L’ODYSSÉE DE MARJO

Publié le 31 Décembre 2023

Personnage

Marjolaine LEANDRI, avait eue la chance de gagner le premier prix d’un concours organisé par son magazine préféré : NOUS TROIS, avec en sous titre, Moi, mon mari et l’autre. Ce prix consistait en une magnifique croisière en Méditerranée pour une personne. A noter que cette croisière était, normalement réservée à des célibataires, dans le but évident de favoriser les rencontres.

Marjolaine, la cinquantaine épanouie, dotée d’un physique que l’on pourrait dire confortable, aurait pu être belle si les circonstances de sa vie l’avaient guidée sur d’autres chemins. Mariée à un homme qui se considérait au dessus de tout et mère de deux garçons dont l’option principale de vie était l’ingratitude, elle passerait son temps à pleurer si son imagination ne lui permettait pas de fantasmer sur des situations de vengeances plus sournoises les unes que les autres.

Son emploi de caissière d’un grand supermarché ne lui procurait pas une motivation capable de lui faire oublier les tracasseries d’un foyer où elle continuait une journée de contraintes encore plus pénible que celle qu’elle venait de quitter.

Elle avait demandé à ses collègues de travail de l’appeler Cendrillon. Pourquoi ? lui demandait-on, parce que ! répondait-elle.

Dans sa famille Marjolaine était considérée comme une gourde. Son caractère un peu simpliste lui permettait de s’isoler et de ne pas avoir à supporter les matchs de foot qui encombraient la télé. Mais, en contre partie , ça lui laissait la liberté de s’évader vers d’autres mondes. Et là, grâce à ce concours elle allait pouvoir fuir, pendant huit jours, et toucher du doigt ce à quoi elle passait son temps à rêver. Elle attendait la date du départ avec une impatience qui n’avait d’égale que la pensée de ne pas revenir.

La gazette lui avait fait parvenir le programme du voyage. Les escales, les excursions, les animations et les soirées à bord, tout semblait fantastique et trop beau pour être vrai. Marjolaine se posait des questions auxquelles elle se gardait bien de répondre... Aurait elle pu d’ailleurs ?

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L’EMBARQUEMENT

Mon Dieu !!! Le bateau était déjà impressionnant en photo, mais là... Le ‘ Comté de Provence ‘ me semblait plus gros que tous les immeubles de mon quartier entassés dans une même rue. Le trac me tordait les boyaux à l’idée d’affronter ce monstre. Mes bagages ayant été réceptionnés à l’avance, je n’avais plus qu’à aller, avec l’allure la plus distinguée possible, vers le comité d’accueil composé d’une multitude de jeunes gens qui attendait les passagers pour les guider dans les entrailles de ce anthropophage.

Je m’encourageai... Marjo, ma vieille, fonce dans le tas ! Personne ne va te manger et tu es attendue avec tous les honneurs qui sont dus à la lauréate du grand concours que tu as gagné. Je m’approchai lentement de la passerelle au milieu de dizaines d’autres passagers, qui eux, par contre, donnaient l’impression de savoir où ils allaient. Mes hésitations me bourlinguaient à droite, à gauche et j’étais tellement bousculée que je ne pensais plus qu’à m’enfuir. Alors que je tournai lamentablement casaque, une main secourable se saisit de la mienne. Venez ! me dit le propriétaire des doigts qui enserraient les miens, j’ai remarqué que vous étiez un peu perdue. C’était un monsieur, d’un âge mur, bien habillé, visage énergique et belle chevelure grise ornementée de mèches blanches, stature ferme... Rassurant quoi !

- J’ai vu la couleur de votre billet et je crois bien que nous allons nous retrouver à la même table au restaurant. J’accompagne une famille Canadienne pour qui je suis, comme qui dirait, un élément de décoration. Je m’appelle Polalydés, mais mes amis ont opté pour Pol, c’est plus simple.

