stupide pour laisser un tel indice ! Il l'espère, du moins.
Laurent panique. Que faire : raconter les faits au risque d'être soupçonné ou se débarrasser de cet objet ? mais où ? Et qui a intérêt à le faire accuser ? qui le connaît dans ce train ? pourquoi ? qui a volé le violon ?
Cette corde pose trop de questions. Accablé, Laurent entre dans sa cabine pour attendre les enquêteurs. Dans son désarroi, une once de frénésie... il tient là un bout de scénario pour son prochain film...
Poirot entre en scène
En attendant la fouille de sa cabine, Laurent s’installe dans un fauteuil, la corde de violon entre ses doigts, pour réfléchir aux divers éléments de cette affaire :
- un bruit mat
- un étui vide
- une corde de violon
- un violon absent
Fais marcher tes petites cellules grise… si seulement…
Il lui faudrait bien un Hercule Poirot pour l’aider à y voir clair !
 
A force de tourner et retourner les choses, d’élaborer des hypothèses farfelues, d’envisager des scénarios débiles, il se perd dans une brume ouatée, dans laquelle son esprit divague, flottant comme une algue entre deux eaux. C’est là, dans ce carrefour entre la conscience et l’espace-temps, qu’apparaît l’unique, le grand, l’incontournable, l’inégalé détective : Hercule Poirot !
 
Laurent reçoit l’apparition en plein cœur. Son ventre se tord, sa poitrine se noue, sa gorge se serre. Yeux écarquillés, sueurs froides, teint blafard, bouche ouverte, il est incapable de prononcer le moindre mot. Poirot s’en charge :
– Mon bon monsieur, vous raisonnez à l’envers. Me permettez-vous de donner mon point de vue ?
– Avec plaisir, bredouille Laurent qui peine à retrouver quelques couleurs et quelques neurones.
– Commençons par le commencement, propose Poirot. Ce bruit mat, ne serait-ce pas celui d’un étui de violon que l’on referme d’un coup sec ? Un bruit inquiet, avez-vous dit dans le texte précédent…
Hercule sourit :
– Hé oui, je lis par-dessus votre épaule. Comment croyez-vous que je sois venu jusqu’à vous ?
– Justement, je me posais la question. Je vous croyais un personnage de roman…
– Vous l’êtes aussi, mon cher !
Regard éperdu de Laurent...
– C’est impossible, je dois rêver…
– L’impossible ne peut se produire, donc l’impossible doit devenir possible, malgré les apparences, rétorque Poirot à ce pauvre Laurent en complète désintégration. Mais ne nous égarons pas. Ce bruit inquiet est en fait un bruit pressé. Pressé de s’enfuir avec un soi-disant violon.
– Un soi-disant violon ?!!
– Oui, un soi-disant violon. Ne vous fiez pas à cet agent Pelican qui perd la mémoire. Tournez-vous plutôt vers ce passager, dans la cabine d’en face, un homme perspicace, observateur, rationnel. Il a résolu le mystère : le capitonnage de l’étui ne porte aucune trace d’instrument. Flambant neuf, jamais servi ! Donc, il n’y a jamais eu de Stradivarius.
– Mais… mais… comment le savez-vous… ?
– J’enquête, j’écoute, je réfléchis.
– Certes, mais la corde, elle existe bien, elle ! Alors ?
Poirot prend son air mystérieux et malicieux.
– Oui, oui, elle existe… là, maintenant. Mais pour comprendre, changez de point de vue, mon cher. Ne vous voyez plus comme une personne réelle, mais comme un personnage dans une histoire sans queue ni tête. Alors, vous comprendrez.
Laurent, déboussolé, se prend la tête entre les mains.
– Je ne comprends rien et j’ai la migraine.
Poirot soupire. Sa moustache lustrée, impeccable, frémit, le coin de son œil se plisse, il s’amuse bien, le bougre !
– Cette corde n’est qu’un indice stupide, sans intérêt, laissé par l’auteure de cette histoire en manque d’imagination. Elle ne sert à rien, oubliez-la, explique-t-il. Quand le professeur Glorieux, l’agent Pélican si vous préférez, viendra inspecter votre cabine, elle ne sera plus là, ou il ne la verra pas. Au revoir, cher M. Delaplace, ajoute Poirot en inclinant son chapeau avant de disparaître, juste au moment où on frappe à la porte.
Le professeur Glorieux entre pour l’inspection.
La gigue du violon
Durant la fouille, Laurent se retrouve en possession de nouveaux éléments et d'un corde métallique qui n'est pas une corde de violon, mais une tige souple pour lester les rideaux, d'après le professeur Glorieux.
Poirot avait raison... Laurent secoue la tête. Quel drôle de rêve ! Si réaliste que je crois l'avoir vécu... chose parfaitement impossible, Poirot n'existe pas... Il a dit quelque chose sur l'impossible qui devient possible...je ne sais plus...
Situation d'autant plus troublante que Glorieux et peut-être d'autres passagers l'ont rencontré aussi. Tout en inspectant sa cabine, le professeur-agent-détective, en veine de confidences, lui raconte qu'il lui suffit d'une tisane de nénuphar de Saïgon pour que Poirot vienne le visiter. A son avis, il serait un agent triple.
Laurent profite de cet état logorrhéique pour le questionner habilement et se voit confirmer le vol, dans la cabine du chef d'orchestre, la nuit dernière. Quant au bruit mat qu'il a entendu, ce serait, d'après Glorieux, le bruit d'une serrure que l'on crochète. La tige à rideau aurait probablement joué un rôle dans cette affaire.
En même temps qu'il émet cette hypothèse, Glorieux scrute Laurent d'un air suspicieux et fouille de plus belle, mais, aucune trace de violon, ni d'étui.
Laurent, lui, se perd dans la recherche du mobile :
- L'argent ? Non, ce Stradivarius n'est pas vendable. Aucun receleur ne l'accepterait.
- La malveillance ? Qui en voudrait à ce chef d'orchestre ? Serait-il tyrannique avec ses musiciens au point que l'un d'entre eux veuille se venger ?
Hummm, Laurent n'y croit pas.
- L'arnaque aux assurances est peut-être la théorie la plus plausible.
- Ou, la théorie de Poirot : il n'y a jamais eu de violon.
Dans ces deux derniers cas, ce serait Herbert le coupable. Glorieux-Pelican acquiesce.
A ce moment, arrive un télex :
 - violon retrouvé dans le compartiment à jouet du train
par l'enfant qu'on croyait enlevé - 
 
- On a enlevé un enfant ? Première nouvelle... qui n'a pas eu le temps de me parvenir.. déjà résolue, ronchonne Laurent. Il ajoute :
- Reste à trouver qui a caché ce violon, là.
L'agent Pélican -professeur Glorieux se gratte la tête.
- J'aimerais bien aller interroger ce maestro, bougonne-t-il.
- Mais, quid de l'étui ? demande Laurent.
Mine interloquée de Pélican qui n'a plus rien de glorieux. Cet étui lui était sorti de la tête. Laurent sourit.
- J'ai ma petite idée, suggère-t-il, suivez-moi.
Ile se dirigent vers la cabine de Sigmund. Depuis quelques temps, le bonhomme se fait trop discret pour ne pas être suspect. La porte est grande ouverte, Sigmund a disparu. La dernière fois qu'on l'a vu, il faisait du mini-vélo sur le quai de la gare. Dans ses appartements, sur un fauteuil, béant et vide, son velours rouge exempt d'empreintes, l'étui.
Poirot avait raison : il n'y a jamais eu de Stradivarius dans cet étui.
Mais il y a un violon dans le compartiment à jouet. Un Stradivarius ?
Les passagers apprendront le fin mot de cette histoire, le soir-même, au wagon-bal : tout ceci n'était qu'une mise en scène pour intriguer, amuser les voyageurs, pour rendre le voyage plus palpitant. Le violon du compartiment à jouet, un instrument bas de gamme pour débutant, le Stradivarius du chef, en sûreté dans le coffre fort secret du train. Le chef Herbert était dans la confidence et le voilà à présent qui entraîne, du bout de son précieux violon, tout ce beau monde dans une gigue endiablée.
 
 

