Il est cinq heures, la ville commence à s'éveiller. Les prostituées du jardin d'Albert 1er rentrent se coucher.
Alors, qu'est-ce que tu veux que ça me fasse ; j'ai sommei
Moi, je ne peux pas me reposer, je suis toujours en conversation avec mon scribe d'Asie. Là-bas, il fait chaud, très chaud, ici je me gèle un peu.
Oh ! Tu es pénible, tu n'es jamais content.Dis- moi, tu as vu l'Amérique du sud et l'Amérique du nord , ils se sont réconciliés,je suis certain qu'ils sont amoureux, ils regardent la Méditerranée de la même couleur, le soleil se lève à l'horizon , il va briller. Ils seront tranquille pour voyager vers l'océan.
Laisse-moi maintenant, je veux me reposer en silence.
Bon d'accord, je regarde ailleurs !
Une gentille dame traverse d'un pas lent la place Massena, elle me dit :
Je m'aperçois que vous êtes le confident de tous ces continents, cela est un travail très enrichissant.
Oui , si vous le dites...
Elle disparaît soudain, dans la rue de Verdun.
Je reste là, rêveur, il semble que je suis quelqu'un d'important, tant mieux, au moins je sers à quelque chose.
Ah voilà, mon petit vieux avec sa canne, il semble fatigué aujourd'hui, il s'assoit sur le rebord des arcades, il est un peu perdu. Il regarde le camion poubelles qui a terminé sa tournée. Le vieux monsieur alors lève sa tête et me fait signe de la main, il dit :
vous saviez que sous les arcades, il y a une petite impasse, et un petit boutde rue qui court le long de l'immeuble ?
Ah bon, je ne le savais pas.
Eh bien là ! Jadis, avant la guerre, dans un des bâtiments se trouvait un bordel très prisé des hommes d'affaires de par le monde.
Ah oui, pépé vous en savez des choses !
Eh, je suis très vieux, vous ne devineriez jamais que cet immeuble privé abritait un des lieux les plus notoires et luxueux de la prostitution niçoise.Aujourd'hui, elle pratique son activité sur la Promenade des Anglais. C'est moinsluxueux .
Vous êtes un drôle de petit bonhomme pépé, je vous aime bien, vous avezdû profiter pendant votre jeunesse, coquin va !Moi, parfois je suis très triste et malheureux, je me sens un peu inutile, heureusement
Les odeurs délicieuses des croissants et vanille du boulanger me frisent les papilles et emballent mon cœur pour terminer ma tâche
Pourquoi tu restes là-haut alors, descends !
Paraît-il que ma présence sur mon perchoir, sert à rétablir un dialogue croisé entre les gens du monde. On nous mitraille toute la journée. Oui, j'en ai l’œil qui palpite.
Une brise légère se lève, la fatigue se fait sentir, la journée va démarrer, la musique, les cris, les rires, vont rebondir autour de moi alors là, je me tais.
Débouchant du miroir d'eau plongé dans le noir, on a un soir surpris cette conversation colorée entre les bonhommes de Jaume Plensa, juchés sur leurs mâts place Masséna.
B1 - Et dis-donc toi, qu'est-ce qui t'a mis en colère pour que tu vires au rouge brusquement ?
B2 - Et "badole", tu vois pas l'"embriagoun" qui essaie d'escalader mon mât ? Il a pas sucé des glaçons aujourd'hui et comme il n'arrive pas à grimper il est en train de me secouer dans tous les sens.
B3 - Relax mec, reste zen, regarde ma couleur bleue apaisante, je m'en vais te "sophrologiser" té !
B4 - Ben moi, si je pouvais, je me pencherais un peu, histoire de lui projeter ma lumière jaune dans ses yeux injectés de sang à celui-là !
B5 - Et toi tu dis rien ? Qu'est-ce que tu as ? Tu es tout pâle !
