Publié le 5 Juin 2020

Rédigé par Atelier Ecriture

Publié dans #Divers

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Publié le 5 Juin 2020

Edward Hopper, Cape Cod Morning (détail), 1950, huile sur toile, 86,7 x 102,3 cm, Smithsonian American Art Museum © Heirs of Josephine Hopper / 2019, ProLitteris, Zurich Photo ©Smithsonian American Art Museum, Gene Young / Edward Hopper

Edward Hopper, Cape Cod Morning (détail), 1950, huile sur toile, 86,7 x 102,3 cm, Smithsonian American Art Museum © Heirs of Josephine Hopper / 2019, ProLitteris, Zurich Photo ©Smithsonian American Art Museum, Gene Young / Edward Hopper

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En ces jours confinés, l’atelier a trouve son thème : le confinement bien sûr !

 

Et quelques ateliers via internet pour raconter cette période particulière...

LES ATELIERS

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LES TEXTES

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Rédigé par Atelier Ecriture

Publié dans #Confinement

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Publié le 5 Juin 2020

Pendant la période de confinement (de mars à la mi-mai 2020) que nous venons de traverser, Jacqueline a essayé d'imaginer comment Raymond Queneau, Franz Kafka et le Marquis de Sade auraient réagi.

Voilà le résultat de ses réflexions en ce qui concerne : 

 

1) En ce qui concerne QUENEAU : 

"Confineland, embarquement immédiat

 

2) En ce qui concerne KAFKA : 

« Etat d’arrestation »

 

3) En ce qui concerne le Marquis de SADE : 

 « Divagations dans un boudoir ». 

 

***

 

CONFINELAND : EMBARQUEMENT IMMEDIAT

 

La nouvelle est tombée un vilain soir d'hiver : "Restez chez vous ! Sauf les non confinables. Votre existence est à ce prix : être ET ne pas être.  La vie, trouvez la en vous ; désormais, elle n'est nulle part ailleurs. Embarquement immédiat. Bon voyage !" 

Est-on dimanche ou lundi ? Qu'importe Big Brother a dit "Désormais, tout est interdit : réunions, rendez-vous, balades,  sport, spectacles, concerts, déjeuners, dîners hors de chez soi..." Bref, plus besoin de montre ni de calendrier.

Hier, demain... qu'importe ?  Chaque jour est aujourd'hui : un flux lancinant de nouvelles, souvenirs, slogans, rêves, injonctions, discours, coups de fil, histoires, peurs, regrets... battus et rebattus par le ressac des nuits.

Chaque jour a le goût amer d'un jour volé, envolé pour l'éternité, que le soleil, trop loin, ne semble éclairer qu'à contrecœur ; le temps y rampe sans laisser de traces, au rythme d'aiguilles d'horloges devenues aussi folles que molles. 

A en croire les écrans, dehors, que ce soit à Paris, San Francisco, Moscou, Moncuq,  Honolulu, Hell ou Sidney, rien ne bouge plus : rues désertes, stores fermés, coma généralisé. Un silence de fin du monde enveloppe l'humanité.

La vie d'avant, c'est fini, elle s'est carapatée, éclipsée, enfuie, échappée, effacée, esbignée, tirée, barrée, cassée, taillée, sauvée.

Pour nous sauver.

Pendant ce temps, la planète se déconfine,  respire. Le ciel des mégapoles perd ses airs de couvercle.  D'est en ouest, du nord au sud, la faune s'esbaudit, fait la fête, et les touristes se font hérons, fleurettes, pygargues à queue blanche, plantes insolites, dauphins, colibris, pumas, kangourous, manchots.

Mais voilà que les confinés trépignent, leurs pieds piétinent, ziguent et zaguent sur le quai de leur imaginaire, leurs mains s'agitent entre mille riens, leurs yeux se cognent contre d'obscurs horizons tressés d'illusions perdues, leur tête est un gigantesque champ de bataille de mots.

