JEAN VIABLE

Publié le 27 Novembre 2020

Jean Viable est née dans une famille pauvre. Dans un quartier pauvre qui ne s'appelait pas encore cité. Il avait une sœur de cinq ans de plus que lui. Les parents étaient aux petits soins pour eux. Ils étaient heureux. Il avait des amis et grandit en bonne intelligence. Ils allaient au cinéma une fois par quinzaine alors que la plupart des autre familles c'était plus souvent. Plus grand il s'en aperçut et se confia à sa sœur. Elle lui expliqua que les revenus de la famille ne leur permettaient pas cette dépense supplémentaire. Il prit conscience de la valeur de l'argent et en aima davantage ses parents. Dès le cours préparatoire il s’intéressa à toutes les matières avec une préférence pour le dessin. Son instituteur l'encouragea à persévérer argumentant : 

«  Tu as un bon coup de crayon ».

En grandissant il s’intéressa aux voitures, à la mécanique, aux trains. Sa sœur avait fait des études de comptabilité, elle travaillait depuis six mois dans un bureau. Elle participait à son niveau aux dépenses de la maisonnée et le bonheur perdurait. Après son certificat d'étude Jean entra à la S N C F comme apprenti. Par son sérieux et sa facilité d’adaptation aux travaux de réparations sur les locomotives et wagons, il put rapidement évoluer, son salaire de même. Il assista à l'avènement du T G V. En plus de son travail, il continuait à dessiner et fit une maquette de l'aménagement d'un wagon de T G V. Il le montra à ses collègues de travail. Son contremaître vint se mêler au groupe, fut très intéressé par cette étude et demanda à Jean de la lui confier deux jours. Sans hésiter Jean accepta. Une semaine après il fut convoqué par un chef de projets dont le but était d'aménager aux mieux l'intérieur des wagons pour un meilleur confort des passagers. Il fut séduit par son croquis à part deux détails qu'ils réviseraient ensemble. Il l'entretint aussi d'un autre projet qu'il envisageait de soumettre à la direction : mettre en service un T G V de luxe avec couchettes, salle de restauration dans une décoration d'avant garde . 

«  Pouvez-vous me faire une première ébauche en gardant le secret avant de savoir si une suite sera donnée ? »

Jean possédait une bonne étoile qui continua à briller. Dans sa vie privée tout allait bien aussi. Il avait rencontré le grand amour, le mariage avait suivi, une petite fille était née deux ans après. Ils aménagèrent pas loin de ses parents, son épouse s'entendait très bien avec eux. Le monde de la décoration s'intéressa à ses travaux, Plusieurs commandes suivirent, il ouvrit un cabinet d'architecture, il décrocha la construction d'un immeuble à proximité de son ancien quartier, il réserva un appartement pour ses parents qui furent séduits car ils restaient en lisière de l'endroit ou ils avaient toujours vécu. C'était le bonheur parfait. Ses affaires prospéraient, il avait plusieurs dessinateurs sous sa coupe et de plus en plus de rendez-vous qui lui occupaient pas mal de soirées. Son épouse lui fit gentiment remarquer qu'ils ne se voyaient plus beaucoup, il lui promit d'y remédier. En fait, il était embarqué dans un tourbillon et était absent certains week-ends pour superviser des chantiers dans des capitales européennes. Sa femme devint de plus en plus pressante, et comme il ne réagissait pas, elle demanda le divorce. Il avait trop tiré sur la ficelle et même la chance s'était fatiguée. En plein désarroi, il prit la mauvaise décision, il s’abrutit dans le travail, devint taciturne, ses partenaires ne le reconnaissaient plus, il perdit des contrats, certains employés le quittèrent. En peu de temps tout l'échafaudage qu'il avait mis plusieurs années à construire s'écroula. En rentrant un soir après avoir beaucoup bu, il s'écroula sur le trottoir devant chez lui. Des passants alertèrent les pompiers qui le transportèrent d'urgence à l’hôpital où les médecins diagnostiquèrent un A V C. Plusieurs jours en clinique, des mois de convalescence et de rééducation car il lui restait des séquelles. Des difficultés pour se déplacer, sa jambe gauche étant déficiente. Le moral au plus bas, il prenait conscience que son ambition l'avait anesthésié. Les médicaments le tenaient dans une semi somnolence qui l’empêchait de réagir. Ses parents vieillissant lui rendaient visite souvent, quelques fois avec sa fille qu'il n'avait pas vu grandir. A leur dernière visite, il amena sa fille devant la grande baie vitrée et lui dit : 

«  Tu vois ce banc en bas à la lisière du parc, tu diras à ta maman que demain à quinze heures je l'attendrai là ».

Le lendemain, il y était bien avant l'heure dite. La pluie se mit à tomber sans qu'il réagisse, quinze heures quinze, quinze heures trente, toujours sur son banc, stoïque, trempé jusqu'aux os. Il regarda sa montre, encore cinq minutes ! Découragé, il avait mis tous ses espoirs sur ce rendez-vous, il se leva pour partir.

Une jolie brune arriva en courant, le prit par le bras, s'excusa en lui disant : j'ai été retardée par un embouteillage.

Rédigé par Louis

Publié dans #Rêves

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