Publié le 22 Février 2021
Fond de l’air frisquet sous un petit soleil printanier. Guilleret je pousse la porte de la boutique de prévoyance obsèques où j’ai rendez-vous avec monsieur Mandéon pour faire un devis estimatif de mon testament obsèques.
Un devis tout au plus car jusqu’à aujourd’hui rien ne prouve que je sois mortel alors à quoi bon dépenser les derniers petits sous qu’il me reste. Même si les statistiques ne jouent pas en ma faveur factuellement ce n’est que ouï-dire ! Mais bon, l’information peut s’avérer utile un jour peut-être
Masqué jusqu’au yeux lunettés, monsieur Mandéon est assis dans un grand fauteuil, derrière un immense écran d’ordinateur posé sur un grand bureau le tout cerné par une protection de plexiglas à l’épreuve des postillons sûrement et probablement des balles de calibre onze millimètres. Après tout nous sommes dans le Vieux Nice, je peux comprendre. Je m’adresse donc au haut du crâne dégarni qui dépasse de l’ensemble. J’espère juste que le jour venu saint Pierre sera plus avenant d’autant que j’ai un frère qui se prénomme Pierre mais j’ignore si cela pourra jouer en ma faveur.
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Bonjour, je suis Hervé Farcy, j’ai rendez-vous avec monsieur Mandéon.
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Je suis monsieur Mandéon, effectivement nous nous sommes parlé par téléphone, que puis-je pour vous ?
Ça commence bien ! Que croit-t-il que je sois venu faire dans sa boutique ? Vous faites des pans bagnat, vous savez chanter ? Ai-je envie de lui demander.
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Monsieur, nous sommes convenus que vous établiriez un devis de prévoyance obsèques, c’est donc moi aujourd’hui qui vous écoute car demain pas sûr que je vous entende… à moins que… à moins que ma demande ne soit restée lettre morte.
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Non, non, oui, oui, heu, heu… Quel est votre nom ?
J’espère que lui, a signé un contrat de prévoyance obsèques en bonne due forme, il me monte les abeilles, je vais le tuer ce bonhomme !
Mais patiemment je décline mon identité et tout le toutim, date de naissance, date de décès, là je sens qu’il est dépassé. Laissez un blanc lui dis-je. Mais il ne peut pas, le programme va refuser de valider et ça, c’est l’horreur absolue. Alors il tape une date en loucedé. Joueur j’aurais dit « chiche », on parie mille boules ?
Il pianote encore un long moment, il a l’éternité pour lui le mec. J’observe la pièce, échantillons de marbre gris triste collés sur un mur, photos de jolis bouquets de fleurs en plastique collées sur un autre, quand j’aperçois une brochure « Nos promotions du mois ! » je voudrais bien en profiter mais il n’y a pas le feu… Vous l’avez saisie celle-là ?
Ça dure une éternité, oui, je commence à trouver le temps long, peut-être est-ce volontaire, préparer le client à l’Eternelle, quand soudain…
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Enterrement ou crémation ?
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Crémation à mille sept cent quatre-vingt-dix-neuf euros comme je l’ai lu sur le site internet.
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Surtout pas, je vous le déconseille. A ce prix-là vous n’avez aucune prestation.
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Enlevez c’est pesé ! Et quelles sont ces prestations ? Même s’il est quasiment certain que je ne pourrai les apprécier.
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Le cercueil ?
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Une place, assise, côté fenêtre de préférence fumeur sinon allongé suffira.
Je tente une pointe d’humour, un peu lourd d’accord, même pour un futur grand brulé. Mais, silence, de mort oblige, dans ce métier on ne sourit pas, jamais. Interdit contractuellement je suppose. Il devient bougon le monsieur Mandéon.
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Le bois ! Quelle essence préférez-vous ?
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Quelque chose de sec, qui brûle bien avec une belle fumée qui monte droite dans le ciel. J’ai hâte d’arriver si je peux être utile, allez savoir ?
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Hum, je vois, je vous propose un Milos T2.
Et le voilà parti à me décrire le cercueil, capiton en tissu blanc, ruban de satin avec oreiller assorti… comme un vendeur de bagnole décrirait son dernier modèle. Je m’attends à ce qu’il me propose de l’essayer, mais non.
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Votre toilette, avec ou sans thanatopracteur ?
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La différence ? La nécessité ?
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Nous sommes contraints par la disponibilité du four crématoire, aujourd’hui par exemple, covid oblige, il faut attendre plus de dix jours, alors si vous voulez conserver une apparence gracieuse et détendue l’intervention du thanatopracteur est souhaitable pour laisser à la famille une image reposée.
Et il enchaîne, à coup de cent €uros par-ci, deux cents par-là, j’en passe et des meilleurs. Vivant jouant le rôle du mort, son argumentation ne m’intéresse plus vraiment.
A la date à laquelle il remplira les cases vides face à sa machine moi je n’en aurai vraiment plus rien à faire. La Mort est uniquement une affaire de vivants !
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Avec ou sans l’option « Sérénité Totale » ?
Pareil, idem, kif kif, Mandéon roi des... n’a toujours pas compris qu’à cet instant-là, je serai mortellement serein. Il me vient les pignes, brutalement je lui demande de quoi parlons-nous ?
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Trois milles sept cent soixante-sept euros et dix-sept centimes !
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Ah ! Quand même ! Plus cher qu’un grand scooter électrique, livraison gratuite.
Je me lève, le salue, m’en vais, non je n’ai pas la mort dans l’âme, dans ma poche je tripote les dix-sept centimes.
(….)