Connaissez-vous le sixième continent ? Celui que vos livres de classe n'incorporaient pas au programme mais qui déjà pointait à l'horizon.
Nos petits-enfants, eux, le connaîtraient à coup sûr puisque nous leur laisserions en héritage.
Au début, nous n'avions pas dessein à reconfigurer la planète. Nous avons œuvré, inventé, innové pour le bien-être, ou du moins le pensions-nous, le confort de l'humanité : au lieu de cela nous avons enfanté un indispensable de notre quotidien sans toutefois y mettre de confins. Grave erreur ! Et le petit a été bien nourri, bien engraissé à tel point qu'il a dépassé en poids, en taille et en capacités ses géniteurs ; il tient son rôle, l'investit pleinement ; il a grandi, il s'est développé, il a à son tour proliféré en s'acoquinant à d'autres molécules. Quelle belle réussite non ? Le rêve et le but de tous parents qui se respectent...
Mais nous ne sommes pas respectables ! En fait nous sommes des parents indignes car notre devoir était pour le moins de limiter, d'encadrer, de penser sa fin, si lointaine soit-elle. Eh bien non. Nous nous sommes comportés en irresponsables!
Génération plastique :
Notre petit dernier est né avec, et pour lui c'est une évidence que de le manipuler chaque jour, qu'il soit présent à son réveil, à son coucher, durant ses repas, ses loisirs, lié à son apparence, à son hygiène même… jamais il n'imaginerait sa vie sans lui : c'est son compagnon de jeux, son frère, son père, sa mère. Il est vrai qu'il ne peut faire un pas sans lui malheureusement ! Il fait sa vie, il fera sa perte.
Nos ambitions ont connu leur heure de gloire en aval, mais en amont ?...
Nous avons accouché d'un monstre dont plus un incinérateur, ni aucune décharge, ni aucun tiers ou quart monde ne veut.
Il fait peur, il est trop grand, trop lourd, trop envahissant. Il est né, il a vécu, il fallait bien qu'il disparaisse.
La prise de conscience de ce danger est actuellement réelle, me direz-vous, oui mais tardive ; nous n'avons pas voulu entendre l'alarme et nous nous étonnons que la catastrophe soit là sous nos yeux et nous, les scientifiques, en sommes les premiers acteurs mais aussi témoins, et ce depuis le début.
Croyez-moi, nous sommes blindés, rompus à ces spectacles inattendus et pourtant pressentis, incroyables mais indiscutables : l’œuvre de cet animal sapiens capable du meilleur comme du pire...
Mais quand nos expéditions, sursaut de bonne conscience bien pensante, nous amènent à voguer sur cet immense édredon en mouvement, l'océan, à la recherche de quelque baume pour ce corps en décomposition, à mesure que nous progressons, nous supposons un écueil au loin mais aucune carte ne signale un quelconque danger ; alors nous approchons jumelles au point : ça paraît énorme. Ce qui n'était qu'un point grossit à vue d'œil. D'un supposé écueil, nous soupçonnons un obstacle mais quel genre d'obstacle ? Poissons morts (encore) ? Algues envahissantes en suspension ? Nouvelle couche de polluant formant un tapis informe ?
En barrant droit devant, nous le rejoignons ; du moins le bateau tente-t-il de le traverser ; le tapis se déforme de chaque côté du bastingage et se referme derrière notre passage, telle l'écume.
Alors nous découvrons l'horreur, le dégoût, le découragement, résultat de notre collusion aussi : une île de plastique, ramassis de déchets de notre irresponsabilité, de notre indifférence, île qu'aucun navigateur n'aura affublé d'un nom (comme au temps des grandes découvertes), elle ne le mérite pas et l'océan ne la méritait pas non plus, mais lui a-t-on demandé son avis ?
Défiguration du paysage mais pas que... les conséquences vous les connaissez.
Alors je NOUS accuse de n'avoir pas anticipé le futur de ce garde-manger à ciel ouvert alimenté par des rivières réduites en éboueurs : les poissons étouffent, les oiseaux s’empêtrent dans les filets ou sont pris dans un carcan de mazout, les hommes "s'encancerisent" chaque jour, ingurgitant cinq grammes de plastique par semaine !
Nous sommes maudits entre tous les hommes et le fruit de nos trouvailles n'est plus béni.
Triez pour nous, traîtres chercheurs, et pour vous, veules et égoïstes consommateurs, maintenant et jusqu'à l’heure de votre mort.
Dans le même temps, causalité de cet état de fait, réapprenez le respect, l'éducation, l'estime de soi (également en perdition, vu la désaffection générale à évoluer dans un environnement plaisant) afin que ce continent, ces îles démoniaques reculent ; si du moins l'élite décideuse vous suit faisant, elle aussi, son mea culpa...
(Revue "Planète au poing"
Rubrique La science repentante)