1910- extraits du journal de voyage de Sir Arthur. S.
De passage à Nice pour quelques mois, M. S-M. Biasini a proposé de me faire participer au comité des fêtes de Nice en tant que représentant des étrangers.
Après avoir lu les récits de voyage de Tobias Smollett, quoiqu’un peu anciens ainsi que quelques articles de Stephen Liégard sur la Côte d’Azur, j’ai eu envie d’entamer mon grand tour et de visiter cette fameuse Ville de Nice dont on parle tant dans les dîners en ville.
Quelle Ville magnifique toute d’Or et d’Azur.
J’ai donc accepté avec joie cette proposition.
La première commission du comité des fêtes a eu lieu le 5 avril. Pour la redoute de 1911, nous avons choisi la couleur mimosa, avec parements, garnitures et flots de rubans cerise. Les paillettes or et argent seront admises.
Des affaires de la plus haute importance m’ont rappelé à Londres et je ne suis revenu qu’en octobre.
Les projets présentés au concours pour le sujet du Carnaval n’ayant pas été retenus, la commission a adopté le thème « le triomphe du féminisme ». Il est bien évident que j’étais en désaccord total avec ce projet, mais je n’avais pas une voix prépondérante. Voici la composition des trois premiers chars du Carnaval qui aura lieu du 16 février au 18 avril 1911, avec défilés de chars et mascarades, batailles de fleurs, Veglione, feux d’artifice, redoute mimosa et redoute blanche et enfants carnaval des enfants. (extrait de la revue de Nice, 1910) :
Premier char : Madame Carnaval, chef du gouvernement tient de la main droite les rênes du Char de l’Etat et de la main gauche un chat à neuf queues.
Char de Carnaval : Carnaval, dompté par sa femme a perdu toute majesté et tout pouvoir. Confiné aux fonctions domestiques, il fait la lessive familiale sur son grand char, donnant le biberon à l’un de ses enfants… Aux quatre coins du char, des larbins débarbouillent les autres marmots.
Le comité a choisi ce thème. Que Dame carnaval gouverne, je n’y vois pas d’inconvénient, mais uniquement le temps de ces festivités…
Il ne faudrait plus que maintenant les femmes aient le droit de vote !
1911
Madame la duchesse de Montebello à l’occasion d’une de ses réceptions me demanda un jour si j’avais eu la joie de goûter ses spécialités niçoises dont sont si friandes nos bonnes et lavandières. Non, bien entendu. Ma cuisinière dont le langage chantant est un mélange de niçois, d’Italien mâtiné de quelques mots de français et d’anglais cuisine très bien, uniquement des spécialités anglaises.
Je lui demandais de me préparer une dégustation de plats niçois. Elle me proposa quelques jours plus tard un menu dont voici le déroulé : en entrée un peu de porchetta qui est un cochon de lait empli d’abats et d’herbe. Il s’agit d’une sorte de pâté absolument excellent, arrosé d’un petit vin rosé des hauteurs de Bellet au loin dans la campagne. En entrée, elle me servit de petits farcis niçois (oignons, tomates, aubergines, courgettes avec une farce à base de viande et de blettes). En plat principal, une daube aux carottes avec des pâtes fraiches. En fromage une tome des montagnes et enfin en dessert de la tourte de bléa qui est une tarte composée de blettes qui semble être la base de l’alimentation niçoise, de pignons, de pommes rainettes et probablement d’autres ingrédients. Quel excellent repas. ! Cela faisait longtemps que je ne me sentais aussi repus. Je décidais alors de faire un petit somme à l’ombre de la tonnelle de la maison.
Je pris ensuite l’habitude lorsque je revenais à Nice d’inviter quelques convives chez moi pour un repas typiquement niçois.
1912
Je me promenais il y a quelques jours du côté du Vieux-Nice. Je vais rarement dans ce lieu si étroit et si mal famé où l’on trouve de nombreuses boutiques et où vous êtes houspillé ou agressé de tous les côtés. J’entendis des cris au coin de la place Rossetti et je m’approchais. De nombreuses personnes, surtout des hommes se tenaient là et criaient en levant une main et montrant un ou plusieurs doigts, l’autre main, étant cachée derrière le dos, tout en énonçant ce qui semblait être des chiffres. Je suis resté un moment à les regarder. C’était plutôt exotique et ils semblaient complètement passionnés. Je me suis pris au jeu, mais je ne crois pas avoir bien compris les règles. J’en ai parlé le soir dans les salons de Mme De Périole, mais personne ne semblait connaître ces étranges coutumes.
5 mars 1912
En villégiature à Nice pour quelques mois, M. Mounier, l’aimable consul des Pays-Bas m’a parlé de tableaux exceptionnels exposé au Monastère de Cimiez. Je m’étais déjà rendu à Cimiez à l’occasion de la fête des Mais, mais je ne m’étais jamais aventuré aussi loin.
Il faisait beau avec ce ciel bleu azur si propre à Nice et qu’on ne trouve qu’en hiver. Je décider de cheminer à pied et commençais à grimper le long des sentiers qui parcourent la colline à travers la campagne. Les amandiers étaient en fleurs et l’air pur embaumait de mille parfums. Les arbres croulaient sous les oranges et les citrons. Quel merveilleux spectacle.
J’arrivais au Monastère de Cimiez qui me sembla de premier abord imposant et entrais dans la chapelle du monastère. Le contraste entre la luminosité de l’extérieur et l’ombre me saisit. Je fus enveloppé par une douce fumée et un parfum mêlant la cire fondue des bougies et l’encens. Je m’approchais du chœur de l’église et levais les yeux sur le retable « la crucifixion », tableau réalisé par Ludovic Bréa.
M. Auguste Pégurier, artiste peintre et fin connaisseur de l’art niçois m’avait indiqué qu’il s’agissait d’un peintre primitif niçois ayant exercé son art de 1475 à 1516.
Quelles admirables couleurs ! On y voir le christ en croix entouré de Marie très affectée, de Marie-Madeleine,ainsi qu’un certain nombre de personnage en lien avec la bible. Leurs visages sont marqués par la douleur et la désolation. Saint François d’Assise, lève ses mains stigmatisées. Le pénitent Jérôme frappe sa poitrine d’un galet. Tout est rouge sang, vert, blanc et or.
Au deuxième plan, on distingue la ville de Jérusalem et au dernier plan, il me semble reconnaitre les montagnes alpines sur un fond Azur. Le drapé des robes et des toges est remarquable ainsi que le contraste entre les différentes couleurs qui paraissent lumineuses.
A droite un deuxième tableau représente Jésus descendu de la croix sur les genoux de sa mère. Celle-ci prie avec ferveur. De part et d’autre, Saint Martin partageant son manteau avec un pauvre, Sainte Catherine portant la roue et l’épée, attributs de son supplice. La richesse de leurs vêtements contraste avec les couleurs de deuil de la Vierge.
Le fond d’or, symbole de la perfection unit les trois panneaux,
Les cloches sonnaient déjà les vêpres. Il était temps de retourner en ville.
Je laissais derrière moi ces merveilles pour rejoindre la route en passant par l’oliveraie.