Ce projet, prévu pour janvier et février 2018, consiste à écrire une nouvelle à partir d’une série de photos.
Dans l’esprit d’un logo-rallye qui aurait lieu sur plusieurs séances, l’histoire se poursuivra au fur et à mesure des ateliers avec la présentation, à chaque séance, d’une nouvelle photo qu'il faudra intégrer au texte en cours.
En marge de la série "Écrire sur des photos" et pour mettre en pratique l'atelier du jour : SUJET D'ÉCRITURE : Imaginez un dialogue dans lequel un personnage, ou vous-même, raconte l'aventure (...
Suite à l'atelier " PAROLE RAPPORTÉE" :
Ce matin-là, dérogeant un peu à mes habitudes, vers 10H du matin, je me trouvais dans l'ascenseur
non pour aller au Famiprix comme d'habitude mais au Monoprix de la rue Jean Médecin
pour profiter des soldes ; celui-ci s'arrêta au 5ème étage.
Un homme de 40 ans à la calvitie naissante monta.
– Il n'est pas encore au travail celui-ci ? ne puis-je m'empêcher de penser.
Lui :
– Elle passe sa vie dans l'ascenseur celle-là...
Au 3ème, une femme brune, à peine la trentaine, un peu replète, entra :
– Quoi ! la vieille est encore là !
– Celle du 20° ne pourrait -elle pas descendre trois étages à pied ?
Ça lui ferait du bien, elle qui est assise à une caisse du Famiprix toute la journée.
Celui du 5° se promit d' aller acheter des shamallows qu'il irait offrir à cette belle.
C'est un plan de drague comme un autre non ? Et elle lui plaît vraiment cette jeune femme...
Ils en étaient tous là de leurs pensées quand l'ascenseur tomba en panne.
L'homme appuya sur l'alarme puis ils attendirent.
Celle du 20° se dit qu'elle avait autre chose à faire.
Celui du 5° pensa que le ciel était avec lui, il fallait qu'il en profite.
Celle du 3° se demanda ce qu'elle allait dire à son chef pour justifier son retard.
Décontenancés, ne sachant comment se comporter ils regardaient le bout de leurs chaussures.
Soudain celle du 20° sentit le besoin de s'asseoir ; ils l'aidèrent, celui du 5° lui fit boire
quelques gouttes d'alcool de la flasque qu'il avait toujours sur lui ;
celle du 3ème mit sa veste sur ses épaules.
Puis, les secours arrivèrent. Ils se séparèrent sans un signe, sans un mot.
On n’a vraiment rien à se dire quand on habite dans une cité.....
Delphine pensait à l'évolution de sa vie, le tournant de son existence de rêveuse compulsive.
Ma puce tu es encore partie dans tes songes !
Que lui répondre oui c'est vrai, je me disais que cet état de fait était bon pour écrire, projeter sur papier
toutes mes rêveries, mes émotions. Mes amies me sortent de ma torpeur, que me dit Elise?
– Je suis là, tu m'entends, me hurle cette dernière en me prenant dans ses bras, me secouant vivement.
– Son amie est extraordinaire, affirme Paul à quelques relations, belle, intelligente en plus de la peinture
(elle vend pas mal ..), elle se lance dans l'écriture.
A vrai dire, se dit Jérémy, pourquoi lui reprocher son manque d'attention ? Delphine fixe ses pensées sur des sujets qui ont leurs importance , on ne les connaît pas forcément et cela nous dépasse parfois.
– Te souviens tu lorsque nous sommes allés au bord du lac, des événements nouveaux, un décor particulièrement calme, là tu étais transformée, plus de pensées irréelles.
C'est vrai, se remémore Delphine, mon amoureux a raison, j'ai peut être besoin de changement de temps en temps.
– Qu'avez vous fait à Vevey l'autre jour, s'informe Paul ?
– Justement j'y songeais, se dit Jérémy.
– Très bien on a pu recueillir des échantillons pour le labo, le temps était superbe.
– Mais en fin de journée on a du traverser la tempête, les éléments se sont déchaînés, c'était l'enfer, ajoute la jeune femme.
Elle exagère, pense en souriant le jeune homme.
– Oui le paysage a été différent, mais on peut retenir une palette de couleurs de l'ocre du soleil couchant au sombre de la nuit qui tombe, rendue agressive par les éclairs de l'orage.
En respectant les critères définis d’évaluation de la nouvelle, analyse du texte :
LES OISEAUX NE VOLERONT PLUS -
auteur anonyme
Écriture :
Réécrire les phrases suivantes en remplaçant les clichés par une métaphore originale ou en reformulant autrement, le but étant de supprimer les clichés tout en gardant le sens de la phrase.
Mais est-ce que je dois pour cela oublier jusqu’à mon identité, moi le féru de poésie qui n’apprécie rien tant que la magie du rythme des mots qui s’entrechoquent et forment une mélodie d’alexandrins.
Mon père m’avait inscrit, il voulait que je rentre dans le rang, celui des hommes, les vrais, ceux qui jouent au football…j’ai dû mettre un voile pudique sur mes aspirations littéraires et renoncer en apparence au moins à cette passion indigne.
Mais voilà, ça ne me suffit plus, voilà six mois maintenant que jeronge mon frein, je veux… être publié.
A la maison, mes parents ont bien conscience de mon malaise, je ne suis pas dans mon assiette, je ne parle presque plus, mon père met ça sur le compte d’une saison éprouvante.