Des mots droits dans leurs bottes, qui leur donnent du courage, des mots mouchoirs qui sèchent leurs larmes,  des mots debout sous la foudre, des mots vides pleins de vent ; d'autres denses, pleins de rêves qui cherchent, construisent, déconstruisent, posent des questions, se demandent pourquoi, ou encore : pourquoi pas ?

 

Oui, pourquoi pas ?

Pourquoi pas changer le monde,

fuir ses paradis artificiels,

changer la matière grise en rose

pour en chasser l'or noir, les idées noires,

desseins noirs, marchés noirs, profits noirs,

marées noires, misères noires ;

ne plus piller la terre,

y planter un arbre pour chaque pierre,

y faire chanter et fleurir les déserts,

la partager avec faune, flore et frères,

Oui, pourquoi pas changer le monde,

avant qu'il ne soit trop tard,

avant qu'il ne faille cesser de vivre,

pour ne pas mourir ?

***

 

ETAT D'ARRESTATION

 

Le verdict du Tribunal Suprême est tombé, un soir d'hiver, tel un coup de hache : "Attendu que vous avez l'âme d'un mouton et n'êtes pas indispensable à la société, Matricule 1000 6000 001, à partir de demain, vous resterez terré chez vous, oublierez la liberté, réservée à vos supérieurs et vous contenterez d'être sans vraiment être ; être sans devenir.

 

"Mais qui sont ces sbires, pour me donner des ordres ?

Est-on dimanche ou lundi ? Bon, depuis que leur piège s'est refermé sur moi, qu'ai-je besoin de le savoir, puisqu'il m'est impossible de m'en extraire sans leur autorisation, et que l'exercice de toute liberté est désormais interdite !

 

J'ai beau fixer les yeux sur ma pendule, puis mon calendrier ; sur mon calendrier, puis ma pendule;  l'un et l'autre ne me répondent plus que par des sourires narquois.

Hier, demain... dans les dédales du temps, je me perds, je m'égare, j'ai comme le mal de mer, chaque jour n'est plus pour moi qu'un éternel aujourd'hui, lourd de menaces sauvages : un flux lancinant de nouvelles, d'injonctions, de diktats qui inondent ma conscience déjà prise en étau entre mes rêves et la réalité... le tout battu et rebattu par le ressac de mes nuits ; et déjà, je peine à me trouver encore quelque chose de commun avec moi-même. 

 

Chaque jour n'a plus que le goût amer d'un jour vide, volé, envolé pour l'éternité, que le soleil transperce et dévore sans pitié ; le temps y rampe sur ses aiguilles métamorphosées en limaces, engluant ma vie, ma pendule molle, méconnaissable et sur le point de sombrer dans la folie.

A en croire les journaux, à l'extérieur, dans toutes les villes, toutes les capitales du monde, tous les villages, même les plus reclus, rien ne bouge plus : rues, chemins déserts, stores fermés, coma généralisé. Un silence de fin du monde enveloppe l'humanité déclarée en état d'arrestation.

La vie d'avant et ses perpétuelles distractions, c'est fini, elle m'a trahi,  s'est éclipsée, enfuie, effacée, sauvée, échappée.

 

Et comme tant d'autres, l'âme disloquée, je me suis lancé à sa recherche, en vain : les petits comme moi ne peuvent se mesurer à elle, qui prend un malin plaisir à les semer à travers ses chemins labyrinthiques sillonnés d'éclairs, bourrés d'obstacles, où les attendent ses voies sans issue, et autres abîmes.  

 

Pendant ce temps, la nature envahit tous les espaces, comme soulagée de voir l'humanité au repos, un repos sépulcral. Au dessus des villes, le ciel est plus serein.  D'est en ouest, du nord au sud, la faune sort de ses repaires, et les passants se font aigles, orchidées Dracula,  singes,  figuiers étrangleurs, chauves-souris, aconits féroces,  chiens, arbres qui saignent, chimpanzés, mufliers têtes de mort, vermines, panthères. Partout, des traces de griffes, de pattes, de sang.    

 

Mais voilà que je trépigne, mes pieds s'emmêlent, zigzaguent sur le quai de mon imaginaire, mes mains s'agitent entre mille riens, mes yeux se cognent contre d'obscurs horizons tressés d'illusions perdues, ma tête n'est plus qu'un vaste champ de mots.

