guerre 14-18

Publié le 18 Novembre 2019

Calée entre les coussins, bien au chaud sous ma couette, je m’apprête à regarder pour la énième fois mon film favori « Titanic ». Je n’oublie pas de prendre la boite de kleenex et accessoirement le pot de glace au caramel salé. Ah dernière chose ! je mets mon téléphone en mode silencieux, il ne s’agirait pas que quelqu’un vienne interrompre mon tête à tête avec Di Caprio.

J’éteins la lumière et les premières images apparaissent sur mon écran de télévision. Instantanément, je me laisse happer par l’histoire de ce beau jeune homme qui obtient par le jeu son billet pour monter dans ce majestueux bateau. Les décors, les costumes, les péripéties des deux protagonistes m’enchantent, je suis l’action, je suis avec eux quand soudain j’ai froid aux pieds, je suis gelée. Je veux me lever de mon canapé pour aller chercher un gilet mais je n’y arrive pas, mes pieds se prennent dans la couverture, je trébuche et me cogne la tête sur l’accoudoir.

Quelques secondes pour reprendre mes esprits, j’ouvre grand les yeux et découvre avec stupeur que je suis coincée dans un couloir au deuxième sous-sol du Titanic. Des gens affolés crient et courent dans tous les sens. Je n’ai pas le temps de me raisonner et d’analyser la situation que je suis prise dans le flot grouillant de la foule qui me pousse dans les escaliers pour tenter d’échapper à l’eau qui monte inexorablement. Arrivée en haut sur le pont je reprends mes esprits. J’ai réussi à m’échapper des entraves du bateau, mais là dehors dans ce froid glacial, je réalise que je suis pieds nus et que je ne porte sur moi qu’une combishort en coton. Je comprends que le bateau continue sa descente infernale vers le fond de l’océan car c’est bien la vingtième fois que je vois ce film et je connais pertinemment la fin de l’histoire…

Quitte à mourir sur le Titanic autant que ce soit avec Jack… Fébrile, je regarde autour de moi afin d’apercevoir sa silhouette juvénile mais de nouveau la foule me happe et me transporte à mon corps défendant. Je grelotte, mes pieds sont endoloris, la foule m’oppresse, je suffoque… Quand tout à coup je le vois, en haut des escaliers, il s’accroche à la rambarde alors que le bateau bascule de plus en plus. J’essaye moi aussi de m’accrocher à tout ce qui est à ma portée mais je glisse désespérément et j’essaye d’apercevoir une dernière fois Jack avant de me laisser aller dans l’eau glacée.

Ça y est j’y suis c’est la fin, je ferme les yeux… et lorsque je les rouvre je suis tranquillement avachie au fond de mon canapé. A la télévision en face de moi le film continue de se dérouler, Jack et Rose dérivent sur l’océan et moi, il me faut quelques minutes pour réaliser que je suis en vie. Heureuse, tellement heureuse. J’espère que la prochaine fois que je verrais ce film il se produira l’inverse : c’est Jack alias Léonardo Di Caprio qui sortira de l’écran pour venir se blottir dans mon canapé, contre moi…

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Rédigé par Leslie

Publié dans #Cinéma, #Guerre 14-18

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Publié le 5 Novembre 2016

Rédigé par Atelier Ecriture

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Publié le 4 Novembre 2016

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Publié le 4 Novembre 2016

LA MONTRE

Au fond d'un tiroir de la maison familiale, cachée sous une pile de lettres, j'ai retrouvé la montre gousset de mon grand-père. Je mets les aiguilles à l'heure, remonte le mécanisme. Le doux cliquetis des rouages en mouvement me propulse dans le passé. Des images oubliées, des odeurs, des voix surgissent du fond de ma mémoire. Le vieil homme digne et solitaire m'apparaît.

 

Assis dans la cuisine, les mains sur sa canne en bois, il fume le cigare, chique le mégot. La montre, accrochée à une chaînette d'or, se cache dans la poche de son gilet. Je me souviens de son visage taillé à coups de serpe sous le chapeau de feutre noir, de ses yeux bleus, si clairs qu'ils semblent transparents, de sa moustache blanche sous laquelle s'échappent des mots piémontais. Il parle de « sa guerre ». Il a combattu près de dix ans sous le drapeau italien, la Libye d'abord puis la Grande Guerre.

 

  • On était au pied du Monte-Nero, dans la vallée de l'Isonzo, l'ennemi tenait les hauteurs. Les chefs nous ont ordonné d'attaquer. Mission suicide... Un carnage ! Je voyais mes camarades tomber sous la mitraille ; la rage, la haine me vrillaient les tripes. J'aurais voulu les tuer tous, ces autres qui massacraient les miens. Puis, la peur. La prochaine balle serait pour moi, c'est sûr ! Ce jour-là, j'ai eu de la chance ; touché au bras, j'ai roulé jusqu'au bas de la colline. C'est comme ça que j'ai eu la vie sauve.