B6 - M'en parle pas, cet après-midi un goéland est venu déféquer le pan bagnat qu'il avait piqué à un touriste sur ma tête, et depuis j'ai des haut-le-cœur.
B5 - Ah ben oui je comprends... Rassure-toi, ils ont annoncé un épisode méditerranéen demain, alors tu pourras faire un brin de toilette !
B2 - Et si ça pouvait rincer le "pastrouil" qui s'excite à mes pieds, ça serait pas dommage.
B3 - Et aussi, ça anéantirait l'odeur d'urine des "fretà souol" qui lèvent la patte tous les jours au pied de nos mâts.
B7 - Mais vous n'avez pas fini vos jérémiades, bande de lucioles décérébrées ? Si vous continuez à vous plaindre on va finir par nous démonter et on finira tous desséchés dans un hangar quelconque. Moi je trouve que la vie est pas mal ici, on a une belle vue, on est aux premières loges pour les batailles de fleurs et le carnaval, il y a même des touristes qui nous prennent en photo.
Sur ce, je ne veux plus vous entendre, le jour se lève.
Fuyant la promiscuité d’une rame bondée, je laissai le tram continuer sa course, et profitant d’une belle fin de journée ensoleillée, je dirigeai mes pas vers la place Masséna. Celle-ci, envahie de promeneurs, semblait être en perpétuel mouvement. Mes yeux étaient ivres des couleurs multicolores qui virevoltaient devant eux. C’est vrai que la diversité de toutes les tenues qui s’étaient donné rendez vous à Nice faisait ressembler cette place à une prairie verdoyante parsemée de fleurs.
En ce début de soirée de printemps, le soleil encore un peu faignant, ne se fit pas prier pour laisser la place à la douceur d’une ombre qui doucement s’installait pour régner sur la ville, un court instant, avant l’arrivée de madame la lune.
Une place se libéra sur une de ces rotondes marbrées qui meublent la place. J’en profitai pour m’asseoir et levant les yeux vers le ciel la magie opéra. Les sept statues, œuvres de l’artiste Jaume PLENSA, revinrent à la vie. Du haut de leurs mâts, les sept continents offrirent à la nuit naissante, la lueur de leur couleur pastel.
Alors que, les yeux mi-clos, je me nourrissais de leur beauté, une voix vint à moi.
-Je vous souhaite le bonsoir, vous qui nous admirez. Mais savez-vous au moins qui nous sommes, mes camarades et moi ?
Ne croyant pas à un mot de ce que je croyais avoir entendu, je restais coi, la bouche ouverte pour des paroles qui refusaient d’en sortir.
- Vous n’êtes pas fou. Nous parlons car notre mission l’exige. Alors, quel est votre sentiment ?
Surmontant mon incrédulité, je bégayais une réponse.
- vous êtes les sept continents. C’est le nom que votre créateur vous a donné.
-Jaume n’a fait que créer une forme à l’aide d’une matière qu’il a maîtrisé avec art, mais nous avons donné naissance à une philosophie de vie qui vous échappe. Notre mission est de vous initier à la sagesse. Un état d’esprit qui n’est malheureusement pas encore votre fort. Que ressentez vous en nous regardant ?
- Je me sens calme. Rien ne me fait peur. La sérénité a envahi mon âme et aucune douleur ne vient perturber mon corps.
- Qui sait ? Vous êtes peut-être sur le bon chemin ? Les siècles passés ne plaident pas vraiment en votre faveur, mais dés lors qu’un départ s’amorce, même si la route est longue, l’arrivé est au bout. Restons-en là pour ce soir. Ne courrez pas après le temps, vous ne le rattraperez jamais. Bonsoir !
Le silence se fit. Autour de moi la vie s’écoulait au rythme des hommes.
Étonné d’être encore vivant, je me suis senti seul au monde.
Boudha no 1 : au voisin : Vous dégagez de la lumière.
B no 3 : au troisième : Qu'a-t-il dit, je n'ai pas bien compris, il n'articule pas.
