Publié le 29 Janvier 2019
Le courrier envoyé le 21 janvier par les habitants de l'immeuble...
- Adressé à tout le monde :
Chers Voisins, Voisines
Permettez-moi de venir, par cette lettre, tout d’abord vous dire bonjour !
Comme moi, vous avez dû être surpris par ce qui arrive dans notre immeuble en ce début d’année. La citation déposée dans notre boite aux lettres et le magnifique tableau qui, accroché par une main anonyme, vient embellir notre entrée.
Ma demande aujourd’hui n’a pas un caractère de contestation mais de curiosité. Depuis deux semaines, je me pose beaucoup de questions et surtout QUI ? parmi vous a décidé de venir, par quelques mots et une toile, éclairer d’un jour nouveau nos habitudes, notre solitude. Ces deux événements m’ont obligé, et je pense que cela doit être la même chose pour vous, à me poser mille questions, vous regarder et me dire c’est peut être lui ou elle. Me rendre compte de votre existence, ne plus être plongé dans ma solitude. Mon seul regret aujourd’hui, c’est de ne pas pouvoir encore mettre un nom à mon merci avec un grand M. Vous, enfin toi qui se cache derrière ce mystère, qui après deux semaines de réflexions, je doute encore qui de :
Louis, Joseph, Nathalie, Judith, Eve, Olivier, Jérôme, Pierre, Charles, Mailis, Marc, Lucien nous entraînent dans cette enquête culturelle.
Voila chers voisines, voisins, ce que je voulais vous dire et à toi l’auteur du tableau, oui TOI, fais-moi le savoir, dis-moi qui tu es. On n’a pas tous les jours l’occasion de remercier quelqu’un. J’attends ta réponse avec impatience.
Stéphane, du 3eme
***
Bonjour, je me permets de glisser ce petit mot à mes voisins.
La semaine dernière en sortant, j'ai été agréablement surprise de voir un tableau accroché dans le hall.
Ce dernier n'est pas signé ni sur la face, ni au dos comme certains.
Je le trouve intéressant, plein de sensibilité et de charme.
Je pense ne pas être la seule curieuse, moi même peintre, cela me ferait plaisir de faire la connaissance d'amateur d'art ou simplement de personnalités aimant la beauté, toute profession confondue.
Il y a deux semaines, je pense que tout le monde a reçu dans sa boîte aux lettres un mot pour le moins dépourvu de simplicité, tiré d'une nouvelle du peintre Delacroix.
Est ce la même personne l'auteure de ces deux énigmes.
J'espère qu'à nous tous nous arriverons à élucider ces mystères à moins que nous ayons une autre surprise......
Je suis Judith au 2eme étage, porte 4.
J'attends des nouvelles avec plaisir et impatience.
Bien à vous.
Judith
***
- Adressé à toutes les femmes :
« Nice le vingt et un janvier deux mille dix-neuf
Chère – un des quatre prénoms –
Perçois-tu ces immenses ondes que mon cœur émet pour que ton cœur vers le mien se tourne. Lentement mes neurones se balancent au rythme de la samba qu’entame ton corps quand je te prends dans mes bras. Mes yeux pleurent à revoir en boucle la beauté de ton corps alangui sur les draps froissés. Mes lèvres ourlent tes lèvres d’un interminable baisé brûlant, mon nez coule, mais ça c’est le rhume.
Et tu m’as trahi, pétasse, catin, tu n’as pas su garder le secret confié sur l’oreiller, le récit de mes exploits, mon grand œuvre, ma fierté.
Par amour sauve-moi, explique à Lucien, avant qu’il n’en parle alentour, que ce ne peut être moi car nous étions ensemble à l’hôtel de Lampedusa.
Et fait fissa ! »
***
- Adressé à tous les hommes :
« Nice le vingt et un janvier deux mille dix-neuf
Mon cher – un des huit prénoms –
Ton amitié m’honore et nos conversations me passionnent. Il faudra que nous reprenions, car si Dieu est athée rien n’empêche plus les athées de croire en Dieu.
