Publié le 30 Juillet 2017

MéditerraNice

PRÉFACE

 

 

Pour son 5ème recueil, inspiré par le projet d’inscription de la Prom’ au patrimoine mondial de l’UNESCO, l’atelier d’écriture AnimaNice Bon Voyage a choisi le thème :

 

PATRIMOINE NIÇOIS ET MÉDITERRANÉE.

 

Une aventure qui commence à Nice, explore la Promenade, exhume les souvenirs, se promène en ville, avant de s’embarquer vers d’autres paysages, d’autres cultures, d’autres destins.

Car notre histoire est méditerranéenne ; les Grecs, les Romains, les Sarrasins, les Turcs – ah ! Catherine Segurane… – ont laissé leurs empreintes sur les terres niçoises.

 

Les récits, nouvelles, poèmes se mêlent pour raconter Nice et la Méditerranée, avec légèreté, sincérité, poésie, humour. Au retour du voyage, le Temps et l’Histoire se sont télescopés, les plumes niçoises s’égarent en uchronies. Puis, le rideau s’ouvre sur le théâtre d’AnimaNice Pasteur et son dialogue aussi savoureux qu’un pan-bagnat.

 

La langue, comme l’architecture – et le pan-bagnat – fait partie du patrimoine. Le recueil se referme sur les images d’une Promenade dans Nice, accompagnées de légendes traduites en niçois, bien sûr ! Ou plutôt : en nissart, segur !

 

Traduction que nous devons à Madame Carlòta RUBINI, professeure de niçois, à qui nous adressons nos plus sincères remerciements.

 

 

Madeleine Cafedjian

animatrice de l’atelier d’écriture AnimaNice Bon Voyage

 

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LES ATELIERS ET TEXTES

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Rédigé par Atelier Ecriture

Publié dans #Patrimoine & Méditerranée

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Publié le 29 Juillet 2017

MEDITERRANICE -  THÈME : Patrimoine niçois et Méditerrannée

Pour son 5ème recueil, l'atelier d'écriture AnimaNice Bon Voyage a choisi le thème "Patrimoine niçois et Méditerrannée".

Le recueil, intitulé MéditerraNice a été présenté le 30 juin 2017, à AnimaNice Bon Voyage. La présentation a été associée au vernissage de l'expo "Promenade dans Nice - Passejada dins Niça" de Bernard Brunstein.

 

Quelques images de l'expo :

 

MEDITERRANICE -  THÈME : Patrimoine niçois et Méditerrannée
MEDITERRANICE -  THÈME : Patrimoine niçois et Méditerrannée
MEDITERRANICE -  THÈME : Patrimoine niçois et Méditerrannée
MEDITERRANICE -  THÈME : Patrimoine niçois et Méditerrannée

Quelques textes :

NICE, MA VILLE...

MÉMOIRES MÉDITERRANÉENNES

 

DESTINÉES CONTRARIÉES

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Le sujet a beaucoup inspiré les "écrivants", si bien que certains textes ne seront pas publiés par manque de place. Ils le sont ici :

Le projet et les ateliers :

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Publié le 29 Juillet 2017

Vicenzo Barletti descend de la citadelle d’un pas assuré. Son bel uniforme, veste bleue sur pantalon blanc, complété par un chapeau à plumes fait l’admiration de Maria sa maman. Il arrive rue du Malonat pour le repas dominical. Maria lui ouvre la porte, et sous l’émotion, glisse sa main à la bouche. Elle enchaîne en parlant toute seule :

Officier du duc de Savoie, vous vous rendez-compte ! Quand on pense que ce freluquet de roi de France voulait raser le château ! Non mais, pour qui il se prend ce Louis combien déjà ?

XIV maman, Louis XIV.

Quand à toi, si j’avais su que tu voulais jouer les héros, je lui aurais dit à ton comte Frassasco que tu n’avais pas toute ta tête !

Vicenzo sourit.

Mais ne te préoccupe plus, maman, c’est du passé tout ça. Nous allons devenir une grande nation. Le duc a lancé les études pour agrandir la calanque Limpia et y construire un port.

Mais nous avons déjà Villefranche, non ?

Oui ! Mais il faut y aller en calèche et prendre un canot pour rejoindre les navires. Tu imagines un port au pied du château ? Un quai qui nous permettrait d’embarquer directement ?

Ah ! Vous les jeunes, vous avez toujours la tête dans les nuages.

C’est chaque fois la même chose. Mère et fils se chamaillent autour d’un bon plat d’agneau confit sur son lit de lamelles de pommes de terre aux oignons.

Plus haut, le drapeau à croix blanche sur fond rouge flotte sur la citadelle. Pourtant vingt ans plus tôt…

 

Son père Guiseppe venait d’investir dans une barque à voile latine et rêvait pour lui d’un avenir de pêcheur. Vicenzo Barletti, lui, avait choisi de gagner sa vie en approchant les grands de sa ville. Il serait militaire, officier, attaché auprès du gouverneur de Nice.

On était en 1690. Vicenzo avait vingt-cinq ans, fait ses armes à Turin. Appris le maniement des explosifs. S’était spécialisé dans l’utilisation de l’artillerie, ce qui l’occupait de temps en temps par des exercices en campagne. Le reste du temps il bénissait les dieux de vivre en cette ville stratégique qui possédait les plus belles filles du comté. Le temps s’écoulait serein, sans nuages.

Des informations dont on ne mesurait pas l’importance circulaient :

Torricelli analysait les conséquences de l’élévation du mercure chaud dans un tuyau, Joseph Campani avait découvert l’utilisation de verres convexes pour correction de la dioptrie, Louis XIV allait se lancer dans une guerre dont il se souviendrait longtemps.

Des choses sans grande importance finalement…

 

Guiseppe Barletti tirait ses filets sur la plage des Ponchettes.

Il réfléchissait. Contrarié par son fils qui n’avait pas choisi la même profession que lui et fier en même temps de sa position au château.

Maria, son épouse, allait écouter trois fois par semaine sœur Marie-Antoine, supérieure du couvent, à la chapelle des pénitents noirs. Cette religieuse savait si bien calmer les angoisses de tout le monde. A son mari qui se moquait d’elle, Maria répondait que sœur Marie-Antoine était toujours de bon conseil. On ne pouvait pas attendre autre chose d’une « Personne de belles manières et d’esprit très cultivé ». C’était ce qui se disait. Certes des bruits de guerre circulaient depuis des mois. Les relations entre le duc de Savoie et le roi de France n’étaient pas des meilleures. Elle connaissait tout cela par Vicenzo. Enfin, on verrait bien !