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Rédigé par Mado

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Publié le 7 Décembre 2024

 
L’agent Pélican ZKTT
Le professeur Glorieux, retraité de l’Université, rejoint son wagon-lit, il l’inspecte minutieusement dans tous ses recoins, il sort une loupe pour regarder si aucun acarien ou poil de chat ne traînent sur une des banquette. Il fait enlever le tapis perse qui recouvre le plancher d’acajou, nul ne sait pour quelle raison. Le plafond est en cuir embossé. L’inspection terminée, il chantonne un air d’opéra tout en enlevant son costume trois pièces pour s’allonger sur le lit et puis ensuite s’envelopper dans les draps soyeux. Il tire les rideaux de velours rouge, admire la tapisserie des gobelins. Il range son semi-automatique pour commander une bouteille de champagne Moët et Chandon, fait sauter la capsule en argent et ensuite se fait servir du foie gras, un turbot sauce verte, plusieurs pâtisseries toutes plus raffinées les unes que les autres. Il est maintenant tellement détendu qu’il ne se souvient plus la raison de ce voyage et pour quelle mission est-il là. Il se ressaisit, il doit retrouver l’homme au chapeau et à la moustache grisonnante, la description est floue, certainement due à ses pertes de mémoire temporaires, ce qui est sûr c’est qu’il s’agit d’un chef d’orchestre réputé qui ferait escale à Prague dont la vie se trouve en danger, cette mission lui pèse car il n’en voit pas les enjeux, ce qui lui déclenche des quintes de toux inopinées ou des tics de la paupière gauche. Il a pensé arrêter ce travail qui le perturbe mais chaque fois il se dit ce sera pour l’année prochaine. Il allume la lampe Émile Gallé et sous cet éclairage doux et enveloppant, il se laisse aller à la contemplation des vitraux, ce moment est comme hors du temps, rien ne peut arriver de terrifiant, croit-il. Il enfile alors un smoking et ajuste sa cravate pour se rendre au wagon bal. Muni de la gazette du jour il arpente d’un bon pas le couloir. Se croyant arrivé, il ouvre la porte d’un geste franc et tombe nez à nez avec un homme au regard perçant qui fume un cigare ; bouleversé il referme la porte aussi sec en marmonnant une excuse et se met en quête cette fois-ci de trouver le bon wagon ; ayant frôlé la crise d’asthme, l’envie de danser commençait à le quitter.
L’agent Pélican ZKTT au wagon bal
Puis il avance, une musique laisse échapper des notes lointaines qu’il voit scintiller devant ses yeux comme des étoiles, elles voltigent, la musique, qui lui est inconnue, l’accapare, un peu lancinante, soporifique, le berce et le transporte dans un autre monde. Elle est à la fois rythmée par un piano et par un joli son de flûtes. Il lui semble même reconnaître le son d’un luth. Il n’est pas très amateur de musique sauf de la grande musique, la seule qu'il écoute à temps perdu, dans le refuge de son appartement.
Cependant encouragé par un couple qui le précède et qui lui ouvre la porte tout en s’extasiant d’une soirée toute prometteuse. Leur tenue est légère, par contraste il se sent comme engoncé, il entre un brin hésitant. L’endroit est sombre, seules des bougies ou des lanternes disposées par ci, par là éclairent la scène, six danseuses couvertes de paillettes et de foulards dansent la danse du ventre. Les spectateurs sont allongés sur des coussins et applaudissent à tout rompre. Il cherche un endroit où s’asseoir confortablement et dans le calme, il distingue des petites tables recouvertes de mosaïques et des tabourets moelleux. Il s’assit, une jeune femme à sa droite le dévisage, il finit par lui adresser un mince sourire. « Mettez-vous donc à l’aise » lui dit-elle ; à contre cœur il ôte son veston « l’odeur de musc m’incommode, je sens que je vais étouffer » « respirez lentement, je vais vous servir une boisson à base de fleur d’oranger qui va vous apaiser » Il se laisse aller et sombre dans une douce torpeur ; subitement enthousiaste il entame une conversation.
La jeune femme parle de sa passion pour le Rags shargi car elle est danseuse et comédienne à l’occasion, elle adore le son du oud, elle en parlerait pendant des heures. Lui essaie de partager sa passion pour le violoncelle et son plaisir pour les grands classiques. Elle lui dit « dès que l’occasion se présente, j’accepte volontiers de danser une valse. », « J’en suis ravi et dans ce cas je ne manquerai pas de vous inviter. »
Prétextant une urgence, il se leva. Elle s’enquit aussitôt « Mon frère est chef d’orchestre, si vous le désirez je vous le présenterai lors d’un apéritif, demain si cela vous convient.»
Agent Pélican ZKTT la suite...
Son rendez-vous tourne à l'obsession, demain 11 heures, il ne va pas en dormir de la nuit, il rumine jusqu'à ce qu'il croise Mademoiselle Satine,sa voisine de cabine, il essaie de faire bonne figure, combien de fois l'a-t-il croisée dans la journée.
Décidément il y a trop d'intrigues et toujours pas de nouvelles de l'agent double Kathéter 4 ter, il aurait dû recevoir un télex dans la nuit du 23 au 22 mais toujours rien à ce jour. Sa cabine est devant ses yeux, enfin arrivé, il rentre et s'endort. A 11 heures pile, il est dans la voiture bar à l'autre extrémité du train, d'un geste de la main, il interpelle le steward et demande un cognac, il cherche la jeune femme rencontré la veille mais apparemment elle n'est pas encore là, ni son frère d'ailleurs. Il regarde les joueurs tous absorbés par leurs parties d'échecs, de backgammon ou par le jeu si célèbre de cartes italien Scopa.
Il contemple ensuite les articles de voyage à l'achat quand un grand tumulte parvient jusqu'à lui, des hurlements percent ses tympans déjà si fragiles, la police va intervenir dit le steward, Monsieur soyez sans crainte, je vous offre un second cognac. Il se rassoit quand dans l'embrasement de la porte il reconnu sa compagne de table, rouge de colère qui se dirige droit sur lui, excusez mon retard mais Herbert s'est fait voler son stradivarius, comprenez c'était plus qu'un instrument pour lui, c'était son âme, il vibrait ensemble de toutes leurs cordes au plus profond de leur sonorité. Herbert est livide, il est comme mort et je suis bouleversée. Laissez-moi vous offrir un verre, tout cela va finir par s'arranger, un Stradivarius ne peut pas disparaître comme cela, comment vous appelez-vous ? Agatha mais je ne comprends pas, je vous en supplie faites quelque chose pour lui. Une réunion était entrain de se dérouler dans un wagon plus loin.Il se sentit obliger d'intervenir auprès d'Herbert pour le calmer, il prit une allure théâtrale, le salua très dignement et se lança dans des tirades qui ne lui étaient pas familières. Herbert demeurait dans tous ses états. Cependant il le raccompagna à sa cabine.
L’agent Pélican ZKTT...
Agatha est reparti rejoindre son ami Hercule. Une rumeur court qu’il est défectif anglais et que sa devise est « l'impossible ne peut se produire donc l’impossible doit devenir possible malgré les apparences ».
L’agent Pélican se gratte le crâne, il sent qu’il perd le contrôle de la situation. Il doit rencontrer absolument l’agent Kathéter 4 Ter pour savoir si ce fameux Hercule Poirot ou Poteau ne serait pas l’agent triple « Impossible is nothing » car dans ce cas il ne serait pas judicieux d’intervenir, surtout qu’il a des doutes concernant une demoiselle Satine, charmante à fortiori, mais extravagante à souhait, qui semble mener un drôle de double jeu. Il repart ,complètement désemparé, renvoyer un nouveau télex pendant que Herbert se lamente devant sa cabine : oh ciel ! Oh mon violon ! Oh ma vie ! O ! la prunelle de mes yeux, que vais-je devenir sans toi ?
 
L’agent Pélican, entendant cette complainte, revient sur ses pas et interpelle Herbert :  
- Hercule, pardonnez-moi, Herbert, quand a lieu votre concert ?  
- Dans trois jours à Prague.
- Et de quel concert s’agit-il ?
- La symphonie fantastique de Berlioz au Théâtre National.
- Mais bien entendu vous ne pouvez pas jouer sans votre stradivarius, objet sacré.
- Monsieur Glorieux, je me dois de mener ce concert coûte que coûte car Hector Berlioz lui-même assistera à cette première représentation ainsi que tous mes proches. Ce sera une fête et un honneur pour moi, pour ma famille et pour mes amis.
- Ma question va vous sembler étrange, mais connaissez-vous des personnes qui en veulent à votre vie ?
 
Herbert reste muet. L’agent Pélican reprit :
- Mais rendez-vous compte du risque que vous prenez à orchestrer cette fantastique symphonie, mais pourquoi fichtre… je m’emballe, excusez mon emportement, je suis fragile et j’ai eu beaucoup d’émotions ces temps-ci, tous ces évènements me troublent et c’est pour cette raison que je vais vous paraître insistant mais êtes-vous sûr que vous n’avez aucun ennemi ?
- Bigre ! Je suis le plus célèbre chef d’orchestre jamais connu de toute l’Europe, je suis apprécié de tous et de toutes, bon cette comédie a suffisamment duré, vous m’importunez, je vais rejoindre Agatha.
 
Un télex parvient enfin à l’attention de l’agent Pélican :
 
violoncelle retrouvé
Altiste azuréen à Berlin
Yééé, yééé, yééé...
 
Signé, votre dévoué KTTER .
 

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Rédigé par Catherine

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Publié le 7 Décembre 2024

 

Le train express

Sigmund en a rêvé de ce voyage, il veut se noyer dans la foule des gens huppés, lui qui fait grise mine au quotidien..
Il a laissé ses bagages à la maison, voulant errer léger en quête d'esprit élevé.
Il vagabonde un moment d'un wagon à l'autre, ayant perdu son billet, et curieux de découvrir les lieux.
Il opte pour un dortoir de luxe, un petit lit qui lui rappelle son tour du monde en solo et en transat.
Il choisit le lit du haut pour un meilleur point de vue, espérant sans le dire qu'une jeune âme se faufile nuitamment dans celui du bas.
Serait-il timide …?
Il pose son maigre baluchon sur la petite table, examine les fines dorures du lit, les tapisseries rouges et or qui lui rappellent sa collection de timbres. Ses yeux s'égarent vers le hublot recouvert de paillettes, bordé de vitraux translucides.
Il rêve.
Il veut cueillir le monde, le décoder comme son ami Alan, génie perceur du code Enigma.
Lui, c'est l'âme qui l'émeut.
Après quelques secousses, le convoi s'ébranle…
Les lampadaires s'éloignent, le quai parisien semble fuir un passé douloureux.
Ses yeux se voilent, la bête de fer s'enfonce sur les rails tortueux.
L'Europe se fissure sous ses yeux hallucinés. Il veut raconter l'épopée du passé.
Un choc soudain.. quelqu'un frappe à la porte, une silhouette sombre et muette, haut de forme vissé sur un crâne chauve, un journal éventré dans les mains.
Il entre et jette un œil furtif dans la cabine, semble déçu et s'excuse aussitôt.
J'ai du faire erreur…
Il se tourne, recule, comme effrayé par la lourdeur de la mission dont il est investi.
Mais peut-être…?
Sigmund caresse son bouc qui se mue en barbiche pour mieux saisir sa perplexité.
Un curieux drille… susurre-t-il à son ombre, qu'il côtoie toujours avec plaisir. Un duo gagnant, ombre et lumière, qu'il nomme en secret Alter et Ego.
Il se rassemble et décide de partir à la conquête de l'Est, de cette humanité ferroviaire…
Une mission ardue autant qu'exaltante. Une mouche éternue près de lui, il l'assomme sans un mot..

L'Express en folie
 
Zig est curieux de tout, il veut croquer le fruit, la vie. Il sillonne la coursive d'un pas nonchalant, espérant croiser le fil de la renommée. Zig est plein d'espoir. Il croise les doigts et fait craquer ses jointures, signe d'une forte agitation.
À l'orée du bar restaurant, une douce émanation vient flatter ses narines, un mélange sensuel, épicé, zeste citronné, aux effluves vanille et chocolat.
Une glace…celle de son enfance, au pied du manège enchanté, perdu au fond des bois, quand sa mère, une matrone affable et translucide, lui narrait au creux des yeux ces histoires affolantes qui l'enchantaient.
Il hume avec délice. Le bar exhale le halo d'une fumée vertigineuse, qu'il suit du regard, tentant de le happer.
Une main secoue son épaule. Il se tourne agacé, et se trouve face à un géant hirsute et basané, sourire jovial sur les lèvres, qui lui suggère la pub pour Banania. Il plisse les yeux, l'image se dissout dans le flou. A sa place, le crâne chauve agrémenté de petites lunettes le toise avec raideur. Il tient un archet dans sa main gauche, un journal froissé dans la droite.
Bonjour monsieur… je cherche les toilettes ?
Zig est soucieux. L'homme semble dissocié, une part négligée, l'autre élégante.
Sûrement un bipo qui s'ignore.
Mais voyons… les toilettes sont occupées… répétition privée de 13h à 15h, puis une visio tinder de 5 à 7… vous avez rendez-vous ?
L'homme le dévisage incrédule. Il fixe le rideau derrière Zig, une étoffe lourde au ton violine, damassée de jaune… un gros cordon tissé le tient à l'écart des passagers… et un îlot de flammes semble le ronger sans vergogne.
Au feu ! crie l'homme chauve, dont le crâne fume tout autant que son journal.
Zig se précipite, veut sauver le journal, préserver l'intégrité des nouvelles qu'il héberge. C'est le Huffington Post, fiable et cosmopolite, police de caractères 12 pouces type boogaloo, dont les majuscules s'envolent en caractères gras sur un paragraphe affolé, qui annonce le naufrage du Lusitania, suite à un torpillage. Les temps sont durs en 1915.
Zig n'en croit pas ses yeux. Il scrute sa montre connectée, observe les battements plaintifs de son pouls, jette un œil au bar et hèle la serveuse, une danseuse athlétique aux yeux de serpent. Il commande un spritz. Complice malicieuse, elle lui désigne un extincteur. Le feu se faufile sans âme dans les coulisses puis s'éteint en feulant.
L'agent double essuie son front.
 

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Rédigé par Nadine

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Publié le 7 Décembre 2024

Satine va vers...
 
