Je marchais depuis si longtemps sur le môle, plongé dans mes pensées, lorsqu’au détour de la digue je l’ai vu, immobile, de dos, face à l’océan qui se retirait.
Je savais qu’il vivait là depuis le jour où, lors d’une ballade en canoë, on l’avait repéré. Mais vu par la mer avec ce visage inexpressif ce n’étais pas la même chose.
On l’appelait l’ermite de la plage. Moi qui l’avais si souvent observé, il m’intriguait. A tel point que j’avais décidé que nous serions amis !
C’est absurde, m’avait-on dit, comment peux-tu être ami avec une statue de bronze ?
Les gens viennent de loin prendre une photo avec lui. Elle n’est pas aussi célèbre que la silhouette sur le chemin de Saint Jacques de Compostelle, mais tout de même !
Moi je trouve que quelqu’un qui collectionne les coquilles de bulots apportées à ses pieds par la marée est quelqu’un de sympathique. Des maisons parfaites ces bulots. Quelqu’un qui aime tant les maisons c’est peut être qu’il n’en a pas eu une dans sa jeunesse non ?
Aah ! Avec toi, on peut tout imaginer ! Et pourquoi pas des voiles de bateaux avec cette écharpe qui flotte au vent ?
Je sais que toutes ces nuances sont fragiles et que je ne pourrais pas me défendre si je devais argumenter pour les préciser, alors j’abandonne ?
Je veux bien que tu lui trouve une âme à cette statue. Cette écharpe on peut y voir un appel aux autres pour rompre sa solitude, du style :
Coucou, je suis là, vous me voyez ? Parce que moi qui suis immobile je vous aperçois très bien vous amuser, veinards va !
Ah, tu vois, toi aussi tu te fais prendre…
Le temps change brusquement. Les nuages cachent le soleil. Je la regarde et je ne suis plus sûr de rien. L’ombre s’est évaporée.
Le soleil revient brutalement. L’espace d’un instant je revoie ma vieille tante courbée, appuyée sur sa canne, regardant l’horizon qui s’enfuit comme sa propre vie…
Le vent fraîchit. Le sable de la plage se soulève en petits tourbillons. Plus loin la mer mousse, on entend son grondement. La marée remonte.
Un coin de ciel bleu apparaît soudain comme un havre de paix. Le personnage semble pivoter comme s’il percevait mes pas qui s’approchent…