 

Des mots agités, des mots réserves, des mots galeries, des mots cancrelats, des mots cuirasses, des mots rêves qui jouent avec moi et moi avec eux.  Des mots qui m'infligent des blessures ténébrantes, labourent mon être jusqu'aux tréfonds avec leurs pourquoi et pourquoi pas ?

 

Pourquoi cet état d'arrestation,

Pourquoi tant d'hommes qui remplissent le monde,

tant d'hommes qui le vident,

et, parmi ces hommes,

rien que des maîtres et leurs robots,

rien que des ordres, des injonctions,  des ignominies, des privations,

des menaces sauvages, des horizons sépulcraux,

des cages à liberté, des chaînes,

des peurs, des interdits, des barreaux,

des voies sans issue, des abîmes,

rien que du temps perdu, volé,

des jours vides, du vent,

rien que soi, rien que solitude,

rien qu'uniformité,

rien que désespoir, absurdité,

rien que folie,

rien que des buts sans chemin,

des lendemains sans allégresse,

rien que des êtres sans être,

qui se détruisent pour se connaître,

se construisent pour se surprendre,

et leurs rêves qui fredonnent :

l'important n'est pas d'être, mais de devenir.

 

***

 

DIVAGATIONS DANS UN BOUDOIR

 

La sentence est tombée un soir d'hiver. Sous prétexte qu'une méchante bête menaçait d'attaquer les misérables créatures que nous sommes, nous avons tous été priés de rester chez nous jusqu'à nouvel ordre, sauf les corvéables à merci.

 

Sommes-nous dimanche ou lundi ? Il est impossible de le savoir car, depuis que nos geôliers nous ont interdit toute réunion, sortie à pied, à cheval ou en carrosse, promenade, ainsi que tout déjeuner, dîner dans quelque gentilhommière ou taverne, rendez-vous - même galant -, quel besoin aurions-nous de consulter une montre ou un calendrier !

Hier, demain... qu'importe ?  Désormais, n'ayant pu disposer d'un passe-droit - malgré mon rang -, chaque jour n'est plus  pour moi qu'un éternel présent où vont, viennent et se mélangent pêle-mêle les injonctions de ceux qui règnent, leurs discours, mes souvenirs, des histoires lues et relues, mes rêves, mes angoisses, mes regrets de ne pas m'être livré davantage au libertinage, et combien de remords...

 

Mais non, que dis-je ? Des remords ?  Jamais ! Pourquoi en aurais-je ? Bien sûr, selon certains esprits retors, j'aurais commis quelques excès dans ma vie,  mais en quoi pourraient-ils être qualifiés de crimes, puisqu'en y succombant, je n'ai jamais fait qu'obéir à ma nature profonde. Or, n'est-ce pas preuve de grande droiture et force de caractère que d'obéir à sa nature ? D'autant plus que j'ai l'intime conviction que tout ce qui est excessif ne peut être que bon.

   

C'est une véritable torture que cet enfermement ! Je ne peux même plus aller dans ma garçonnière, rue Mouffetard ! A quel titre me prive-t-on de ma liberté ? J'enrage de voir les jours passer ainsi, tous semblables les uns aux autres, insipides, inodores. Ah ! sentir le parfum d'une femme soumise à mes pieds, lui arracher ses jupes, la contraindre à se plier à tous mes caprices, la dompter à coups de fouet et de fessées,  lui infliger mille coquineries, la voir s'affoler, se consumer de désir, de peur, l'humilier, l'attacher, la ligoter, la posséder avec férocité, me repaître de ses vices, assouvir mes pulsions les plus inavouables, l'étreindre jusqu'à l'étourdir  !

 

Hélas, sans volupté, chaque jour n'est plus pour moi qu'un jour vide de sens où l'aurore et le crépuscule se confondent ; chaque jour n'est plus qu'un jour volé, envolé pour l'éternité.