 

Brume légère dans son regard. Il baisse les yeux, tire la montre de sa poche. Sous la manche de la chemise, l'horrible béance laissée par la blessure creuse son bras crispé.

 

  • Ça fait mal, pépé ?

  • Non, ce n'est pas ça qui fait mal...

 

Il inhale une bouffée de son Toscano, range à nouveau la montre dans sa poche, nous regarde, nous, ses petits-enfants français. Lui a obtenu la naturalisation mais n'a jamais réussi à acquérir la langue. Il parle toujours en piémontais.

 

  • Un jour, à Caporetto, je bavardais avec des copains. Un moment un peu calme au milieu des batailles. Un camarade m'appelle, me demande de venir voir un ami qui a besoin de moi. Je n'avais pas fait dix mètres qu'un obus tombe sur le groupe de copains avec qui je parlais un instant plus tôt. Ils ont tous été tués. Moi, même pas blessé. J'aurais été parmi eux si on ne m'avait pas appelé à ce moment-là. Quelques minutes plus tard... je serais mort aussi...

 

Le chapeau noir projette une ombre sur son visage. Il se tait, s'éloigne vers les contrées secrètes de sa douleur.

 

 

La montre gousset, lisse et douce, épouse la paume de ma main ; la trotteuse galope sur le temps infini... Je la porte à mon oreille, j'écoute son cœur qui bat.

Mado C.

 

LA BAGUE

 

Je me souviens très bien du jour où j’ai changé de main. Comme j’étais jolie ce jour là, toute brillante. J’entourais le doigt délicat de Marguerite. Elle était fraîche et lumineuse Marguerite. Elle prenait souvent la main d’un jeune homme. Une main plus rugueuse, plus ferme. Et un beau jour, ils étaient là, tous les deux à se parler de promesses, d’avenir. C’est à ce moment que je sentis que je quittais ce petit nid douillet et je m’installais autour du petit doigt de ce gaillard.

Ah, j’en ai vu des choses et des horreurs. Cela me changeait des champs et des oiseaux. Des hommes en uniforme, des tranchées, de la boue. Mais toujours vaillamment, je restais là. Je dépérissais et me ternissait. Un beau jour, l’accident. Jules porta sa main à sa poitrine. J’étais pleine de sang. Des infirmiers nous ramassèrent, Jules ne respirait plus. Que faire pour prévenir Marguerite ? Jules, avant de mourir fit promettre à un camarade de lui écrire et de lui renvoyer la bague.

Le camarade fut appelé sur d’autres fronts, d’autres combats. Il avait bien promis à Jules de tout renvoyer, mais les choses ne sont pas si simples. Le camarade revint chez lui et la vie continua.

J’étais dans le grenier avec les affaires de la guerre. J’étais triste. Personne ne me tiendrait plus jamais la main. Qui allait me sortir de là ? Les années passaient. Un jour, je sentis une secousse. On m’extirpait de ma malle. Je voyais une tête me regarder et lire la lettre de Jules puis un juron. Ah non, j’peux pas, j’peux pas faire ça. Le camarade me mit dans sa poche et nous voici partis en voyage. Nous approchions du village de Marguerite. Je le savais, je le sentais. Le camarade se renseignait : où habite Marguerite ? Ah elle est mariée, trois enfants dites-vous ? Je ne peux pas faire ça alors.

Au claire de lune, le camarade m’enterra dans le jardin avec la lettre. Assez profond. Mais la lettre se décomposa tout doucement à côté de moi.

Quand une main me trouva un beau matin, il ne restait plus qu’un petit morceau de papier jauni avec les mots amour et Jules.

Brigitte S.

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Rédigé par Mado

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Publié le 4 Novembre 2016

 

RÊVE DE PAIX, RÊVE D'AMOUR


 

Cette nuit, j’ai rêvé que la guerre était finie. J’étais de retour chez moi. Ma mère pleurait. Elle n’arrêtait pas de m’embrasser. Mon père était content, même fier de moi. Pour lui, je suis un héros, alors que je n’ai fait que ce qu’il fallait faire. J’avais deux possibilités. Soit passer devant la cour martiale pour désertion ou désobéissance militaire, soit mourir de la main de l’ennemi. Et là, j’avais une petite chance qu’il me loupe. Je n’ai pas exposé ce raisonnement à mon père. Je ne voulais pas lui ôter ses illusions.

La plus contente, dans mon rêve, c’était toi, ma chérie. Tu ne disais rien, mais tu me faisais des petits sourires qui me donnaient chaud au cœur. J’avais hâte de me retrouver seul avec toi et je voyais bien que toi, tu avais la même envie. Mais mon père a appelé les voisins, il a ouvert une bouteille de champagne, une deuxième même. Il a dit qu’il les a gardées précieusement, justement pour cette occasion. Pas moyen de s’éclipser. Enfin, les voisins sont partis. Mes parents se sont couchés. Je t’ai pris dans mes bras et je me suis réveillé.