Je descends les escaliers qui mènent de ma chambre au salon familial, mon vieux père est là, planté à deux mètres de moi, le visage couleur pourpre, le sang afflux sur ses tempes qui semblent battre la chamade, il tient une lettre ouverte au bout de son bras.
***
Quelques essais de réécriture :
- Mais dois-je, pour cela, oublier mon amour de la poésie ?
- Pour mon père, un homme, un vrai, joue au football. J'ai du renoncer à mes aspirations littéraires... momentanément du moins.
- J'ai résisté pendant six mois mais aujourd'hui, le désir d'écriture me tourmente trop. Je veux être publié.
- A la maison, mes parents remarquent mon mal-être ; mon humeur oscille, je ne parle presque plus. Mon père évoque la saison éprouvante pour expliquer mon état.
- Je descends au salon. Mon père m'attend, le visage congestionné. Dans sa main tremble une lettre ouverte.
Imaginez un dialogue dans lequel un personnage, ou vous-même, raconte l'aventure (ou juste un détail de celle-ci) du personnage principal de votre "roman-photo", en rapportant ses propos comme dans le passage de Poulets grillés ci-dessous.
Vous pouvez aussi inventez un dialogue sur un autre sujet, la consigne étant d'utiliser le discours direct et indirect.
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Cliquer sur le texte ci-dessous pour l'agrandir.
Poulets grillés - Sophie Hénaff
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LES TEXTES :
A retrouver aussi en épilogue aux nouvelles concernées... voir la catégorie "Écrire sur des photos", à droite de la page.
Les piqûres s'accentuent dans le dos de Maëlle. Sans doute la séance de sophro n'a-t-elle pas évacué le stress accumulé. Elle se redresse, pratique un léger auto massage, rassemble ses pensées, embuées par le journal sous ses yeux. Le miroir lui renvoie l'image d'une jolie femme au visage marqué. Elle s'insurge. Comment oses-tu me dévisager ? Est-ce que tu peux me donner une bonne raison pour ne pas te quitter ? Te crois-tu si important ? Le miroir reste coi. Sans doute une hésitation légitime, l'impression qu'il vaudrait mieux respecter le silence... Tout de même elle y allait fort...Il ne resterait pas si longtemps sans rien dire. Et d'ailleurs, il allait commencer par brouiller son image, ce joli minois qu'il en avait marre de refléter.. Yann avait promis de rentrer pour le dîner. Le dîner ? les pieds sous la table comme d'habitude ? La lassitude revient lui lécher les paupières. Un trop-plein sans doute. Son regard se détourne, scrute la porte, en attente du fracas à venir. Yann, toujours présomptueux, parfois si désinvolte. Une infime variation. Ses lèvres se plissent. Il fallait lui parler, énoncer sincèrement les griefs, imaginer enfin le bout du tunnel. Fermant les yeux, elle se promet d'être ferme. Elle le voit comme dans un rêve. Effronté, bien sûr. Trop grillé, ce poulet... et pas assez relevé...Tu as besoin d'un cours de cuisine ? je peux appeler ma mère... Sa mère.. une grimace et lui déforme les traits.
Une vieille femme esseulée, au bord du gouffre, toujours penchée sur ses marmites, et trop aigrie pour penser partager ses recettes. Et pourtant, la seule, qui sait, à pouvoir les rapprocher. La clé tourne dans la serrure. elle sursaute. Yann s'avance dans la pièce sans même lever les yeux. Silhouette pesante, démarche assurée. Il pose son trousseau sur le buffet, redresse les épaules, veut affronter l'orage. Comment vas-tu mon amour ? j'ai réservé une place chez Olive et Artichaut, tu sais, ce nouveau resto à côté des sushis... ça te va ? Leurs yeux se croisent. La magie de l'instant. Il se dit qu'il a bien joué. Elle pense... une trêve. Demain serait un autre jour.
Accoudé à la balustrade de sa terrasse, Bertrand suit du regard les lumières de la ville qui s’allument. Le jour baisse.
Les jardins publics apparaissent comme des tâches sombres dans le paysage. Seuls, les grands arbres se détachent.
Les massifs fleuris sombrent dans une teinte indéfinie qui tire nettement vers le noir.
Le brouhaha des grands axes monte jusqu’à lui. Toujours ainsi la veille de week-end. Contraste avec le calme de la ruelle en contrebas de sa maison.
Isabelle tardait. C’était bien le personnage qu’il imaginait…sachant se faire désirer.
Retard voulu ou retard provoqué par un contretemps ? De toute façon elle saurait si bien l’expliquer !
Il entendait encore son silence au téléphone : allô ! Tu m’entends ? …Oui, oui !
Lorsqu’il lui avait diffusé cette information qui l’avait surprise.
Son regard fut attiré par le vol bruyant des grands oiseaux blancs qui survolent toute cette agitation. Direction connue : l’embouchure du fleuve au-delà du stade, leur petit paradis pour la nuit. Une vision qui porte à la rêverie…
Un paquebot s’éloigne lentement du port.
Le beuglement des sirènes s’envole, survole la basse ville, grimpe jusqu’aux palmiers de son jardin et fige son attention. Comme un point final à ses méditations.