« Je savais où je devais être. Juste être. En fête, perpétuellement.
Ni devant, ni derrière, ni à côté.
Juste à l'endroit de la musique elle-même. 
Oui même dans les moments d'obscurité, il y a une danse en nous, une chanson, une poésie, qui relève et élève l'âme, apaise le cœur, vibre le corps»
« Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé. Marc Alexandre Oho Bambe
 
Une voix à la diction impeccable annonce : « Mesdames et Messieurs les retardataires, il ne vous reste que 10 minutes avant la fermeture des portes ». le train ne va pas tarder à s'ébranler. Une jeune passagère au prénom de soie et de fantasme, semble glisser sur l'asphalte du quai numéro 5 où il stationne.
En ce premier jour de juin, alors que Paris ne veut pas céder à l'assaut du printemps et s'accroche au ciel lourd de nuages, Satine Mahé ,- 1m70, teint mat doré, longue tresse noire descendant jusqu'au milieu du dos, yeux violets s'étirant en amande , un grain de beauté au coin de l’œil gauche, une bouche pulpeuse et d'un rouge brun laissant entrevoir des dents blanches avec cet écartement qui parle de chance et de bonheur,- s'arrête devant le tapis rouge de la voiture numéro 7. Un jeune homme élégant prend sa valise et son sac de voyage, lui tend une main qu'elle refuse pour grimper légère sur le marchepied.
Parmi la foule qui se presse pour admirer le train mythique et les soixante quinze privilégiés qui y embarquent, Satine n'est pas passée pas inaperçue. Tous se retournent sur le passage de sa silhouette fine et gracieuse. Une si jeune femme qui accède à un tel luxe, cela intrigue. Elle doit faire partie de l'aristocratie, au moins comtesse, mieux une princesse d'un pays étranger ? Mais qui est-elle ?
Satine, jusqu'à un jour récent , n'était pas danseuse, elle était danse.
Ce jour où lors de l'ultime répétition du ballet « TWO » créé à l'origine par Russel Maliphant pour Sylvie Guillem, elle n'avait pu, épuisée, ordonné à son cœur de ralentir, et s'était effondrée.
Le médecin lui avait diagnostiqué une malformation cardiaque rare jamais détectée jusqu'alors. « Vous avez eu de la chance de vous en tirer avec ce que vous faites endurer à votre corps . Vous êtes jeune Satine. La vie devant vous. Ayez confiance. »
Elle était sorti de la consultation, désemparée. Elle avait tout sacrifié à son art.Depuis l'âge de cinq ans, elle dansait. D'abord 1 heure par semaine, puis par jour puis 4,5,6 heures et jusqu'à 8h parfois.
La danse, une discipline de fer, des pieds malmenés, meurtris, un corps à modeler contre nature, une souffrance des articulations et des muscles sans cesse étirés, pour donner l'illusion de la légèreté et de la facilité.

Diego lui avait offert pour la distraire un beau voyage et 2 mois de vacances. Il avait tenu à l'accompagner à la gare. Il aurait voulu l'escorter jusqu'au quai mais Satine n'aimait pas les Au revoir qui sonnaient parfois comme des adieux. Un sourire complice, deux baisers délicats déposés sur les joues de son père et « Hasta pronto querido papà », en lui prenant la valise et le sac de voyage Vuitton achetés pour la circonstance par ses amis du corps de ballet de l'opéra de Paris.
Deux mois loin de la grisaille pour envisager une nouvelle page de sa jeune vie. Satine, 24 ans en août, savait qu'elle reprendrait pied , l'amour de la vie chevillé au corps. Curieuse, passionnée, tout lui semblait à découvrir en elle et au dehors. Sa discipline monacale lui procurait une assise solide mais l'avait tenu confinée loin des distractions et préoccupations des jeunes de son âge. Au premier rang l'amour, ses joies et ses tourments, dont elle ignorait tout. Ses aventures amoureuses tenaient plus de la camaraderie, simples, confortables, sans drame. Son tempérament passionné et sauvage s'exprimait tout entier dans la danse.
Satine entre dans sa cabine spacieuse, fait valser ses ballerines, hume l'odeur du cuir, du velours, effleure les boiseries. Son parfum masculin ajoute une note subtile au tout. Elle passe dans le cabinet de toilette, une vrai salle de bains début de siècle. Elle fait jouer les robinets-oiseaux, eau chaude, eau froide, s'asperge le visage, toujours à l'eau froide. Le miroir biseauté argent, incrusté de nacre lui renvoie une image qu'elle adopte ; un mélange de profondeur et de fantaisie. Elle retourne au salon, tire les rideaux, s'étire, se laisse aller dans la chaleur et le silence enveloppants qui règnent là.
Satine sort de son sac un carnet de moleskine, suce le bout de son crayon et écrit : Satine va vers.... Le train s'éloigne du quai, ses yeux se ferment, elle s'allonge et s'endort sur le rêve du voyage avant le voyage.

La rencontre de Satine

« Je serai l’enfant doux
qui sourit aux choses
et à lui même
sans réticence ni réserve. »
Yannis Ritsos « Symphonie du printemps »

 
Combien de temps ai-je dormi ? Satine s'éveille au son d'une musique de Mozart diffusée dans le wagon. Elle reconnaît le concerto N° 21 en C Majeur K. 467. Elle se frotte les yeux et contemple par la fenêtre les lilas en pleine floraison qui lui rappellent les brassées de lilas blancs que Pascal, un ami de la famille, apportait avec le printemps quand ce n'étaient pas des fleurs de magnolias. Satine ouvrait ses petites mains en forme de coquillage pour recevoir avec ferveur l' offrande d'une de ces fleurs.
Un rayon de soleil sur son visage, Satine pense « Je n'ai pas pris de petit déjeuner ce matin, je commence à avoir grand faim ». Pieds nus , elle va se rafraîchir les mains, le visage à l'eau froide, toujours à l'eau froide, défait sa tresse, un zeste de gloss sur les lèvres, suspend son geste, tend l'oreille. Mais oui, quelqu'un vient de pénétrer dans sa cabine. Satine sort de la salle de bain et se retrouve face à un drôle de petit bonhomme, une sorte de Mr Pickwick trop longtemps oublié dans un livre poussiéreux relégué au fin fond d'une bibliothèque.
Ce Pickwick-là porte comme un étendard une réjouissante bedaine. Le dernier bouton de son pantalon à damiers jaunes et noirs vient de sauter. Cela se produit lorsqu'il esquisse une amusante courbette qui se veut révérence. Heureusement les bretelles maintiennent le tout. Satine peut apercevoir quelques rares cheveux sur le sommet rose de son crâne, en voie de désertification, lorsque celui-ci balaie le tapis d'orient.
« Gente demoiselle, permettez mon étonnement de vous trouver dans ma cabine » dit-il d'une voix de crécelle.
Il regarde autour de lui étonné de voir des objets appartenant visiblement à la gente féminine.
« Euh, oui, voilà qui est surprenant......Vous vous trouvez dans ma cabine....Ou peut-être pas ». Et sa voix de passer de la crécelle au basson.
Sa redingote jaune bouton d'or en velours de soie a dû faire les beaux soirs de la Comédie française à la belle époque. La trame, comme les stries d'un tronc pourrait en indiquer l'âge exact. Pour donner un côté classique à l'ensemble, Pickwick a opté pour une chemise jaune pâle. Mais la sobriété de l'élément se trouve contrariée par une constellation de tâches étoilées : là du chocolat, plus à gauche un jaunissement, de la javel peut-être, plus bas une tâche rouge lie de vin. Pickwick affiche sur sa chemise son goût de la bonne chère.
Satine baisse la tête, prise par une irrésistible envie de rire. Son regard tombe sur des chaussures noires à bouts jaunes, impeccablement cirées, objet de tendres attentions.
« Je me présente Satine Mahé, mélange des îles et d'Andalousie, cabine n°7. Comme vous pouvez le constater, c'est inscrit ici sur la plaque de cuivre, cabine n°7. Et sur mes bagages mes initiales SM »
« Agent Pélican, pour vous servir. Mais où avais-je l'esprit ? Pardonnez à un vieux professeur d'université d'avoir la tête dans les étoiles »
« Agent Pélican, vous êtes tout pardonné. Savez-vous où se trouve votre cabine ? » Satine ne peut réprimer un fou rire
« Chut, oui, bien sûr que oui, mais c'est top secret. Je suis là incognito »
« Ne craignez-vous pas que votre accoutrement, je voulais dire votre costume, ne soit pas trop voyant ? »
« Bien au contraire, demoiselle Satine, c'est lorsqu'on est trop visible qu'on devient l'homme invisible. Je vous laisse méditer ces propos. Peut-être aurons-nous l'occasion de nous recroiser. Au revoir Mademoiselle Satine, je compte sur votre discrétion. N'oubliez pas, je suis là incognito, vous ne m'avez jamais vu ».
Pélican-Pickwik se fend d'une nouvelle courbette fatale... au dernier bouton de sa chemise qui vient de sauter lui aussi.

Suspense...

« Suspense is like a woman.
The more left to imagination. The more the excitement »* Alfred Hitchcock

*Les femmes sont comme le suspense. Plus elles éveillent l'imagination, plus elles suscitent d'émotions

 

Satine , espagnole par sa cantatrice de mère, avait déjeuné fort tard, un peu plus de 14 heures, d'un simple turbot au sabayon de champagne. Elle pensait retrouver son étrange visiteur, mais à cette heure le restaurant avait été déserté. Le soir, désireuse d'observer les autres passagers, elle s'était rendue au wagon restaurant à 20 heures,l' heure française du dîner. Satine, avec son look années 50, -jupons et jupe vichy noir et blanc ,ceinturon enserrant sa taille fine, corsage échancré dans le dos et ballerines noirs-, tranchait sur les tenues luxueuses et chatoyantes de ces dames. Après avoir jeté un coup d’œil au menu, elle avait opté pour une trilogie de caviar Baeri, Oscietre et d'esturgeon blanc servie avec des blinis à la crème fraîche.
Pour le premier jour de ce voyage inaugural, le champagne s'imposait : Un Dom Pérignon rosé par David Lynch. Autant pour le côté rosé que pour son auteur. La voilà embarquée dans les arcanes de « Mullholand Drive », ce film qui la fascine et dont elle n'a pas percé tous les mystères.
Un homme semble, comme elle, étudier son entourage. Mais alors qu'elle s'amuse à détailler les tenues, les attitudes, la façon de manger, lui semble sonder leurs âmes. Un psy ?, un gourou, ? un écrivain, oui un écrivain sûrement. L'homme caresse sa barbichette , lui sourit, vient vers elle.
« Je vous regarde nous dévisager depuis le début du repas. A votre avis, que vais-je prendre pour le dessert ? . Je me présente Sigmund F.
Satine rosit, fronce les sourcils., prends la carte des desserts, hésite.
« Pour moi, ce soir pas question de me priver de dessert. Pavlova de framboises à la crème d'estragon, suivi d'un café, arrosé d'un alcool de poire. Jour 1 au diable le régime ! Pour vous, j'hésite entre le frugal et le généreux, coupe de mara des bois ou Sachetorte, un armagnac pour terminer .
« Eh bien, choix judicieux je prendrai les deux, Mademoiselle.... ?
« Satine »
Avant de regagner sa table Sigmund lui glisse à l'oreille :
« Nul d'entre nous ne peut jamais démêler le nœud des fictions qui composent cette chose incertaine que nous appelons notre moi. »
Satine n'a pas l'habitude de boire. Deux coupes de champagne, un alcool de poire la rendent euphorique . Les passagers, plutôt des hommes, se rendent au fumoir . Satine s'attarde espérant apercevoir l'agent Pélican. La méditation de Thaïs la tire de sa rêverie. Elle se rend dans le salon de musique où quelques personnes en tenue de soirée, smokings et robes longues prennent des poses nonchalantes ou alanguies, l'alcool est passé par là. Un duo piano violon alterne valses de Vienne, jazz, musiques de film. Satine s'approche du pianiste lorsqu' il entame « Moon River ». Elle se met à chanter
 