 

Ce jour là un gamin, dont l’histoire oubliera le nom, se précipitait en ville chevauchant un âne essoufflé. Il arrivait des berges du Var, criant a tout va : Ils arrivent. Les Français arrivent. Des chevaux, des canons, une armée innombrable. Rentrez chez vous !

 

Guiseppe aperçut la foule qui courrait dans tous les sens et qui alertait les pêcheurs en dehors des remparts. Il rangea précipitamment son filet. La pêche de ce jour fut à moitié abandonnée sur les galets. Il se précipita à sa maison rue du Malonat.

Maria et les femmes de la ville basse se rendirent à la chapelle Sainte-Rita pour implorer la protection de la Sainte. La situation semblait désespérée. Les mains gantées comme les mains calleuses étaient réunies pour des prières intenses. Tous les yeux reflétaient la même ferveur :

Sainte Rita protégez-nous !

Elle, un léger sourire compréhensif, semblait leur dire :

Ne vous inquiétez pas, tout s’arrangera !

Toutes y croyaient… Les portes des remparts grincèrent sur leurs gonds, furent cadenassées…

 

La canonnade des assaillants fut violente. Les ripostes aussi. Les remparts tenaient. Le siège durait depuis un mois. Aucune victoire ne se dessinait. Vicenzo Barletti demanda une entrevue au gouverneur de la citadelle. Il avait une idée pour sortir de l’impasse. Le brigadier-général comte de Frassasco l’écouta.

Avec sa longue vue, Vicenzo avait remarqué que la puissance de feu des troupes françaises était très importante côté Terra Amata. Ailleurs, les courtines, les bastions, l’artillerie du château protégeaient la citadelle et la ville basse. Côté Est, la falaise seule ne suffisait pas. Un plan fut conçu. Le gouverneur donna son accord. L’intervention aurait lieu une nuit sombre.

Le dix avril, la lune était cachée par d’épais nuages. Vicenzo et quatre de ses meilleurs hommes, habillés de noir (une première pour cette époque) sortirent par la porte des Ponchettes. Ils mirent à l’eau, avec beaucoup de précaution, une chaloupe et commencèrent à ramer. Ils s’éloignèrent des rochers de Rauba Capeu, dépassèrent l’embouchure du Limpia et accostèrent sur une plage de galets vers le Lazaret. Ils se glissèrent parmi les broussailles et arbustes et attendirent. Les batteries observées depuis les remparts avaient révélé l’endroit où devaient être stockées poudres et munitions : la grotte du Lazaret. C’est là que Vicenzo voulait frapper. Les campements se tenaient à bonne distance à cause du danger lié à un tel endroit. La grotte, isolée, était gardée par deux hommes la nuit. Comme dans toutes les armées, la relève aurait lieu à cinq heures. Ils interviendraient un peu avant, lorsque les sentinelles épuisées par une nuit de veille seraient moins attentives.

Une cavalcade attira l’attention des cinq hommes. Un groupe d’officiers venait inspecter la position et donner les ordres pour l’attaque du lendemain. Vicenzo reconnut Nicolas Catinat, lieutenant général des troupes françaises, entouré de son état-major. La tentation fut grande de tirer sur le représentant du roi de France, mais l’opération aurait été éventée et le sort des armes fortement contrarié. Rien ne fut tenté. Le silence de la nuit revint.

Sur un signe de Vicenzo, les hommes se déplacèrent vers l’entrée de la grotte. Les sentinelles assoupies furent neutralisées. Les brûlots allumés et projetés à proximité des caisses de poudre. Les cinq hommes s’échappèrent et se mirent à l’abri près des rochers du Lazaret.

Une formidable explosion pulvérisa la grotte. Un fracas assourdissant survola la ville, franchit le paillon et rejoignit la plaine d’Antibes dans un grondement de fin du monde. Il était quatre heures cinquante.

La panique atteignit les sœurs du monastère de Cimiez qui débutaient matines à genoux dans l’allée du cloître. Elles se dispersèrent comme une volée de moineaux croyant que cette bombe avait été tirée sur elles.

Des traînées de poudre noire jonchaient le sol depuis la grotte vers les diverses batteries de Terra Amata. Sans doute, dues à l’imprévoyance des soldats ayant approvisionné les pièces. L’onde de feu se propagea, lécha les canons, couleuvrines et accentua l’œuvre de destruction.

Cette explosion était le signal pour les troupes du duc de Savoie arrivées à marche forcée par la vallée de la Roya et positionnées auprès du mont Alban.

Les brigadiers à cravates rouges et la cavalerie ducale fondirent, à revers, sur l’armée française aux cris de « Savoia ». La débandade fut générale. Le lieutenant général Catinat fut fait prisonnier ainsi que son état major. Trompettes et roulement de tambours annoncèrent le retrait des troupes dans l’impossibilité de contenir ce raz-de-marée. Les Français capitulèrent. Le sort était jeté. Nice garderait son château et le drapeau du duché de Savoie flotterait toujours sur la citadelle.

 

Un traité fut signé dont l’histoire retiendra que l’abbé commanditaire de Saint-Pons, habile négociateur, aura rédigé les plus belles pages. Le lieutenant général Catinat rendu à son roi. L’avenir des Niçois semblait dégagé.

Une statue fut édifiée cinq ans plus tard sur les bords du Limpia. On y voit Vicenzo Barletti en tenue d’officier de l’armée de Savoie pointant un doigt vers l’est de la baie, en dessous il y est gravé : c’est ici, à la grotte du Lazaret que tout s’est joué…

Le repas se termine. Vicenzo allume sa pipe. Sa maman termine la vaisselle, un torchon à la main.

C’est ton père qui aurait été fier de toi, si ce maudit boulet ne l’avait pas emporté.

Vicenzo baisse la tête. La fumée âcre de sa bouffarde n'est pour rien dans le picotement humide de ses yeux. Il enchaîne :

Tu sais, l’explosion de la grotte a mis à jour des vestiges que l’on ne soupçonnait pas. Des restes de rhinocéros, d’éléphants, tu te rends compte ?