Voilà mon rêve. Les moments de trêve, les nuits où l'on est assez détendu pour pouvoir dormir tranquillement et faire des beaux rêves sont rares. La plupart du temps, soit il y a trop de bruit, soit on fait des cauchemars. Quoi qu’il en soit, je pense beaucoup à toi, surtout avant de m’endormir. Cette maudite guerre n’a pas encore réussi à m’enlever l’envie d’être près de toi, de te caresser, de sentir l’odeur de ta peau, de te tenir dans mes bras, de rire avec toi, bref, de passer de bons moments en ta compagnie.

Ma pause est terminée. Je dois te quitter, mon amour.

Je t’embrasse très très fort où tu sais.

Iliola K.

 

.....

 

LE RETOUR DU FRONT

 

 

Mon très cher époux, mon Jeannot bien-aimé,

 

Cette nuit j’ai rêvé que la guerre était finie et que tu revenais chez nous. Tu apparaissais à l’entrée de la maison, ta grande silhouette dressée dans l’encadrement de la porte. Tu avais une jambe de bois et la moitié de ton visage était couverte de cicatrices. Et tes yeux, tes yeux ! Ton regard était immense, à la fois absent et épouvanté. Je ne te reconnaissais pas, tu n’étais plus mon Jean, mon homme si fort, si vaillant. Notre petit Gustave, terrorisé, se cachait derrière moi en s’agrippant à ma jupe et criait : « Pas papa, pas papa ! ».

Soudain, je remarquais que derrière toi, il y avait d’autres hommes, massés en rangs serrés. Ils avaient tous le même regard que toi, les yeux grands ouverts sur le vide, sur l’horreur de cette guerre. Et tous étaient blessés : aux uns manquait un bras, aux autres une partie du visage était arrachée, certains s’appuyaient sur des béquilles, d’autres avaient un bandage autour de la tête. Je criais : « Partez, allez-vous en ! ». Mais ils ne bougeaient pas, masse compacte et butée, campée face à moi. C’est mon cri qui m’a réveillée. J’avais le visage inondé de larmes. Je me suis mise à prier. J’ai imploré le Seigneur qu’Il te ramène à la maison, que tu nous reviennes sain et sauf et que notre vie reprenne comme avant.

C’est que le travail ne manque pas à la ferme. Et pour moi seule, c’est bien dur. Firmin et Marinette sont venus pour la récolte. Ils étaient là aussi quand la Louison a vêlé. Mais sans toi, ici, ce n’est pas une vie. Beaucoup de femmes alentour sont seules et nous nous aidons entre voisins comme nous pouvons. Germaine a appris que son aîné était mort et n’a plus de nouvelles du cadet. Elle est l’ombre d’elle-même, murée dans son silence, petite silhouette frêle au pas hésitant au milieu des champs. J’ai parfois peur qu’elle perde la raison.

Voici les premières lueurs de l’aube. Une nouvelle journée commence avec son lot de travaux quotidiens et cette attente sans fin. Que vienne le jour de ton retour et se dissipent à jamais les cauchemars de ces sombres nuits !

 

Ton épouse qui t’attend, t’aime et t’embrasse tendrement.

 

Rose

 

Monique E.

 

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Rédigé par atelier

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Publié le 4 Novembre 2016

 

PRISE DE CONSCIENCE

 

Jeune infirmière dans sa blouse blanche, elle ne connaît de la guerre que ce que le journal en rapporte. Jusqu’au jour où elle est appelée pour servir à l’Hôtel Regina, transformé pour un temps en hôpital.

En arrivant, elle est saisie par les odeurs d’alcool et de teinture d’iode qui envahissent toutes les pièces de l’hôtel. Les blessés sont partout, la vue de toute cette jeunesse à qui il manque un bras, une jambe lui soulève le cœur. Il faut pourtant être opérationnelle, pas le temps de laisser parler les sentiments. En une seule journée, elle examine plus de trente blessés. À chacun elle apporte son soutien, change des pansements, aide un amputé des deux bras à manger son repas. Emmène sur la terrasse, un jeune chasseur gazé afin qu’il respire l’air vivifiant de la méditerranée. Une simple caresse pour sécher les larmes d’un officier devenu aveugle, rédiger une lettre d’amour d’un soldat à la gueule cassée. Une journée où elle vieillit prématurément devant l’horreur de l’inutile. Son métier d’infirmière se transforme en assistante du malheur. Savoir écouter, regarder en essayant d’expliquer du haut de sa jeunesse à des hommes perdus, que la vie demain sera belle.

Le soir en rentrant chez elle, elle se met à pleurer.

 

Bernard B.

..

MARRAINE DE GUERRE

 

J'ai vu l'annonce dans le journal : des soldats recherchent des marraines de guerre. J'ai eu tout de suite envie de postuler. Ma candidature acceptée, me voilà marraine de Félix, soldat sans famille qui se bat à Verdun.

Je ne sais pas grand-chose de lui ; ma première lettre est un peu impersonnelle, je l'avoue. Je lui raconte mon quotidien d'institutrice, les bêtises de mes élèves... J'essaie de lui apporter un peu de légèreté. Son quotidien à lui doit être si lourd...