«We're after the same
Rainbow's end
Waiting round the bend
My hucklleberry friend
Moon river and me »*
 
*Nous cherchons le même bout d'arc en ciel...
Elle adore cette chanson interprétée par Audrey Hepburn dans le film « Breakfast at Tiffany's ».
Un bruit de pas lourds et précipités dans le couloir, une voix de basson « Que personne ne bouge ! », interrompt son chant et le piano. Tout le monde se retourne vers la porte où apparaît, tel un Zébulon monté sur ressorts, l'agent Pélican tourrnicoti tourrnicoton.
Un serveur, frappé par cet étrange apparition en renverse son plateau. Trois verres brisés, mauvais présage. Pélican a changé de vêtements et adopté les rayures, un large éventail de rayures, horizontales bleues sur fond blanc pour la chemise, verticales blanches sur pantalon bouffant bleu pour le bas. Pour compléter la tenue, la fameuse redingote jaune bouton d'or assortie aux chaussettes et aux chaussures, fort heureusement unies pour épargner les yeux fatigués par tant de débauche vestimentaire.
« Mesdames, Messieurs, prenez place, installez-vous confortablement » intime-t-il aux voyageurs venus rejoindre « sur ordre » les mélomanes d'un soir. « Un événement fâcheux nous oblige à cette désobligeante ou agréable promiscuité., c'est selon »
des Oh ! des Ah ! , des « Mais qui êtes-vous donc ?' », des « Qu'est-ce que ce galimatias-là ? », des « Qui est donc ce grossier personnage ? », des gloussements mi amusés, mi offusqués par tant de bizarrerie font régner une atmosphère à la fois pesante et joyeuse
« Je me présente (une esquisse de courbette) Professeur Glorieux,chargé entre autres de la surveillance de Lady Blunt. Lady Blunt a disparu et celui ou celle qui l'a enlevée est parmi vous. Depuis notre départ, aucun passager n'est monté ni descendu de ce train. Lady Blunt a été prêtée à Maestro L'archet, Gérard L'Archet. ».
La stupéfaction se lit sur presque tous les visages. Ce n'est pas tant la disparition qui choque mais la désinvolture et le cynisme pour parler d'une « Lady prêtée à un maestro ».
Devinant la méprise, le professeur déplie, face public médusé un portrait noir et blanc de Lady Blunt
Un silence
« Mais Professeur, ça c'est le portrait d'Alice Ernistine Prin, plus connue sous le nom de Kiki de Montparnasse » s'exclame une petite dame brune qui se tient à l'écart , l'air revêche, dans un coin reculé de la salle.
Elle se tourne vers les autres passagers « Nous reconnaissons tous ici le célèbre violon d'Ingres de Man Ray, n'est-ce pas ? ».
« Cet aimable divertissement fait partie du voyage. Ah, Ah très drôle . Bravo Monsieur le Professeur . Votre nom, Glorieux, pourrait se trouver au générique de mon prochain film»
Le professeur vexé lance un regard noir à l'importun, Laurent Delaplace, cinéaste en perte de vitesse .
« En effet Monsieur j'ai voulu détendre l'atmosphère avant de procéder à un interrogatoire serré de chacun d'entre vous. ».
Une voix calme et profonde , un homme debout près de la porte demande :
« Pardonnez ma curiosité , mais à quel titre Professeur allez-vous enquêter ? »
Satine reconnaît la voix de Sigmund F.
« Je me présente Agent Pélican ZKTT, ancien professeur des universités à la retraite.Je suis secondé dans ma mission par mon adjointe Mlle S.M. Ici présente.  »
Satine fort heureuse de ce nouveau rôle, exécute un glissade et un jeté
« Je me présente Satine Mahé, mélange des îles et d'Andalousie, cabine n°7.
 
Et mêlant sa voix à celle de Pélican, ils annoncent en chœur  « Lady Blunt est un Stradivarius datant de 1721, propriété de la Fondation japonaise de musique.
Agent Pélican enchaîne : « il a été prêté au Maestro G. L'Archet pour sa dernière tournée en tant que violoniste. Après quoi, il se consacrera uniquement à la direction à la tête de l'orchestre philharmonique de Paris. » Tous se tournent vers un homme dégingandé, pâle,mine défaite qui incline légèrement une tête aux boucles poivre et sel. Applaudissements aussi incongrus que nourris. Ils doivent se croire tous sous les lambris de l'Opéra Garnier.
A la baguette sans baguette , mais avec maestria,Agent Pélican ramène le silence.
« Que personne ne sorte d'ici. Mademoiselle Satine et moi-même allons procéder à la fouille des cabines. Le capitaine du train veillera à la rigueur de notre travail et à la remise en état des lieux.
Mademoiselle Satine, suivez-moi ».
Murmures indignés qui se transforment en brouhaha, agitation
« C'est un scandale. ! » lance Delaplace. Phrase reprise à la cantonade par la majorité sauf trois personnes qui gardent le silence et leur sang froid. Satine sort en exécutant un entrechat et une profonde révérence, se précipite à la suite d'un Pélican replet étonnamment vif et souple.
Un cri déchire la nuit. Un appel au secours. Rien d'humain dans ce cri. Pélican et Satine se trouvent devant la cabine numéro 13. Ils viennent d'identifier le cri, le miaulement désespéré d'un chat. « Je passe devant » dit Pélican « Et moi derrière » répond Satine qui semble follement s'amuser.
Seule la pleine lune éclaire l'endroit. 2 yeux luisants, un désordre indescriptible, le velours rouge du rideau déchiqueté, une porcelaine brisée , un fois gras étalé sur le tapis.
« Le chat, c'est un indice » s'écrie Satine.
«  Non demoiselle Satine, le chat ici c'est strictement interdit »
«  Le Chat , le surnom du voleur Cary Grant dans « La Main au collet » d'Alfred Hitchcock. Vous serez mon Cary Grant, je serai votre Grace Kelly »
« Mais je ne mesure qu'1m69, Demoiselle Satine »
« Et moi, je ne suis pas blonde !

Au cœur des ténèbres

        « La nuit est enceinte, qui sait de quoi elle accouchera à l'aube »  
          La mort des bois »  Brigitte Aubert
 
Tentant de faire rempart de son petit mais large corps, Pélican opine
-Ce chat qui est un signe à vos yeux semble inamical, hostile, voire malveillant. Comment savoir s'il est vacciné ? De quelles maladies il est porteur ? Ne lui trouvez-vous pas un air de dégénéré ? Sa face abâtardie me fait soupçonner une longue suite de croisements consanguins . Tout cela est douteux, trouble, louche, inquiétant et pour tout dire suspect.
Récapitulons : cabine numéro 13, chat noir dégénéré nourri au pâté, au pâté de foie, j'ajouterai au pâté de foie gras conduisant tout droit ce qui fut un félin à la stéatose hépatique métabolique. Signes, présages, révélateurs, que d'indices demoiselle Satine. La parfaite scène de crime ! S'exclame triomphant petit Pélican en se frottant l'une contre l'autre deux mains roses et dodues.
-Je m'incline devant votre sagacité, votre discernement, votre flair Agent Pélican, mais permettez à une jeune femme inexpérimentée de ne pas voir le rapport entre cette scène certes intrigante avec notre Stradivarius ?
- Comment quel rapport ? Hum, hum, voyons voir...Quel rapport ?.....A priori aucun. Mais qui recèle un chat peut soustraire un violon ! Le voilà le rapport !
 
Monsieur le chef de bord, nous allons, mon adjointe débutante mais néanmoins sagace et moi-même, procéder à une fouille dans les règles de l'art. Veuillez, je vous prie, mentionner, citer, consigner, relater dans ce calepin nos observations. Et ceci, j'insiste, strictement,soigneusement, minutieusement, méticuleusement, scrupuleusement,...
Le chef de bord, agacé, coupe Pélican dans son élan lyrique
-Monsieur, sauf votre respect, je crois que nous avons compris.
-Oui, oui, je m'égare un peu. Trop de surmenage. Je retourne dans ma cabine prendre quelque repos. C'est ainsi que je procède. Une tisane de nénuphar, un dodo et un rêve. Hercule Poirot se présente dans ma phase de sommeil paradoxal et il a l'extrême amabilité de délivrer sous formes de devinettes, charades ou rébus, des pistes qui permettent la résolution de l'énigme. Seul moi Glorieux-Pélican est capable de déchiffrer ces messages sibyllins, obscurs et pour tout dire abscons.
Sur ce, Mademoiselle, Monsieur, je rentre en hibernation temporaire cabine 17. Monsieur le chef de bord ,ayez l'amabilité de me faire porter mon breuvage au nénuphar de Saïgon parsemé de graines de pavots ainsi qu'un petit verre de grappa, aide indispensable au processus de l'entrée au royaume de Morphée, le dieu des rêves.
 
Le chef de bord claque des talons, trop heureux de quitter la compagnie de cet étrange équipage.
Satine plus interloquée que désemparée mais toujours amusée quoique déçue du report sine die du grand frisson, retient l'agent Pélican par le col élimé de sa redingote de Roi Soleil
-Et les passagers consignés dans le salon de musique, y avez-vous songé ?
-Allez leur dire de faire un petit somme sur place. Faites porter des plaids, couvertures, coussins et polochons pour leur confort. Signifiez-leur que la vérité est en marche. Elle marche, elle trotte, elle file, elle court, elle galope !
Et sur ces entrefaites, Agent Pélican, pressé de regagner sa douillette cabine numéro 17, accroche et laisse un pan de sa redingote à la poignée de l'habitacle.
-Encore un mot, jeune apprentie. Méditez la devise de mon maître Hercule Poirot : « L'impossible ne peut se produire, donc l'impossible doit devenir possible, malgré les apparences. »
A l'instant où il sort, par la fenêtre, un éclair zèbre le ciel suivi d'un tonnerre assourdissant.
Nous sommes plongés au cœur de l'incompréhensible, l'hermétique, l'inexplicable, l'insondable. Bref nous nageons en plein suspense.
Satine reste seule pensive et songeuse :
« Ne cède pas à l'imagination, c'est toujours le pire, elle ne sert que la littérature »*
*Le cycle de la vérité, la théorie Gaïa-Maxime Chattam
 
 

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Rédigé par Odile

Publié dans #Voyage

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Publié le 7 Décembre 2024

Sofia ALCANTARA, 42 ans , Veuve, Comédienne.
Petite, brune, mince, regard ténébreux, éprouvée par la vie, donc méfiante et solitaire.

Nostalgique de la belle époque, elle veut se faire plaisir en évoluant loin du quotidien, un rêve devenu réalité.