Il décide de rentrer. Vérifier si tout est prêt. La table impeccablement dressée avec nappe blanche, assiettes de couleur et doubles verres met en appétit. Il contrôle la cuisson du poisson. Une délicate odeur s’échappe du four entrouvert.
Il attendra l’arrivée de son invitée pour ouvrir cette bouteille de grand cru…
Il vérifie l’imprimé qu’il doit lui remettre. La photo d’un tableau dont elle lui parlait souvent ayant appartenu à son grand-père, peintre de talent, et dont ils avaient perdu la trace depuis longtemps. Il sourit intérieurement. Une petite victoire.
Un souffle franchit la fenêtre, entraînant avec lui une bouffée de rumeurs de l’agitation en contrebas. Les voilages se balancèrent mollement.
Bertrand retourne sur la terrasse. La nuit avait prit possession de toute la ville. Les lampadaires publics dessinaient les grands axes. La circulation toujours intense dénotait la fièvre des citadins pressés de rejoindre leurs résidences secondaires dans l’arrière pays.
Les hublots éclairés des paquebots sagement à quai se reflètent dans les eaux calmes et incitent à une croisière.
La ruelle en contrebas toujours aussi silencieuse.
Bertrand allume une cigarette. Un déplacement d’air plus frais lui fait prendre conscience que l’automne s’installe dans l’été.
Le carillon d’entrée retentit avec autorité. Il éteint précipitamment son mégot et se dirige vers la porte d’entrée…
LA LOUPE
Le repas se termine. Isabelle émerge du brouillard lentement installé par cette photo du tableau. Ses souvenirs s’entrechoquent. Bertrand sent que quelque chose se passe.
-Vous n’avez goûté mon repas que du bout des lèvres ! J’aurais loupé la cuisson ?
-Comment ?... Non, non pas du tout, c’était parfait… Excusez-moi, je suis toute à mes souvenirs !
La photo du tableau sur la table l’obsédait.
-Vous savez, je n’étais qu’une petite fille … J’ai toujours vu ce tableau dans le salon de grand-père… Enfin, je pense que c’est cette toile… Le style, l’harmonie générale… Puis après un silence :
-Je me rappelle ce massif de myosotis en bas à droite, mais le fait que cette gouache ne soit pas signée m’interpelle ! Grand-père signait toujours ses œuvres. A tel point qu’il provoquait une petite fête avec enfants, petits-enfants, amis…
J’ai terminé, nous disait-il. Nous allons nous réunir et je signerais mon travail !
Nous, gamins, on était tout excités. Ma mère préparait des pâtisseries. Je m’en rappelle encore le goût !
Quelle torture pour attendre l’autorisation d’y toucher !
La signature se terminait dans un brouhaha général et grand-père acceptait enfin qu’on lui en offre…
Vous voyez, l’absence de signature c’a m’interpelle vraiment !
Bertrand scrutait la photo, essayait d’y découvrir un signe.
-Isabelle, regardez bien, en bas, au milieu. Il me semble que l’on aperçoit quelque-chose. Illisible, certes… Vous ne trouvez pas ?
-Mais la signature d’un tableau, c’est à droite ou à gauche, pas au milieu !
Bertrand se leva et revint avec une grosse loupe. En balayant l’endroit supposé, deux signes, deux griffures plutôt ressortirent agrandies. Un début de preuve ? Une comme un lacet de chaussure, un « l » peut être ? Un peu plus loin, un trait vertical.
-Il s’appelait comment votre grand-père,
-Célestin !
Bertrand tendit une feuille à Isabelle :
-Essayez d’écrire Célestin, vous verrez que l’espace entre le « l » et le « t » est très réduit.
Isabelle après avoir suivi le conseil de Bertrand présente sa feuille sur la photo.
-Oui… ça se pourrait !
-Le plus simple serait de comparer avec d’autres toiles de votre grand-père. Le style, la façon de rendre un personnage, un arbre, des fleurs. On y trouverait certainement quelque-chose !
Vous savez… je vais tout vous dire finalement… la personne qui m’a communiqué cette photo a découvert une série de peintures de talents inconnus, c’était le nom de l’exposition, à la mairie de sa ville. Attendez…
Bertrand se leva et revint avec d’autres photos de tableaux prises lors de la même séance. Isabelle réagit aussitôt.
-Ah ! Celle-là je la reconnais. Elle trônait dans son atelier. Il n’a jamais voulu la vendre !
A droite, en bas, un massif de myosotis identique au premier tableau, en contrebas, en plein milieu de la toile un Célestin clairement dessiné apparaissait.
Isabelle porta sa main à la bouche…
LE COUP DE FIL
-Mais qu’est-ce que vous êtes en train de me raconter ?
Bertrand au téléphone essaie de convaincre son interlocuteur. Il souhaite connaître le nom du propriétaire de ce tableau retrouvé.
Isabelle l’a convaincu. Il faut absolument que je rencontre cette personne. Elle peut en posséder d’autres.
Grand-père était très productif vous savez !
« Productif, productif, elle en a de bonnes ! Mais quelle idée j’ai eue de m’occuper de cette toile ! Maintenant c’est à moi de débrouiller tous ces fils !
Remarque, avec l’autre original au bout du fil, ça ne va pas être triste ! »
Allô… Allô ! L’écouteur grésille, Bertrand soulève le combiné.
Oui ! J’ai bien compris, monsieur le secrétaire, ces toiles sont la propriété de l’évêché et vous vous en servez pour décorer la crèche de la cathédrale à Noël...