J'ai glissé ma lettre dans un colis de friandises. J'espère qu'il appréciera. Depuis l'envoi du colis, j'attends. J'ai hâte d'avoir une réponse ! Les jours passent ; Fernand, le facteur, ne s'arrête jamais devant ma maison. Je désespère et surtout, je m'inquiète pour lui. Est-il toujours vivant ? A-t-il reçu ma lettre ?

Ce matin, enfin, Fernand s'immobilise devant ma boîte. Il n'a pas eu le temps d'y insérer le courrier que je suis devant lui, main tendue. Un missive froissée, maculée de boue y tombe. Mon cœur s'accélère. Je l'examine, la flaire, l'apprivoise avant de l'ouvrir.

Une écriture un peu hachée me salue - Chère Marraine...

La suite, je ne vous la lirai pas, elle m'appartient. Ce que je peux dire, c'est que Félix est très heureux d'avoir reçu mes friandises et encore plus d'avoir une marraine qui lui écrit. Il m'a envoyé sa photographie de beau militaire à la moustache conquérante. Il a mon âge, espère recevoir d'autres nouvelles de l'arrière et surtout de moi. Il me dit qu'il est musicien, qu'un jour il viendra jouer du violon rien que pour moi, pour me remercier. Un jour, oui... il viendra...

Sur mon bureau, le papier à lettre attend. La plume plonge dans l'encrier - Mon cher Félix...

 

Mado C.

..

ESPIONNE, MÉTIER DE FEMME

 

Le père de Louise, officier dans l’armée française, avait toujours eu pour souci que sa seule fille bénéficie d’une excellente éducation. La mère de Louise, d’origine anglaise, le soutenait dans cet effort. Ainsi, Louise, à l’âge de vingt ans, parlait couramment l’anglais, l’italien et l’allemand. Elle avait des bonnes bases en latin et en grec, ce qui allait de pair avec une culture générale étendue. Ses parents recevaient beaucoup. Elle était ainsi habituée aux mondanités et à l’aise en société. Elle poursuivait des études de l’histoire de l’art à la Sorbonne.

Dès août 1914, son père partit au front. Quelques lettres de lui parvinrent à Louise et sa mère, des lettres assez banales. Louise était déçue en les lisant. Pour Noël, le père rentra en permission. Sa fille lui reproche alors le style morne de ses lettres. Il lui répondit qu’il ne pouvait rien écrire d’intéressant car ses lettres risquaient de tomber entre les mains de l’ennemi.

Comment ça ? demanda Louise. Son père lui expliqua que des nombreux espions se trouvaient sur le territoire français. Ils étaient partout. Ils ne se distinguaient pas du reste de la population, il pouvait s’agir du facteur, d’un voisin, du garçon du bistro. Certains étaient recrutés par les Allemands, d’autres, parlant un excellent français, étaient infiltrés, mais tous transmettaient des informations à l’ennemi.

Louise ne dormit pas de la nuit. Être espionne ! Quel métier excitant ! Elle se voyait déjà décorée de la croix de guerre pour le courage avec lequel elle s’était impliquée dans sa mission, pour l’efficacité avec laquelle elle travaillait. Dès le petit déjeuner, elle harcela son père : elle voulait être espionne. Son père blêmit.

« Non, dit-il, c’est trop dangereux. Tu restes ici, à Paris, à poursuivre tes études. »

Elles lui paraissaient subitement d’un ennui sans bornes, ces études de l’histoire de l’art. Que du temps perdu, alors qu’elle pourrait être utile à la France et contribuer à sa victoire.

Ils étaient encore en train de discuter qu’un ami du père, lui aussi officier, arriva à la maison. Imprudent et énervé, le père lui lance : « Ma fille est devenue folle. Elle veut être espionne».

« Mais c’est une idée excellente, dit l’ami. Justement, l’État-major des armées cherche une jeune femme délurée, intelligente, qui présente bien pour l’envoyer à Berlin. »

« A Berlin ! Mais c’est de la folie ! Jamais de la vie » répond le père. « C’est ton devoir patriotique » dit l’ami avec raideur.


 

Iliola K.

LA VEUVE

 

 

Elle l’a vu partir Puis tout s’est écroulé

Un jour du mois d’août Le maire est venu lui annoncer

Il lui a dit avec un sourire est mort au champ d’honneur

Je reviens, pas de doute Ce jour là elle poussa un cri d’horreur

 

Puis le temps s’est écoulé Elle ne le verrait plus

Chaque jour elle s’est occupée Il est là haut en terre inconnue

De la maison et des enfants Elle prit la couleur du noir

Des animaux et des champs Celle qui marque le désespoir

 

Au début elle recevait des nouvelles Être veuve à vingt ans

Le facteur criait Annabelle À l’âge de l’éternel printemps

Une lettre des tranchées Quel sera son avenir

Tu vois il ne t’a pas oublié Aujourd’hui elle ne voit que le pire

 

 

 

Bernard B.

