Satine va vers...
« Je savais où je devais être. Juste être. En fête, perpétuellement.
Ni devant, ni derrière, ni à côté.
Juste à l'endroit de la musique elle-même.
Oui même dans les moments d'obscurité, il y a une danse en nous, une chanson, une poésie, qui relève et élève l'âme, apaise le cœur, vibre le corps»
« Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé. Marc Alexandre Oho Bambe
Une voix à la diction impeccable annonce : « Mesdames et Messieurs les retardataires, il ne vous reste que 10 minutes avant la fermeture des portes ». le train ne va pas tarder à s'ébranler. Une jeune passagère au prénom de soie et de fantasme, semble glisser sur l'asphalte du quai numéro 5 où il stationne.
En ce premier jour de juin, alors que Paris ne veut pas céder à l'assaut du printemps et s'accroche au ciel lourd de nuages, Satine Mahé ,- 1m70, teint mat doré, longue tresse noire descendant jusqu'au milieu du dos, yeux violets s'étirant en amande , un grain de beauté au coin de l’œil gauche, une bouche pulpeuse et d'un rouge brun laissant entrevoir des dents blanches avec cet écartement qui parle de chance et de bonheur,- s'arrête devant le tapis rouge de la voiture numéro 7. Un jeune homme élégant prend sa valise et son sac de voyage, lui tend une main qu'elle refuse pour grimper légère sur le marchepied.
Parmi la foule qui se presse pour admirer le train mythique et les soixante quinze privilégiés qui y embarquent, Satine n'est pas passée pas inaperçue. Tous se retournent sur le passage de sa silhouette fine et gracieuse. Une si jeune femme qui accède à un tel luxe, cela intrigue. Elle doit faire partie de l'aristocratie, au moins comtesse, mieux une princesse d'un pays étranger ? Mais qui est-elle ?
Satine, jusqu'à un jour récent , n'était pas danseuse, elle était danse.
Ce jour où lors de l'ultime répétition du ballet « TWO » créé à l'origine par Russel Maliphant pour Sylvie Guillem, elle n'avait pu, épuisée, ordonné à son cœur de ralentir, et s'était effondrée.
Le médecin lui avait diagnostiqué une malformation cardiaque rare jamais détectée jusqu'alors. « Vous avez eu de la chance de vous en tirer avec ce que vous faites endurer à votre corps . Vous êtes jeune Satine. La vie devant vous. Ayez confiance. »
Elle était sorti de la consultation, désemparée. Elle avait tout sacrifié à son art.Depuis l'âge de cinq ans, elle dansait. D'abord 1 heure par semaine, puis par jour puis 4,5,6 heures et jusqu'à 8h parfois.
La danse, une discipline de fer, des pieds malmenés, meurtris, un corps à modeler contre nature, une souffrance des articulations et des muscles sans cesse étirés, pour donner l'illusion de la légèreté et de la facilité.
Diego lui avait offert pour la distraire un beau voyage et 2 mois de vacances. Il avait tenu à l'accompagner à la gare. Il aurait voulu l'escorter jusqu'au quai mais Satine n'aimait pas les Au revoir qui sonnaient parfois comme des adieux. Un sourire complice, deux baisers délicats déposés sur les joues de son père et « Hasta pronto querido papà », en lui prenant la valise et le sac de voyage Vuitton achetés pour la circonstance par ses amis du corps de ballet de l'opéra de Paris.
Deux mois loin de la grisaille pour envisager une nouvelle page de sa jeune vie. Satine, 24 ans en août, savait qu'elle reprendrait pied , l'amour de la vie chevillé au corps. Curieuse, passionnée, tout lui semblait à découvrir en elle et au dehors. Sa discipline monacale lui procurait une assise solide mais l'avait tenu confinée loin des distractions et préoccupations des jeunes de son âge. Au premier rang l'amour, ses joies et ses tourments, dont elle ignorait tout. Ses aventures amoureuses tenaient plus de la camaraderie, simples, confortables, sans drame. Son tempérament passionné et sauvage s'exprimait tout entier dans la danse.
Satine entre dans sa cabine spacieuse, fait valser ses ballerines, hume l'odeur du cuir, du velours, effleure les boiseries. Son parfum masculin ajoute une note subtile au tout. Elle passe dans le cabinet de toilette, une vrai salle de bains début de siècle. Elle fait jouer les robinets-oiseaux, eau chaude, eau froide, s'asperge le visage, toujours à l'eau froide. Le miroir biseauté argent, incrusté de nacre lui renvoie une image qu'elle adopte ; un mélange de profondeur et de fantaisie. Elle retourne au salon, tire les rideaux, s'étire, se laisse aller dans la chaleur et le silence enveloppants qui règnent là.