Isabelle essayait de suivre la conversation, une coupe à la main.
Bertrand tourne la tête, croise ce regard qui le fixe. Lui, cherche une réponse. Le visage imperturbable rencontré semble dire :
-Mais débrouillez-vous mon vieux ! C’est vous qui le connaissez !
Bertrand reprend la direction des opérations :
-Très bien, très bien, peut-on négocier avec Monseigneur ?
-Vous n’y pensez pas ! En dehors des périodes de fêtes, ces toiles ornent la chapelle de l’evêché et c’est auprès d’elles qu’il trouve l’inspiration lors de ses nuits sans sommeil. Alors vous vous rendez compte !
Une toile enlevée, un prêche de raté !
Vous imaginez les conséquences ! Incalculables mon vieux, incalculables !
Bertrand ne voie pas d’issue à cette nasse. Il pose la main sur le haut parleur de son combiné pour étouffer sa voix et s’adresse à Isabelle :
-Il dit que c’est incalculable !
-Comment ça incalculable ? Et ma douleur à moi d’avoir perdu la trace de ces toiles qui sont toute mon enfance, lui avez-vous dit cela ?
Bertrand ne sait plus quoi répondre. Isabelle continue :
-Si c’est incalculable pour ce monsieur, je devrais dire quoi moi ? Invraisemblable, inimaginable… Passez-moi l’appareil !
Trop heureux d’entrevoir une éventuelle sortie à cette impasse, Bertrand lui remet le combiné.
-C’est honteux monsieur, honteux et je pèse mes mots. On ne calcule pas avec l’émotion, on compatit, on participe au mieux on se tait, je ne sais pas moi, on fait tout sauf calculer, bien le bonsoir monsieur. Sur ce elle raccroche…
Bertrand interloqué, observe Isabelle qui de colère a brisé la coupe et s’est légèrement blessée.
-Mais vous saignez ! Laissez-moi faire…
La tension retombe subitement.
Isabelle se laisse soigner, penaude. Cherche dans les yeux de Bertrand un réconfort après cet éclat déplacé, pense qu’elle n’aurait pas dû…
Tout se bouscule dans sa tête…
« Peut-on maîtriser la passion après une telle joie d’avoir revécu son enfance ?
Elle s’y voyait dans l’atelier de Grand-père. Lui concentré sur ses pinceaux, ses couleurs, elle petite fille les mains derrière le dos. Emerveillée de découvrir un paysage s’installer comme par magie.
S’approcher silencieuse, déroulant ses pas comme un chat, sans aucun bruit.
Lui, sans se retourner, sentait sa présence dans son dos. Il continuait de titiller sa palette, mélangeait les couleurs puis au moment où elle s’y attendait le moins, un froissement d’étoffe ? Une odeur ? Cette eau de Cologne dont sa mère la frictionnait sans cesse ? :
-Alors Bouclette, qu’est-ce que tu me racontes ?
Tiens, c’est vrai ça, il m’appelait Bouclette quand j’étais petite ! Je l’avais oublié ! Et elle toute admirative :
-C’est beau ce que tu peins grand-père, on dirait que c’est du Vrai ! »
Sur la table, la toile aux myosotis est si loin de cette agitation. Bertrand se hasarde :
-Je pense qu’il s’agit d’un grand malentendu !
Isabelle le regarde, incrédule, essaie de comprendre, prépare sa réponse.
Sur le guéridon, la sonnerie du téléphone retentit avec insistance…
L’ENTREVUE
Isabelle déambule dans les rues de la ville. Les jambes en coton, ses souvenirs s’entrechoquent.
Elle écoute sa mémoire lui parler mais a le sentiment que quelque chose de faussé ne franchit pas le labyrinthe à remonter le temps.
Bertrand la soutient par un bras, ne parle pas.
Ils débouchent sur la grande place avec sa fontaine jaillissante.
Une farandole d’oiseaux moqueurs s’en échappe dans une explosion de piaillements.
Un instant distraite, elle lève son regard puis replonge dans sa bibliothèque intérieure. Feuillette les ouvrages les uns après les autres et ne trouve pas l’exemplaire recherché.
L’entrevue avec le prélat vient de se terminer. Elle s’est pourtant très bien passée.
Ayant appris le lien de parenté avec le peintre, Monseigneur les a reçu chaleureusement. Les phrases de l’entrevue tournent sans cesse dans sa tête. Elle n’arrive pas à s’en détacher. Quelle agitation intérieure !
La voix de son interlocuteur l’interpelle à nouveau :
-Bien évidement, vous pourrez passer les contempler autant de fois que vous voudrez. Nos portes vous seront toujours ouvertes !
Pour autant, je souhaiterai vous préciser la façon dont cela s’est passé.
Peut-être l’ignorez-vous ?
Le souvenir de l’encaustique de la grande salle, le parquet qui craque se mélange aux paroles et se sont installés en souvenir durable…
-Votre grand-père nous a remis deux tableaux aux myosotis. C’est ainsi que nous les appelons, voyez-vous. Deux ex-voto en quelque sorte !
Le premier lors de son retour de la guerre pour avoir échappé à l’enfer de Verdun !
Le second pour remercier le ciel de cette guérison miraculeuse d’une petite fille de sa famille qui avait déjà perdu connaissance sous une forte fièvre… La méningite m’avait-il dit…Unecertaine « Bouclette »,
Vous la connaissez probablement ?