B no 5 : Il n'a pas de particule le pauvre.
B no 3 : Un mécréant, je l'ai toujours dit, un mécréant.
B no 6 : ( tout au bout de la place) : Pouvez vous parler plus fort, je ne comprends rien a votre conversation.
B no 4 : Conversation versatile ou inutile, vous ne mettez pas les points sur les I et barres aux T.
B no 1 : J'ai lancé la conversation et je n'arrive plus a la suivre.
B no 2 : C'est parce que vous l'avez commencée, comment suivre en précédant ?
B no 5 : Placé au centre de la place, je m'interroge sur le bien fondé de votre bavardage, il n'amène rien de positif.
Les passants passent, les culs de jattes trainent la patte, et les timorés iraient bien botter le cul des
chiens pissant sur le bas de nos mâts.
Le Bouddha qui n'avait encore rien dit s’éveille :
Vos traits d'esprit comme vos lueurs de lumière s'étiolent devant le jour naissant. Profitez de cs moments paisibles. Ce soir avec le corso vous serez invisibles.
Un touriste : Que font toutes ces lucioles en haut de leurs mâts ? Éphémères, elles ne luisent que la nuit.
Le confident
Dans le jardin près des facultés une dame vient s'assoir sur la place vide du confident.
- Vous permettez monsieur, j'ai besoin de calme, je viens de la place Massena, un bruit, une pagaille pas possible, on se croirait un jour de carnaval.
Le monsieu :
- Mais madame, c'est carnaval, c'est pour cela que je m'isole; Au fait, pas tout a fait,je cherche "la rencontre" serai- ce vous?
- Ce n'ai pas impossible si vous êtes nantis et bon amant.
- Je suis bon amant car nanti d'u axillaire obéissant aux demandes de certaines dames.
- Monsieur, vous avez de la conversation, j'aimerais bien vous voir dans l'action.
- Je loge tout près, dans cette maison, je vous aimerai à vous faire perdre la raison.
Elle est apparue, un jour, au bord de la mer. Une sphère blanche aux reflets en volutes mouvantes. Sa structure bougeait comme si elle était vivante. elle était posée là, sur deux poteaux de bois.
Personne n'osait l'approcher. Elle semblait détecter les présences et manifestait ce que l'on pourrait interpréter comme de l'agacement, de la colère... On ne savait pas trop, mais on avait peur. Alors, on l'a laissée là, au bord de la mer. Aucune idée de qui elle était, d'où elle venait. Chacun y allait de son commentaire : c'est un extraterrestre... un truc du gouvernement pour nous espionner... une arme secrète... Bref, personne n'en savait rien. Même les autorités n'avaient aucune réponse rationnelle à nous donner.
Et féroce avec ça ! Un courageux gendarme a voulu la toucher, il y a laissé un doigt !
Au fil des jours, des choses étranges apparurent. Les gens penchaient. Ils ne pouvaient plus marcher droit, ça penchait à gauche, ça penchait à droite, mais ça penchait chez tout le monde. Vraiment déstabilisant au sens littéral du terme ! les gens tombaient, peinaient à se relever, les voitures zigzaguaient, les trams déraillaient, c'était le chaos.
Autour de la sphère, une drôle d'ombre, qui ne suivait absolument pas la course de soleil, s'étalait, se rétractait. Parfois, il nous semblait entendre comme un bruissement... ou plutôt, un sifflement... peut-être un gémissement... toujours susurrés sur un souffle rauque. Et le ciel s'obscurcissait, et l'air se glaçait, comme si la mort approchait... La boule agitait ses volutes, l'ombre rampait sur le sol, comme si elle voulait attraper nos pieds, nos mollets penchés. L'épouvante, alors, se répandait, on se terrait, blottis les uns contre les autres pour se rassurer.