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Rédigé par atelier

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Publié le 4 Novembre 2016

DANS LE TRAIN SANITAIRE

 

Long crissement sur la voie ferrée. La locomotive freine dans un vacarme enfumé. Le goût du fer chauffé me pique la langue. Le train entre en gare, s’immobilise dans un sifflement strident.

 

Moment de répit tant attendu ! J'ai eu de la chance. Lors du dernier assaut, une balle m'a transpercé la cuisse. J'ai roulé dans la tranchée, incapable de me relever. J'ai vu tomber les autres. Mitraille, carnage... Puis le silence, les brancardiers, la civière et le retour vers l'arrière. Destination : Nice.

 

Je soulève un coin du rideau. Sur le quai, des infirmiers de la Croix Rouge nous attendent. Comme tout est propre et ordonné ici ! Les rails étincellent, les verrières s'illuminent, la gare toute entière m'enveloppe de lumière. Mon cœur déborde...

Une élégante passe devant la fenêtre du wagon. Sa bouche, comme une promesse juteuse, dessine une fraise appétissante sous sa voilette. J'ai soif.

Le train sanitaire suffoque sous la chaleur. Le soleil d'août nous écrase. Pourtant je grelotte. La fièvre, je crois... Ma jambe est douloureuse ; gaze humide sous ma main. Sur le drap blanc, une tache rouge s'étale. Mon Dieu, épargnez-moi l'amputation...

 

L'évacuation a commencé. Des gémissements, quelques cris de douleur s'échappent pendant la manipulation des blessés. Nous patientons ; notre tour va arriver. Mon voisin geint doucement. Il a perdu un œil, son visage disparaît sous les bandages. Tout le wagon suinte la souffrance, exhale la puanteur des chairs broyées, les relents de mauvaise sueur. Vertige. Je me raccroche à l'espérance...

Bientôt, l'hôtel-hôpital Regina nous accueillera ; le vent des collines emportera les horribles pestilences, la terreur et les hurlements.

Mado C.
 

L'ART, QUEL REMÈDE !

 

J’écoute. J’écoute la nuit. Il n’y a pas le moindre bruit. Rien ne bouge, tout est calme. Mes pensées vont vers les tranchées. Le froid, l’humidité, les odeurs, la puanteur des cadavres. Mes camarades morts ou blessés. J’ai encore leurs hurlements dans les oreilles. La tristesse m’envahit comme une vague. J’ouvre les yeux. Je m’agite. Impossible de me rendormir avec ces images dans la tête. Je me lève. Il n’y a qu’une seule chose qui me tranquillise : faire travailler mes mains, me concentrer sur une tâche.

Quelques nuits auparavant, j’ai commencé à travailler la douille d’un obus de cuivre. Je l’ai trouvée par hasard, je ne sais pas ce qui m’a pris, pourquoi je l’ai apportée avec moi. Elle est dans l’étau. J’ai commencé à la travailler. D’abord avec du papier à verre, pour qu’elle soit bien propre, bien lisse. Je la touche, la caresse. Oui, elle est bien lisse, presque comme du velours, mais en plus dur, plus froid. Je prends une pointe sèche et le marteau. Je commence par marteler une décoration, une lisière en haut de la douille, sur tout le pourtour. Ce travail demande de la concentration. Il faut que les pointes soient bien régulières.

 

Le son monotone du martèlement m’apaise. Je réfléchis à la suite. Vais-je faire un dessin, ou seulement une décoration ? Devant mes yeux, je vois une sorte de broderie gravée dans le métal... Non, ça ne me convient pas. Mais si je me décide pour un dessin, que choisir ? Devant mes yeux passent des fleurs, un paysage montagneux, avec de la neige peut-être, un lac sur lequel se reflète le soleil. Mon chien ? Non, je ne sais pas assez bien dessiner, surtout pas sur ce matériau.

 

Mes pensées retournent aux tranchées. Qu’est-ce qui m’a permis de tenir, malgré la faim, la soif, le découragement, la peur lancinante ? Je m’étais évadé. J’avais pensé aux bons moments que j’avais passés, encore au début de l’été 1914. J’ai surtout pensé au voilier de mon père, à l’odeur de la mer, au soleil qui embellissait les paysages et me réchauffait le cœur, aux caresses de la brise, au vent qui forçait et qui faiblissait et qui pouvait me vider la tête complètement. Toutes mes pensées étaient emportées par le vent. C’est surtout cette sensation-là que j’ai recherchée dans les tranchées. Oublier tout.

C’est un voilier que je vais mettre sur la douille de l’obus. Un voilier avec des voiles bien gonflées, qui gîte au vent. Pas trop, juste pour lui donner belle allure. Il va me rappeler ma jeunesse insouciante et la galère de la guerre. Il peut aussi me donner l’espoir qu’un jour, de nouveau, j’aurai un voilier sur lequel je pourrai sillonner la Méditerranée sans avoir peur de l’ennemi.

Iliola K.