Maria pose une assiette et, le regard dans le vague :

On appelle comment ces gens qui fouillent les ruines comme à Cimiez ?

Archéologues, je crois !

Et bien voilà ce qu’il faudra rajouter sur ta statue « Vicenzo Barletti archéologue, savant ! »

Après cette période troublée, la bonne humeur était de retour au 3 rue Malonat.

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Rédigé par Gérald

Publié dans #Patrimoine & Méditerranée

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Publié le 14 Juillet 2017

Les paparazzi se pressent sur la plage de Nice. Brigitte Bardot pose dans son bikini en vichy rose. Depuis qu’elle est devenue célèbre, une meute des journalistes la suit à la trace. Malheureusement pour nous, elle adore notre village. Il est vrai que Nice, blotti derrière ses remparts, sous le vieux château comtal, inspire douceur de vivre et sérénité. Dans les rues médiévales fraîches et colorées, hautes maisons, églises, palais baroques, veillent sur le passant ; la citadelle a traversé les siècles, résistant à tous les sièges… sauf à celui des stars et des photographes !

Pourtant, elle a bien failli être détruite par Louis XIV en 1706. L’un des rares combat où Nice a capitulé. Louis XIV avait ordonné au duc de Berwick de démolir les fortifications et le château. Mais le duc a désobéi. La place forte est trop belle. Il a préféré trahir le roi, se mettre au service des États de Savoie et sauver la citadelle. Tant mieux ! Allez savoir ce qu’il serait advenu du village si Nice avait perdu ses remparts ! Une grande ville peut-être… ?

Sur la plage, l’attroupement vocifère. Ça se bouscule, ça crie… Brigitte, Brigitte… par ici… non plus à gauche… une main sur la hanche... Nice est en train de devenir le lieu à la mode. Dans le petit port, les pointus disparaissent derrière les hors-bords, la jetée Saint-Lambert s’est transformée en plongeoir, le bistrot du quai s’agrandit, s’éclaire de néons, tout le show-biz s’y retrouve.

La plaine, de l’autre côté du Paillon, se couvre peu à peu de campings plus ou moins arborés et sur les collines autour du village, d’immenses villas grignotent les terres agricoles. Oliviers, citronniers et orangers sont abattus, les vignes arrachées, les forêts de chênes verts, décimées. Certaines de ces arrogantes bâtisses ont même une piste d’atterrissage pour hélicoptère. Le milliardaire évite ainsi les embouteillages qui se forment depuis quelques temps sur la route de France qui longe la baie. Mais à quel prix ! Le vacarme des moteurs en tout genre a remplacé les brouhahas tranquilles de la vie. Même les commérages des matrones, lancés de fenêtre à fenêtre au-dessus de la rue, se perdent dans la trépidation actuelle.

La séance de photos se termine. BB se rhabille, enfile ses ballerines, se dirige vers la porte de la Marine, disparaît derrière le rempart. Les journalistes suivent. Nice perd son âme et son peuple. La pression fiscale augmente de plus en plus, les Niçois sont obligés de partir.

Ah ! Si BB avait choisi un autre endroit pour passer ses vacances ! On serait bien peinards ! On regrette un peu le bon vieux temps, comme on dit ; on se console en écoutant la drôle d’histoire qui se murmure dans les ruelles : il paraît que dans un autre monde, c’est un petit village du Var, Saint-Tropez, qui a connu ce destin. C’est fou, non ?

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Rédigé par Mado

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Publié le 14 Juillet 2017

La ville était calme en ce matin de l'an 1543. Catherine se rendait à la messe en l'église du Gésus. Les boutiques ouvraient leur porte et chacun s’interpellait d'une fenêtre à l'autre. Sur le bord de mer les pêcheurs ramenaient leurs filets. Nice la belle se réveillait doucement au chant des galets roulés par les vagues.

Quand soudain, le tocsin, les cris "aux armes" ; l'horizon de la baie des Anges s'était obscurci de voiles des navires turcs et français : 40 galiotes, 4 mahonnes et 22 galères. Et du côté du Var l'armée française avait franchi le gué. Le siège de la ville allait commencer.

Catherine courut chez elle avertir ses parents. Nous sommes attaqués, cria-t-elle essoufflée. Tous les hommes en âge de se battre furent réquisitionnés, armes à la main, sur les remparts de la ville. Le temps de l'attente s'installa, l'armée turque du côté du Paillon, l'armée française vers le nord.

Catherine montait souvent sur les remparts de la rue Sincaire et un soir elle entendit un chant qui, malgré qu'elle ne puisse comprendre les paroles, lui ravit le cœur.

Lui, le chanteur, c'était Khayr ad-Din Barberousse au service de Soliman le Magnifique, qui le soir venu, accompagné de son luth, chantait des chants nostalgiques de son pays.

Catherine tomba amoureuse de cette musique et de son interprète. Comment Khair ad Din et Catherine se rencontrèrent ? L'histoire ne nous le dit pas, mais sachez que d'après le dictionnaire de l'Académie de la langue turque, sur plus de 111 000 mots, 5253 sont d'origine française !

Sacré Catherine !

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Rédigé par Bernard

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Publié le 14 Juillet 2017

J'arrive du néant. L'éveil imprègne ma conscience par vagues, marée montante d'une vie oubliée ; mon identité émerge. Je m'appelle Hypatie d'Alexandrie. Je suis née en 370, j'ai... 45 ans ? Mon dernier souvenir remonte à cet âge-là, sur cette place où les chrétiens m'ont lapidée. J'ai perdu connaissance, je crois même que je suis morte ce jour-là, au printemps 415, et pourtant me voici... Où suis-je ?

Une pièce claire, austère, un lit bizarre, d'étranges objets avec des lumignons verts, rouges, qui clignotent comme des lucioles. Sur le mur face à moi, une boîte dans laquelle se succèdent des images en mouvement ; des personnages, humains miniature, s'agitent, parlent...

La porte de la chambre s'ouvre ; une jeune femme vêtue de blanc entre, me sourit, m'explique : nous sommes en 2017 dans un hôpital. Un lieu pour soigner les malades, précise-t-elle.

