Publié le 1 Octobre 2025
La bouilloire siffle dans la cuisine. Quelques menus bruits de tasses heurtant leurs soucoupes parviennent jusqu'au salon où le thé sera servi. Ma tante, vieille dame volontaire, refuse mon aide. Elle tient à faire les choses elle-même, malgré ses mains devenues malhabiles au fil du temps et de l'arthrose. Je n'ai d'autre choix que de me blottir dans le vieux fauteuil aux roses jaunes et fanées, comme quand j'étais enfant.
Autour de moi, le salon n'a pas changé. L'horloge centenaire fait toujours tic-tac, le napperon en dentelle recouvre toujours la petite table, le carrelage beige, aux motifs abstraits noirs, continue à me donner le tournis. Figures à la géométrie molle, formes aléatoires, asymétriques, taches informes en vrac, on dirait les dessins d'un test de Rorschach, version explosive ! De tout ce capharnaüm étalé à mes pieds, à demi caché sous le buffet, surgit une image rationnelle. La tête tournée vers moi, un oiseau me regarde. Un oiseau noir, avec une aile qui s'écarte lentement, un oiseau de carrelage qui en a assez d'être fixé au sol depuis des décennies. Il s'arrache, s'envole, me survole en pépiant : tasse à thé, tassaté ! Et l'horloge ravie accélère ses aiguilles en chantant ses notes d'antan. Le cœur du vieux fauteuil bat la chamade à ses roses rosies par l'amour réveillé. Le salon se teinte couleur "Merveilleux", l'oiseau noir traverse un rayon de soleil qui le peint en doré, tassaté, tassaté, et vient se poser sur le bras du fauteuil, sur mon bras, dans ma main. Plumage soyeux, bavardage argenté cliquetant comme une tasse rencontrant sa cuillère à sucre.
Le goût de l'enfance pique la langue. L'odeur du pain d'épice s'échappe, l'oiseau l'entraîne du bout de l'aile, du bout du bec, du bout du rêve, la laisse choir sur le napperon en dentelle. Elle s'étale et ruisselle.
Dans la cuisine, la bouilloire s'est tue.
- Thé au jasmin aujourd'hui !
La voix de ma tante a précipité le silence. Instantanément, l'oiseau rejoint son carreau, l'horloge ralentit ses aiguilles, le fauteuil abandonne ses roses. Mais le thé au jasmin, le pain d'épice, gardent, au plus profond d'eux-mêmes, la saveur du rêve...
Mado
/image%2F2034508%2F20160830%2Fob_8befea_1009194.jpg)
/image%2F2034508%2F20250717%2Fob_0ed376_istockphoto-165813497-170667a.jpg)
/image%2F2034508%2F20250717%2Fob_157668_istockphoto-165813497-170667a.jpg)
/image%2F2034508%2F20250924%2Fob_c2c939_image-2034508-20250716-ob-8cf48d-image.jpg)
/image%2F2034508%2F20250716%2Fob_163386_image-2034508-20250512-ob-d19c39-frise.jpg)
/image%2F2034508%2F20250925%2Fob_0255d6_les-poetes-du-parnasse-d-apres-un.jpg)
/image%2F2034508%2F20250713%2Fob_be6e1e_b3.jpg)
/image%2F2034508%2F20250924%2Fob_a222b4_cle-boulon.png)