Un jour, un jeune garçon apparut, qui marchait bien droit, bien stable. Un drôle de petit bonhomme, vêtu d'un short et d'un veston en tweed marron. Il semblait venir du siècle dernier. Ça, ça nous a encore plus inquiété, car on avait constaté depuis peu que le temps ne passait plus comme d'habitude. C'était insidieux, à peine perceptible. Il a fallu quelques temps pour s'en rendre compte. Le temps ralentissait, et même, il commençait à repartir en arrière ! Il suffisait d'observer l'horloge sur le clocher de l'église... les aiguilles, lentement, très lentement, tournaient à l'envers.
A voir cet enfant suranné, je me suis demandé si on était retourné au XXe, voire au XIXe siècle ! Le garçon s’approcha et nous dit :
- Je viens du passé. La sphère s'est posée au même endroit dans mon époque, mais j'ai réussi à la comprendre et à l'apprivoiser. Il n'y a qu'à moi qu'elle obéit. Ne me demandez pas comment, ni pourquoi, je ne peux le dire.
En effet, la sphère, semblait sourire depuis l'arrivée du garçon. L'ombre, autour d'elle, s'était épanouie en bouquet harmonieux. Le garçon la caressa, et, je vous le jure, je l'ai entendue ronronner !
- Elle s'est échappée dans le temps, mais je vais la ramener chez moi, nous dit le garçon. Il faut pour cela que je monte dans le clocher pour aller voir l'horloge.
Je l’accompagnais, curieux d'assister à la manœuvre. Il s'agenouilla devant les rouages, écouta le mécanisme, les cliquetis divers, serra un boulon par-ci, une vis par-là et annonça :
- Voilà, c'est réparé. La sphère est repartie et je vais en faire autant. Mais vous garderez son empreinte au bord de la mer, une sphère inactive et inoffensive, juste une belle sculpture.
- Comment allez-vous renter, jeune homme ? demandai-je.
- Je vais plonger dans ce livre et je serai chez moi. Au revoir, désolé pour le dérangement.
Il a ouvert un vieux bouquin, intitulé L'île mystérieuse et s'apprête à sauter.
- Qui êtes-vous ? lui criai-je
Il me sourit.
- Je m'appelle Jules Verne, répondit-il en sautant, et il disparut dans le livre.
Abasourdi, je redescendis sur la place. Les gens, bien verticaux maintenant, fixaient l'horloge. Elle avait repris le cours de son temps. Au bord de la mer trônait sur son socle de bois, une belle sculpture en forme de sphère blanche. A son pied, son ombre suivait sagement la course du soleil... Jusqu'à quand...?
Par une belle journée ensoleillée, qu’il fait bon flâner dans notre capitale méditerranéenne. L’air est vivifiant, la température juste à point. C’est décidé, j’opte pour une randonnée citadine à la découverte de l’art urbain. D’humeur joyeuse, sourire aux lèvres me voilà partie, sac à dos, flanquée d’un dépliant touristique faisant la promotion des quatorze œuvres d’art de la ligne 1 du tram niçois. Première escale « le confident ». Cette œuvre originale m’invite à me poser quelques minutes le temps de l’admirer. Un collier de perles colorées enlace ce voile d’acier délicieusement ciselé. Une légère brise joue à cache-cache au travers de cette toile qui sépare 2 espaces relativement autonomes. Un couple discute et je n’y prête aucune attention lorsque, soudain l’homme hausse le ton :
Je savais bien que ça finirait par arriver !
Devant le silence de la jeune femme assise à côté de lui, il continue plus violemment
Est-ce que tu m’écoutes lorsque je te parle ?
Elle relève la tête et, d’un regard fautif, elle réplique
Évidemment !
Alors, pour quelles raisons ne l’as-tu pas fait lorsque je te l’ai demandé ?