Satine sort de son sac un carnet de moleskine, suce le bout de son crayon et écrit : Satine va vers.... Le train s'éloigne du quai, ses yeux se ferment, elle s'allonge et s'endort sur le rêve du voyage avant le voyage.
La rencontre de Satine
« Je serai l’enfant doux
qui sourit aux choses
et à lui même
sans réticence ni réserve. »
Yannis Ritsos « Symphonie du printemps »
Combien de temps ai-je dormi ? Satine s'éveille au son d'une musique de Mozart diffusée dans le wagon. Elle reconnaît le concerto N° 21 en C Majeur K. 467. Elle se frotte les yeux et contemple par la fenêtre les lilas en pleine floraison qui lui rappellent les brassées de lilas blancs que Pascal, un ami de la famille, apportait avec le printemps quand ce n'étaient pas des fleurs de magnolias. Satine ouvrait ses petites mains en forme de coquillage pour recevoir avec ferveur l' offrande d'une de ces fleurs.
Un rayon de soleil sur son visage, Satine pense « Je n'ai pas pris de petit déjeuner ce matin, je commence à avoir grand faim ». Pieds nus , elle va se rafraîchir les mains, le visage à l'eau froide, toujours à l'eau froide, défait sa tresse, un zeste de gloss sur les lèvres, suspend son geste, tend l'oreille. Mais oui, quelqu'un vient de pénétrer dans sa cabine. Satine sort de la salle de bain et se retrouve face à un drôle de petit bonhomme, une sorte de Mr Pickwick trop longtemps oublié dans un livre poussiéreux relégué au fin fond d'une bibliothèque.
Ce Pickwick-là porte comme un étendard une réjouissante bedaine. Le dernier bouton de son pantalon à damiers jaunes et noirs vient de sauter. Cela se produit lorsqu'il esquisse une amusante courbette qui se veut révérence. Heureusement les bretelles maintiennent le tout. Satine peut apercevoir quelques rares cheveux sur le sommet rose de son crâne, en voie de désertification, lorsque celui-ci balaie le tapis d'orient.
« Gente demoiselle, permettez mon étonnement de vous trouver dans ma cabine » dit-il d'une voix de crécelle.
Il regarde autour de lui étonné de voir des objets appartenant visiblement à la gente féminine.
« Euh, oui, voilà qui est surprenant......Vous vous trouvez dans ma cabine....Ou peut-être pas ». Et sa voix de passer de la crécelle au basson.
Sa redingote jaune bouton d'or en velours de soie a dû faire les beaux soirs de la Comédie française à la belle époque. La trame, comme les stries d'un tronc pourrait en indiquer l'âge exact. Pour donner un côté classique à l'ensemble, Pickwick a opté pour une chemise jaune pâle. Mais la sobriété de l'élément se trouve contrariée par une constellation de tâches étoilées : là du chocolat, plus à gauche un jaunissement, de la javel peut-être, plus bas une tâche rouge lie de vin. Pickwick affiche sur sa chemise son goût de la bonne chère.
Satine baisse la tête, prise par une irrésistible envie de rire. Son regard tombe sur des chaussures noires à bouts jaunes, impeccablement cirées, objet de tendres attentions.
« Je me présente Satine Mahé, mélange des îles et d'Andalousie, cabine n°7. Comme vous pouvez le constater, c'est inscrit ici sur la plaque de cuivre, cabine n°7. Et sur mes bagages mes initiales SM »
« Agent Pélican, pour vous servir. Mais où avais-je l'esprit ? Pardonnez à un vieux professeur d'université d'avoir la tête dans les étoiles »
« Agent Pélican, vous êtes tout pardonné. Savez-vous où se trouve votre cabine ? » Satine ne peut réprimer un fou rire
« Chut, oui, bien sûr que oui, mais c'est top secret. Je suis là incognito »
« Ne craignez-vous pas que votre accoutrement, je voulais dire votre costume, ne soit pas trop voyant ? »
« Bien au contraire, demoiselle Satine, c'est lorsqu'on est trop visible qu'on devient l'homme invisible. Je vous laisse méditer ces propos. Peut-être aurons-nous l'occasion de nous recroiser. Au revoir Mademoiselle Satine, je compte sur votre discrétion. N'oubliez pas, je suis là incognito, vous ne m'avez jamais vu ».