2017 !? Est-ce un canular ou un complot ? Veut-on me discréditer en insinuant que je suis folle ? Je ne suis pas malade. Ma raison est intacte… Je me méfie de l'évêque Cyrille ; il me déteste, il est capable de tout pour me nuire. J’ai peur. Mon cœur s'accélère, la machine auprès de mon lit émet un “ bip ” rouge, crache un morceau de papier couvert de sigles que la jeune femme déchiffre.

Ce n'est rien, me dit-elle, juste une petite arythmie…

 

Elle me regarde, de la compassion brille dans ses yeux ; elle me raconte : lors de fouilles archéologiques – j'ignore tout de cette pratique – ma dépouille, démembrée, ensevelie depuis deux millénaires, a été retrouvée. Comment ça, ma dépouille ?... Deux millénaires ?

Explosion dans ma poitrine. C'est donc vrai ; les chrétiens furieux m'ont tuée ce jour-là. Ma mort à coups de pierres ne leur a pas suffit, ils ont poursuivi l'horreur jusqu'à me découper en morceaux. Le dégoût monte au bord de mes lèvres, j'ai mal. J'entends encore leurs vociférations haineuses ; elles ont traversé les siècles. Ils ne pouvaient accepter que mes recherches, mon mode de pensée, aillent à l'encontre de leur dogme. J'enseignais la philosophie au Muséum d'Alexandrie, je disais à mes élèves :

 

“ Toutes religions formelles et dogmatiques sont fallacieuses et ne doivent jamais être acceptées comme absolues par quiconque se respecte. ”

 

Je suis morte au printemps 415 et pourtant me voici... Comment... ?

Le jeune femme perçoit mon désarroi, poursuit son récit : les savants ont effectué des prélèvements minuscules sur ce qui restait de mon corps. Grâce une technologie de pointe par clonage de gènes, de chromosomes – je ne sais pas trop, je ne connais pas ces choses-là – ils m'ont redonné vie dans un corps artificiel.

 

J'encaisse le choc. Mon âme tangue, s'arrime à ce nouveau corps comme un naufragé au rocher d'une île inconnue. Je me cramponne, secouée de sentiments contradictoires, quelques secondes, une éternité, je ne saurais dire... La houle s'apaise, laisse l'écume des émotions me bercer, déposer leur douceur au creux de mon être. Je suis en vie, la joie, l'espérance grandissent en moi, réveillent ma curiosité scientifique. Comment vit-on dans cette époque ? Quelles sont les connaissances acquises depuis 2000 ans ? Mes travaux en mathématiques et en astronomie sont-ils arrivés jusqu'ici ?

Très peu, me répond la jeune femme. La bibliothèque d'Alexandrie a brûlé, tous mes manuscrits sont détruits. Cependant, je suis connue pour être la première à avoir révélé la théorie d'un Système solaire héliocentrique elliptique. Une révélation capitale pour l'astronomie. Les scientifiques d'aujourd'hui me respectent, m'admirent. Il a fallu du temps pour valider cette thèse. Les religieux ont imposé leurs croyances pendant plus de mille ans ; ils ont persisté à placer la Terre au centre des mondes ; ils ont torturé et brûlé ceux qui pensaient différemment.

Mille ans d'obscurantisme ! Que de temps perdu pour la connaissance. Je disais souvent à mes élèves :

 

“ Réservez votre droit de penser parce qu'il est préférable de penser incorrectement que de ne pas penser du tout. ”

 

2017 semble être une époque plus tolérante. J'ai envie de tout savoir. La jeune femme désigne la boîte aux images animées. C'est une télévision, me dit-elle. Ça montre le monde.

Je regarde, j'écoute. Un homme explique que de nouvelles découvertes sont transmises depuis la planète Mars, des images du sol martien accompagnent ses explications. Je suis subjuguée ! Cette époque est fantastique ! Des images de planètes défilent. Ivresse... Je ne les connaissais que sous la forme de minuscules points scintillant dans la nuit. Elles viennent jusqu'à moi à travers l'espace, c'est prodigieux ! Je vais reprendre mes travaux, rencontrer les savants de ce siècle, les érudits et les philosophes. Il y a tant à découvrir, je trépigne.

La jeune femme en blanc tempère mon excitation. Il faut d'abord s'assurer de la réussite totale de ma résurrection. Mes “ pères ” scientifiques seront bientôt à mes côtés pour m'initier au monde de 2017.

Les planètes ont disparu. L'homme de la télévision, revient me visiter, l'air lugubre à présent. Il annonce une horrible nouvelle. Un homme a été décapité par des fanatiques religieux. Au nom de Dieu. Ces personnes proclament qu'Il leur ordonne de tuer les Infidèles. Ils recrutent des jeunes, les endoctrinent, les transforment en tueurs.

Mon excitation retombe, je suis effondrée. Rien n'a changé depuis deux mille ans, croyances et vérité se confondent encore…

 

“ Enseigner des superstitions pour des vérités est la chose la plus terrible. ”

 

Ma décision est prise. Je vais faire ce que j'ai toujours fait, je vais lutter pour éduquer les jeunes de ce temps, leur apprendre à penser plutôt qu'à croire. Je raconterai mon histoire, enseignerai la philosophie, la tolérance partout sur la Terre, par la grâce de la télévision. Comme ce petit colibri voletant dans ma mémoire millénaire, je ferai ma part... Peut-être est-ce là le but de ma résurrection ? Serais-je le nouveau messie du monde ? Jolie revanche, mes pères scientifiques ne manquent pas d'humour...

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Rédigé par Mado

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Publié le 14 Juillet 2017

J’ai beaucoup de chance de vivre sur l’île de Djerba. J’adore la mer. Dès que j’ai un moment de libre, je m’échappe à la plage. Je fais des longues promenades, j’accueille la caresse de la brise. Parfois, le vent souffle fort, j’accueille alors sa rudesse, je me bats avec lui pour avancer. Ça ne me gêne pas. J’ai l’impression que mes poumons se régénèrent, qu’ils se nettoient de toutes les saletés inspirées, accumulées au fils des jours.

 

Quand j’ai assez marché, quand je commence à ressentir la fatigue, je m’assoie à même le sol, observe l’incessant ballet des mouettes et me laisse bercer par leurs cris stridents. Je lève la tête pour l’exposer au soleil, en sentir la chaleur sur ma figure. Je savoure l’odeur des algues, elle me rassure. Pour moi, elle signifie la continuité, le passé, l’avenir, le présent. Tout comme le clapotis des vagues qui suit toujours un rythme régulier, rythme qui change selon le temps qu’il fait. Les yeux fermés, j’écoute.