Isabelle recherche les propos de sa maman quand à sa petite enfance. Rien qui puisse s’y rapprocher. Cet épisode si douloureux avait été rayé. On avait décidé qu’on n’en parlerait plus jamais…
Brusquement elle s’arrête. Quelque chose l’interpelle.
Une bienveillance, un calme semble l’envahir, elle ne comprend pas très bien…
Face à eux le jardin public, ses grands arbres, ses balançoires, son plan d’eau.
Plus près, une prairie recouverte d’un tapis de fleurs bleues illumine le paysage, oscillant sous l’haleine de la brise du printemps.
– J’ai raccompagné le propriétaire de la cabane, répondit-elle.
– Ah ! Il est venu… Qu’a-t-il dit ?
– Il semblait perdu…
La jeune fille réfléchit un instant.
– Il m’a demandé ce qui se passait. Je lui ai expliqué notre idéologie. Il a paru surpris. « Adorer un lapin ? » qu’il a dit en secouant la tête... C’est sûr que ce n’est pas facile à piger… Mais bon, il a été plutôt sympa. Ce qui l’inquiétait, c’était sa cabane. Il m’a demandé plusieurs fois ce qu’on en avait fait. Alors je l’ai accompagné au bord du lac. Quand il l’a vue, il s’est écrié : « Comment vous avez fait ? »… Faut dire que le spectacle était saisissant au clair de lune ! Je lui ai répondu qu’on avait gardé l’âme de la maison tout en y rajoutant un peu de la nôtre. Ça a eu l’air de lui convenir, alors je suis partie.
– Tu as bien fait, ma fille. Il est temps pour nous de rentrer, le jour se lève déjà…
Hervé se lève aussi. Devant sa fenêtre, le lac scintille en rose, effleuré par un rayon de soleil. Aujourd’hui, pour le premier jour de sa nouvelle vie, il s’autorise à à penser au passé, à Christine, son épouse… Dix ans qu’il n’a plus de nouvelles, qu’il n’a pas cherché à en avoir… Il entend encore sa prière… « Ne t’en va pas, c’est trop dur toute seule... »… Aucun reproche, aucune haine malgré sa responsabilité dans la disparition de leur enfant… Et lui, perdu, avait murmuré : « C’est trop dur avec toi... », incapable de la regarder. Il était parti pour fuir sa culpabilité, son chagrin, sa petite princesse morte…
Il secoua la tête, se servit un café bien noir, saisit son téléphone :
Elle ressent comme une douce piqûre au niveau des épaules. Un léger frémissement qui ondule, l’inonde en partie. Joie et douleur, un cocktail explosif, sa quête permanente. Comme un flash dans les circuits. Le tapis se déroule sous ses pieds nus. Elle s'allonge et se détend, déplie ses doigts comme pour mieux s'ancrer dans le sol. Le son aérien d'un bol tibétain légèrement effleuré. Une journée trop lourde pour garder les yeux ouverts.
Le bol s'envole, s'affole, les notes sont en elle, au-dessus, se mêlent, s’emmêlent. Elle est...un orteil, malicieux, qui la conduit vers le genou, puis remonte le courant vers la cuisse, les hanches.. Ces hanches qui balancent au rythme de la vie, ces mains qui les entourent, et cet œil rieur... Le bol a fini de chanter, écourtant le voyage. Elle se sent apaisée, épuisée. Mais comment oublier. Ce matin, les obsèques. Comme une éternité. La chaleur du Temple où s'encombre la foule. Tant de gens les yeux lourds...Voir encore son sourire et ses mains en offrande. Une offrande.. le pasteur et sa voix grave, les mots simples et justes, l'hommage vibrant de sa fille, la voix de Barbara, le choral de Bach. Les jeunes blacks, cheveux tatoués, portent son corps en silence.. Un soubresaut.. Flo lui passe la main sur l'épaule, accompagne son éveil, pose le bol, allume l'encens.
Face à face ou dos à dos ?
Les yeux froids, elle balance son corps sur sa musique intérieure.
La musique intérieure.. Celle du moment est agitée, elle le sent. Ce face-à-face lui fait froid dans le dos. Ses mains un peu crispées balancent sous le menton, se joignent en prière, se détachent à nouveau, enclines à l'autonomie, dessinent dans l'espace des sursauts saccadés.
Le mur vacille.. Une journée survitaminée. Sa peau est moite, le corps entier appelle à la rescousse. Elle doit avant tout s'isoler. Vider les images à la poubelle, ou plutôt mettre en avant celles qui chantent, qui sont rouges, bleues, ocres, celles qui se mirent, se pavanent sans vergogne. Difficile. Un bureau qui s'impose, froid, cloné à l'infini dans le couloir sans perspective. La perspective. Elle pense au dessin, celui au graphite, au pastel, celui qu'elle aime rehausser à l'aquarelle, des petites touches vives, un contraste nuancé.. et sa manie de trop remplir, comme une peur du vide.. Le vide. Ce visage impavide qui la nargue et s'impose. Un visage pâle, si pâle. Sourcils bruns sous des cheveux paradoxaux.