Pélican-Pickwik se fend d'une nouvelle courbette fatale... au dernier bouton de sa chemise qui vient de sauter lui aussi.
Suspense...
« Suspense is like a woman.
The more left to imagination. The more the excitement »* Alfred Hitchcock
*Les femmes sont comme le suspense. Plus elles éveillent l'imagination, plus elles suscitent d'émotions
Satine , espagnole par sa cantatrice de mère, avait déjeuné fort tard, un peu plus de 14 heures, d'un simple turbot au sabayon de champagne. Elle pensait retrouver son étrange visiteur, mais à cette heure le restaurant avait été déserté. Le soir, désireuse d'observer les autres passagers, elle s'était rendue au wagon restaurant à 20 heures,l' heure française du dîner. Satine, avec son look années 50, -jupons et jupe vichy noir et blanc ,ceinturon enserrant sa taille fine, corsage échancré dans le dos et ballerines noirs-, tranchait sur les tenues luxueuses et chatoyantes de ces dames. Après avoir jeté un coup d’œil au menu, elle avait opté pour une trilogie de caviar Baeri, Oscietre et d'esturgeon blanc servie avec des blinis à la crème fraîche.
Pour le premier jour de ce voyage inaugural, le champagne s'imposait : Un Dom Pérignon rosé par David Lynch. Autant pour le côté rosé que pour son auteur. La voilà embarquée dans les arcanes de « Mullholand Drive », ce film qui la fascine et dont elle n'a pas percé tous les mystères.
Un homme semble, comme elle, étudier son entourage. Mais alors qu'elle s'amuse à détailler les tenues, les attitudes, la façon de manger, lui semble sonder leurs âmes. Un psy ?, un gourou, ? un écrivain, oui un écrivain sûrement. L'homme caresse sa barbichette , lui sourit, vient vers elle.
« Je vous regarde nous dévisager depuis le début du repas. A votre avis, que vais-je prendre pour le dessert ? . Je me présente Sigmund F.
Satine rosit, fronce les sourcils., prends la carte des desserts, hésite.
« Pour moi, ce soir pas question de me priver de dessert. Pavlova de framboises à la crème d'estragon, suivi d'un café, arrosé d'un alcool de poire. Jour 1 au diable le régime ! Pour vous, j'hésite entre le frugal et le généreux, coupe de mara des bois ou Sachetorte, un armagnac pour terminer .
« Eh bien, choix judicieux je prendrai les deux, Mademoiselle.... ?
« Satine »
Avant de regagner sa table Sigmund lui glisse à l'oreille :
« Nul d'entre nous ne peut jamais démêler le nœud des fictions qui composent cette chose incertaine que nous appelons notre moi. »
Satine n'a pas l'habitude de boire. Deux coupes de champagne, un alcool de poire la rendent euphorique . Les passagers, plutôt des hommes, se rendent au fumoir . Satine s'attarde espérant apercevoir l'agent Pélican. La méditation de Thaïs la tire de sa rêverie. Elle se rend dans le salon de musique où quelques personnes en tenue de soirée, smokings et robes longues prennent des poses nonchalantes ou alanguies, l'alcool est passé par là. Un duo piano violon alterne valses de Vienne, jazz, musiques de film. Satine s'approche du pianiste lorsqu' il entame « Moon River ». Elle se met à chanter
«We're after the same
Rainbow's end
Waiting round the bend
My hucklleberry friend
Moon river and me »*
*Nous cherchons le même bout d'arc en ciel...
Elle adore cette chanson interprétée par Audrey Hepburn dans le film « Breakfast at Tiffany's ».
Un bruit de pas lourds et précipités dans le couloir, une voix de basson « Que personne ne bouge ! », interrompt son chant et le piano. Tout le monde se retourne vers la porte où apparaît, tel un Zébulon monté sur ressorts, l'agent Pélican tourrnicoti tourrnicoton.
Un serveur, frappé par cet étrange apparition en renverse son plateau. Trois verres brisés, mauvais présage. Pélican a changé de vêtements et adopté les rayures, un large éventail de rayures, horizontales bleues sur fond blanc pour la chemise, verticales blanches sur pantalon bouffant bleu pour le bas. Pour compléter la tenue, la fameuse redingote jaune bouton d'or assortie aux chaussettes et aux chaussures, fort heureusement unies pour épargner les yeux fatigués par tant de débauche vestimentaire.