Souvent, je vole une heure à mes tâches ménagères pour me ressourcer ainsi. Je marche sur une plage inconnue des touristes, où je suis tranquille, où seulement d’autres habitants de l’île croisent mon chemin. Aujourd’hui aussi, j’ai pu m’échapper. Assise sur la plage, je caresse négligemment le sable avec ma main gauche, sentant la finesse de ses grains, son agréable tiédeur, son toucher soyeux. Mes oreilles s’imprègnent du bruit des vagues qui s’entrechoquent. L’une se retire après avoir léché la plage, pendant que la suivante veut à son tour toucher terre. Pendant des heures, je pourrais rester à les écouter.

 

Soudain, j’entends une rupture dans le rythme des vagues, puis le vrombissement d’un moteur, d’un moteur de bateau. Je rouvre les yeux. Je ne me suis pas rendu compte que je les avais fermés. J’aperçois l’embarcation, vieille, surchargée, remplie à ras bord d’hommes, de femmes, d’enfants en partance pour l’Europe. Je les entends. Certains crient, de peur ou de surprise, je ne sais pas. D’autres semblaient prier. Sur tous les visages, je discerne l’angoisse, la peur de l’inconnu, d’un avenir difficile.

 

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Rédigé par Illiola

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Publié le 14 Juillet 2017

A 44 ans, je profite si on peut dire, des derniers instants de complicité avec ma grand-mère pied-noire. Chaque événement annuel est une fête. Un moment de partage de plus en plus lié au plaisir de la table, même si elle perd plus vite le goût des choses que le goût de la vie, enfin n’est-ce pas un peu la même chose ? Chaque année, je me dis que c’est notre denier Noël ensemble, c’est son dernier anniversaire, la dernière Pâques où on mange la Mouna. Et puis non. Les années passent, le siècle aussi et elle est toujours là. « Bon pied bon œil, la mémé » comme dit ma cousine ! En juillet 2017, elle soufflera ses 102 printemps, ou automnes… Qu’on se rassure : nous ne lui mettons que quelques bougies sur son gâteau, qu’elle n’aime plus d’ailleurs : « C’est tout du sucre, ce gâteau ! Ma fille, il n’y a rien à faire : j’ai perdu le goût ». « Pour les huîtres, tu n’as pas perdu le goût, mamie ! » Elle rigole avec ses yeux espiègles : « Ah ben les huîtres c’est pas pareil ! » Elle aime bien avoir le dernier mot.

Maintes et maintes fois je lui posais les mêmes questions sur l’Algérie, son pays, d’où on l’a foutue dehors comme elle dit « une main devant, une main derrière », mais je les lui pose à nouveau tant ça lui fait plaisir de parler de son pays. Et puis il faut avouer, que un, j’ai oublié ce qu’elle m’avait déjà raconté, et que deux, je ne sais plus trop quoi lui dire, surtout dans cette maison de retraite qui anesthésie toute élan de créativité. Il faut savoir être inventif dans ce contexte. Je veux toujours trouver des sujets de conversation extraordinaires mais au final, je lui raconte les petits événements qui ponctuent ma petite vie. Après j’ai le droit à toute une série de questions sur la famille : « Et ton père comment va-t-il ? Et ton autre grand-mère, comment va-t-elle ? Et tes cousins ? Et tes cousines ? Et untel et…. » Ça n’en finit plus. Elle fait le tour de tout le monde comme ça. Une fois à court de sujets, je m’inspire des grands événements de l’actualité mondiale qui se répercutent sur nos petites vies à tous. Cette conversation de comptoir finit toujours par « Et les jumeaux de Charlène ? Ils doivent avoir un an maintenant ? Ils sont beaux, ces gosses… Elle est belle, elle ? Non ? Tu ne trouves pas ? » Et moi de lui répondre « Mais Mamie, ça fait deux ans, qu’ils ont eu un an ! ». Elle adore les bébés, les naissances, enfin, c’est pour dire qu’elle a encore pratiquement tous ses neurones et qu’elle compte plus les naissances que les morts ! Les morts, elle les oublie. Est-ce son secret de longévité ? Moi qui à 44 ans, achète des livres sur la pensée positive, je n’ai qu’à m’inspirer du modèle que j’ai sous les yeux ! Penser juste à l’avenir et non au passé ! Sans doute, l’ADN familial provenant de Reggio di Calabre qui coule sous sa couenne de pied-noire. Elle a quand même vaincu et survécu et à la typhoïde et à la grippe espagnole qui a pourtant engendré 50 millions de morts... Sa mémoire du jour s’envole, tandis que sa mémoire des jours plus heureux reste bien ancrée. Je caresse sa main encore très douce, avec sa peau devenue si fine qu’on voit les veines bleues de ses doigts. Ces petits doigts de pianiste qui ont tant couru pour jouer Chopin, Bach, Saint-Saëns. Je la regarde fixement. J’embrasse sa main et son visage comme un bébé, comme elle me faisait quand j’étais petite et ponctue mon rituel d’un :

Tu es belle, Mamie !

Oh oui ! Comme un jour qu’il pleuvait tant !

Et on rigole comme les deux espiègles que nous sommes. J’adore cette réplique. Elle en a des drôles….

Mamie….tu te souviens de quoi de l'Algérie ?

L'Algérie, c'était un beau pays. La Madrague. Il y avait la mer en bas de chez nous. Il n'y avait pas besoin d'aller courir, de prendre l'autobus. On allait se baigner. J'ai des photos sur les rochers avec Papi. C'étaient les premiers maillots de bain qu'on faisait. Ma mère m'avait pris le premier modèle à Paris. Elle est froide, l'eau de la Médittérannée. Je plongeais pas parce que j'avais les oreilles délicates. Je nageais tous les jours quand j'étais adolescente.

Mamie…..La Madrague, c’est quoi déjà s’il te plaît ?