J’ai récupéré chez Marcel, il t’envoie son bonjour, le moulinet Caperlan, j’irai, cet après-midi acheter le fil et les hameçons.
Et toi, enfoiré, pauvre con, tu n’as pas su garder le secret confié au bout de la nuit alcoolisée, le récit de mes exploits, mon grand œuvre, ma fierté.
Tu vas voir ta gueule si tu ne cours pas immédiatement chez Lucien, lui expliquer, avant qu’il n’en parle alentour, que ce ne peut être moi car nous étions à la pêche à Lampedusa.
Et fait fissa ! »
***
- Adressé à Stéphane :
Nice, le 21 janvier 2019
Cher Monsieur Stéphane,
Il y a parfois des choses surprenantes qui se passent dans la vie.
Ainsi, il y a deux semaines, j’ai trouvé dans ma boîte aux lettres un petit extrait d’un texte du peintre Delacroix concernant la peinture. Il y a une semaine, un tableau a été accroché dans le hall d’entrée de l’immeuble. On ne sait ni qui l’a peint, ni qui l’a accroché. Je pense qu’il s’agit d’une seule et unique personne. Je la soupçonne également avoir mis le petit mot dans les boîtes aux lettres que d’ailleurs tous les habitants de l’immeuble avec lesquels j’ai pu en parler ont reçu.
Ce petit mot m’a laissé quelque peu désemparé. Je ne suis pas un intellectuel et la peinture est loin de mes préoccupations quotidiennes. Mon épouse et moi aimons en revanche beaucoup ce tableau accroché dans le hall. Il habille ce mur d’un blanc ingrat et donne au hall d’entrée un cachet à la fois élégant et accueillant. Tout comme les autres habitants de l’immeuble, mon épouse et moi nous nous demandions qui a bien pu réaliser cette peinture si réussie. Après des longues et profondes réflexions et des discussions animées, il nous paraît le plus probable que ce soit vous. Nous supposons que par cette façon mystérieuse d’agir vous cherchez à attirer l’attention sur vous, tout en faisant connaître vos œuvres. Nous nous demandons même si vous n’avez pas procédé de la même manière dans d’autres immeubles.
En tant que carreleur, j’ai accès à des nombreuses résidences de très haut standing. Je pourrais vous aider dans la divulgation de votre œuvre. Ça nous ferait très plaisir, à mon épouse et moi, de pouvoir vous être utile et de servir ainsi la cause culturelle qu’est la vôtre. Mettez nous dans la confidence, nous vous soutiendrons. Nous garderons bien sûr le secret tant que vous le souhaitez.
Dans l’attente du plaisir d’avoir très bientôt de vos nouvelles, je vous prie de croire, cher Monsieur Stéphane, à toute ma considération qui s’adresse aussi à l’artiste que vous êtes.
Jérôme 2ème étage
***
Nice, le 24 janvier 2019
Cher Stéphane,
Comme nous sommes voisins mais ne nous connaissons par beaucoup, je me permets de vous écrire cette lettre pour vous parler de quelque chose qui me travaille depuis quelque temps, je ne dirais pas me tracasse, mais quand même. Je n’ai pas trop l’habitude d’écrire des lettres, surtout maintenant avec les e-mails, les textos… , mais je me suis dit que ce serait aussi bien de vous écrire une vraie lettre et de la déposer dans votre boîte. Je n’ai pas fait d’études comme vous, aussi je vous demande d’être indulgent pour mon style et mes fautes d’orthographe.
Depuis le 7 janvier dernier, je trouve qu’il se passe des choses un peu bizarres dans l’immeuble. J’ai habité d’autres endroits, mais j’avoue que je n’ai jamais vu des choses pareilles. D’abord, j’ai trouvé dans ma boîte aux lettres un petit papier avec une citation signée Delacroix. Je suis allée voir sur internet qui ça pouvait bien être et j’ai appris que c’était un peintre, ça ne m’a pas étonnée, vu ce qui était écrit, mais ça ne m’a pas beaucoup avancée. Je n’ai rien compris, ça parlait de reflets de masses… je ne voyais pas du tout ce que ça voulait dire et surtout d’où ça venait, qui avait pu m’envoyer ça et pourquoi. J’ai cru que c’était Paul, un ami que j’ai rencontré au cours de dessin où je vais depuis le mois de septembre, et que c’était un message codé. J’ai passé des heures à essayer de comprendre ce qu’il voulait me dire, je n’ai pas trouvé. J’ai raconté cette histoire à Eve et aussi un peu à Lucien, qui est toujours au courant de tout et c’est comme ça que j’ai appris qu’ils avaient eu le même papier dans leur boîte. Qu’est-ce que c’est que cette histoire, je me suis dit. Chacun avait son idée, mais en fait personne ne savait rien et on n’avançait toujours pas beaucoup.