Intriguée je tends l’oreille et j’essaie de les observer au travers de la structure de métal. Mais silence ! Tandis qu’il fulmine, toute penaude elle reste muette. Que peut-elle bien avoir commis pour qu’elle soit aussi réprimandée en public ? Je ne le saurai jamais car ma pause se termine et les 7 Bouddhas m’attendent patiemment sur la place la plus emblématique de Nice. Un tram vient juste de s’immobiliser à l’arrêt Valrose. La rame est bondée mais, certaine d’arriver à destination en quelques secondes, je m’empresse de m’y frayer une place. Extirpée avec difficulté de cette cohue, je me surprends à réfléchir à voix haute.
Place Masséna, tu me fais vibrer. Festive, tu nous invites à partager chaque instant magique, carnaval, Music Live, festival de jazz…. Telle une belle femme, tu ne vieillis pas, tu t’embellis. Fontaine du soleil, tramway, bancs en pierre, pins, lampadaires en fonte à trois têtes, dallage noir et blanc, tu ne cesses de te transformer mais, pour la plus grande fierté des Niçois, tu as su rester fidèle aux couleurs distinctives qui te rendent unique. Tu as même changé ton nom au fil des années, « place du Faubourg » puis « place carrée » ont précédé celui qui te qualifie aujourd’hui.
Perdue dans mes pensées, je lève les yeux pour observer ces étranges curiosités dites propices à la « conversation ». Du haut de leurs 12 mètres, elles trônent sur l’esplanade et s’illuminent de couleur rose, verte, bleue ou jaune dès la tombée de la nuit. Censées représenter les sept continents, leur position exprime tour à tour la tranquillité, la victoire ou la paix. J’avoue avoir du mal à comprendre ce choix. Pourquoi Bouddha ? Pourquoi les 7 continents ? Symboles de la sagesse, sont-ils censés discuter entre eux pour améliorer ce monde qui va mal ? En pleine réflexion, je perçois un murmure à peine audible suivi d’une voix qui monte peu à peu en puissance. J’espère ne pas être la seule à l’entendre, car je ne suis pas l’héritière de Jeanne d’Arc et je ne compte pas terminer ma virée par une visite à Sainte Marie :
Eh, là-haut, pourquoi n’êtes-vous que 7 et moi, on m’a oublié ? Vous êtes à l’origine de ma naissance et vous voulez m’exclure ? Vous êtes en plein déni ou quoi !
Yeux écarquillés, l’air abruti, essayant de comprendre ce qui se passe, j’ai l’impression d’évoluer dans une autre dimension.
N’est-ce pas là, la conversation niçoise dont tout le monde parle ?
Dans une cacophonie difficilement compréhensible, les bouddhas commencent à réagir et l’Amérique du Nord est le premier à prendre la parole :
A nous sept nous représentons le monde, qui es-tu pour nous interpeller d’une manière aussi cavalière ?
Le « continent de plastique », crétin. Pour ceux qui ignorent mon existence, sachez que je ne vous ressemble pas. Imaginez une étendue de plastique et de détritus flottant sur les océans, dévorant tout sur son passage, et bien c’est moi ! Formé de cinq gyres, je déambule tranquillement dans le Pacifique et, grâce à vos actions irresponsables, je prospère lamentablement. La pollution ça vous parle ? Je menace la survie de la Terre et vous êtes là, immobiles, admirant je ne sais quoi au lieu de vous mobiliser ! Alors, on se bouge ou on laisse faire ?
Cet échange furtif crée le dialogue sur l’urgence à traiter cet impertinent huitième pseudo continent avec tout le sérieux qui lui est dû. Surpris par la prise de conscience des sept grands de ce monde, ce dernier se délecte des réactions issues de sa provocante altercation. Asie, Amérique, Océanie, Europe, Antartique, à tour de rôle chacun s’exprime:
Il a raison, notre planète est en souffrance. Réveillons-nous les amis, il faut agir et vite avant qu’elle ne meure, dit l’Asie.
Mais comment ? Nous sommes tous différents et inculquer une morale écologique est loin d’être chose aisée, répond l’Afrique.