LE BRANCARDIER

 

L’air est irrespirable. Je suis saisi d’une terrible quinte de toux qui retentit dans le silence revenu. Une épaisse fumée grisâtre s’élève au-dessus des soldats. Son goût âcre envahit ma bouche. Ça et là, des flammes montent des cratères d’obus. Les silhouettes décharnées des arbres calcinés se dessinent à perte de vue.

 

Le spectacle est effroyable. Partout des corps gisant couchés, étendus, courbés, recroquevillés. Et de tous côtés monte ce bruit terrifiant des hommes blessés, des hommes agonisants. Les uns hurlent « A moi, au secours ! », les autres poussent de petits gémissements ou émettent des halètements. Les uns nous supplient de venir à leur secours en appelant « Brancardiers ! » de leurs voix rauques, les autres nous implorent de les achever dans un râle ultime.

Antonin et moi cheminons entre les corps avec notre civière. Nous nous approchons d’un jeune homme qui nous appelle : sa jambe n’est plus qu’une plaie sanguinolente. Son uniforme est maculé de boue et tout en lambeaux. Nous essayons de le soulever, il déchire l’air de hurlements de douleur. Son corps presque inerte semble terriblement lourd, tant il est difficile à déplacer. Nous parvenons à le hisser sur la civière, les oreilles vrillées par ses cris effroyables. A côté de lui, un garçon blond, visage d’ange, presque un enfant, étendu sur le dos les yeux grands ouverts. Pour celui-là, il n’y a plus rien à faire, il a un grand trou rouge sur la poitrine. Un peu plus loin, un autre gît face contre terre, le dos labouré par les balles. Au loin retentissent encore quelques bombardements, le combat n’a pas cessé partout.

 

Il nous faut faire vite si nous voulons sauver celui-ci. Le sang continue à s’écouler de sa jambe. Nous soulevons la civière et nous frayons un chemin difficile sur le terrain accidenté, caillouteux, un chemin sinueux entre les monticules de terre, au milieu des cadavres et des corps suppliciés. Je sais que ce soir, je reverrai toute cette abomination, j’entendrai tous ces cris et je ne trouverai pas le sommeil, ils viendront très longtemps hanter mes nuits.

Monique

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Rédigé par Mado

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Publié le 4 Novembre 2016

Le soleil brille en ce jour du 11 novembre 1919, la fanfare venue de Menton joue la Marseillaise, nous sommes là au garde à vous. Les boutons de nos uniformes brillent, ici il n’y a pas de boue. Nous sommes les récipiendaires de je ne sais pas quoi... et pourquoi nous ? Le Maire fait son discours, et déjà ma pensée s’en est allée du côté de Verdun, cette ville de l’est que je ne connaissais pas.

Gorbio s’enfonce dans un brouillard, j’entends des cris, des râles français, allemands. Je ne sais plus où je suis. Il faut que j’avance, c’est l’adjudant qui le crie. Je vois à côté de moi des amis qui tombent. Je ne peux m’arrêter pour leur tendre la main. Les balles de mitrailleuse sifflent et frappent au hasard. La baïonnette, au bout de mon fusil, me rappelle qu’ici, on crève ou on vit. Dans un trou d’obus, près d’une tranchée ennemie, je retrouve ma compagnie, enfin ce qui l’en reste. Un jeune sous-officier nous rassemble.

Je suis à Gorbio, le Maire parle de mes amis d’enfance, eux qui sont restés couchés sur cette terre lointaine, leur nom sera gravé à jamais sur cette pierre.

Cette pierre, qui me rentre dans le dos, dans ce trou d’obus où le silence vient troubler le bruit. Plus personne n’ose parler. C’est à peine si l'on ose respirer. Le sous-officier, nous annonce que nous sommes au lieu dit «  Mort d’homme ». Personne n’a envie d’en rire, la vie est étouffée par le râle des mourants. Nous ne sommes plus qu’une poignée, la lune éclaire notre tranchée quand soudain un cri :

« In die Hände schnell stellen Sie ihre Waffen ».

Pas besoin de traducteur, nous sommes pris au piège, d’hommes libres, nous devenons «Kriegsgefangener » prisonnier de guerre, mais en vie.

La fanfare joue la Marseillaise quand le Maire vient m’épingler la médaille sur laquelle est gravé « On ne passera pas ». J’ai fermé les yeux, en souvenir de mes camarades épinglés sur les fils de fer barbelé.

« On ne passera pas ». Alors pourquoi, moi, je suis passé... ?

 

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Rédigé par Bernard

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Publié le 4 Novembre 2016

J’exerçais la fonction de vaguemestre dès le début de la guerre. Mon travail consistait à aller chercher le courrier au bureau du « Trésor et Postes » qui se situait en principe à quelques kilomètres à l’arrière du front. Il fallait ensuite que je trie le courrier reçu et le remette aux fourriers des différentes compagnies. J’étais aussi chargé d’apporter les lettres de nos soldats au bureau du « Trésor et Postes ». C’était un travail très gratifiant. Chacun attendait une lettre, un colis. Chacun m’était reconnaissant de créer ce lien entre le front et ses chers, entre le devoir et le cœur.