Ensuite, il y a eu ce tableau accroché dans l’entrée de l’immeuble et là, j’ai tout de suite pensé que c’était vous. C’est vrai, il est bien peint, je reconnais et dans l’immeuble, je crois qu’il n’y a que vous qui pouvez faire ça, vous êtes vraiment un artiste, je ne dis pas ça pour vous flatter, je le pense vraiment. Vous m’avez déjà montré des choses que vous faites au Beaux Arts et même si ce n’est pas tout à fait le style que je préfère, je reconnais qu’il y a du travail.
Alors, je vais être franche avec vous, vous me connaissez un peu, je suis assez cash comme fille. Je trouve que c’est une très bonne idée de vouloir décorer l’entrée de l’immeuble, d’ailleurs on en a parlé l’autre jour avec Lucien, vous y étiez. Mais votre tableau, si c’est bien vous qui l’avez peint, je le trouve un peu triste, il me fait penser à un incendie de forêt et je ne trouve pas que ça égaie l’entrée. Il est bien, même très bien, ce n’est pas le problème, mais ne le prenez pas mal, il ne convient pas pour l’entrée. Vous le savez, je suis fleuriste, je suis toute la journée dans les couleurs et j’aimerais franchement quelque chose de plus gai. On pourrait mettre des plantes et aussi des tableaux, mais qui représentent des fleurs ou des paysages. Je ne m’y connais pas trop en peinture, bien que j’aie commencé à prendre des cours de dessin, mais c’est comme ça que je vois les choses. A mon cours, on dessine des natures mortes, des corbeilles de fruits, des bouquets. Quelquefois on va dans la nature peindre des paysages. C’est très sympa et si vous voulez, je peux vous faire quelque chose qui ira bien dans le hall. C’est sûr, je ne suis pas une artiste comme vous, mais j’adore la décoration, d’ailleurs tous mes amis disent que chez moi c’est très joli, et je pense que j’ai de bonnes idées.
Mais ce que je n’arrive pas à comprendre, c’est pourquoi, si c’est bien vous (et j’en suis presque sûre) vous nous avez mis cette citation et ce tableau sans nous parler de rien. Est-ce que c’est un projet qu’on vous a demandé de faire aux Beaux Arts et vous avez décidé de prendre vos voisins comme cobayes ? Est-ce que l’idée vient de vous ? Qu’est-ce que vous attendez de nous ? Je suis un peu dubitative. J’aime les mystères, d’ailleurs j’adore regarder des séries policières à la télévision, et j’aime aussi jouer au Cluedo avec mes amis, mais au bout d’un moment, j’ai besoin d’avoir la solution. Il me tarde d’avoir votre réponse. Vous pouvez passer me voir si vous voulez, ça ne me dérange pas, je suis là le soir, sauf quand je sors ou bien vous pouvez mettre un mot dans ma boîte aux lettres, moi ça me plairait bien, c’est comme vous préférez, mais cette fois, n’oubliez pas de signer !
A bientôt de vous lire,
Maïlys
***
- Adressé à Louis :
Nice, le 21 janvier 2019
Bonjour Monsieur Louis,
On ne se connaît pas trop, on s’est à peine croisés, mais je me permets de vous contacter pour vous parler du tableau accroché dans l’entrée. Je dois avouer que cette affaire m’a bouleversé. Moi qui ne me suis jamais intéressé à l’art, j’ai découvert la beauté, la lumière, grâce à lui. Depuis, je cours les musées, c’est fou !
