Laura et ses vies antérieures

Publié le 21 Février 2024

– J’ai aimé l’Irlande, l’Allemagne, la Belgique, ou du moins, ce que nous en avons vu. Des pays intéressants, des peuples qui le sont tout autant, mais, curieusement, dans les pays méditerranéens, je me sens chez moi, alors que je suis née et j’ai grandi dans le nord de la France. Curieux, non ? Ce devrait être l’inverse...
Laura, pensive, se remémore son voyage, analyse ses impressions. Pierre sourit.
– Va comprendre… peut-être dans une vie antérieure, tu vivais au bord de la Méditerranée… ou alors, c’est parce que tu m’aimes et tu n’envisages pas une autre vie qu’ici, dans mes bras, répond-il en la soulevant pour l’emporter dans la chambre.
 
Laissons-les à leurs affaires et revenons un peu plus tard…
 
Pierre s’est endormi, comme souvent après l’amour. Laura le regarde. Il est si beau, je l’aime tant… oui, vivre ici avec lui… une vie antérieure… ?
Laura bascule. Vie antérieure, vie antérieure... Deux vocables chuchotés par une voix intérieure... antérieure ? Un souvenir ténu de ce que j'ai dû être... je ne sais pas trop... Patience, ça se précise…
 
Je suis Catarina, non, pas Catarina Segurane, non, Catarina, fille d'Italie, pauvre d'entre les pauvres. Quand j'étais enfant, pour aider les parents à gagner quatre sous, je ne suis pas allée à l'école. Je ne sais ni lire, ni écrire. Je travaille dans les rizières avec d'autres. Sono una mondina. Des journées entières, l'eau jusqu'aux genoux, pieds nus, le dos plié, noué de fatigue. Pour éviter les piqûres d'insectes, les brûlures d'un soleil trop dur, je cache tête et cou sous un foulard et un chapeau à large bord. Chaleur, labeur pénible, exploitée, peu payée... un jour j'en ai eu assez. Avec les copines, on s'est regroupées en ligue contre les patrons. On s'est battues pour nos droits, pour une vie décente et on a gagné ! C'était en... je ne sais plus. Catarina se fond dans la rizière et déjà un autre visage surgit : Antonia...
 
Antonia, drapée dans sa toge antique raconte : j'ai une vie agréable, confortable, auprès de ce riche époux, négociant en huile. Nous possédons une villa sur la colline, entourée d'oliviers, à Cemenelum. Elle est bien située, rien n'accroche le regard. Il coule sans heurts sur le paysage : d'abord, juste au-dessous de nous, sur la ville, puis sur les vignes, les prés, les cultures, et plus bas, au loin, sur le rivage, sur Nikaïa qui accueille les barques des pêcheurs. Ensuite, du bleu jusqu'à l'horizon, du bleu partout. Et du soleil. La villa est parfaite pour inviter, conclure des affaires. Nous recevons des personnes de haut rang pour des fêtes privées très prisées. Lyre, cithare, repas raffiné, c'est le festin des sens. Nos esclaves, bien traités, nous sont fidèles ; ils assurent un service sans défaut. Que la vie est douce dans ce beau pays !
Je vais parfois à des spectacles dans l’arène. J'ai une place réservée, je fais partie des notables de la cité. Aujourd'hui, après les gladiateurs, il y aura les chrétiens contre les lions. Plutôt cruel, j'en conviens. Ils le cherchent aussi, avec leur Dieu unique ! Jupiter, Saturne, Vénus et tous les autres n'approuvent pas cette nouvelle religion. J'ai peur qu'ils ne soient très en colère. Et la colère de Jupiter, avec sa foudre et ses éclairs, cause des ravages terribles dans nos oliviers. Alors, pour éviter ce désastre, je vais au spectacle, je regarde les lions dévorer les chrétiens dans l'arène. Pour que Jupiter, Saturne, Vénus et tous les autres continuent à briller au ciel de la nuit.
 
La nuit... La nuit dissout Antonia, ne laisse que les astres. Seule dans le silence, plurielle dans la conscience, Laura revient d'un voyage étourdissant. Par la fenêtre ouverte, Jupiter, Saturne, Vénus scintillent, et les étoiles balisent les routes perdues…
 

Rédigé par Mado

Publié dans #Patrimoine & Méditerranée

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