EMBARQUEMENT POUR UN MYTHE
L' annonce du départ imminent dans les haut-parleurs marqua l' agitation parmi les voyageurs.
Quelques grincements et secousses, et le convoi s'ébranla.
Bien loin des glissades étouffées du métro parisien, surprise, elle vint s'effondrer dans la couchette de velours.
Pas encore installée, ce démarrage la fit sortir de sa béatitude admirative quant à la décoration et eut peine à réaliser sa chance de se trouver à bord de ce fameux palace roulant.
Sofia compris de suite que l'authenticité de cette machine mythique à remonter le temps aurait raison de son investissement : le premier contact promettait des sensations vertigineuses !...
Non pour la beauté des paysages qui défilent - d'ailleurs ce ne sont pas eux qui défilent mais nous ; pas eux les vedettes mais nous !  alors à nous  tapis rouges, moleskine, velours, soieries car comme disait son grand-père accro à l'auto : " Le train c'est de la déportation entre deux talus".
Alors qu'au moins cette déportation soit des plus agréables et confortables en laissant le corps se mouvoir sans être ceinturé à son siège...Et quel cocon raffiné !
Fouler les tapis que les plus prestigieux ont foulé avant soi, se lover dans les fauteuils ayant accueilli leur respectable séant, c'est comme appliquer ses mains dans les empreintes des stars sur le fameux  Hollywood boulevard, trouver celle qui épousera parfaitement notre paume afin de réaliser notre rêve...et prendre son temps!
Pour notre époque du moins, car lors de sa conception, Georges Nagelmakers visait plutôt le businessman pressé en lui vantant le temps gagné sur le parcours en comparaison d' autres moyens de transport tout en jouissant de son confort habituel, à en croire les revues spécialisées...
Au fait, il était peut-être temps de libérer Pyrrhus.
Le pauvre félin s'impatientait dans son sac de transport mais il fallait rester prudent car nos amis à quatre pattes ne sont pas autorisés dans ce train de légende.
Bien qu'elle doutat  qu' aucune de ces dames de la haute société n' eut jusqu'à présent osé défier le règlement en introduisant en catimini leurs petites créatures poilues...
Comme Pyrrhus ne miaule jamais, personne ne s' apercevrait de sa présence ; il fallait tout de même jouer la carte de la discrétion.
Sofia devait à présent s'enquérir de quelque nourriture substantielle pour son compagnon adoré : dans la frénésie du départ elle avait oublié pâtées et croquettes. Impardonnable étourderie ! Elle s'en voulait mais il était trop tard...
Après l'avoir installé confortablement sur la banquette et  l'avoir rassuré, elle sortit du compartiment en prenant soin de le refermer à clé et se dirigea dans le couloir à la recherche du wagon restaurant.