C’est une œuvre intéressante et énigmatique. Aussi intéressante et énigmatique que la citation qui, à mon avis, lui est associée. C’est justement son côté mystérieux qui me pousse vers vous. Il me plaît d’imaginer que cette mise en scène est une façon originale, pour un nouvel arrivant, de faire connaissance. Cela dit, ce n’est qu’une conviction intime qui voudrait être confirmée.
Et c’est pourquoi je vous écris, Monsieur Louis. Je n’ai pas osé vous aborder pour vous demander si, comme je le crois, vous êtes bien l’auteur de ce tableau et de la citation glissée dans les boîtes à lettres et j’attends avec impatience la réponse qui peut, si vous le souhaiter, advenir devant un apéro chez..
Marc hésite… Inviter le père Louis chez lui serait sympa, mais quelque chose le retient. L’homme l’impressionne. Il reprend sa lettre.
… J’attends avec impatience votre réponse et serai ravi de faire plus ample connaissance avec vous.
Bien cordialement
Marc, votre voisin du 1er.
***
- Adressé à Joseph :
LOUIS, locataire du 3è étage, pour Monsieur Joseph, la copie de la lettre que j’ai adressée à Monsieur Pierre et à Monsieur Lucien.
Monsieur Pierre
Suite à la citation que tous les résidents ont trouvée dans leur boîte aux lettres et le tableau qui agrémente joliment l'entrée de l'immeuble, je suppute que vous pouvez en être l'auteur. L'auteur du tableau, mais avec deux comparses car, comment une seule personne aurait pu l'accrocher incognito. Je pense que JOSEPH, travailleur dans le bâtiment doit être apte à poser une cheville et un piton en un temps record. Puis LUCIEN le concierge a guetté pour qu'aucune personne ne passe à ce moment-là.
J'écris la même lettre aux deux autres « suspects ». Si vous voulez en parler, je vous invite à boire un verre chez moi.
PS : Je m'intéresse à ces faits comme à un jeu, et cela me permettra la rencontre avec d'autres résidents.
Louis
***
- Adressé à Eve :
Chère Ève,
Je me permets de te faire part d'un doute au sujet du tableau apparu dans le hall.
Tu m'as parlé récemment de la peinture Nail Art que tu accumules chez toi pour des tests professionnels.. Et ta découverte de la peinture chinoise, Zao Wou-Ki en particulier, qui t'a émue par sa pureté harmonieuse.. et son parcours de migrant, toi qui viens de Pologne..
Je sais que comme lui, tu adores la musique électro, spatiale..
Car j'ai souvent l'occasion d'entendre la danse frénétique de tes stiletto sur le plancher.. moi qui habite juste en dessous !
Je te soupçonne donc d'être à l'origine de cette nouvelle déco affichée dans le hall.. Un recyclage original et personnel de ton acrylique Nail Art, au son des Daft Punk.. ton groupe fétiche actuel, je crois ?
Dis-moi si mon intuition est bonne, ou si je me trompe.
Et si tu le veux bien, je peux te proposer d'autres compositeurs intéressants, comme Boulez ou Messiaen, qui composait en écoutant des chants d'oiseaux.
Il me reste aussi des encres de couleur et des pastels secs.. si tu veux te lancer !
Bien à toi..
Pierre
***
- Adressé à Pierre :
LOUIS, locataire du 3è étage
Monsieur Pierre
Suite à la citation que tous les résidents ont trouvée dans leur boîte aux lettres et le tableau qui agrémente joliment l'entrée de l'immeuble, je suppute que vous pouvez en être l'auteur. L'auteur du tableau, mais avec deux comparses car, comment une seule personne aurait pu l'accrocher incognito. Je pense que JOSEPH, travailleur dans le bâtiment doit être apte à poser une cheville et un piton en un temps record. Puis LUCIEN le concierge a guetté pour qu'aucune personne ne passe à ce moment-là.
J'écris la même lettre aux deux autres « suspects ». Si vous voulez en parler, je vous invite à boire un verre chez moi.
PS : Je m'intéresse à ces faits comme à un jeu, et cela me permettra la rencontre avec d'autres résidents.