Elle est face à lui. Éreintée, échevelée, comme en fin d'une longue course. Un voyage tout au fond de son corps. Les yeux fixes, elle semble à peine le voir. Lui, déjà au téléphone, bonnet gris sur cheveux ras, T-shirt échancré laissant paraître une peau mate luisante, comme enduite d'une huile protectrice.
La flamme vacillante joue avec l'ombre, les deux visages se joignent et se repoussent, combat futile et silencieux. Vaincu ou trop las, il préfère trouver refuge en fixant l'écran de son portable.
C'est plus facile.. Bien sûr. Des mots simples tapotés, des phrases courtes, aucune émotion manifeste. Et peut-être, s'il est d'humeur badine, une photo joviale. Mais pas de face à face. Le vrai, celui qui exprime, parfois sans le verbe.. une gageure.
L’expression change. Surpris, consterné peut-être.. Il la dévisage à son tour..
Toujours ce regard distant.. une protection contre les larmes. Elle me méprise, c'est sûr. Il faut dire que je ne lui facilite pas la vie. Elle doit soupçonner quelque chose. Si elle savait.. mais comment lui dire ?
Elle sourit... semble lâcher prise. Peut-être.. plus tard.. Elle visualise le dessin qu'elle vient d'achever, au fusain, ocre et brun, inspiré d'un modèle de sa bibliothèque, une gravure de Gustave Doré. Et la musique des Doors.. Jim Morrison, son favori... L’ange rebelle. Il semble décontenancé. Ce sourire.. Et si..? Ils se voient enfin. Un fil ténu, des ondes qui se rétablissent.
Les images scintillent dans sa tête. Peut-être cet alcool synthétique dont on lui a dit grand bien. Et dont elle ne connaît pas tous les ingrédients.. Le monde vacille.. peut-être une bonne chose.. Lâcher prise.
Comme le chantaient Jim et ses acolytes. La musique psychédélique enflamme ses sens. Alanguie sur le moelleux sofa, les images se brouillent, se noient dans une brume parfumée, l'encens, les lucioles, de petites fenêtres entrouvertes sur l'intime.. Les notes se joignent et se dissolvent, le safran lui brûle les narines, ses yeux clignotent, phares d'une traversée chaotique, le sol se redresse devant elle, impasse ou protection, elle est prise dans une matrice capricieuse, architecture subtile d'un esprit cartésien aux abois. Inception. Elle se souvient, paupières closes, combien ce film lui a fait percevoir, peut-être, les limites à franchir.
Les cases à lapins clonées à l'infini.. Hong Kong et ses cité-dortoirs.. Un goût amer dans la bouche. Le vol d'une colombe.. Échappée d'un asile. Tous fous. A lier, ensemble. Sa bouche est sèche, trop sèche. Et ses entrailles semblent entamer une sourde mélopée au rythme percussif, comme une vie intérieure autonome et sensible, un signe malicieux qui l'emmène en exil.
Ce cygne noir sur le Bosphore, jadis. La flamme de la chandelle grésille en brûlant la cire, joue des ombres fugitives sur le mur face à elle, forme des visages aléatoires.. les traits s'estompent, se transforment, semblent écrire des repères surprenants. Et puis les fragrances essentielles, son ami chinois qui lui offre régulièrement des extraits de parfum, Hermès, Monaco, tout se brouille, elle sourit, humecte ses lèvres sèches, un appel au désir.. se détendre enfin.
Redevenir jeune fille aux cheveux filasses , courir dans les champs de lavande, rouler sous la pergola, entrer en silence dans la pénombre d'une cuisine étouffante où mijotent tendrement les poivrons et les aubergines, soulever le couvercle, les papilles frémissantes.. Son regard navigue à vue, oscille, palpite, la cire se consume, une agonie nostalgique et bienheureuse. Un soupçon d'échalote. La vibration d'un moustique qui la nargue. Le sourire s'accentue. Elle demandera à Jim la teneur de son cocktail. Une détente haute en couleur. Un meuble cadenassé dont on aurait brisé les chaînes, ou du moins gratté l'encaustique. Pour obtenir une dentelle chamarrée.
Les piqûres s'accentuent dans le dos de Maëlle. Sans doute la séance de sophro n'a-t-elle pas évacué le stress accumulé. Elle se redresse, pratique un léger auto massage, rassemble ses pensées, embuées par le journal sous ses yeux. Le miroir lui renvoie l'image d'une jolie femme au visage marqué. Elle s'insurge. Comment oses-tu me dévisager ? Est-ce que tu peux me donner une bonne raison pour ne pas te quitter ? Te crois-tu si important ? Le miroir reste coi. Sans doute une hésitation légitime, l'impression qu'il vaudrait mieux respecter le silence... Tout de même elle y allait fort...Il ne resterait pas si longtemps sans rien dire. Et d'ailleurs, il allait commencer par brouiller son image, ce joli minois qu'il en avait marre de refléter.. Yann avait promis de rentrer pour le dîner. Le dîner ? les pieds sous la table comme d'habitude ? La lassitude revient lui lécher les paupières. Un trop-plein sans doute. Son regard se détourne, scrute la porte, en attente du fracas à venir. Yann, toujours présomptueux, parfois si désinvolte. Une infime variation. Ses lèvres se plissent. Il fallait lui parler, énoncer sincèrement les griefs, imaginer enfin le bout du tunnel. Fermant les yeux, elle se promet d'être ferme. Elle le voit comme dans un rêve. Effronté, bien sûr. Trop grillé, ce poulet... et pas assez relevé...Tu as besoin d'un cours de cuisine ? je peux appeler ma mère... Sa mère.. une grimace et lui déforme les traits.