 

Un jour du mois de juillet 1916, lorsque je suis arrivé au bureau du « Trésor et Postes », on m’a donné, en plus des lettres, cartes, mandats et colis habituels, une lettre, en fait une enveloppe épaisse, que je devais remettre moi-même, en mains propres, au commandant de l’unité. L’homme qui me donnait les envois insistait beaucoup. Il ne fallait à aucun prix que je remette cette enveloppe à qui que ce soit d’autre que son destinataire. Je la plaçais dans ma musette pour être sûr de ne pas la distribuer avec le reste du courrier. Je faisais charger ce dernier sur la voiture dont je me servais déjà depuis quelques semaines. Elle était tirée par un mulet du nom de Filou, un animal très patient, difficile à effrayer. Il me rendait des services inestimables. Non seulement il me facilitait le transport du courrier, mais, en plus, sa compagnie fidèle me procurait beaucoup de réconfort. Pendant le trajet, je lui parlais de mes préoccupations, et j’avais l’impression qu’il me comprenait à merveille.

Arrivé au cantonnement, j’ai trié le courrier dans le bureau que j'avais installé dans une boutique abandonnée. J’en faisais une pile pour chaque compagnie.

 

Je me suis alors rappelé la lettre que je devais remettre en mains propres à son destinataire. Je me suis renseigné pour savoir où le trouver. J’ai appris qu’il se tenait aux premières lignes, sur le plateau de Flaucourt qui venait d’être repris aux Allemands par l’armée française. Il se trouvait à une bonne dizaine de kilomètres du cantonnement. J’ai décidé de profiter de ce trajet pour apporter moi-même le courrier aux soldats sur le front. Je faisais remettre la correspondance concernée sur ma voiture et me remettais en route avec mon brave Filou. Il pleuvait, comme souvent dans cette région. J’en avais l’habitude. Le courrier était couvert par une bâche étanche.

Le brouillard devenait de plus en plus épais au fur et à mesure que la journée avançait. La grisaille, le manque de visibilité, l’humidité qui était presque palpable, qui s’accrochait aux vêtements, les traversait pour se fixer sur la peau me donnaient une sensation d’inconfort qui s’abattait sur moi comme une chape de plomb. Je n’avais aucune envie de bavarder avec Filou, qui, lui aussi, avait l’air bien maussade. Les camarades m’avaient dit qu’il n’y avait aucun danger, que nos troupes, la sixième armée en fait, avait les choses bien en main. Les Allemands étaient anéantis. C’est ainsi que j’avançais sur une piste boueuse, regrettant mon excès de zèle. J’aurais en effet pu donner le courrier, comme d’habitude, aux fourriers. Une voiture automobile aurait pu m’amener ensuite jusqu’au destinataire de l’enveloppe mystérieuse logée dans ma musette.

 

Enveloppés dans un mutisme profond, nous tracions ainsi notre chemin, dans un paysage silencieux qui se dérobait à nos yeux. Soudain, l’explosion d’un obus. Du calme à nouveau, pendant un bon moment. Puis, quelques rafales éparses de mitraillette. La situation, ne serait-elle pas autant à l’avantage de notre armée que les camarades m’avaient dit ?

Enfin, je suis arrivé au village où je devais trouver le commandant. Mais on me dit qu’il n’était pas là. Il était allé inspecter une partie du front qui se trouvait à environ trois kilomètres de distance. J’hésitais. Le temps était de plus en plus exécrable. Je commençais par faire décharger le courrier pour la compagnie. Je réfléchissais. Est-ce que je donne l’enveloppe à l’ordonnance du commandant ? L’ordre était bien de remettre l’enveloppe au commandant « en mains propres ». Non, je ne pouvais pas la donner à l’ordonnance. Il fallait que je rejoigne le commandant pour lui remettre la lettre personnellement. Il fallait que j’aille plus loin. Je repartais trouver le commandant. Son ordonnance avait l’air vexé. Que voulait-il ? Les ordres sont les ordres.

 

En chemin, peu après mon départ, un obus isolé éclatait devant ma voiture. Il venait des hauteurs qui se situaient à droite de mon chemin. Mon pauvre Filou poussa des braiments terribles, il s’affaissa sur ses pattes avant. Je descendis de la voiture. J’examinai ses jambes. Elles étaient brisées. Filou me regardait. Dans ses yeux, je voyais la douleur, le désespoir, mais aussi la confiance qu’il avait en moi. Le cœur déchiré, je fis ce qu’il y avait à faire : je lui ai donné le coup de grâce avec mon fusil. Je lui ai fermé les yeux, je l’ai caressé une dernière fois. Puis, je m'en retournai vers la voiture pour récupérer la musette avec la lettre. J’avais l’intention de me réfugier ensuite dans le fossé qui bordait la piste. Mais avant que j’ai pu mettre mes plans à exécution, un deuxième obus éclata à droite de la voiture, alors que moi-même, je me tenais du côté gauche. Je me suis jeté par terre. Lorsque j’ai relevé la tête, je voyais que Filou n’était plus qu’un tas de chair dégoulinant de sang. J’étais soulagé qu’il soit mort avant. Je réalisais alors que son corps s’était interposé entre l’obus et moi, qu’il m’avait certainement sauvé la vie. Quelle brave bête ! Je restais là pendant un moment, les bras ballants, à regarder la scène. Ce n’est qu’au bout d’un certain temps que je me rendis compte que j’étais blessé à la main gauche. Mes yeux cherchaient ma musette. Elle était déchiquetée. Des bouts de cuir, mélangés avec des bouts de papier, étaient éparpillés partout.

