Perdue dans Rome, je marche au hasard. Une ruelle me semble familière ; elle devrait déboucher sur la place Bocca della Verità où se situe mon hôtel. Je m’avance… un peu sombre… inquiétude vague en germe au fond du ventre… Là-haut, très loin, le soleil… ici, la pénombre… Un éclat étincelant accroche mon œil ; par terre, une clé dorée… Elle est lourde… Un clé en or ? Probable. Belle, finement ciselée, une clé précieuse pour enfermer, protéger un trésor tout autant précieux.
Qu’ouvre-t-elle ?
Autour de moi, des murs gris, des fenêtres étroites… un rideau s’écarte discrètement… un regard furtif… le rideau s’abaisse. J’inspecte les alentours… L’esprit de Sherlock Holmes, Poirot, Maigret, et de mon cher Adamsberg m’habite. J’investigue…
Une vieille bâtisse d’allure médiévale m’attire. Sur la porte, un linteau, sur le linteau, une inscription gravée : Il mio sogno
Sogno.. voyons… Dictionnaire : sogno : rêve. Mon rêve…
Un rêve en lettrines entrelacées de lierre, d’anges et de démons, sculptés dans la pierre. Détails soignés, de la belle œuvre, à peine érodée par le temps… Le dernier o de sogno a une drôle de petite queue fourchue… Elle pointe vers une alcôve cachée dans l’épaisseur du mur. Dans l’alcôve, une Vierge se dresse en gardienne. Derrière la Vierge, dissimulée sous un décor un peu kitch, une petite porte… une serrure dorée… la clé….
Elle s’adapte parfaitement, tourne sans faire d’histoire, ni de bruit. La porte pivote, silencieuse. Seconde suspendue, j’ai le souffle court, le cœur au galop… Béance sur une nuit opaque, comme un puits sans fond… Un frisson court sur le temps immobile, et soudain, une envolée de rêves ! Ils s’échappent par milliers ! Des rêves bleus d’océans, verts de forêts, rouges de soleils couchants, mauves des cimes au point du jour, clairs de torrents joyeux, sombres de lacs profonds, des rêves d’arc-en-ciel, des rêves d’allégresse, vivants, brillants… Des rêves d’animal heureux, libre et sauvage, des rêves d’amour, des rêves de paix, des rêves de vie…
Je n’ai pas su quoi faire. Laisser tous ces rêves voltiger tout autour du monde ou refermer la porte et les garder au secret… prisonniers ?
C’est alors qu’est apparu Il mio Sogno. Comme un cheval fou, une licorne éclatante, Il m’a emportée dans un tourbillon à travers la ruelle grise. Le temps d’un éclair, le temps d’un rêve. Il m’a laissée là, dans un vertige halluciné. Quand je me suis retournée, la ruelle avait disparu ; il n’y avait que la place Bocca della Verità et mon hôtel… ma dove è la verità… ?
Je n’ai pas eu la réponse à Rome. Cette envolée de rêves multicolores m’a éparpillée. Alors je suis partie dans le désert pour me retrouver.
Je marche. Le sable crisse sous mes pas. Parfois, un lézard récurrent, échappé à d’autres rêves, s’enfuit sur un bruissement furtif… Soleil au zénith… Clarté immaculée… La dune vibre sous l’air chaud… Tremblotis troublants… troublés par une apparition… Au loin une silhouette s’avance d’un pas tranquille. Son allure me semble familière. Elle s’approche… Tiens, elle porte les mêmes vêtements que moi… quelle drôle de coïncidence ! Elle me ressemble. Je cligne des yeux pour chasser une poussière. Une fraction de seconde. Cela a suffit. Elle se tient devant moi, son regard planté dans le mien… c’est moi… enfin, mon sosie, mon double… mon miroir…
Je n’ai pas peur. Elle non plus. On s’observe avec bienveillance. Comme une évidence. Et pourtant le vertige…
Je voulais me retrouver, je me suis trouvée… silencieuse et sereine… venue d’ailleurs, d’une fracture de l’espace-temps… d’une fracture de moi-même… ? Qui suis-je ? Elle ou moi ? Ou elle et moi ? Schizophrénie dans l’air brûlant. Ma dove è la verità ?
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