ATTENTION : DON JUAN A BORD !
Le couloir est étroit ceint de part et d'autre par les fenêtres et les compartiments. L'instabilité des boogies fait vaciller Sofia de gauche à droite.
Soudain une personne arrive face à elle ; elle va alors pour se plaquer contre un compartiment mais le voyageur élancé - et ma foi très séduisant - devance son geste et l'invite à passer en s 'adossant à la première fenêtre venue : " En voilà un galant homme !, pense-t-elle,  il y a belle lurette que la gente masculine ne s'efface plus pour laisser passer la gente féminine...l'environnement de ce train de légende aurait-il une certaine emprise sur le comportement macho?..." se dit-elle, en s'efforçant tout de même de se faire petite (ceci dit, elle n'a pas grand mal du haut de son un mètre cinquante).
Au moment où ils vont pour se croiser, l'homme et elle forment déjà un couple comme dans une danse de salon : moment furtif, vite évanoui, car chacun va pour reprendre son chemin.
Sophia se retourne alors et interpelle ce co-voyageur :
" Excusez-moi monsieur ! Savez-vous où se trouve le wagon- restaurant ? "
- Chère madame, vous allez dans la mauvaise direction, il est par là ! " dit-il en montrant le sens qui menait au compartiment de Sofia. J'y vais moi-même si vous voulez me suivre ?..."
Sophia fait un signe d'acquiescement et les voilà partis,  l'homme devant, elle derrière.
Elle a alors tout le loisir de l'observer : grand, chic, d'un âge confirmé par sa chevelure poivre et sel - enfin plus sel que poivre - le pas assuré malgré l'instabilité de la marche du train ; il tient un cigare à la main, détail peu négligeable qui en dit long sur sa situation sociale... C'est un bel homme mais l'anneau à sa main gauche fait retomber le soufflé, son sillage laissant pourtant planer une eau de toilette envoûtante : " Oublions le présage de la cartomancienne, dommage ...l'heure, le moment et le personnage n'ont apparemment pas été convoqués par les astres !"
Bientôt le bruit émanant du wagon restaurant la détourne de ses pensées, ils étaient arrivés.
-  "Je vous en prie " et l'ex- prince charmant de ses pensées s'efface pour la laisser entrer.
- Voulez-vous dîner avec moi ? enfin si vous êtes seule ...
Sophia baisse les yeux
- C'est en toute amitié pour tromper une solitude peu enviable...
Sophia hésite : si elle accepte, Pyrrhus le ventre creux va s'impatienter. 
- Merci mais...
- Ne vous méprenez pas sur cette invitation, c'est en tout bien tout honneur!
Cette formule, elle la connaît bien, c'est souvent le toboggan plongeant sans préavis dans la couche des amourettes.
- Sans façon, merci.
Je vais commander mon dîner et me retirer dans mon compartiment ; je suis un peu lasse. A bientôt peut-être."
Elle se dirige vers le serveur afin de passer commande d'une Croquantine de saumon et sa crème d'asperges en entrée, d'un filet de Lieu façon Chambord (comprenez contour pommes duchesse) et d'une île flottante à la Norvégienne en dessert.
Voilà le doggy bag de Pyrrhus, bien garni mais à partager, qui sera apporté d'ici peu par le serveur.
Elle quitte le wagon restaurant non sans avoir salué son Don Juan grisonnant. 
LA DISPARITION OU "La musique adoucit les mœurs ou excite les esprits."
Toute à la joie de retrouver petit Pyrrhus, le chemin de retour vers son compartiment lui parut tout à coup plus rapide.
Pyrrhus l'accueillit avec des ronds de pattes à n' en plus finir.
Une vingtaine de minutes plus tard on frappe à la porte : c'était le serveur apportant sur la desserte roulante le repas commandé par Sophia.
Sitôt la porte refermée derrière le serveur,  Pyrrhus devint tout agité aux fumets de ces plats délicieux.
Le binôme complice partagea le repas puis le chat se mettant à sa toilette, Sophia dégusta l'île flottante avec délectation.
Soudain des rumeurs étouffées, des pas dans le couloir, une agitation rompant la quiétude du bercement de la machine sortit Sofia de son abandon dégustatif.
Trois coups à la porte et le chef de train s'annonçait :
-  Madame Alcantara, bonsoir. C'est le chef de train. Puis-je vous parler?
 - Oui bien sûr. Un instant je vous prie, répondit-elle et, interrompant la toilette de son petit compagnon, elle le fit disparaître dans sa caisse de voyage tel un prestidigitateur habile pour avoir réalisé le tour plus d'une fois ! Puis elle ouvrit la porte.
- Bonsoir madame, je suis désolé de vous importuner mais un incident vient de se produire. Tous les passagers doivent se rendre dans le salon où nous les informerons sur ce fait.
- Ah bon ?... eh bien j'arrive.
- Merci Madame.
Sofia, méfiante de nature, s'inquiète un peu pensant que ce responsable du train n'a donné aucun indice sur le sujet.
"Pourvu que personne ne se soit aperçu de la présence de Pyrrhus !" C'est non sans inquiétude et brassages de pensées se bousculant dans sa tête qu'elle referme le compartiment pour se diriger vers le salon.
Chemin faisant, elle ne rêve plus, ne fait plus hésiter son pas et d'une allure franche, comme son Don Juan tout à l'heure, elle affronte à grands pas le couloir.
Lorsqu'elle arrive au  salon déjà presque tous les passagers ont pris place. Toute la surprise se manifeste sur leur visage, dans leurs propos et l'attente frénétique se fait sentir dans tout le wagon ; elle  remarque un passager très excité faisant les cent pas en se lissant nerveusement les moustaches .
Etant une des dernières à se joindre à l'Assemblée, bientôt arrive le chef de train.
" Bonsoir Mesdames, bonsoir Messieurs, merci de votre présence. Cette petite réunion semble vous surprendre ce que je conçois parfaitement. Voilà : vous connaissez le sérieux de notre compagnie, aussi je me dois d'appliquer toutes les consignes dictées dans ce cas précis, cas qui ne s'est, croyez-moi,  jamais produit à bord !
L' assemblée, littéralement suspendue à ses lèvres, attend le coup de semonce.
- Monsieur Herbert, que voici (désignant l'homme excité qui avait attiré le regard de Sofia à son entrée) est de par sa profession Chef d'orchestre, mais aussi violoniste.
Un murmure d'admiration et de soulagement passe parmi les voyageurs et les dégèle instantanément : ce chef de train est épatant ! il nous  aurait réservé une surprise ? Un récital impromptu donné par un grand maître de la musique ?...
- Malheureusement, continue-t-il, au moment de s'entraîner, comme chaque jour, il s'est aperçu que son instrument  - et pas n'importe lequel, un Stradivarius, - n'était plus dans son étui. Selon Monsieur Herbert, viscéralement attaché à celui-ci et très précautionneux, il est impensable qu'il l'ait oublié chez lui. Ainsi il m'a contacté en me demandant de faire le nécessaire pour que dans un premier temps une fouille soit organisée à bord.
Des chuchotements d'indignation secouent alors l'assemblée.
-  Nous avons bien sûr déjà procédé aux vérifications parmi le personnel et les locaux de notre logistique. Aussi je me dois à présent  de mener la même investigation scrupuleuse au niveau  des compartiments.
Je comprends votre réticence, mais une simple fouille éliminera toute suspicion et vous pourrez ainsi continuer votre voyage en toute tranquillité. Je vous demande donc à tous de vous soumettre  à ce contrôle.
Pour ce faire, Monsieur Glorieux, ici présent, m'accompagnera car en sa qualité d'enquêteur, il est bien évidemment assermenté ! Nous éviterons ainsi une immobilisation imposée par des autorités extérieures.
Ça ne prendra que deux petites heures. Je vous remercie de votre compréhension."
Tous se scrutent les uns les autres, envoyant un regard suspicieux à l'égard du voisin et innocent quant à celui qu'ils renvoient d'eux mêmes. Le rouge monte aux joues de Sofia, son palpitant bat la chamade : une fouille? mais ils vont forcément découvrir Pyrrhus !... Que faire ? Empêcher la fouille mais alors tous les soupçons retomberont sur elle ! Accepter la fouille ? Mais  où cacher Pyrrhus ? sans compter que cette fois il risque de miauler et de s'agiter...
Elle a l'impression que tous les regards se focalisent sur elle.
"Le rêve tourne au  cauchemar ! " rumine-t-elle en quittant le salon pour retourner dans son compartiment.
HERCULE POIROT
Tout à coup une lumière aveuglante envahit l'espace. Sophia se sentant happée par celle-ci, vacilla. Ses mains cherchant un appui où se raccrocher s'enfoncèrent dans quelque chose de moelleux, de doux, un bruit familier parvint à ses oreilles  : Pyrrhus miaulant sur ses genoux la ramena à la réalité.
"Mon trésor, il ne t'ont pas trouvé ! Mais le soleil brillant dans le regard félin elle comprit que c'était déjà le matin, elle s'était endormie vaincue  par la fatigue de la veille. "Ce n'était qu'un cauchemar, ouf ! réalisa- t-elle soulagée. Avoir transgressé le règlement me perturbe tellement que mon sommeil s'en trouve altéré... oublions tout ça. Maman va te rapporter un grand bol de lait et nous déjeunerons en tête-à-tête. Qu'en dis-tu? Sur ces paroles elle se dirigea vers le wagon restaurant où, dès l'entrée, elle essaya de se frayer un chemin jusqu'au bar : les voyages forment la jeunesse, déforment les valises et... creusent les estomacs apparemment, car il y avait foule, mais ils délient aussi les langues Ainsi des mots inquiétants claquent alors à ses oreilles : volé, Stradivarius, fouille, escroc, inspecteur... rêve, ou plutôt cauchemar prémonitoire que la nuit précédente ? Commandons notre petit déjeuner et esquivons- nous.
Son regard se porte sur cette grande blonde. "J'ai trouvé : je vais cacher Pyrrhus le temps de la fouille dans un compartiment qui aura déjà été visité par les inquisiteurs, par exemple celui d'une certaine Satine s'absentant régulièrement et ne fermant pas à clé derrière elle...
Forte de cette idée géniale, ils déjeunèrent à la Pantagruel.
Pyrrhus, rassasié par le milk cattybag rapporté par Sofia, exécuta un nettoyage soigneux du récipient laissant celui-ci comme neuf.
Mais les moustaches du matou, couvertes de lait, firent soudain éclater de rire Sofia et, comme vexé du rire de sa maîtresse, Pyrrhus entreprit alors une toilette méticuleuse.
Et le voilà qui passe sa langue râpeuse sur ses pattes, sur ses babines, derrière ses oreilles et recommence et recommence... quelle idée d'avoir de telles vibrisses... et elle se met à l'imaginer avec des favoris, des rouflaquettes des pattes de lapin, des côtelettes, - eh oui ça existe, ce n'est pas une blague - et bientôt la frimousse du chat devient humaine :  il porte des binocles aux yeux, un col cravate autour du cou, un chapeau melon sur la tête, un costume trois pièces, des souliers vernis et même un mouchoir à la boutonnière aux initiales HP.
- Oh là là qu'ont-ils mis dans le café ? Sofia n' en croit pas ses yeux, bientôt plus ses oreilles : un nouveau personnage se tient devant elle comme surgi de nulle part.
- Pyrrhus ! Pyrrhus ! où es-tu ? Elle se détourne pour le chercher.
- L' impossible ne peut se produire, pensez-vous ? Elle se retourne.
- Je me présente :  Hercule Poirot.
Sofia avale sa salive et s'effondre dans le fauteuil.
- Mais... mais que...
- L'impossible doit devenir possible malgré les apparences.
Elle recule.
- Comment êtes-vous entré ? Bien sûr que je vous connais, tout le monde vous connaît mais enfin vous n'êtes pas passe-muraille !
- Oh vous savez, ma longue expérience pourrait avoir eu raison des obstacles... on ne m'attend jamais là où je suis. Je fais comme les présumés coupables que je file : je passe, me retourne, m'esquive, me cache, me transforme aussi quelquefois.
- D'accord mais votre présence ici !... Elle se met à genoux.
- Je n'ai rien fait de grave, je vous jure. Il m'est tout simplement impossible de me séparer de mon petit Pyrrhus alors j'ai juste enfreint un peu le règlement. Je vous jure, je ne recommencerai plus.
- Enfin Madame, sourit-il en l'aidant à se relever. Il ne s'agit pas de votre petite "entorse" au règlement ; je suis là pour vous demander une faveur.
- Une faveur ! quelle faveur ?
- Aidez-moi à me cacher ici afin de poursuivre mon enquête d'une importance internationale.
- Moi ? mais comment voulez-vous...
- Oh je vous fais confiance, vous trouverez bien une astuce, un prétexte, une excuse en somme, dit-il en tournant autour d'elle pour la convaincre, l'intimider, la piéger... vous ne pouvez pas faire à moins, ajoute-t-il en jouant avec le collier de Pyrrhus.
Comment est-il entre ses mains, s'inquiète Sofia. 
- Où est mon Pyrrhus ? Qu'avez-vous fait de mon Pyrrhus ? le menace-t-elle en le prenant par le col de son veston.
Miaou aou...
Elle lâche prise : c'était petit Pyrrhus qu'elle tenait par le cou et le pauvre ne comprenait pas ce qui  arrivait à sa maîtresse adorée.
- Pyrrhus, mon trésor Maman ne te veut aucun mal, rassure-t-elle le chat en le serrant dans ses bras. Mon dieu que s'est-il passé ? Je deviens folle...
L'ENQUÊTE AVANCE
Dans la hâte de la fouille imminente, Sofia décide d'interpeller le chef de train afin de savoir si elle allait se faire de compartiment en compartiment, par numéro... Comment comptait-il procéder ? Il lui fut répondu que l'on laisserait déjeuner en paix les passagers ce qui lui laissa un peu de marge. Cette fameuse Satine occupe le numéro 7 ; allons vérifier si elle est toujours au wagon restaurant et son compartiment vide. En effet elle y était, dégustant comme à son habitude son éternelle tisane et en grande discussion avec un homme. Tenteraient-ils à eux deux de résoudre l'énigme ? Un jour j'ai joué dans une série policière et il était question, avant d'en arriver aux conclusions, de mobiles, d'alibis, d'indices, finalement de preuves ; quand l'enquête est bien ficelée, les conclusions émergent d'elles-mêmes. Elle s'assoit près d'une fenêtre, scrutant la scène qui s'offrait à ses yeux.
Mobile...
Pourquoi pas l'opportunisme ? écarter le chef d'orchestre trop connu et se faire une place sur le marché, autrement dit forcer le destin. Il y aurait donc deux chefs d'orchestre à bord. Oui mais qui serait l'usurpateur ? le vol ayant eu lieu durant la nuit, chacun était censé être dans son compartiment éveillé ou pas, alors pour l'alibi nous sommes tous logés à la même enseigne !
Il faut aussi des signes concrets, des indices. J'ai entendu parler d'une corde de violon égarée, l’étui vide n'étant pas un indice car violon ou pas violon, telle est la question ! Selon les infos que j'ai pu recueillir il a été supputé que l'étui n'avait peut-être jamais vu l'ombre d'un violon ; ça c'est une version que j'adopterais volontiers. Les indices vérifiés, il reste les preuves. Pour cela ils vont certainement passer le wagon au peigne fin (mauvais pour moi, Pyrrhus ne miaule pas mais perd ses poils). Il y a de quoi se faire des cheveux en ce qui me concerne...
Voler un Stradivarius, à part l'hypothèse du concurrent, il faudrait s'orienter vers un besoin d'argent : qui à bord serait dans cette nécessité quand on sait que le prix du voyage déjà engagé s'élève dans les 7000 € par jour (ceci dit je ne connais pas le prix d'un Stradivarius). Vu que le train traverse des pays où la vie est encore rude et la pauvreté étendue, il s'agit peut-être d'un trafic à visée internationale, peut-être est-ce monnaie courante de s'enrichir par le vol et le recel d'instruments de musique (escroc, mafia). Il peut aussi s'agir d'une vengeance... féminine... une femme chef d'orchestre ! Du jamais vu. Et pour cause, elles se sont toujours retrouvées au ban de la fosse de par l'autosuffisance des hommes, mais aussi les préjugés du public.
Tiens, Miss Satine commande à nouveau une tisane : ça rend la peau satinée parait-il. Ce serait donc un surnom SATINE... anagramme TISANE, anagramme ENATIS... Gloria ENATIS ! Mais c'est bien sûr... la grande violoniste qui ambitionnait la direction du philharmonique de... je ne sais plus quelle ville.
Mais alors oh là là trop compliqué pour moi, ma migraine s'installe, je devrais en avertir POIROT.
Justement si Hercule  n'avait pas investi mon Pyrrhus dans mon esprit, s'il avait été bel et bien à bord en chair et en os, il aurait peut-être déjà résolu l'affaire et sans fouille, trouvé les indices, faussé les pistes, faire croire à la culpabilité de tous et enfin faire surgir de son chapeau melon le vrai coupable.
Mais qui vois-je là-bas canne en main, moustaches, mouchoir brodé HP, chapeau melon, c'est lui ! Monsieur Poirot ! Monsieur Poirot !
L'homme se retourne.
- Oui madame?
- Vous n'êtes pas Monsieur Poirot pourtant qu'elle ressemblance !
- Je me présente Inspecteur PÉLICAN. Auriez-vous quelque témoignage à apporter ?
- Ah non, malheureusement non.
Puis elle se reprend et  joue le tout pour le tout.
- Enfin si. Il y a à bord une certaine Madame Satine, à vrai dire, je ne la trouve pas très honnête...
- Pouvez vous justifier vos dires ?
- Cette nuit je l'ai aperçue dans le couloir ; elle avait un énorme châle sur elle et paraissait beaucoup moins mince et élancée... enfin je dis ça je ne dis rien, peut-être n'est-ce pas le cas...
- Aide très précieuse Madame, Madame ?
- Alcantara, Sofia Alcantara.
- Madame Alcantara, pour tout vous avouer j'ai moi-même des soupçons et presque des preuves...
- Oh mais alors, si jamais il s'avérait que... enfin qu'elle ne soit pas aussi innocente qu'elle le parait...
- Il me reste une toute petite preuve à apporter et l'enquête serait résolue. 
- Vraiment ? et alors dans ce cas toute fouille serait inutile n'est-ce pas ?
- Exactement. Laissez-moi faire j'ai quelques témoignages à recueillir et... d'un geste il croisa les deux mains en signe d'arrestation.
- Oh pauvre femme ! En arriver là ...!
- Eh oui l'habit ne fait pas le moine, ajouta-il en tournant le dos et s'éloignant.
Alors ça ! Je ne m'y attendais pas...Comme quoi le bluff ça peut marcher...

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Rédigé par Letizia

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Publié le 7 Décembre 2024

Xavier L., 39 ans,
Escroc notoire, mondialement connu pour avoir conduit à la ruine (et certaines au suicide) un nombre conséquent de célébrités du cinéma et des médias - d'abord en France puis aux États-Unis d'Amérique. En fuite, sous le coup de plusieurs mandats d'arrêt internationaux, a pour objectif, afin d'échapper définitivement aux poursuites judiciaires dont il fait l'objet, de quitter le monde dit libre en passant à l'Est, au-delà du "rideau de fer". En raison de son agréable cadre de vie, la Yougoslavie aurait sa préférence, mais sinon un autre pays du Sud tel que la Roumanie ou la Bulgarie devrait convenir. Fort de l'impressionante fortune accumulée suite à ses inombrables escroqueries, il y refera sa vie, désormais à l'abri de tout souci comme de tout besoin.

