RETOUR DE CROISIÈRE

Publié le 31 Décembre 2023

 
La veille de notre retour le Commandant a organisé, comme il est de coutume, une soirée d’adieu animée par un jeune guitariste. Ce jeune homme, grand, brun, aux yeux de feu nous a gratifié d’une ambiance top niveau. Habillé d’un pantalon noir et d’une chemise rouge assortie à sa guitare, il ressemblait à un hidalgo fier et fougueux. Ces dames, esseulées pour la plupart, ne le quittaient pas du regard. Même Valentine, pourtant très proche de Gino, semblait subjuguée. Julie avait oublié sa chasse aux mâles et ne songeait plus au mystérieux inconnu qu’elle avait convié à boire un verre pour mieux faire connaissance. Sans aucun doute avait-elle une idée derrière la tête, mais bon … Elle est majeure et vaccinée et ça ne regarde qu’elle. Anne-Sophie, qui avait fantasmé sur le Commandant, ne s’avouait pourtant pas vaincue et continuait à distribuer des œillades sans équivoque à qui voudrait bien les attraper. Elle ressemblait à un pécheur lançant sa ligne au hasard de l’eau en surveillant le bouchon pour voir si une prise s’était accrochée à l’hameçon.
Je nageai pour ma part avec difficulté dans cet océan de désinvolture où tout semblait facile à cette communauté d’initiés. Une flaque d’eau aurait suffit pour que je me noie dans les détails d’un environnement qui n’était pas le mien. Heureusement Edward m’avait accompagnée. Sa présence à mes côtés m’avait permis de profiter de cette merveilleuse croisière sans coup férir. Je lui dois beaucoup. Sa distinction et son calme naturel en toute circonstance étaient comme un paratonnerre qui me protégeaient des orages les plus violents. Il faut dire aussi que je n’avais jamais été la cavalière d’un homme aussi élégant. Il m’a appris à danser certaines danses de salon avec la facilité du professeur auquel aucun élève ne résiste. J’étais aux anges mais en moi-même, je savais que demain la féerie prendrait fin et la médiocrité de ce que j’allais retrouver me nouait l’estomac.
Vers la fin de la soirée il m’invita à prendre l’air sur le pont. Allait-il enfin répondre à mes questions ? La nuit était calme … Comme la douce mer d’huile sur laquelle nous naviguions. La lune, complice des éléments, semblait vouloir répondre à mes angoisses mais ses paroles consolatrices n’arrivaient pas jusqu’à moi. Accoudé au bastingage, Edward me prit la main et, les yeux dans les yeux, il me dit :
- Marjolaine, il faut que vous sachiez que l’instant du moment et les circonstances de certaines situations que nous vivons ne sont pas toujours évidentes. Je me suis rapproché de vous parce que je vous connais de longue date. Ne soyez pas surprise. En ce temps là, nous avons été très près l’un de l’autre. Ne me posez pas la question qui vous vient à l’esprit, je n’y répondrais pas. Mon souhait est que, au cours de cette croisière, vous ayez pris conscience de toutes les qualités qui sont les vôtres et que vous vous plaisez à rejeter. Ne subissez plus, soyez conquérante dans tous les domaines et votre proche avenir me donnera raison. Je dois vous quitter maintenant. Demain je repartirai avec cette famille canadienne que j’accompagne depuis longtemps. Je serai près de vous autant que vous le désirerez.
Il me laissa seule sur le pont et s’évanouit dans la pénombre. Je regagnai ma cabine. Mille réponses affluaient dans ma tête répondant à des questions que je n’osais pas me poser.
Le lendemain, arrivant à bon port, je le cherchais des yeux alors que je commençais à descendre la passerelle du bateau. Ne l’apercevant pas, je portais mon regard sur le quai et je vis mon mari et mes deux fils me faire de grands signes, semblables à des ailes de moulin à vent. Et là j’entendis mon mari :
- Dépêche-toi Marjo, on va rater le début du match !
La réalité du jour venait de me sauter à la figure. J’étais redevenue Cendrillon et mon carrosse une citrouille. Mais moi j’étais devenue quelqu’un d’autre. Marjo la fausse blonde était maintenant Marjolaine la vraie brune. Ils vont voir de quel bois je me chauffe. Il est temps de mettre fin à certaines choses et il est urgent d’en commencer d’autres.
 
ÉPILOGUE
 
Une nouvelle page s’était tournée mais c’est moi qui l’écrivais. Ma famille se contentait maintenant de se rallier sans rouspéter à mes bonnes idées. Tout allait pour le mieux, mais je ne pouvais m’empêcher de repenser à un détail qui me turlupinait ...
 
En regagnant la terre ferme, lors de notre retour de croisière, j’aperçus le Canadien qui était sensé être avec Edward. Je m’étais approchée de lui en demandant des nouvelles de mon mentor que j’aurais aimé saluer une dernière fois. Se tournant vers moi, il m’avait regardé bizarrement.
- Excusez-moi, mais êtes-vous déjà venue chez nous ?
- Non ! avais-je répondu. Et je ne connais pas le Canada. Pourquoi cette question ?
- Figurez-vous, Madame, que dans notre chalet de montagne nous avons un mannequin en bois représentant un officier au long court de sa gracieuse Majesté. Nous l’avons installé dans un fauteuil près de la cheminée et notre chat adore faire sa sieste sur ses genoux. Il amuse beaucoup nos invités. La légende du coin veut qu’il s’agisse d’un marin célèbre à son époque pour avoir fait des misères à une escadre de Napoléon. Il a été anobli pour ce haut fait d’armes. Son nom est : Sir Edward James Nottinghales. C’est pour cela que nous l’avons baptisé « Sir Edward ». Curieux n’est-ce pas ? Je dois vous laisser car ma famille s’éloigne. Vous aurez une belle histoire à raconter. Bon retour !
Je n’ai rien raconté. Cette histoire appartient à Marjo, la fausse blonde, Marjolaine n’aura que des questions qui se transformeront en souvenirs difficiles à raconter. Laissons le temps au temps. Carpe diem.
 

Rédigé par Fernand

Publié dans #Ecriture collective

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