La Madrague c’était le nom de la plage du village de Guyotville, à 17 km d’Alger. Tous les samedis, on allait au cabanon en voiture. On était à 700 mètres de la plage. Avec les copains on grimpait sur les rochers à fleur de sol et on se jetait dans l’eau froide de la Méditerranée. Les maillots de bain étaient encore à une pièce comme ceux des boxeurs. Ma mère, elle, ne se baignait plus. Elle était trop vieille. Elle avait 40 ans. Le dimanche, on dansait sur la terrasse des voisins qui n’étaient pas là, Les Ramarre. On avait les clés. On avait le phonographe portatif. On dansait sur Tino Rossi, le tango, Maurice Chevalier…… On emportait tout. On avait une grande cuisine avec le gaz butane en bonbonne. On préparait une bonne macaronade, un bon couscous, un bon ragoût, on cuisinait pour deux, trois jours. En dessert, on préparait des salades d'oranges en tranche avec du rhum. Les oranges d'Algérie étaient magnifiques, pleines de jus, délicieuses, énormes. Elles venaient de Staoueli, village à côté de Guyotville. On achetait les fruits au marché. A la Madrague, il y avait un peu d'arbres fruitiers.

Et vous faisiez la fête ailleurs aussi ?

J'allais danser au bal des villages, de Guyotville, Sidiferuche, tous les pays alentour. Ils faisaient venir des orchestres. Et il y avait bal. On s'habillait en petite robe de coton, avec des petites fleurs. On allait tous ensemble en voiture, on emmenait ceux qui n'avaient pas de voiture.

Et tu pêchais ?

Oui, j’allais pêcher avec Alfonsine, elle était bonne pêcheuse. On pêchait en bas de chez elle, en bas du cabanon, on ramassait les petites crevettes dans des briques. On mettait des briques dans l'eau et elles ne pouvaient plus ressortir. On les mangeait crues, c'était bon.

Le silence s’installa. J’attendais que mamie me raconte la suite ou je la laissais savourer ce souvenir paisible et heureux. Je la regardais, ces yeux rieurs, les mêmes que ceux de l’adolescente qui vivait en Algérie. Elle avait bien changé. Ondée de rides, jambes frêles et immobiles, mains tremblantes, quelques vraies dents encore que je brossais sans dentifrice parce qu’elle n’aimait plus ça. Son regard et le mien étaient les seules choses joyeuses de cette pièce, correctement décorée, ultra propre, avec le ronronnement du matelas anti esquarre. Le présent était là, mais on n’en voulait pas. Retour vers le passé :

Et Alger ? Raconte-moi Alger.

J'habitais rue Joinville, à côté des Galeries de France. De 8 ans jusqu'à ce qu'on nous foute dehors. J'habitais au deuxième étage. On était bien avec tous les voisins. On lavait le linge à la terrasse qu'on louait à la concierge. On avait toute la terrasse pour nous. On lavait avec du savon de Marseille. Une laveuse venait, une Arabe. C'étaient des gros pains de savon. Ma mère l'achetait d'avance et le faisait sécher parce qu'il était frais. On avait une voisine, Mme Rey, elle venait tout le temps et elle nous empruntait du savon bien frais et nous le rendait bien sec. Alors on ne lui a plus confié le savon. C'était un immeuble en pleine ville, en ciment blanc. Ça sentait propre. Un peu plus loin il y avait la Poste. On voit souvent la photo dans les journaux. Il n'y avait pas de moucharabiehs. C'était réservé aux quartiers arabes, ça. Nous, on avait juste des fenêtres avec les volets en bois blanc. On avait le gaz de ville. On se chauffait un petit peu, en plein hiver parce que moi j'étais assise au piano et j'avais froid. On avait un Godin, je me rappelle, émaillé vert.

(Silence) et après ?

Après quoi ?

Ben…je ne sais pas moi. Euh…. Comment t’habillais-tu ?

J'étais habillée comme les Françaises. On ne mettait pas de pantalon à l'époque. Je mettais des robes. On prenait la couturière à la journée, elle restait manger et puis elle faisait son travail. Je choisissais le tissu aux Galeries de France. C'était le premier coton qu'on faisait, avec des petites fleurs. La miguialine, quelque chose comme ça. On mettait des robes courtes, jusqu'aux genoux, manche courtes ou manches longues.

Et vous aviez aussi une Fatma ? Comment s’appelait-elle ?

Oui, à la maison, j'avais une Fatma. C'était son nom. On la payait normalement. Elle travaillait bien, elle avait le voile.

Tu parlais arabe avec elle ?

Non. C’est mon grand-père qui parlait arabe couramment. Je ne me souviens que de Balek, (lève toi de là).

Et comment tu disais Merci ?

On disait pas merci.

Et comment tu dis Bonjour ?

Me rappelle pas.

Et…..Tu mangeais des plats spéciaux ?

Ma grand-mère était lyonnaise et l'autre, italienne. Alors on mangeait de tout. Des pâtes à la tomate, le saucisson chaud. On trouvait du porc, il y avait de tout à l'époque. On faisait la choucroute, des gros plats quand on était nombreux. Pour le 15 août, tout le monde arrivait avec le gâteau à la main pour passer la journée avec nous. La Sainte-Marie, mon père n'aurait pas manqué ça pour tout l'or du monde.

Et quand tu jouais, tu jouais à quoi ?

Aux osselets.

Comment on y joue ?

On les jette puis on les ramasse, tous à la fois, ou séparément, je n’sais plus. On jouait dans la cour de chez Lépain.

Je lui demande des explications, mais ne comprends toujours pas en quoi cela consiste. Je laisse courir. Le matelas anti esquarre ronronne toujours. Le silence s’installe. Sa mémoire est pleine de souvenirs mais la pièce est vide. Si je n’étais pas là à lui poser ces questions, qui les ferait revivre ? Elle a de la chance ma grand-mère. Ses deux filles et une de ses petites filles s’occupent bien d’elle.

Mamie…Ça sentait comment Alger ?

Alger ? Ça sentait la campagne.

Ah bon ? Ça ne sentait pas les épices ? le souk ?

Non, on n'était pas mélangé avec les Arabes.

Ah oui ???? Bon… Et où faisais-tu les courses ?

Le marché rue de la Lyre. Les Arabes vendaient tout et on parlait avec eux en français, mais on n’achetait pas le mouton là, on allait chez René, le boucher qui vendait du mouton de France. Le mouton arabe était trop fort.

Et c’est quoi cette histoire de ras el hanout ?

Oh (elle s’énerve), ta mère, elle dit qu’on mettait du ras el hanout dans le couscous. (elle crie) On n’a jamais mis du ras el hanout en Algérie ça n’existait pas !!! Ça, ça vient de Tunisie. Nous, on ne mettait que du cumin.

