Les portes de la bibliothèque municipale viennent de se refermer. Les lumières s’éteignent peu à peu remplacées par celles de secours Le silence règne. Mais au rayon des Essais un livre de sciences s’agite en grommelant « Il faut que je me dégourdisse les pages. Je suis tout ankylosé ! » Comme il a l’air sérieux avec sa couverture en cuir et son titre en lettres dorées « L’eau dans tous ses états ». Quel programme ! Sa gymnastique terminée, il regarde autour de lui et remarque un petit livre au bord de l’étagère. Sa couverture illustrée attise sa curiosité. Il ne l’a jamais vu auparavant et sa présence dans un rayon aussi sérieux lui semble parfaitement incongrue. Il ne peut s’empêcher d’engager la conversation.
- Bonsoir ! Je ne crois pas vous avoir déjà vu dans ce rayon. Vous êtes nouveau ?
- Oh non pas du tout ! La dame qui m’a emprunté était très pressée et elle m’a posé là au lieu de me remettre à ma place.
- Ah je comprends mieux ! Vous n’aviez pas le profil d’un livre sérieux comme moi.
- En quoi êtes- vous plus sérieux que moi ? Pouvez-vous me l’expliquer.
- Tout d’abord pouvez-vous me dire votre titre je ne le vois pas bien d’ici.
- Histoire d’O.
- Ce n’est pas possible ! Vous ne pouvez pas traiter le même sujet que moi. Il est bien trop vaste pour vous. Déjà votre écrivain a fait une énorme faute d’orthographe. Ce n’est pas O mais Eau qu’il fallait écrire.
- Eau vous parlez donc de l’eau qui coule dans la nature ?
- Et pas seulement de cela mais aussi de toutes les transformations qu’elle peut subir : se transformer en glace, en vapeur et même en nuage. Tous ces résultats sont basés sur des recherches et des calculs. Je suis un livre de sciences moi ! Et vous de quelle eau s’agit-il ?
Le petit livre éclate de rire et précise :
- Je ne suis pas un livre de sciences mais un livre à l’eau de rose, un livre érotique pour être plus précis.
Le livre de sciences devient très rouge et demande en bafouillant :
- Mais alors quelle est cette O dont vous parlez ?
- O est le prénom d’une femme qui va connaître elle aussi beaucoup de transformations. Mais ce n’est pas la nature qui les provoque.
- Je ne vous suis pas très bien. Qui pourrait en être responsable ?
- Les hommes cher ami, les hommes et en particulier celui dont elle est éperdument amoureuse.
Et voilà nous y sommes ! L’Amour toujours l’Amour ! Mais L’Amour n’a rien de scientifique que je sache !
- Non bien sûr. L’Amour ne s’étudie pas, ne s’explique pas, il se vit tout simplement.
- Oh la la ! C’est bien compliqué tout ça. Nous ne sommes vraiment pas sur la même longueur d’ondes.
Mais après quelques secondes de silence il reprend à voix basse :
- Dites-moi, comme la nuit va être un peu longue, j’aimerais bien, par curiosité bien sûr, faire un peu plus connaissance avec votre O et pendant ce temps vous pourriez vous cultiver un peu en lisant les études faites sur mon Eau à moi. Qu’en dites-vous ?
- Ca me tente beaucoup. Je suis d’accord.
Si vous aviez été présent à la bibliothèque municipale cette nuit là, vous auriez été intrigué par un spectacle des plus étranges : au rayon des Essais, deux livres enlacés tournaient lentement leurs pages respectives et, si vous tendiez l’oreille, vous auriez perçu de temps à autre des exclamations de surprise mêlées à des soupirs langoureux. Le livre de sciences et le livre érotique partageaient leurs émotions. Qui allait l’emporter : L’Amour ? La Science ?...