Psycholyse...
Xavier l'avait croisé en revenant du bar en fin d'après-midi. Il ne savait pas pourquoi, mais le vieux l'avait littéralement alpagué. Sans doute l'avait-il à la bonne comme on dit. Le vieux s'était présenté par son prénom, Sigmund, mais bizarrement, il n'avait pas voulu dire son nom. Que lui, Xavier, ne donne pas son vrai nom, c'était de l'élémentaire prudence, mais que ce vieux qui avait l'air de tout sauf d'un aigrefin soit si discret, ça avait surpris Xavier. Mais dans le fond, ça n'avait aucune importance. Alors il n'insista pas. Xavier avait consenti par pure pitié à donner un peu de temps à ce vieillard qui lui apparaissait aussi joyeux qu'une porte de prison. Ce n'était certes pas un sentiment qui lui était familier, la pitié, mais Xavier pouvait quand même l'éprouver brièvement, de loin en loin, pour quelques personnes et dans des circonstances particulières. Là, ça lui était tombé dessus en voyant la gueule d'enterrement du vieux qui paraissait prêt à tout pour engager la conversation avec lui. Mal lui en prit. Le vieux faisait un truc qui avait à voir avec la psychologie, mais il appelait pas ça comme ça. Xavier ne s'en souvenait plus très bien mais le vieux parlait de psycholyse, ou d'un machin dans ce genre. Pendant plus d'une demi-heure il l'avait saoulé avec ses théories bizarroïdes comme quoi la psychologie c'était comme les icebergs, avec une partie visible, la partie émergée, et une partie invisible, de loin la plus importante, la partie immergée.
 
Les yeux pleins de fièvre, le vieux s'emballait en agitant ses mains dans tous les sens , lui expliquant que la conscience correspondait à la partie émergée de l'iceberg et l'inconscient à la partie immergée. Sur le coup, et même après en y repensant, ça avait paru particulièrement fumeux à Xavier : de deux choses l'une qu'il se disait, ou c'est de la psychologie et par définition ça concerne la conscience, ou alors, ça concerne plus la conscience et là ça peut pas être de la psychologie. Fallait choisir. C'était quand même simple, bon Dieu ! Qu'est-ce que ça venait foutre le bordel là-dedans cette histoire aberrante d'inconscient ? Mais comme au fond il n'en avait qu'à peu près rien à cirer de tout ce galimatias, Xavier avait hoché la tête en disant oui oui, pour faire plaisir au vieux, mais surtout en espérant que de la sorte ça se terminerait plus vite, parce que là, ça avait vraiment trop duré, ces capacités d'empathie avaient été largement dépassées. Mais, sacrebleu, plus Xavier acquiesçait, plus le vieux s'emballait !! Il devait s'imaginer commencer à conquérir le monde par sa persuasion et son éloquence. Il devenait intarissable ! C'est alors que la femme ibérique est venue se joindre au monologue. Il était clair qu'elle était tout à fait captivée par ce que racontait le vieux qui, en s'échauffant, s'était mis à parler assez fort pour qu'on l'entende de partout dans le compartiment.
 
Pour Xavier, ce fut une aubaine aussi inespérée que bienvenue. Sûr qu'il n'allait pas la laisser passer, lui qui était devenu depuis longtemps un expert dans l'art d'identifier puis d'exploiter la moindre opportunité que se présentait. Ça lui permettait de prendre de suite et poliment congé du vieux. C'est quand-même mieux que de l'envoyer valdinguer sans ménagement en lui faisant vertement comprendre qu'avec ses théories à la noix il le gonflait depuis déjà bien trop longtemps. Avec cordialité, il prit donc rapidement congé du vieux et de la femme, et rejoignit sans tarder sa cabine afin de se détendre un peu la tête, comme il lui arrivait parfois de dire.
Première scène dans l'Orient Express
Ça sentait pas bon. Pas bon du tout. Des deux côtés de l’Atlantique, les polices et les justices commençaient à collaborer. Et ce qu’elles découvraient, c’était pas de la bibine, c’était du lourd, du très lourd.
« Un nombre incalculable d’escroqueries - Xavier avait retenu cette phrase d’un des articles le concernant qui avait fait la une d’un journal en France - dont beaucoup ont entraîné la ruine de leurs victimes et, pour certaines d’entre elles, leur suicide. »
Et en Amérique, c’était du même tonneau. Y’avait plus le choix. Fallait partir. Et vite. Ça serait vraiment trop con, désormais si près du but, si près de la vie dont il avait toujours rêvé, de se faire coffrer pour passer ensuite le restant de son existence au trou.
Alors, dès qu’il fut informé du départ de l’Orient Express, il embarqua. Non qu’il eut quelque goût pour ce train de bourges, comme il disait. Non, le luxe et tout ces trucs, il n’en avait plus rien à foutre. Dans son ancienne vie, il avait baigné là-dedans, pas jusqu’au cou, non, mais jusque par dessus la tête. C’était simplement que les riches, on les suspecte beaucoup moins que les autres et donc, c’était plus sûr de passer par là. Et puis, ce putain de train partait vers l’Est, là où justement, il voulait aller. Ses amis n’avaient pourtant cessé de l’avertir : fais gaffe, tu sais, les cocos, ils aiment pas l’argent et ils aiment encore moins les riches, et puis là-bas, on t’estourbit comme toi tu écrases un cafard, fais vraiment gaffe, Xavier !
Ils arrêtaient pas de lui bourrer le mou avec ça. Et c’est vrai que c’était juste, tout ce qu’ils disaient.
C’était aussi beaucoup pour ça qu’il avait jeté son dévolu sur la Yougoslavie. Tito c’était un coco, mais pas un coco aligné, pas un pour et dur, un du genre qui te fait fusiller illico parce que t’as un début de commencement de désaccord avec lui. Et si la Yougoslavie c’était pas possible, y’avait toujours la Roumanie. Bon, Ceausescu avait l’air passablement chtarbé, c’est vrai, mais il avait pris ses distances avec les Soviets, puis avec les Chinois, ce qui atteste une certaine souplesse d’esprit. Et avec les gens comme ça, c’est toujours plus facile de négocier. Et puis, si rien ne marchait, il serait toujours temps de foutre le camp dans une république bananière, en Afrique ou ailleurs.
 
Xavier se promit de bientôt reprendre ses réflexions, mais ce dont il avait envie maintenant, c’était de se dégourdir les jambes et de prendre un peu l’air. Il avait entendu qu’une partie d’échec devait avoir lieu ce jour dans un compartiment attenant au sien. De plus, il était prévu qu’elle débute à seize heures, soit un quart d’heure de plus que l’heure qu’indiquait sa montre. Il décida donc à aller y voir de plus près.