Différents peut-être, mais n’avons-nous pas un objectif commun, sauver notre planète ? rétorque l’Océanie.
Un virage à 180 degrés est indispensable, mettons-nous au travail, réplique l’Antartique.
Le débat est lancé et, devant des propos annonciateurs d’une volonté collective, le continent plastique se tait, rassuré mais lucide. Il sait qu’avec un engagement commun, un jour il disparaitra.
Il y a de cela un soir sur la place Masséna une conversation entre les Bouddhas.
oh les mecs écoutez-moi
quoi encore quel est ton problème
il y a un mec nu qui mate nos fesses
où ça
juste derrière nous au milieu de la fontaine
il est loin, alors arrête laisse-le regarder n'est pas toucher
tu n'as pas entendu les infos
non!
l'homophobie est passible de prison, on a déjà assez de problèmes avec les amis des animaux les mouettes les pigeons ils sont protégés par BB
Allons, allons des amis reconnectez-vous, nous sommes là pour prier et aimer regardons ensemble dans la même direction l'avenue Jean Médecin et notre salut
facile pour vous vous êtes devant, n'empêche qu'il mate mon cul ce pervers tout nu
ça veut dire que ton postérieur est beau
Comme disait André Gide la beauté est indissociable du regard de celui qui voit
ne t'inquiète pas car lui aussi les touristes matent le sien
Nous sommes tous frères devant le créateur
allez stop il est temps pour nous de se recueillir que la lumière intérieure de l’arc en ciel vous apporte la sérénité du haut de nos piédestal oublions nos ennuis et nos tracas et toi mon frère rappelle-toi de la parole de Bouddha
“Considère celui qui te fait voir tes défauts comme s'il te montrer un trésor”
Le silence se fit sur la place la lumière du jour fit disparaître les couleurs de l’arc-en-ciel
Confidences entre nous, c’est une journée paradisiaque, le printemps fait son apparition.
Moi, je suis assise sur un banc en pierre de la place Masséna, regardant passer les gens, les espionnant, guettant leurs moindres faux- pas amusants ou angoissants.
Mon esprit est tellement connecté, au-delà de mes pensées, que regardant les bouddhas du haut de leur 12 mètres, sur leur perchoir, surveillant les passants, je surprends leurs propos indiscrets.
-Je crois que quelqu’un nous regarde, sourit ORANGE, elle est jolie.
-Hum, hum, dis donc toi LA BLEUE, pense plutôt à la grande fête du Carnaval, regarde les estrades qui se montent, prends-toi au « jeu » des Mangas cette année, on va bien s’amuser avec le Roi de la POP CULTURE.
-Qui est cette personne, questionne LE VERT, cette indiscrète, son ensemble jaune poussin ne lui va pas du tout.
-Soit gentil, ronchon, attention, il va se faire écraser le gamin sur sa trottinette, le tram arrive !!
Une troupe d’indous débarque, costumée, en musique et en couleur.
La ROUGE dit :
-En ce moment, c’est la fête de l’OLI ; chez eux, les gens se jettent des poudres colorées à la figue, ceux-là sont des exclus.
-Cela sent bon la socca et autres gourmandises, susurre L’ORANGE
-Je lui ai parlé doucement, dit pôle nord VIOLET timidement. La jeune femme m’a regardé, vous croyez qu’elle m’a entendu ?Que de monde, notre ville est la superbe destination de printemps ; les plages commencent à se remplir tranquillement au soleil.
-Oui, mais, gémit ¨pôle sud L’INDIGO, l’eau est encore fraîche !!!
-Bon, c’est pas tout ça, mais avant les prochaines manifestations, le maire devrait nous nettoyer, vous nous voyez, nous, les SCRIBES de la place, on est incorrectement dégoutants, hurle LE VERT.
Moi, me levant, je les regarde et acquiesce d’un sourire.