« Mesdames, Messieurs, prenez place, installez-vous confortablement » intime-t-il aux voyageurs venus rejoindre « sur ordre » les mélomanes d'un soir. « Un événement fâcheux nous oblige à cette désobligeante ou agréable promiscuité., c'est selon »
des Oh ! des Ah ! , des « Mais qui êtes-vous donc ?' », des « Qu'est-ce que ce galimatias-là ? », des « Qui est donc ce grossier personnage ? », des gloussements mi amusés, mi offusqués par tant de bizarrerie font régner une atmosphère à la fois pesante et joyeuse
« Je me présente (une esquisse de courbette) Professeur Glorieux,chargé entre autres de la surveillance de Lady Blunt. Lady Blunt a disparu et celui ou celle qui l'a enlevée est parmi vous. Depuis notre départ, aucun passager n'est monté ni descendu de ce train. Lady Blunt a été prêtée à Maestro L'archet, Gérard L'Archet. ».
La stupéfaction se lit sur presque tous les visages. Ce n'est pas tant la disparition qui choque mais la désinvolture et le cynisme pour parler d'une « Lady prêtée à un maestro ».
Devinant la méprise, le professeur déplie, face public médusé un portrait noir et blanc de Lady Blunt
Un silence
« Mais Professeur, ça c'est le portrait d'Alice Ernistine Prin, plus connue sous le nom de Kiki de Montparnasse » s'exclame une petite dame brune qui se tient à l'écart , l'air revêche, dans un coin reculé de la salle.
Elle se tourne vers les autres passagers « Nous reconnaissons tous ici le célèbre violon d'Ingres de Man Ray, n'est-ce pas ? ».
« Cet aimable divertissement fait partie du voyage. Ah, Ah très drôle . Bravo Monsieur le Professeur . Votre nom, Glorieux, pourrait se trouver au générique de mon prochain film»
Le professeur vexé lance un regard noir à l'importun, Laurent Delaplace, cinéaste en perte de vitesse .
« En effet Monsieur j'ai voulu détendre l'atmosphère avant de procéder à un interrogatoire serré de chacun d'entre vous. ».
Une voix calme et profonde , un homme debout près de la porte demande :
« Pardonnez ma curiosité , mais à quel titre Professeur allez-vous enquêter ? »
Satine reconnaît la voix de Sigmund F.
« Je me présente Agent Pélican ZKTT, ancien professeur des universités à la retraite.Je suis secondé dans ma mission par mon adjointe Mlle S.M. Ici présente. »
Satine fort heureuse de ce nouveau rôle, exécute un glissade et un jeté
« Je me présente Satine Mahé, mélange des îles et d'Andalousie, cabine n°7.
Et mêlant sa voix à celle de Pélican, ils annoncent en chœur « Lady Blunt est un Stradivarius datant de 1721, propriété de la Fondation japonaise de musique.
Agent Pélican enchaîne : « il a été prêté au Maestro G. L'Archet pour sa dernière tournée en tant que violoniste. Après quoi, il se consacrera uniquement à la direction à la tête de l'orchestre philharmonique de Paris. » Tous se tournent vers un homme dégingandé, pâle,mine défaite qui incline légèrement une tête aux boucles poivre et sel. Applaudissements aussi incongrus que nourris. Ils doivent se croire tous sous les lambris de l'Opéra Garnier.
A la baguette sans baguette , mais avec maestria,Agent Pélican ramène le silence.
« Que personne ne sorte d'ici. Mademoiselle Satine et moi-même allons procéder à la fouille des cabines. Le capitaine du train veillera à la rigueur de notre travail et à la remise en état des lieux.
Mademoiselle Satine, suivez-moi ».
Murmures indignés qui se transforment en brouhaha, agitation
« C'est un scandale. ! » lance Delaplace. Phrase reprise à la cantonade par la majorité sauf trois personnes qui gardent le silence et leur sang froid. Satine sort en exécutant un entrechat et une profonde révérence, se précipite à la suite d'un Pélican replet étonnamment vif et souple.
Un cri déchire la nuit. Un appel au secours. Rien d'humain dans ce cri. Pélican et Satine se trouvent devant la cabine numéro 13. Ils viennent d'identifier le cri, le miaulement désespéré d'un chat. « Je passe devant » dit Pélican « Et moi derrière » répond Satine qui semble follement s'amuser.
Seule la pleine lune éclaire l'endroit. 2 yeux luisants, un désordre indescriptible, le velours rouge du rideau déchiqueté, une porcelaine brisée , un fois gras étalé sur le tapis.
« Le chat, c'est un indice » s'écrie Satine.