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Rédigé par Francis

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Publié le 7 Décembre 2024

 
Une rencontre innattendue
Pierre avait quitté Istanbul depuis trois jours déjà. L’Orient-Express avait pris la suite du bateau qui lui avait permis de traverser la Mer Noire pour arriver en train de luxe en Bulgarie, puis en Roumanie. Dans cet environnement si confortable, Pierre se sentait parfaitement bien, et il appréciait la beauté et la variété des paysages qui s’offraient à sa vue. Il s’était préparé pendant plusieurs mois à ce voyage. Il avait quitté la France à l’âge de vingt-huit ans, après une grave dispute avec son père, qui l’avait renié. Sans le dire à sa famille, il avait gagné alors la Turquie, où il avait rejoint deux copains de Lycée qui avaient fait leur vie à Istanbul. Ayant fait là-bas de bonnes rencontres, il avait pu monter une affaire qui marchait très bien. Il avait embauché une trentaine d’employés, il était devenu quelqu’un qui comptait dans le monde du commerce local, il était à l’aise financièrement. Son seul regret était d’être encore célibataire à quarante-cinq ans et de ne pas avoir d’enfants. Il voulait, avant qu’il ne soit trop tard, revoir ses parents, essayer de se réconcilier avec son père, et s’excuser auprès de sa maman, qui avait dû beaucoup souffrir de ne pas avoir de ses nouvelles. Avec la maturité, il pensait sincèrement qu’il aurait dû faire lui-même le premier pas depuis longtemps pour reprendre contact avec eux. Il voulait pourtant leur montrer que, même sans leur aide, il s’était fait malgré tout une bonne situation, et que leur fils n’était pas un incapable. Il se sentait bien dans ce train, dans ce décor chaud et luxueux qui lui rappelait son enfance, avec une famille aimante malgré la sévérité de son père.
Ce matin, lassé de prendre son café seul dans sa chambre, il s’était préparé pour aller prendre un bon petit-déjeuner au wagon-restaurant. Il avait entrouvert la porte de sa chambre lorsqu’il se rendit compte qu’il avait oublié ses lunettes, indispensables pour lire la carte du restaurant. Il retourna les chercher, laissant la porte ouverte. Lorsqu’il voulu rejoindre le couloir, il aperçut devant lui un petit garçon de cinq ou six ans qui l’observait avec curiosité. Il entendit alors une voix de femme qui criait en Français : « Osman, où es-tu ? Reviens, tu vas te perdre tout seul ! » Intrigué, Pierre tendit la main à l’enfant et lui dit : « Viens, je te ramène à ta Maman, elle s’inquiète ! » Main dans la main, ils longèrent une partie du couloir, et se heurtèrent presque à une jeune femme vêtue à l’occidentale, au visage affolé.
-  Le voilà, votre petit Osman, Madame.
- Je vous connais, Monsieur ! Vous êtes…Pierre ?
Il la regarda, les yeux ronds :
- Excusez-moi, je ne…
- Je suis Mathilda…
Ce prénom, qu’il n’avait plus entendu depuis si longtemps, évoqua pour lui le souvenir d’une fillette d’une dizaine d’années, au visage constellé de taches de rousseur et aux longues nattes blondes… Sa filleule ! Il ne l’avait plus vue depuis presque vingt ans… Son regard se posa sur le petit Osman, et il reconnu en l’enfant les mêmes taches de rousseur et les mêmes grands yeux innocents de la Mathilda d’autrefois.
Pierre et Mathilda tombèrent dans les bras l’un de l’autre. Le petit garçon s’accrocha aux jupes de sa mère, effrayé par l’attitude incompréhensible des deux adultes, qui partirent bientôt bras dessus-bras dessous pour le wagon-restaurant. Devant un solide petit-déjeuner, la jeune femme raconta à son parrain sa rencontre suivie d’un mariage dès sa majorité avec un riche Turc dont elle avait fait la connaissance à Paris, sa rupture avec ses parents lorsqu’elle l’avait suivi à Istanbul contre leur avis. Elle était maintenant gravement malade sans espoir de s’en sortir, et, avec l’autorisation de son époux, qui était un homme de bonne moralité et très ouvert à la culture occidentale, elle voulait faire connaître son fils à ses parents tant qu’elle pouvait encore le faire. Très émue, elle dit à Pierre que, puisque le destin avait favorisé leur retrouvailles, elle comptait désormais sur lui pour veiller à sa place sur Osman, pour que, en plus de la l’éducation Turque, il puisse bénéficier aussi de l’éducation Française grâce au Parrain de sa Maman.
Le petit déjeuner fut plein d’émotion. L’enfant ne comprenait pas vraiment ce qui se passait sous ses yeux. Il posait des questions, en Français ou en Turc, mais il obtenait peu de réponses. Agacé, voyant que ni sa Maman ni le Monsieur ne s’occupaient de lui, après avoir bu son bol de chocolat, il se glissa subrepticement hors du wagon-restaurant, sans que les deux adultes s’en rendent compte, occupés par l’évocation de leurs vies respectives, étonnés et émus d’avoir vécu près de dix ans dans la même ville, à si peu de distance l’un de l’autre, sans le savoir et sans jamais se rencontrer.
Baglama ou violon ?
Un employé de la Compagnie des Trains, très élégant dans son uniforme, fit irruption dans le wagon-restaurant, au milieu des convives interloqués, et les informa aussitôt - en Français, en Turc et en Anglais – qu’un fait regrettable venait de se produire dans l’Orient-Express; pendant son discours on sentait une sourde angoisse flotter parmi ses auditeurs, chacun se demandant quel évènement avait bien pu troubler la quiétude de ce lieu. Que s’était-il donc passé ? La mine grave, le Chef de Train leur apprit qu’un vol important venait d’être commis. Un Chef d’Orchestre, qui voyageait avec ses musiciens à bord de ce train, venait de constater la disparition de son Stradivarius, d’une valeur inestimable. A la prochaine station – la gare de Bucarest – la police Roumaine monterait à bord et fouillerait systématiquement les lieux.
Les voyageurs, encore attablés autour de leur café ou leur thé du matin, semblaient plutôt choqués de savoir que, dans l’immédiat, ils n’auraient pas le droit ni de quitter le train, ni de bénéficier du temps libre prévu dans la capitale Roumaine. Les uns après les autres, ils quittèrent leur table pour retourner dans leur cabine, l’air résigné.
C’est le moment où Mathilda et Pierre s’aperçurent de l’absence d’Osman auprès d’eux. Une fois de plus, la jeune mère parcourut le couloir, en frappant à chaque porte et appelant le garçonnet d’une voix angoissée. Pierre essayait de l’assister de son mieux, sans résultats pendant une bonne heure. Les policiers, dès leur montée dans l’Orient – Express, furent informés de la disparition de l’enfant. Aussi, ils abandonnèrent momentanément la recherche du voleur de Stadivarius et l’interrogatoire des voyageurs pour se concentrer sur la disparition d’Osman et sur d’éventuels témoignages de personnes ayant pu le croiser…
Le Chef d’Orchestre, de son côté, essayait de donner le change, de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Comme tout le monde, il semblait s’intéresser davantage à la disparition du petit garçon qu’à celle de son violon !
Après la fouille approfondie de la plupart des chambres et des suites du train par les policiers Roumains, l’espoir de retrouver l’enfant s’amenuisait, on commençait à penser à un enlèvement par une bande organisée, le père de l’enfant étant assez riche…
Soudain, un cri de femme : « Osman, tu étais ici ? »
L’enfant franchit une porte basse sur laquelle était affichée une petite pancarte en Français : « entrée interdite. Réserve de jeux et jouets ». C’était apparemment plus un placard qu’une pièce. Il était situé à l’extrémité du wagon de queue. Osman, qui commençait à savoir lire un peu le Français, avait remarqué un seul mot : « jouets » ; ça l’avait intéressé, puisque les deux adultes qui auraient dû s’occuper de lui l’avaient délaissé. Entendant l’appel de sa mère, il était sorti dans le couloir en dissimulant quelque chose dans son dos, la mine fautive.
Sa mère le saisit par le bras, plutôt énervée. « Que caches-tu ? Montre-moi ». Elle voyait une sorte de baguette en bois dépassant au-dessus de la tête d’Osman, malgré sa volonté de cacher son butin. L’air dépité, il tendit l’objet à sa mère : un archet de violon !
- J’ai trouvé une canne à pêche, Maman ! Tu m’avais dit qu’en France tu m’emmènerais en Normandie pour pêcher en mer comme faisait ton Papa, et je sais que tu avais oublié de prendre ma canne à pêche à la maison, chez nous à Istanbul…
- Et qu’as-tu fait de l’instrument de musique ?
- Oui, à côté de la canne à pêche, il y avait une baglama, comme celle de mon Papy de Turquie. Je l’ai cachée dans le coffre avec les grosses peluches pour que personne ne me la prenne, je veux l’apporter à mon Papy de Turquie. Il avait cassé la sienne, il sera content…
Mathilda, émue aux larmes, prit son fils dans ses bras et le serra très fort contre son cœur !
L'enquête d'Hercule
Pierre avait ressenti beaucoup d’empathie pour Mathilda lorsqu’il l’avait vue bouleversée par la disparition de son enfant. Il avait essayé de la réconforter, ce qui lui avait coûté beaucoup d’énergie. Il se sentait maintenant extrêmement fatigué par toutes les émotions qui l’avaient submergé. Il avait absolument besoin d’aller se reposer un moment, afin de réfléchir tranquillement et de faire le tri dans toutes les pensées qui lui venaient en vrac. Il se savait de santé fragile, et son médecin lui recommandait d’éviter, dans la mesure du possible, les grosses émotions… Plus facile à dire qu’à faire ! Arrivé dans sa cabine, il s’allongea tout habillé sur son lit, les yeux au plafond. Quelle matinée ! D’abord, une rencontre inattendue avec le petit garçon, puis avec sa mère, qu’il avait portée autrefois sur les fonds baptismaux, alors qu’il avait dix-huit ans.
Le souvenir de la petite fille qu’il avait vue grandir lui revint. Il la revoyait faire ses premiers pas, plus tard prendre son parrain par la main pour l’emmener voir son chat, parfois se coller contre lui pour se faire câliner… Au fil des ans, il l’avait vue changer. Le bébé s’était transformé en une jolie petite fille. Il se rappelait ses grands yeux verts, ses longs cheveux blonds tressés avec amour par sa maman, ses taches de rousseur, son visage rond au sourire ravageur, sa silhouette un peu dodue, tout en elle évoquait déjà la douceur et la féminité. Il ne l’avait plus vue depuis l’âge de dix ans, et aujourd’hui il avait eu face à lui une magnifique jeune femme, qui verrait bientôt la grave maladie dont elle souffrait interrompre le cours de sa vie. Les yeux de Pierre se remplirent de larmes : la vie n’était pas juste. A peine retrouvée, il perdrait sa filleule probablement dans quelques mois… Et son petit garçon au si grand cœur, qui voulait ramener en cadeau l’instrument de musique trouvé par hasard à son grand-père Turc ! Quelle générosité dans cette famille !
Soudain, deux coups secs frappés à la porte de la cabine firent sursauter Pierre et interrompirent sa rêverie. Revenu à la réalité du moment, il alla ouvrir la porte et se trouva devant un homme entre deux âges qui lui était totalement inconnu. Le visiteur se présenta, comme étant Hercule Poirot, détective, fortement intéressé par les deux évènements intervenus ce matin dans l’Orient- Express. D’un coup d’œil rapide, Pierre enregistra les caractéristiques propres au nouveau-venu : un homme de taille moyenne, au visage ouvert, aux yeux pétillants, à l’imperméable couleur mastic propre aux détectives privés, à une vieille serviette au cuir usé, une pipe éteinte à la bouche.
En quelques mots, Hercule Poirot lui résuma les deux affaires qui l’avaient attiré là, après qu’il soit monté dans le train pour Paris en même temps que les policiers Roumains : le vol du Stradivarius au célèbre Chef d’Orchestre Herbert Von Poulen, et le probable enlèvement d’un enfant Turc. Le commissaire de police connaissait le célèbre détective et avait immédiatement partagé ce qu’il savait avec lui, en espérant qu’il l’aiderait dans l’enquête. Afin que les choses soient claires entre eux, Pierre révéla à son interlocuteur les liens personnels qui le rapprochaient de la maman de l’enfant disparu. Et, par la même occasion, il lui révéla que l’enfant venait d’être retrouvé ainsi que le violon ! M. Poirot fut interloqué, personne n’avait pris le temps de l’informer de l’heureux dénouement simultané des deux affaires… Il prononça alors une phrase pleine de sagesse que Pierre garda longtemps en mémoire :  « L’impossible ne peut se produire, donc l’impossible doit devenir possible malgré les apparences… »
Sur ces paroles, les deux hommes se serrèrent la main en se quittant, presque amis désormais.
Effervescence dans les couloirs
Pierre sortit de sa cabine après s’être reposé, avec l’intention d’aller retrouver Mathilda et son fils. A peine venait-il de refermer sa porte qu’il constata une effervescence inhabituelle dans le couloir du train. Des passagers, par groupes de deux ou trois, discutaient des évènements de la matinée. Des bribes de phrases ou de conversations, des exclamations lui parvenaient aux oreilles au fur et à mesure qu’il tentait de se glisser en s’excusant entre les voyageurs qui l’empêchaient presque de poursuivre son chemin. Chacun avait l’air de savoir mieux que les autres ce qu’il s’était exactement passé. Et pourtant, à surprendre leurs paroles, il semblait bien à Pierre que peu de gens connaissaient la vérité.
Apparemment presque tous avaient été interrogés soit par la police Roumaine, soit par Hercule Poirot, ou même par les deux. Pierre entendait voltiger des mots ou des morceaux de phrases qui démontraient bien que diverses opinions avaient vu le jour dans l’Orient – Express.
Déjà, certains, conscients de leur statut social au-dessus de la moyenne, avaient été vexés des soupçons pesant sur chaque passager.
Pierre dépassa deux messieurs à l’air imbu de leur personne :
- Vous imaginez, moi, le meilleur avocat d’Istanbul, avoir été soupçonné du vol d’un violon, même si c’est un Stradivarius ! Comme s’il fallait que je le vole pour m’offrir un vulgaire instrument de musique. Je possède une fortune assez conséquente pour m’offrir tout ce que je désire…
- Je suis bien de votre avis, mon cher Maître ! J’ai moi-même à ma disposition l’Orchestre de l’Opéra de Budapest – le Chef d’Orchestre étant un ami proche – c’est un honneur pour lui de me faire plaisir lorsque je l’invite avec ses musiciens à venir interpréter de grandes œuvres dans mon château Hongrois. Alors, être interrogé par de vulgaires policiers Roumains, Je n’ai pas vraiment apprécié, c’est un manque de délicatesse !
Un peu plus loin, un groupe de dames :
- Oui, je vous le confirme, ma chère, on m’a dit que cette histoire de vol a été inventée de toutes pièces : de source sûre, l’étui du Stradivarius était vide lorsque M. Herbert Von Poulen l’a mis dans sa cabine…
- Ce doit être pour toucher l’assurance, c’est une escroquerie, il n’y aucun doute…
Deux hommes Turcs, reconnaissables à leur caftan traditionnel :
- Moi, je vais en informer mon ambassade. L’attitude de la police Roumaine est innommable, elle n’a pas le droit de traiter de cette manière d’honnête citoyens Turcs…
- Chez nous, les policiers qui se conduiraient de cette façon seraient aussitôt incarcérés, croyez-moi !
Plus Pierre avançait dans le couloir, plus le mécontentement était palpable. Apercevant le Chef de train avec sa belle tenue marine et or un peu plus loin, il eut une idée : il fallait absolument qu’une annonce faite aux passagers rétablisse la vérité : le Stradivarius avait été retrouvé, et l’enfant n’avait jamais été kidnappé ! Le Chef de train, s’étant rendu compte de la grogne ambiante, venait justement de contacter par téléphone le Directeur Général de l’Orient-Express pour lui demander des instructions. Après avoir rassuré Pierre, il prit son porte-voix pour faire l’annonce concernée.
Un observateur aurait pu voir sur le visage des voyageurs, apparaître d’abord de l’incompréhension, puis du soulagement, et même un sourire rassuré.
Aussitôt après la déclaration de l’homme en uniforme, Pierre fut amusé de constater la vitesse à laquelle l’atmosphère se détendit parmi les personnes rencontrées.
Il arriva enfin devant la porte de la cabine occupée par Mathilda et Osman. La mine satisfaite, il frappa deux coups secs, bien décidé à relater à la jeune femme tout ce qu’il avait entendu dans le couloir de l’Orient- Express.
 

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Rédigé par Annie

Publié dans #Voyage

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Publié le 7 Décembre 2024

Rédigé par Atelier Ecriture

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