Publié le 24 Octobre 2020
Il pleure dans mon cœur comme il pleut sur la ville, qui a dit ça ? Aucune importance, ce soir il neige et mon cœur bat guillerettement, pourvu que ça dure, dormez braves gens !
Le ciel noir a pris son rhume en grippe, son nez coule à gros flocons.
Demain le magnifique sapin de Noël érigé sur la place du marché sera couvert d’un épais manteau blanc. Si le maire vert ne l’a pas tronçonné au sortir de la messe de minuit.,
Demain je ferai un bonhomme de neige, un grand, avec un chapeau pointu, un balai de branchettes dans les bras, une grosse carotte Nantaise améliorée comme nez. Si le soleil brille je le chausserai d’une paire de lunettes noires Vuarnet racing large.
Mais c’est quoi, ça ! M’interpelle une femme bien boulotte. Mais pourquoi un mâle, blanc et hétérosexuel ma chérie ? Ignores-tu donc que la femme est l’égale de l’homme si ce n’est plus ! Zut une féministe ! Plus de quoi ? Sexiste.
L’humeur joyeuse, décidée à aller de moi et d’ici vers l’autre et l’ailleurs, j’entreprends d’ériger une petite bonne femme de neige, de la paille pour cheveux blonds, une balayette dans les bras, une petite carotte de Créance pour bout de nez, deux courges doubeurres lui font les seins de Madonna.
Clotilde qu’est-ce ? Curieux assemblage très fin de siècle, un homme avec une femme, ridicule aujourd’hui. Change de paradigme ma chérie ! Déconstruis les stéréotype du genre ! Le vieux couple d’homos qui habite au 21 et préside l’assos LGBT du quartier ne décolère pas. Ce n’est pas une femme mais un-e transgenre ! Ils partent rassuré-e-s. Quand s’approche le couple de lesbienne du 27 je rigole, ma réponse toute prête.
Des végétariens applaudissent, je n’ai pas utilisé de steacks hachés pour les yeux mais des tomates cerises. Par contre me reprochent le gaspillage de cinq fruits et légumes bio, bons pour ma santé, bons pour l’avenir de la planète et la marge des agriculteurs circuits-court.
Un indigéniste me traite de raciste, mais est-ce ma faute si la neige est désespérément blanche depuis la nuit des temps ?
Monsieur Ahmed, l’épicier du coin de la rue, bien pratique le dimanche soir, tient absolument à coiffer ma bonne femme d’un foulard seyant. Nonobstant qu’il est sympathique, pas extrémiste, respecte les lois de la république et tout et tout. J’argumente, elle va fondre, non pas en larme, la chaleur. Je me fais traiter d’islamophobe, moi, l’athée laïque.
Un groupe de gilets jaunes en marche vers le rond-point des six routes, Leclerc, Norauto, Darty, Conforama, Jardiland, Mac Do nous entoure. Bien sûr ils veulent absolument vêtir mes tas de neige de fluo. J’explique encore, réchauffement climatique, fonte de la banquise, disparition des glaciers alpins, à fortiori des œuvres d’art de glace soumises à l’érosion Celsius. Rien ni fait, ils veulent bien dialoguer mais uniquement entre eux !
Heureusement seize heures sonnent à l’horloge du CES classé en zone d’éducation prioritaire, une cohorte désordonnée et bruyante d’ados apprenants tente de mettre le feu à mon couple bi-sexuel. Soit le sachant SVT a sauté une page, soit trop de culture accumulée trop vite, ils oublient que la neige ne brûle pas.
Construire un nouvel humanisme fondé sur la réhabilitation du vivre ensemble, c’est pas gagné !
Charivari, cris, hurlements, un attroupement, six policiers municipaux armés comme des destroyers de la dernière guerre, talkie-walkie grésillant collé à l’oreille, s’approchent discrètement. Événement urbain, phénomène de société inhabituel dans une ville de deux milles habitants, totale incompréhension, appel au Préfet du département, envoi en renfort d’une Compagnie Républicaine de Sécurité avec des ordres stricts : encercler, observer, surtout pas de vagues.
Plus rapide qu’un pet sur une toile cirée déboule une chaîne de télévision d'information en continu ! Une jeune donzelle maquillée comme une voiture volée me tend un micro :
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Aujourd’hui, à cette heure que pouvez-vous nous dire…
Ho ! Douce nuit sous la couette, chaleur douillette, réveil émerveillé, gast quel rêve !!!
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