Une vieille femme esseulée, au bord du gouffre, toujours penchée sur ses marmites, et trop aigrie pour penser partager ses recettes. Et pourtant, la seule, qui sait, à pouvoir les rapprocher. La clé tourne dans la serrure. elle sursaute. Yann s'avance dans la pièce sans même lever les yeux. Silhouette pesante, démarche assurée. Il pose son trousseau sur le buffet, redresse les épaules, veut affronter l'orage. Comment vas-tu mon amour ? j'ai réservé une place chez Olive et Artichaut, tu sais, ce nouveau resto à côté des sushis... ça te va ? Leurs yeux se croisent. La magie de l'instant. Il se dit qu'il a bien joué. Elle pense... une trêve. Demain serait un autre jour.
Qui est-il ? Que fait-il ? A quoi pense-t-il ? Dites-moi, médite-t-il à son passé ? Passé dépassé, à oublier. Se résigner ou se complaire, le poursuivre ou se projeter ! La belle affaire, ce qui est fait est fait. Il va se reprendre et comprendre que le salut est dans le futur. Maintenant il réfléchit. Le miroir de ses mains lui renvoie ses idées, elles prennent formes, se placent, s'alignent dans son cerveau devenu cahier.
La lumière gagne sur la nuit qui s'évanouit. Il sort de son sommeil ragaillardi, il a faim, traverse un square, s'arrête devant une buvette. Un soleil matinal éclaire l'espace, sèche la rosée de la nuit déposée sur les pétales des fleurs. Son premier café noir très serré lui fait chaud au cœur, à l'estomac. Chaud à s'en brûler la langue. Cette douleur lui fait comprendre qu'il vit, que la vie peut être belle. Il mord dans son croissant avec enthousiasme, regarde enfin autour de lui au lieu de se concentrer sur son nombril...
Que voit-il ? Deux jeunes filles sérieuses se faisant face, murées dans leurs silences. Cette image le renvoie dans son passé, son hier. Il devine leurs peines, leurs lassitudes, leurs tourments, leurs désarrois devant l'incertitude de leurs après. Il s'avance vers elles, les salut poliment, leur offre une consommation, leur demande la permission de s'asseoir à leur table. Elles, interloquées, surprises de la gentillesse de cet inconnu restent coites .
Lui, profite de cet instant arrêté dans le temps pour s'avancer une chaise.
Je m'assoie discrètement à la table à coté. Ils ne me voient pas, je suis un ange policier. J'écoute et j'enquête.
LUI: Je suis heureux ce matin d'avoir le privilège de commencer cette journée en la compagnie de
deux jolies femmes.
FE 1 un peu pincée : Nous ne vous connaissons pas.
LUI : Qu'à cela ne tienne, je me nomme Gabriel.
FE 2 : Comme l'archange ?
LUI : Comment avez-vous deviné ?
FE 1 qui se déride : C'est une boutade !
LUI : Pas autant que vous le croyez, c'est celui d'en haut qui m'a fait connaître la lumière depuis
peu, je suis là pour vous la transmettre.
FE 2 : Si vous faites partie des témoins de Jéhovah, d'une chapelle ou d'une autre secte, passez votre
chemin.
LUI : Mais non, depuis hier seulement je suis heureux de vivre. J'étais triste, je broyais du noir
comme vous jusqu'à ce que je vous aborde. Regardez-vous, vous commencez à sourire.
Attendez. ( je me parle à moi même : Gabriel, Gabriel, tu as tout compris.) Je m'adresse à
nouveau aux deux inconnues : J' ai compris vos tracas, parlez-vous et tout s'arrangera.
FE1 : Ce n'est pas possible, vous ne pouvez pas savoir, personne ne sait.
LUI : A vos regards, vos attitudes j'ai compris que vous êtes lesbiennes, amoureuses l'une de l'autre
que vous ne savez pas vous l'avouer.
Les deux amies se sourient, s'étreignent, se roulent un patin et s'en vont, enlacées, vers leur destins.
Moi, ange policier, je suis discrètement ce drôle de Gabriel et je l'entends s'invectiver : Tu es toujours le même salaud, Satan, ces deux nanas n'étaient pas lesbiennes, tu les as converties.
Le Gabriel Satan se dirige vers la place Rossetti, ou en bonne place, est implantée la crèche.
GABRIEL : Salut Joseph, vas tu être père aujourd'hui ?
JOSEPH : Je crois bien que si, regarde, Marie a le ventre qui déborde de partout, le saloupiot
qui est à l'intérieur doit bien peser ses 12 livres.
GABRIEL : Elle est vachement intelligente la Marie, elle va accoucher cette nuit pour Noël,
c'est un signe
JOSEPH : Qu'est ce qu'un palmipède a à voir dans tout ça ?
GABRIEL un signe du doigt sur la tempe : je ne te comprends plus, nous nageons en plein
marasme.
JOSEPH : Arrête ton char Satan, je t'ai reconnu, ne viens pas semer la scoumoune dans ma
famille.
GABRIEL : Je ne comprends pas, Marie vierge et enceinte, toi, stérile, c'est un coup tordu
du Tout-Puissant ça, juste pour m'emmerder.