Ces conservateurs harmonieux, symboles du dialogue entre les différents peuples et cultures, vont s’illuminer et se transmettre les uns aux autres les sept couleurs de l’arc-en-ciel…
Mes nouveaux « amis » vont continuer à être les gardiens bienveillants de la ville de Nice.
Moi, mon tram arrive, je monte pour de nouvelles aventures…
Mes divagations sur les aphorismes de Ben sont brutalement interrompus par l'arrivée de mon amie Céline. Elle me sourit, mais je perçois un je ne sais quoi d'incertain dans son regard. Dans ce tram bondé, difficile d'avoir une conversation privée ; j'en saurais plus bientôt.
Nous descendons à l'arrêt Valrose-Université pour nous diriger vers la fac de sciences. Conférence d'astronomie au menu de ce soir. Mais, arrivées devant "Le Confident", cette œuvre magnifique de Jean-Michel Othoniel, Céline s'arrête. Dans le soleil déclinant, les perles de verre multicolores qui la couronnent s'irisent comme des vitraux. Je serais bien restée là, quelques instants, à admirer la lumière arc-en-ciel, mais Céline m'entraîne vers le petit banc blotti dans l'arrondi du paravent.
- Viens, on s'assoie là, j'ai quelque chose à te dire.
Son ton est grave, son sourcil froncé ; son regard voltigeant n'annonce rien de bon.
Nous nous installons de part et d'autre des anneaux d'aluminium. A travers la fente de notre refuge de métal, Céline murmure :
- Approche, écoute, c'est important.
Intriguée, je me penche pour cueillir, au plus près, ses paroles.
- Je ne sais pas trop par où commencer, dit-t-elle. Je suis dans une merde effroyable. Je peux avoir confiance en toi ?
- Bien sûr, voyons ! Tu n'as même pas à poser la question. Que se passe-t-il ? J'ai bien vu que tu étais en stress, dès que tu es entrée dans le tram.
- Ça a à voir avec l'argent, me répond-elle.
L'étonnement doit se lire sur mon visage, car elle ajoute :
- Mon train de vie, c'est du bluff.
Je reste sans voix ! Céline et Jean, notre couple d'amis le plus à l'aise socialement et économiquement... Comment peuvent-ils avoir des soucis d'argent ? Céline me laisse digérer ma stupéfaction et me confie :
- Ne le répète à personne, surtout ! Voilà : Jean est joueur, un gros joueur. Il y a quelques temps, au casino de Monte-Carlo, il a perdu, perdu et encore perdu. Toutes nos économies y sont passées. Et, comme si ça ne suffisait pas, soit-disant pour se refaire, il a hypothéqué la maison qui y est passée aussi. Depuis une semaine, je dors chez ma mère, avec les enfants. On n'a plus rien. Je fais semblant pour les amis, le boulot, mais on n'a plus rien.
Un sanglot interrompt sa phrase. Je me sens impuissante devant sa détresse.
- Que puis-je faire pour toi ?
- Je ne sais pas, répond-elle.
Dans la rue, des gens marchent, discutent. Des jeunes gens s'interpellent en riant. Des bribes de conversations anodines me parviennent, un petit chien s'approche, renifle le bas de mon pantalon, repart vers son maître... La vie coule, sereine, devant mes yeux, alors que de l'autre côté du paravent, Céline pleure.
- J'ai tellement honte, murmure-t-elle.
- Tu n'as pas à avoir honte, tu n'y es pour rien. Ecoute, tu as une vraie richesse : tes enfants, ta famille, tes amis, ton boulot. Tu vas rebondir, j'en suis sûre.
Elle me regarde comme si elle s'accrochait à moi.
- Tu crois ? Je suis complètement perdue... Tu crois que je devrais divorcer ?
- Je crois surtout que tu va prendre le temps d'y voir plus clair. Tu es trop dans l'émotion, là. Laisse poser les choses. Viens, on va s'évader sur un chemin d'étoiles...