T’énerve pas Mamie, t’énerve pas….Et… vous achetiez des choses arabes ?

On avait des couffins arabes non colorés, avec de la corde. Petite mère, elle habitait au deuxième étage, nous on était au troisième, il n’y avait pas d’ascenseur, alors on mettait l’argent dedans et on descendait le panier avec la corde. Et les vendeurs mettaient les produits dedans.

Tu veux me dire autre chose ?

Une fois on s'était levés avec mon père, pour aller au cabinet avec une bougie, on n'avait pas allumé à cause des bombardements italiens. Tout d'un coup mon père me dit « c'est un avion allemand qui vient » car le bruit des avions allemands était différent de celui des italiens. L'allemand avait lâché la bombe dans un jardin, et le lendemain, tout le monde venait voir le cratère. C’était à Guyotville, on avait quitté Alger à cause des bombardements.

Mamie, comment elle s’appelait déjà ton école ?

L’Ecole hôtelière du jardin d'essai. Ma mère avait dit « tu vas prendre des cours de cuisine » ; on cuisinait pour tous les instituteurs. Une fois on devait cuisiner du poisson. Et comme on n’aimait pas les instituteurs car ils n’étaient pas gentils avec nous, pour les emmerder, on a sursalé le poisson. Et puis il s'est mis à pleuvoir, à pleuvoir beaucoup. Donc on a été obligés de rester à l’école et on a dû se farcir le poisson avec eux ! C’est le Bon Dieu qui nous a punis !

Et tu te souviens de ton arrivée en France ?

J’ai pris le bateau avec mes parents. Le Manouba. C’était la première fois, en 1925. J’avais 10 ans. Ils n'étaient pas propres les Français, ça se voyait sur eux. Les Français disaient que les Arabes étaient sales, menteurs et fainéants. Je leur répondais : « Pourquoi ? Vous les connaissez ? »

(Silence) J’embrasse et caresse sa petite main.

Je te parlais de ton arrivée en France quand tu es rentrée définitivement.

Quand on est rentrés, on n’avait rien, on n’avait pas de four, on n’avait rien. (Silence) De Gaulle, il a bien fait. De toute manière on aurait perdu l'Algérie et on aurait tout perdu. J'ai peut-être tout perdu sans perdre.

Ça veut rien dire, Mamie ce que tu dis.

Qu’est-ce que t’en sais ?

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Rédigé par Marie

Publié dans #Patrimoine & Méditerranée

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Publié le 14 Juillet 2017

Démétrios n’avait plus le droit de retrouver ses amis autour d’un délicieux « Giouvetsi », agneau cuit dans un pot en argile, arrosé de « Retsina ». Cette action devenait subversive. Ainsi en avaient décidé les lois d’exception de la dictature des colonels. Les cinémas étaient fermés, les regroupements de personnes, interdits. Le régime favorisait les séries cultes à la télé pour maintenir à domicile la population. Lui le provincial, arrivé de sa Thessalie lointaine avec son bagage littéraire et ses idées de partage, le vivait mal.

 

Ce soir là, Démétrios, éditorialiste au journal « La presse du soir », est passé dans son appartement de la capitale récupérer quelques affaires. Il rejoindra Angelina demain. Sa chère Angelina qui trouve toujours les mots pour le rassurer.

Dehors une petite pluie fine brille sous la lumière du réverbère qui vient de s’allumer. Le clair-obscur règne. A l’intérieur de son logement il déguste son café, debout, face à l’encadrement de sa fenêtre. Le lampadaire, de l’autre côté de la rue, diffuse sur le trottoir une lueur jaunâtre, incertaine.

Dix ans qu’il publie ses colonnes dans ce journal. Dès le début, sa prose a plu. Les lecteurs s’enflammaient. Démétrios était perçu comme une sorte de satellite imprévisible, talentueux, cultivé. Ses articles à « La presse du soir » contribuaient à maintenir le journal en tête des quotidiens. Il était devenu, lui, le petit provincial, une sorte de héros, celui dont on parle dans les salons avec tout ce que la passion charrie.

Puis le pays fut secoué par la dictature, sectaire, aride, brutale. Cette guerre civile larvée gangrenait toutes les régions. Des hommes se déplaçaient en tenues sombres, le verbe haut, le gourdin leste, sans être inquiétés par quiconque. Le pouvoir bascula. Les lois d’exception furent votées. Les journalistes poursuivis, muselés, quand ce n’était pas disparition pure et simple. Des idées folles circulaient. Tous fantasmaient sur ces fameux « miliciens ». La peur s’installait, rampait, accaparait les esprits. L’assassinat d’un député de l’opposition*¹ alimentait toutes les discussions. Ses amis Gregoris et Constantinos, écrivains libéraux connus, n’étaient pas rentrés chez eux depuis un mois. Personne n’avait de leurs nouvelles. Son journal, «La presse du soir », était devenu un journal d’opposition avec des articles contrôlés, censurés. Puis Démétrios fut interdit d’écriture. Les tirages du quotidien chutèrent de façon vertigineuse.

Il se réfugia dans un village à cent kilomètres de la capitale en attendant que tout cela s’apaise.

Angelina, essayait de dédramatiser. Leurs escapades à deux ne procuraient que bonheur et détente, même dans les cas difficiles…

Démétrios sa tasse de café en main, balaie du regard la rue en contre bas. Le soleil s’est couché derrière l’Acropole. La nuit s’est installée. Le collier de lampadaires diffuse de loin en loin une lueur blafarde. Quelques voitures isolées passent en chuintant sur l’asphalte mouillé. Au loin, une sirène beugle. Un navire crie son autorisation de quitter le port. La Méditerranée aussi est contrôlée. Tout en portant la tasse à ses lèvres, il se rappelle leur promenade à bicyclette vers ce village si proche de leur lieu de repli.

Angelina voulait revoir une copine qui les avait invités dans sa maison de campagne « à seulement douze kilomètres de chez vous » avait-elle dit ! Il ne trouvait pas l’idée très bonne après tous ces événements. Mais ce que femme veut …

A peine avaient-ils dépassés les abords immédiats de leur village, que le vélo d’Angelina roula sur une pierre et elle chuta. Dans l’embardée, elle eut les genoux griffés. Un barrage de miliciens situé à proximité s’approcha pour un contrôle d’identité. Sa position de journaliste connu l’avait mit mal à l’aise.