Louis
***
- Adressé à Maïlys :
« Bonjour ! (ça au moins ça ne mange pas de pain et c’est toujours bien de dire simplement « bonjour »).
Je suis Olivier, votre voisin du deuxième étage, souvent absent mais néanmoins sensible à ce qui se passe dans l’immeuble depuis maintenant deux semaines.
Si je vous écris aujourd’hui c’est simplement parce que je vous sens à même d’avoir pu déposer ces messages dans nos boîtes aux lettres, et par là même d’avoir également orné le hall tristounet de notre « home » avec ce tableau mystérieux mais que je trouve empreint d’une grande sensibilité. Une fleuriste se doit d’aimer la nature et je vous imagine mettre dans vos compositions florales une part de fantaisie, de mystère et d’ingéniosité (cf. texte de Delacroix). Je n’arrive pas pourtant à deviner ce qui peut vous avoir poussée (s’il s’agit de vous) à ces actes surprenants au sein de notre copropriété. Un besoin d’éveiller la curiosité de chacun d’entre nous ? De réveiller notre attention en bousculant notre train-train au cours de la traversée du hall ? En tous cas je pense que cela va sûrement réunir quelques-uns d’entre nous avec les mêmes interrogations et suppositions. Doit-on s’attendre à une troisième « manifestation » ? Pour ma part je trouve ces évènements bien plaisants, même s’ils restent quelque peu mystérieux à mes yeux.
Il y a certes des « artistes » dans notre petite communauté, mais je ne penche pas pour que l’auteur de ces faits se trouve parmi eux. Je vais plutôt dans le sens d’un acte discret, portant sûrement un message que j’avoue ne pas encore capter.
Je compte sur votre réponse pour éclairer mes pensées. »
Olivier
***
- Adressée à Lucien :
LOUIS, locataire du 3è étage, pour Monsieur Lucien, la copie de la lettre que j’ai adressée à Monsieur Pierre et à Monsieur Joseph.
Monsieur Pierre
Suite à la citation que tous les résidents ont trouvée dans leur boîte aux lettres et le tableau qui agrémente joliment l'entrée de l'immeuble, je suppute que vous pouvez en être l'auteur. L'auteur du tableau, mais avec deux comparses car, comment une seule personne aurait pu l'accrocher incognito. Je pense que JOSEPH, travailleur dans le bâtiment doit être apte à poser une cheville et un piton en un temps record. Puis LUCIEN le concierge a guetté pour qu'aucune personne ne passe à ce moment-là.
J'écris la même lettre aux deux autres « suspects ». Si vous voulez en parler, je vous invite à boire un verre chez moi.
PS : Je m'intéresse à ces faits comme à un jeu, et cela me permettra la rencontre avec d'autres résidents.
Louis
***
Nice, le 21 janvier
Bonjour Monsieur Lucien,
J’ai bien réfléchi avant de vous adresser cette lettre. Ma première intention était plutôt d’engager la conversation de vive voix mais il reste difficile de vous croiser dans cet immeuble et, de plus, la chose écrite me semble présenter l’avantager d’être pus réfléchie, moins sujette aux approximations.
Je souhaite vous parler de cet énigmatique tableau qui orne notre hall d’entrée. J’ai mené mon enquête, j’ai bien observé les locataires cette semaine et je crois avoir démasqué le coupable. »
« Coupable ? Tu y vas un peu fort ma fille ! "L’auteur des faits", ça ira mieux. »
« …et je crois avoir démasqué l’auteur des faits. Voici mon raisonnement.
Le billet anonyme en boites à lettres contenant la citation énigmatique du peintre Delacroix, puis la présence de la toile abstraite dans le hall portent naturellement à soupçonner Stéphane, étudiant à la Villa Arson, ou encore Pierre, l’artiste peintre de la maison. Mais vous conviendrez avec moi que leur niveau culturel est bien inférieur à l’érudition de la citation (pour vous en convaincre, écoutez-les discuter de vodka…). De plus, Pierre est plus familier des peintures réalistes (c’est lui qui avait apposé cette affichette annonçant la rétrospective Peder Mork Monsted aux Ponchettes).
