L’ÉNIGME de la PORTE FAUSSE

Publié le 27 Avril 2024

La nuit étire son manteau sombre sur la ville. Les sept totems, qui ont titillé mon subconscient, entrent en action éclaboussant de leurs faisceaux lumineux multicolores la place Masséna. Il serait raisonnable de rentrer, cependant une irrésistible envie de poursuivre ma balade en nocturne guide mes pas direction le vieux Nice. J’y suis née et j’ai toujours grand plaisir à flâner dans les entrailles de « Nissa la Bella ». Sans but précis, j’emprunte le passage de la Porte Fausse pour entrer dans le cœur de la plus belle ville azuréenne. Malgré sa voûte dorée et ses faux marbres, ce « trait d’union » entre passé et présent, m’a toujours impressionnée. Sombre, parfois mal odorant, je l’ai, quelquefois, qualifié de lugubre. Aujourd’hui, faisant fi de mes craintes, je décide de m’y attarder afin d’admirer la fresque de Sarkis. Soudain, un couple qui se tient par la main, attire mon attention. Lui grand, mince, assez musclé, donne des signes de nervosité évidente. Elle, visage juvénile, teint de porcelaine semble troublée. Ils descendent vivement les escaliers, peut-être un peu trop rapidement pour la jeune fille qui a failli trébucher à ma hauteur. Elle s’insurge mais reçoit, en retour, un regard glacial qui en dit long sur la tension qui les oppose. Sans qu’il n’y prenne garde, elle lâche, de sa main crispée, un petit bout de papier froissé et me lance une œillade affligeante qui m’apostrophe.

  • Et si ce geste inqualifiable n’était pas un manque de civisme !
Je me courbe aussitôt, le ramasse discrètement et le déplie,
  • « Au secours » !
Un frisson parcourt mon échine. L’écriture saccadée, de cet appel à l’aide, laisserait supposer que ces mots ont été griffonné dans la précipitation. Dilemme, intervenir ou passer mon chemin ? J’avoue hésiter, il est tard et, qui plus est, aurais-je du répondant pour faire face à un éventuel danger ? Sans réellement réfléchir aux conséquences, j’emboite leurs pas. Au bas des escaliers ils tournent à gauche, rue de la Boucherie. En ces lieux, la foule est plus dense à la tombée de la nuit, je dois donc m’activer pour ne pas les perdre de vue. Ma première réaction ? Jouer la carte du touriste en quête de photos insolites.
  • Sûrement le réflexe d’une lectrice de polars
Là, tavernes et autres négoces de spécialités locales pullulent et, aux prémices de la nuit, nombreux sont les noctambules à la recherche du plus typique troquet pour se restaurer. Portable en mains, les yeux rivés sur ce binôme mystère, j’essaie de me frayer un passage parmi la nuée de promeneurs qui vont et viennent. Cela dit comment intervenir en cas d’agression ? Je n’ose l’imaginer. Au carrefour de la rue du Pont Vieux ils prennent à droite, rue du Collet. Elle se retourne comme si elle espérait une intercession divine. D’un geste relativement brutal, il la tire, l’enlace et l’embrasse. L’étreinte, qui ne me semble pas forcément appréciée par la demoiselle, me laisse néanmoins pantoise.
  • Me serais-je trompée au point d’attribuer, à ce jeune homme, des intentions malsaines ?
Feignant d’apprécier l’éventaire d’un négoce de tissus provençaux, je les suis du regard. Côte à côte, son bras, posé sur l’épaule de la belle, m’attendrit mais je déjoue rapidement cette mise en scène. Devant un glacier où de nombreux amateurs font la queue, deux policiers sont de faction.
  • Oserais-je les interpeler ? Mais pour les alerter sur quoi ? Je me dois de poursuivre mes investigations avant d’engager quelque action que ce soit. Il faut se rendre à l’évidence, sans aucun élément concret, ce ne sont qu’extrapolations délirantes personnelles.
Quelques secondes plus tard, ils pressent le pas, s’engagent dans la rue Benoit Bunico et bifurquent dans la rue Sainte-Claire. Ce lieu, désertique et sombre à la fois, est loin de me rassurer mais, résignée, je poursuis ma filature en prenant soin de ne pas les rattraper. Investie d’un sentiment d’insécurité, je ralentis jusqu’à ce qu’une certaine distance nous sépare. L’oppression est grandissante aussi je reste à l’affut de tout mouvement suspect. Au fond, à la lueur d’un réverbère, leurs silhouettes se dessinent en ombre chinoise sur le mur d’une vieille bâtisse flanquée d’un porche à ouverture béante. Les voix qui animaient joyeusement la rue commerciale s’estompent peu à peu, ce qui me fait craindre l’isolement ! Alors que j’avance timidement, mes pas, à peine audibles, crissent sur les pavés. Je tends l’oreille lorsqu’un molosse surgit de la pénombre et me fait sursauter. Il aboie si fort qu’il me glace le sang. Pétrifiée et incapable de me mouvoir, je retiens ma respiration. Je suis tétanisée à l’idée qu’il puisse me mordre mais, paradoxalement, il me renifle et s’éloigne sans broncher. Je vis la minute la plus longue de ma vie avec l’impression d’être seule au monde. À une trentaine de mètres de la montée Menica Rondelly qui mène à l’allée François Aragon, je me rends compte que j’ai perdu leur trace. Soudain, je crois deviner leur destination finale,
  • Seigneur ! Le cimetière du Château !
Aucune âme qui vive dans cet endroit macabre. L’obscurité est totale. La gorge serrée, je m’efforce de déceler tout bruit suspect. Mais rien, un profond silence. Mon pouls s’accélère, je peux même entendre les battements de mon cœur. Mon souffle est court, ma main tremblante attrape fébrilement la mini lampe torche accrochée à mon porte-clés. Si la lumière est faible, elle me permet de me diriger jusqu’à l’entrée de la nécropole. Le lourd portail de fer est entrouvert, ce qui n’est vraiment pas de bon augure car il est toujours fermé à cette heure-ci. J’hésite mais, malgré ma frayeur viscérale, aller à son secours me motive à m’engager dans l’allée principale. Tous mes sens en éveil, j’avance furtivement.
  • Mais où sont-ils passés ? J’espère que ce n’est pas trop tard !
Derrière moi, déchirant le silence, le portail racle le sol. On me suit…. Instinctivement je fais un demi-tour sur moi-même. Deux personnes, torche à la main, s’avancent d’un pas décidé. La boule au ventre je prends conscience que je suis prise au piège.
  • Serais-je en mesure de me sortir de ce pétrin ?
Avant de trouver la réponse qui convienne, le fameux duo, caché derrière la stèle d’une tombe, émerge brusquement.
  • Ciel un guet-apens !
Face à quatre agresseurs potentiels, je me sens totalement impuissante et je défaille. 
  • Calmez-vous, Madame, vous êtes en sécurité. Ce n’était qu’un simple pari.
Le ton employé, se veut rassurant mais la colère m’emporte…
  • Mais comment ça un pari ? Ça ne va pas non ? J’ai frôlé la crise cardiaque !
  • Nous vous prions d’accepter toutes nos excuses. Nous avions parié que, dans un monde de plus en plus égoïste, nul ne volerait au secours d’une personne menacée. Et bien c’est raté, vous nous avez prouvé le contraire
J’ai eu du mal à m’en remettre mais, croyez-moi si vous voulez, ma soirée s’est terminée en bonne compagnie, dans un pub devant une assiette de socca et un bon verre de vin.
 

Rédigé par Christiane

Publié dans #Ville

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