C'est avec une Céline chancelante, agrippée à mon bras, que nous repartons vers la fac de sciences.
Je me retourne, étonné. Il n'y a personne sur la place Masséna. Coup d’œil circulaire… Je confirme : personne ! Trois heures du matin, c'est trop tôt ou trop tard. Je suis vraiment seul.
– Que tu crois…
– Comment ça… que je crois… qui me parle ?
– Lève donc la tête…
Cou tendu vers le ciel, encerclé de statues lumineuses haut-perchées, je ne vois personne ; tous les volets sont fermés, la ville dort. La statue qui me fait face vire au bleu.
– Le bleu, c'est pour te saluer.
– … ?
– Oui, tu as bien entendu. Je suis lumière bleue et je te parle.
– Euh… bonjour…
Est-ce que je suis réellement entrain de parler à une statue ? Je deviens fou !
– Non, tu ne deviens pas fou ; peut-être juste un peu fêlé, comme moi. « Bienheureux les fêlés car ils laisseront passer la lumière. » Lumière en bleu, en vert… oui en vert, c'est joli le vert, c'est la couleur de l'espérance, non ?
– On le dit…
Un vilain torticolis commence à me vriller la nuque. La statue bleue devient verte. On dirait qu' elle me sourit :
– J'ai un service à te demander. Regarde au pied du poteau sur lequel je suis perchée…
Je m'approche, me penche et ramasse une drôle de petite boule à la consistance indescriptible ; la douceur du duvet, la finesse d'une aile se libellule, la transparence de l'air, comme une bulle… une idée romantique de l'âme…
– Tu ne crois pas si bien dire, ou du moins, penser. Car je t'entends penser, tu le sais. C'est bien une âme que tu tiens dans tes mains, c'est la vie échappée de notre ami l’Antarctique. Regarde comme il est pâle.
Je ne l'avais pas remarqué. Au bout de la place Masséna, une statue a perdu sa lumière. Les autres chuchotent en arc-en-ciel. Des bribes me parviennent, ténues. L'Océanie tourne au turquoise dans un murmure de lagon, pleure sur un corail qui se meurt, l'Amérique du Sud, orange comme un soleil couchant, se désespère du saccage de la forêt amazonienne, l'Afrique, rouge de colère, se révolte contre l'injustice, la corruption qui la broie, la guerre qui la tue, contre toutes les guerres du monde, l'Amérique du Nord se lamente en jaune sur ses pollutions. L'Asie médite en vert d'eau et de silence sur le réchauffement climatique, les risques telluriques et les centrales nucléaires.
– Tu les as reconnus, bien sûr ! Moi, je suis l'Europe, verte de forêts fragiles, saturée de pollution lumineuse. Mon ciel s'est éteint, les animaux nocturnes souffrent – les diurnes aussi, pour d'autres raisons – Le monde se meurt. Écoute mes frères. Écoute leurs inquiétudes, leurs détresses. L’Antarctique a vomi son âme. Toi, tu es le seul vivant de la nuit. L'espoir. Fais ta part comme le colibri de l'histoire, rends son âme à l’Antarctique. Fais-le, maintenant.
Je souffle sur la bulle-boule qui s'envole vers la statue Antarctique, se pose délicatement sur sa tête, lui rend sa lumière, nacrée comme les glaces de ses banquises. Elle m'éblouit, je ferme les yeux. Quand je les ouvre à nouveau, c'est un rayon de soleil qui m'aveugle. Il fait grand jour, la place Masséna s'anime. Un policier vient vers moi. Je me lève péniblement du banc de granit sur lequel j'ai passé la nuit. Un clochard ici, ça fait désordre. Alors je repars. Sur mon vieux veston crasseux, une plume douce comme un duvet, fine comme une aile de libellule, transparente comme l'air s'accroche, pleine de lumière. Qui me rendra mon âme ?