 

Le temps n'y fait plus que ramper sans laisser d'autres traces que la haine de plus en plus violente que je sens monter en moi à l'encontre de mes geôliers, leurs exécrables familles, leurs valets... Et plus je regarde ma pendule, plus elle me rend un peu plus fou d'heure en heure.  Alors que mon esprit s'égare jusqu'à se perdre dans les méandres des futures vengeances toutes plus abominables les unes que les autres que je prépare pour mes bourreaux, je me vautre dans les seuls plaisirs qui me restent au jour d'hui : boire, manger, dormir, jouer avec mes godemichets, me masturber, blâmer les autres, boire, manger, dormir,  vomir mon venin, m'enfoncer dans le mal jusqu'au vertige...  

 

A en croire les lettres que je reçois, à Paris, hier encore si effervescent, rien ne bouge plus : rues désertes, échoppes, tavernes, boutiques condamnées, coma généralisé. Et le silence de fin du monde qui m'enveloppe, enveloppe toute la ville, l'écrase autant qu'il m'écrase.

 

Entortillé dans ma robe de chambre flottante, n'ayant plus forme humaine, je n'en peux plus de songer à ma vie d'avant. Qu'on me libère, qu'on fasse sauter mes verrous, qu'on cesse enfin de me persécuter ! De quel droit ?

Pour m'inciter à réfléchir sur le bien et le mal ? Mais le mal, il n'est pas en moi, il est dans les autres ! Tous des scélérats !

 

Aux dernières nouvelles, il paraît qu'une multitude de bêtes rôdent dans Paris et un peu partout dans le royaume de France. Sans notre vile espèce, la nature  reprend ses aises, respire. L'air est moins enfumé, et d'ouest en est, du nord au sud, la faune s'esbaudit, les promeneurs se font singes, chiens sauvages, rats, louves, serpents, couleuvres, vipères...

Mais quand donc se terminera cette sinistre plaisanterie ? De grâce, venez me libérer ! Je n'en peux plus de supporter toutes ces privations qui nous sont imposées ; au nom de quoi ? Une méchante bête invisible ? Existe-t-elle seulement ? Ah, je soupçonne là un bien horrible stratagème fomenté par quelques pervers plus soucieux de leur propre bien que de celui d'autrui. J'en tremble de tous mes membres,  mes pieds trépignent, s'emmêlent, zigzaguent d'une croisée à l'autre de mon boudoir, mes mains s'agitent dans tous les sens, mes yeux se cognent contre d'obscurs horizons bouchés par la volonté de  cupides criminels, et ma tête trop allumée  n'est plus qu'un gigantesque brasier de mots prêts à exploser.

Des mots hautains, des mots amers, des mots despotes, des mots rageurs, des mots colère, des mots vengeurs, des mots jamais assez forts pour dire tout le mal que je pense d'un pouvoir capable, au nom de puants mensonges, d'infliger de telles souffrances à ses victimes. Les animaux mettent-ils leurs semblables en prison ?

 

Quand le vice envoie la vertu en prison,

Comment ne pas se poser de questions ?

Le pouvoir serait-il par nature criminel ?

Mais le pouvoir, cher Marquis, c'est l'argent, le sexe !

L'or et le cul, voilà les dieux de ma patrie,

Ô tempora ! Ô mores !

C'est pour quand la Liberté

Dans un monde où il n'y a pas d'autre enfer pour l'Homme que la bêtise ou la méchanceté de ses semblables ? 

On n'a pas fini de l'attendre !

Vous me direz que j'exagère ?

Mais où serait la liberté si elle n'était dans l'outrance et la volonté de ne craindre ni les dieux, ni les hommes ?

Ah ! comme tout est bon quand tout est excessif !

Et dire que pour rendre les autres aussi heureux que l'on désire l'être soi-même, il suffirait de ne jamais leur faire plus de mal que nous n'en voudrions recevoir !

Et dire que pour être heureux, il suffirait que nous ayons tous bon cœur !

Heureusement, le bonheur, on le trouve aussi dans l'imagination.

 

 

 

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Rédigé par Jacqueline

Publié dans #Confinement

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