Le responsable de l’escouade voulut faire de l’humour :

Hum !… Journaliste ! … La presse du soir ! …Mademoiselle, j’espère qu’il est raisonnable votre ami ?

Heureusement, les genoux déchirés d’Angelina attiraient toutes les attentions. Les hommes n’en finissaient plus de dérouler bandes et tampons d’alcool ! Leur trousse de premier secours n’avait jamais autant servie. Tout avait été réglé avec bonhomie. Ils passèrent sans encombre.

Alors ? lui avait-elle dit, tu vois toujours tout en noir. Qui avait raison ? Tout cela va se tasser. Lui voyait surtout cette censure qui contrariait sa carrière. Ne partageant pas les idées du moment il se sentait constamment en danger. Il ruminait cela sans cesse.

 

Toujours dans l’encadrement de sa fenêtre, Démétrios repère en contre bas, dans l’embrasure d’une vitrine sombre, un homme immobile qui s’abrite de la pluie. Seules ses jambes sont visibles dans le halo du lampadaire. Dans l’instant la peur lui renoue le ventre. Que fait-il ici celui là ? Un membre des « Escadrons noirs » ? Un mystère ? Son imagination le projette immédiatement vers une logique qu’il ne peut contrôler. Le chroniqueur éteint les lumières, sa fenêtre se noie dans l’obscurité. Il retrouve provisoirement une sérénité et essaie de se raisonner : arrêtons de vivre dans la terreur, cet individu en bas attend peut-être sa petite amie. Et cette voiture stationnée pas très loin tous feux éteints, il voit bien qu’il y a quelqu’un derrière le volant. Une coïncidence elle aussi ? Les minutes passent. Des heures sans doute. L’homme est toujours là, la voiture également. Ses idées s’entrechoquent dans sa tête. Cet appartement est une vraie souricière. Ils me surveillent c’est sûr. Lui reviennent en boucle des phrases alarmantes : « Les journalistes et leurs idées subversives ! La critique sans bornes à la une des journaux doit cesser. Nos patriotes seront là pour intervenir. Nos valeurs seront respectées. » Voilà ce que martèlent du matin au soir, radios, journaux, forcément ça laisse des traces. Il revoit soudain défiler avec effroi ses articles qui n’ont jamais pu paraître mais dont le titre n’était pas ambigu « Ils ne nous sont pas utiles », censurés certes, mais lus par ceux qui appliquent cette censure. Et après ? C’est certain, l’information a dû passer, ils me recherchent !

Il n’en fallait pas plus pour actionner cette police parallèle. Quelle chimère que d’avoir pensé y échapper. Démétrios a les nerfs à fleur de peau. Il s’éloigne, revient vers la fenêtre. A l’extérieur, dans l’encadrement sombre de la baie, le goutte à goutte lancinant s’écoule de la gouttière sur le rebord de la fenêtre. Sous le lampadaire, du nouveau : plus personne ! Le cerbère est parti. Aussitôt ses réflexions s’apaisent.

Ah ! Tu vois, tu te faisais des idées ! pense t-il. Mais voilà qu’autre chose lui accapare l’esprit.

L’ascenseur résonne dans l’immeuble. Il s’arrête à l’étage. Démétrios se précipite à l’œilleton de sa porte. La lumière du palier s’éteint. Il recule, atterré. Ça y est, se taire ou fuir, voilà ce à quoi ils sont arrivés ! Il faut se décider !

Démétrios a toujours en mémoire les déclarations tonitruantes des nouveaux responsables au pouvoir. Il hésite, ne sait que faire… Il se précipite sur son téléphone et appelle Angelina. La sonnerie qui s’éternise dans le vide augmente son angoisse. Il raccroche.

On frappe à sa porte. Cela résonne dans sa tête comme des coups de feu. Son cœur s’emballe, la sueur commence à perler sur son front. Il se sent figé, puis soudain il prend une décision. La seule qui lui apparaît comme inévitable : fuir ! Il ouvre la fenêtre, enjambe la balustrade, s’agrippe à la chute d’eau. Ses mains glissent, il est précipité dans le vide. Un bruit sourd.

Après un silence, le martèlement de la porte reprend.

Démétrios Tu peux m’ouvrir ? C’est moi Angelina !

Avec sa clef elle ouvre la porte. Sur la table, un petit mot griffonné en vitesse :

Pourquoi n’a tu pas répondu ? Passeras- tu me voir ?

Nous étions le 16 novembre...*²

 

 

*¹ - Assassinat du député Gregoris Lambrakis dont un livre et le film Z ont retracé le parcours.

*² - Le 17 Novembre 1973, la révolte des étudiants de l’école Polytechnique matée par les chars enclencha le processus qui, aggravé par la crise Chypriote, provoqua la chute de la dictature des colonels.

Guerres civiles, dictatures, les pays qui bordent la Méditerranée y plongent souvent. La démocratie reprend-elle toujours le dessus ?

 

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Rédigé par Gérald

Publié dans #Patrimoine & Méditerranée

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Publié le 14 Juillet 2017

Au sommet du mât

Je mate la Crète

Ses mythes en tête,

Cet amas de fadas,

Que les mites des années n’ont pas émietté.

 

Pauvre minotaure,

Dans son labyrinthe,

Dédale d’âmes éteintes

Pour nourrir au final sa mort

Poignardé par un taiseux Thésée.

 

D’où viennent ces folles fictions

Imaginant des amours zoophiles,

Des monstres hybrides jouissifs pour les futurs cinéphiles

Où trahisons, quiproquos et loi du talion

Sont sensés nous expliquer l’origine du monde ?

 

De cette fameuse huile d’olive ?

Des tentacules cuites du poulpe ?

Du Raki qui entourloupe

Les méandres du cerveau d’une salive maladive ?

Ou sont-ce là les fantasmes libidinaux du genre humain ?

 

Mystère total.

Et c’est en posant genou à terre,

Embrassant l’île et respirant son air,

Que je vis Napoléon Bonaparte juché sur un beau taureau blanc me dire :

L’imagination ? C’est l’œil de l’âme.

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Rédigé par Marie

Publié dans #Patrimoine & Méditerranée

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