 

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Rédigé par Iliola

Publié dans #Guerre 14-18

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Publié le 4 Novembre 2016

Le ciel n'a jamais été aussi bleu. Le soleil aussi brillant. Il réchauffe le mur. Sa chaleur diffuse entre mes omoplates. De mes mains, j'explore les pierres. Celle-ci, sous ma main droite, est un peu plus rugueuse que celle cachée sous ma main gauche. Mes doigts rencontrent une minuscule touffe d'herbe. La vie, ça s'accroche. Même au cœur de pierre ! Ha, ha ! Le bon mot, n'est-ce pas ! Il aurait amusé Pierrot. Pierrot... Ça hurle en moi. J'enrage. Injustice, déshonneur. Calomnie. Je ne peux rien faire. J'ai les poings liés.

 

Août 1914. Nous nous battons contre un ennemi invisible, contre des obus qui arrachent les jambes, les bras, contre des balles qui sectionnent les ventres. Les Allemands, en embuscade sur les hauteurs, nous mitraillent, nous bombardent. Arrosage systématique par l'artillerie. Nous sommes embourbés. Marécage d'eau, de sang. Un pas encore. Des camarades tombent. Pierrot, le fils du boulanger, avance à coté de moi. La boue colle aux godillots. Il attrape mon bras, me fixe d'un œil figé de stupeur. L'autre a disparu, emporté avec la moitié de son visage. Je vois sa vie s'échapper. Instant fugace, indicible. Il s'affaisse à mes pieds. La mort, la mort, partout. Le XVème Corps anéanti. Puis, la retraite, la nuit, sans nourriture ni repos. Marche sur les cadavres. À l'arrivée, l'article indigne du sénateur Gervais :

 

« Surprises sans doute par les effets terrifiants de la bataille, les troupes de l’aimable Provence ont été prises d’un subit affolement. L’aveu public de leur impardonnable faiblesse s’ajoutera à la rigueur des châtiments militaires. »

 

Quel mépris pour les soldats de « l'aimable Provence » ! Quelle humiliation ! J'enrage. « Faiblesse » ! Que connaît-il de nos « faiblesses » ? Quant aux « châtiments militaires »...

 

Le chant d'un oiseau m'apaise. Je l’aperçois entre les feuilles du tilleul. Il sautille sur une branche, indifférent aux choses humaines. Les foins ont été coupés, rentrés dans les granges. Ils ont laissé derrière eux cette merveilleuse fragrance dorée qui parfume les campagnes de France. Elle vient jusqu'à moi, par bouffées, portée par la brise. Au loin, derrière la forêt, une cloche carillonne. Jeannette dans sa robe de mariée, si belle. L'église fleurie, tout le village à la noce. Que ce temps est loin ! Tes baisers sont en moi, mon amour. Ils m'accompagnent...

 

Bruit de bottes incongru dans la beauté du monde. Les soldats se préparent. J'ai chaud. Une goutte de sueur – une larme ? – coule lentement sur ma joue. J'ai le nez qui gratte. Un battement d'aile vrille l'air impassible ; mon ami l'oiseau m'évente. Dans mon dos, le mur se rebiffe. Il pointe une aspérité désagréable sous mon épaule gauche. Je l'avais oublié, il n'aime pas cela. Ma main épouse la pierre ronde, la caresse. Elle fond dans ma paume, chaude et sensuelle, gorgée d' histoires, prête à accepter la mienne. Bruissement dans le feuillage au-dessus de ma tête. L'oiseau réclame sa part d'attention. Je suis encore là, l'oiseau. J'engrange la vie. Jeannette, mon épouse aux lèvres douces... Pierrot, mort au combat... Son père fait-il toujours le pain ?

 

Les soldats, redingotes et pantalons impeccables, sont alignés, immobiles. Le capitaine vérifie la belle ordonnance du tableau – les choses doivent être faites dans les règles – se met au garde-à-vous. Sous le bleu implacable, silence de mort. Même l'oiseau s'est tu. Instant suspendu ; le temps retient son souffle. Les yeux clos, j'emmagasine en urgence l'odeur de foin coupé, la rugosité de la pierre sous ma main, la légèreté de l'herbe douce aux doigts, la chaleur du soleil de septembre... la voix du capitaine :

 

  • En joue... Feu !

 

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Rédigé par Mado

Publié dans #Guerre 14-18

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