J’ai un moment soupçonné d’autres… »
« Eh ! Nath ; oublie un peu ton Maigret ! Il n’y a pas eu mort d’homme, ici ! »
« J’ai un moment envisagé d’autres locataires aux penchants artistiques comme Olivier ou Maïlys. Notre fleuriste du premier semble plus préoccupée par ses coiffures en bouquets de fleur aussi extravagantes que ceux qu’elle expose en vitrine, et la perplexité affichée par tous deux en franchissant le hall les écarte tout net.
Imaginez-vous ma voisine esthéticienne se livrant à ce jeu de devinettes ? Tout cela est d’un style bien trop abstrait pour cette écervelée obsédée uniquement par son image, ne trouvez-vous pas ?
J’ai rapidement écarté Charles, trop investi dans la protection des dernières forêts du littoral pour consacrer de l’énergie à la chose artistique. De même pour Louis : ce n’est tout de même pas un retraité de la PJ qui poserait à son tour des énigmes ! Quant à Marc, on a certes pu lui reprocher ce poster lors du mondial de football mais le foot et le bistrot semblent être ses uniques passions.
Concernant nos 2 artisans, Joseph et Jérôme, quand voudriez-vous qu’ils s’amusent à inventer des énigmes alors qu’ils assurent des journées de travail sans fin ponctuées de dimanches tout en somnolence ?
L’éventail des suspects se resserre ! »
« Non, Nathalie ! Arrête de te prendre pour Maigret ou Sherlok holmes ! »
« L’éventail des possibilités se réduit ! Restent maintenant Judith, vous et moi-même.
Judith, suggérez-vous ? En effet, un écrivain ferait bien l’affaire mais méfions-nous des apparences. J’ai provoqué l’occasion de la rencontrer dans son appartement ; je peux vous dire que sa décoration laisse autant à désirer que ses tenues guindées et hyper-classiques ! Et de plus, elle ne produit que des écrits historiques (si vous en avez l’occasion -et le temps surtout !-, interrogez-la pas sur la période médiévale dans les hautes vallées provençales…).
Quant à moi, mon cher Lucien, »
« Tout doux, ma fille ! Ne vas pas faire croire que tu le dragues ! »
« Quant à moi, Monsieur Lucien, je ne suis pas en train de vous rejouer l’épisode où le coupable fait mine de mener l’enquête ! Je peux vous jurer que je ne suis pour rien dans cette affaire ; je n’apprécie ni Delacroix ni la peinture contemporaine (même si cette toile m’a bousculé les sens lundi dernier) ; pour tout vous dire, mes activités infographiques ne visent qu’à la restauration de films et photos anciennes.
Si vous avez bien suivi mon raisonnement, il ne reste plus sur la liste qu’un occupant de l’immeuble : vous-même, Monsieur Lucien. Comme je l’écrivais précédemment, méfions-nous des évidences : le Lucien bougon, toujours absent de sa loge, cache un autre Lucien, délicat et cultivé, qui s’est aménagé un atelier secret dans le local technique de l’immeuble. Malgré toutes vos précautions, j’ai pu observer votre manège secret ; je donne maintenant un autre sens à votre éternel « Le concierge est dans l’escalier ». Alors voici ma proposition : collaborons, Monsieur Lucien, persévérons ensemble dans les énigmes artistiques car tout cela a déjà provoqué bien des échanges plus ou moins furtifs entre les locataires et j’ai bon espoir de pouvoir bientôt proposer une fête des voisins.
S’il vous plaît, réfléchissez à ma proposition et répondez-moi vite. »
« Pourquoi, "vite" ? Au contraire, laisse-lui le temps de réfléchir, ma grande ! »
« S’il vous plaît, prenez le temps de réfléchir à ma proposition et répondez-moi.
Je compte sur votre discrétion ; la mienne vous est acquise.
Dans l’espoir de notre prochaine collaboration… »
« Non ; plus direct. »
« Dans l’attente de vous rencontrer pour mettre au point notre prochaine collaboration,
Cordialement,
Nathalie, du 3°. »