JOSEPH : Tire-toi, Satan, il est 23h 55, les sages mages vont venir l'accoucher.
GABRIEL : Tu perds la boule, elle est déjà couchée.
JOSEPH : Oui, mais il faut qu'elle s'allonge.
GABRIEL : Pourquoi s'allonger, elle n'a rien à dire, juste crier le nom du Père et du Saint-Esprit.
A ce moment un orage éclate ; expulsé, Jésus gît sur la paille fraîchement bordée.
BALTAZAR : Jésus, Marie, Joseph. ….. Joseph marie Marie, ainsi le petit aura de vrais parents.
Sur ce, les rois mages déposent leurs présents achetés d'hier, et l'offrent au futur roi de Judée. Ils ne s'attardent pas car l'étoile file comme une météore. Peur de se perdre, ils chamellent sur leurs dromadaires qui blatèrent sur des cons venus jusqu'ici, ou là.
Dans tout ça, que devient le narrateur ange policier ? Il erre au petit bonheur la chance. La chance surtout, dans la vue d'un drôle de couple. Lui, regarde ailleurs, la poitrine gonflée, le ventre surtout. Elle, entre deux âges, cheveux courts ; la lanière d'un sac en bandoulière souligne le galbe d'un sein, joli, ce qui ne gâte rien. Le visage paré d'un sourire serait agréable, mais non ! Cheveux courts, sourcils tombants, paupières tombantes, lèvres tombantes, cou très bien dessiné. Un rien l'embellirait. Quels rapports entre ces deux personnages ? Je dépose mon corps dans un fourré et je vais les humer, écouter leurs monologues.
LUI : Elle s'accroche, elle s'accroche.
ELLE : J'aspire a être seule, il est là dans sa bulle. Je n'en peux plus, je vais me casser, oui, partir.
LUI : N'a-t-elle pas encore compris que je ne la supporte plus, vais-je devoir la tuer ? Oh, Seigneur, donne-moi la solution.
Je vais récupérer mon corps, ces deux corniauds me fatiguent, ils monologuent alors qu'il y a des dialogues. Je les ai laissés mais ils m'obsèdent. Vont-ils se rabibocher ou en venir aux mains, jeux de vilains ? Vilains loups qui vont manger le petit Poucet. Atchoum dans un éternuement fait fuir le prédateur. Lequel de dépit va s'en prendre au chien de berger qui ne s'en laisse pas compter et n'en fait qu'un bouchée. Les moutons et les brebis sont à la fête, ils mangent la méchante bête. L'agneau, au bord de la rivière, prêt à céder à l'appétit d'un louveteau, d'un coup de pattes le jette à l'eau et rejoint la curie avant de rentrer dans la bergerie. Je m'égare, suspends mon soliloque et je me retrouve comme un gland déposé au hasard près d'un champ. Chants d'oiseaux, défilé d'étendards en rafales me coupent le sifflet brusquement, me sortant de mon ahurissement.
L'affaire et dans le lac
Je n'ai pas le temps de germer. Celui d'en haut, mon supérieur plus que hiérarchique me tire de ma latente béatitude en lançant un : debout, cinglant comme un coup de fouet... Une disparition inquiétante sur les approches du lac du Boucher, près de Cayres, m'est divulguée sous le sceau du secret, pour ne pas inquiéter la population, prête à croire les esprits malins, ou autres balivernes racontées à voix basses le soir au coin de la cheminée.
La pureté de l'air et de l'eau réunis dans un bleu transparent, vue à travers un miroir, ne se prête pas à une tragédie. Pourtant ! Dans le crépuscule de la veille, une ancienne grange restaurée en auberge fut entourée d'une brume rougeâtre dûe au soleil couchant. Cette brume s'épaissit comme une motte de beurre lorsque l'on baratte le lait. Un coup de tonnerre, de Brest, les plus énigmatiques, puis le silence s'abat tel un aigle sur sa proie, renforçant l'ampleur de l'explosion dans ce lieu d'autant plus tranquille que les mauvais génies, elfes, gnomes, lutins malins ont disparu en même temps que les feux de cheminées des soirs de veillées. Mon enquête s'avère ardue tout autant que difficile. Je cogite en parcourant le sentier le long de la berge. Le surnaturel a-t-il son mot à dire dans ce pays, ou la légende dit qu'un ovni (oiseau vert nuisible insoumis) se serait désintégré telle une ogive nucléaire, venue du fin fond d'un pays asiatique, cherchant des terres nouvelles pour y cultiver du riz. Insensé dans cette région ou la pomme de terre est reine. Le raisonnement d'un tam tam sous les mains d'un sénégalais n'est rien à coté du mien. Eurêka, disait un personnage célèbre en se plongeant dans une baignoire : je me mouille. Moi aussi, car j'ai une solution, est-ce la bonne ? Je vous laisse juge. J'hésite, je tergiverse, je vous vois baver comme des crapauds courant derrière des rainettes. Je me dirige vers l'endroit ou trônait l'auberge. Un énorme trou, rond parfait, d'un diamètre d'au moins deux cent mètres. D'une telle profondeur que l'on aperçoit avec difficulté dans le fond la bâtisse apparemment intacte. Un mini tremblement de terre ciblant uniquement cette ancienne grange, où, des mauvais esprits venaient célébrer des messes noires.
C 'est depuis cet événement que cette région s'appelle : le puits de dôme.