« Non demoiselle Satine, le chat ici c'est strictement interdit »
« Le Chat , le surnom du voleur Cary Grant dans « La Main au collet » d'Alfred Hitchcock. Vous serez mon Cary Grant, je serai votre Grace Kelly »
« Mais je ne mesure qu'1m69, Demoiselle Satine »
« Et moi, je ne suis pas blonde !
Au cœur des ténèbres
« La nuit est enceinte, qui sait de quoi elle accouchera à l'aube »
La mort des bois » Brigitte Aubert
Tentant de faire rempart de son petit mais large corps, Pélican opine
-Ce chat qui est un signe à vos yeux semble inamical, hostile, voire malveillant. Comment savoir s'il est vacciné ? De quelles maladies il est porteur ? Ne lui trouvez-vous pas un air de dégénéré ? Sa face abâtardie me fait soupçonner une longue suite de croisements consanguins . Tout cela est douteux, trouble, louche, inquiétant et pour tout dire suspect.
Récapitulons : cabine numéro 13, chat noir dégénéré nourri au pâté, au pâté de foie, j'ajouterai au pâté de foie gras conduisant tout droit ce qui fut un félin à la stéatose hépatique métabolique. Signes, présages, révélateurs, que d'indices demoiselle Satine. La parfaite scène de crime ! S'exclame triomphant petit Pélican en se frottant l'une contre l'autre deux mains roses et dodues.
-Je m'incline devant votre sagacité, votre discernement, votre flair Agent Pélican, mais permettez à une jeune femme inexpérimentée de ne pas voir le rapport entre cette scène certes intrigante avec notre Stradivarius ?
- Comment quel rapport ? Hum, hum, voyons voir...Quel rapport ?.....A priori aucun. Mais qui recèle un chat peut soustraire un violon ! Le voilà le rapport !
Monsieur le chef de bord, nous allons, mon adjointe débutante mais néanmoins sagace et moi-même, procéder à une fouille dans les règles de l'art. Veuillez, je vous prie, mentionner, citer, consigner, relater dans ce calepin nos observations. Et ceci, j'insiste, strictement,soigneusement, minutieusement, méticuleusement, scrupuleusement,...
Le chef de bord, agacé, coupe Pélican dans son élan lyrique
-Monsieur, sauf votre respect, je crois que nous avons compris.
-Oui, oui, je m'égare un peu. Trop de surmenage. Je retourne dans ma cabine prendre quelque repos. C'est ainsi que je procède. Une tisane de nénuphar, un dodo et un rêve. Hercule Poirot se présente dans ma phase de sommeil paradoxal et il a l'extrême amabilité de délivrer sous formes de devinettes, charades ou rébus, des pistes qui permettent la résolution de l'énigme. Seul moi Glorieux-Pélican est capable de déchiffrer ces messages sibyllins, obscurs et pour tout dire abscons.
Sur ce, Mademoiselle, Monsieur, je rentre en hibernation temporaire cabine 17. Monsieur le chef de bord ,ayez l'amabilité de me faire porter mon breuvage au nénuphar de Saïgon parsemé de graines de pavots ainsi qu'un petit verre de grappa, aide indispensable au processus de l'entrée au royaume de Morphée, le dieu des rêves.
Le chef de bord claque des talons, trop heureux de quitter la compagnie de cet étrange équipage.
Satine plus interloquée que désemparée mais toujours amusée quoique déçue du report sine die du grand frisson, retient l'agent Pélican par le col élimé de sa redingote de Roi Soleil
-Et les passagers consignés dans le salon de musique, y avez-vous songé ?
-Allez leur dire de faire un petit somme sur place. Faites porter des plaids, couvertures, coussins et polochons pour leur confort. Signifiez-leur que la vérité est en marche. Elle marche, elle trotte, elle file, elle court, elle galope !
Et sur ces entrefaites, Agent Pélican, pressé de regagner sa douillette cabine numéro 17, accroche et laisse un pan de sa redingote à la poignée de l'habitacle.
-Encore un mot, jeune apprentie. Méditez la devise de mon maître Hercule Poirot : « L'impossible ne peut se produire, donc l'impossible doit devenir possible, malgré les apparences. »
A l'instant où il sort, par la fenêtre, un éclair zèbre le ciel suivi d'un tonnerre assourdissant.
Nous sommes plongés au cœur de l'incompréhensible, l'hermétique, l'inexplicable, l'insondable. Bref nous nageons en plein suspense.
Satine reste seule pensive et songeuse :
« Ne cède pas à l'imagination, c'est toujours le pire, elle ne sert que la littérature »*
*Le cycle de la vérité, la théorie Gaïa-Maxime Chattam