La lune est très haute dans le ciel, projetant une lumière argentée sur les pavés humides. Malgré les vitrines des boutiques fermées la ville est en effervescence : sa Majesté Carnaval, roi des océans, fait son entrée pour un corso illuminé.
Dans la douceur trompeuse de la nuit niçoise, plus j’avance, plus la clameur de ces festivités s’intensifie. Sur la place Masséna, les faisceaux multicolores caressent les façades rosées de motifs divers et éphémères. La foule est dense, elle s’entasse sur les gradins ; un flot chamarré de déguisements et de masques. Les voix s’entremêlent, la musique est assourdissante. Mon cœur palpite, une étrange impression me serre la gorge. J’ai la sensation d’être épiée. Me blottir dans ma cape en velours indigo doublée d’étoiles dorés me rassure. Pourtant, je fuis loin de ce tumulte et me réfugie dans les ruelles sombres du Vieux-Nice.
Je sursaute, des pas discrets mais persistants résonnent derrière moi. Une présence insaisissable, un frisson dans l’air, un mélange d’odeurs de cuisine dans les arcanes des venelles. J’accélère le pas, un souffle invisible glisse contre ma nuque, la place Rossetti est déserte… Pourquoi ?
Soudain un rire fuse, cristallin, vibrant comme un éclat d’argent. Je me retourne à maintes reprises, personne ! Je suis pourtant sûre de sentir une présence. Mon front se perle de sueur, un froid inhabituel parcourt mon corps.
Apeurée, je hurle :
- Qui es-tu ?
Mais les paroles s’envolent dans la nuit d’encre.
Devant moi, le souffle d’un brise soulève un voile de soie blanc abandonné sur le sol, semblable à un spectre qui flotte dans un autre monde.
Puis une voix, presque un murmure s’élève à mes côtés :
- Je suis juste un masque, que caches-tu sous le tien ?
Plus loin, une arcade baigne dans une clarté trouble, un mélange d’or et d’azur, comme si la nuit hésitait entre l’éveil et le songe.
Ma vue se trouble, les lumières deviennent floues.
Tout tourne ! Mon visage n’est plus qu’un tourbillon de cendres.
Quand j’ouvre les yeux, il pleut. Je suis dans mon lit, les draps sont froissés, ma chambre est paisible. Pourtant quelque chose m’échappe. Une sensation, un parfum oublié, un rêve dont je ne retiens que l’écho lointain d’un mystère englouti par la nuit.