- Mais monsieur je ne vous vois pas, moi, comme un bibelot. Je crois plutôt que vous vous moquez de moi. Je suis novice pour ce genre de voyage et c’est ma première croisière. Je me doute bien que ça ce voit comme le nez au milieu de la figure mais ça ne va pas m’empêcher de profiter de ces quelques jours de vacances bien mérités. Mais dites moi, si je peux me permettre, d’où vient votre nom ?

- Ho ! Il vient de si haut qu’il n’est pas encore descendu sur terre... Je vais vous confier à ce garçon de cabine, je le connais, il est très bien. Nous aurons l’occasion de nous revoir et je serai ravi de passer quelques instants en votre compagnie. A bientôt, Marjolaine.

Un beau jeune homme vint à moi. Je lui montrai mon billet, il le consulta d’un rapide coup d’œil et d’un geste élégant me montra la direction de mon logement.

- Veuillez me suivre Madame, je vais vous conduire à votre cabine. Vous y serez très bien, vous disposez d’une petite terrasse. C’est bien agréable, au lever, d’ouvrir les yeux sur l’immensité de la mer. Je me nomme Gontrand, n’hésitez pas à faire appel à moi en cas de besoin. Je suis à votre service. Voila nous y sommes. Cabine 103 Coursive B. C’est votre adresse à bord. Je vous laisse vous installer.

Enfin, je suis chez moi. Je viens d’encaisser tant de choses en si peu de temps, qu’il faut que je me ressaisisse. Ce monsieur qui m’a si obligeamment aidé est vraiment bien de sa personne. Mais comment a-t-il eu connaissance de mon prénom ? Mystère ! Voyons l’équipement de ma cabine. Le lit est grand, le matelas confortable. Des placards de rangement bien pratiques. Et la salle de bain est beaucoup plus belle que la mienne. Tout est parfait dans le meilleurs des mondes. Je ne suis pas médium, mais je sens qu’il va se passer quelque chose.

... Mais quoi ?

 

LA SOIREE

J’étais loin de m’attendre à cette invitation. Lorsque Polalydés est venu me l’annoncer, j’ai cru défaillir. Invitée par le Commandant du bateau ? Mais qu’avais-je fait pour mériter un tel traitement ? Déjà mon estomac se tordait dans tous les sens. Rassurez-vous, me dit-il, nous ne serons pas seul et cette invitation est une tradition à bord d’un bateau de croisière. Je ne vous demanderai qu’une chose : Au cours de ce dîner appelez-moi ‘ sir Edward ‘.
- Mais pourquoi ?
Je vous expliquerai ça plus tard. J’ai eu une vie assez remplie et le commandant connaît bien mon existence passée. Nous avons eu l’occasion de nous rencontrer au cours d’événements lointains où nos priorités n’étaient pas les mêmes.
- Comment vais-je m’habiller ? Je n’avais absolument pas prévu de me trouver dans une situation pareille.
- Votre robe rouge, des escarpins noirs et le collier de fausses perles, que vous cachez dans le tiroir de votre salle de bain conviendront très bien pour cette soirée.
- Je suis déjà une fausse blonde, vous ne pensez pas que pour les tromperies ça fasse un peu beaucoup ?
- Pas du tout ! Vous verrez, l’ambiance sera très décontractée. Et puis, qui sait ce qui est faux et ce qui est vrai ?
- Justement ! Parlons-en. Comment se fait-il que vous sachiez tout de moi alors qu’il y a deux jours nous ne nous étions jamais rencontrés ?
- Nous dirons que cela fait partie de mes talents cachés. Je viendrai vous chercher à vingt heures.
 
Nous nous rendîmes au carré des officiers où le dîner devait être donné. J’avoue avoir été éblouie. Ce salon resplendissait de bois précieux et d’ornements en cuivre dorés. Un grand lustre de cristal inondait de rayons violets et rouges, une table de rêve, habillée du blanc le plus pur et chargée d’une vaisselle de porcelaine fine qui conjuguait le bleu de la mer avec celui de l’horizon. L’argenterie se plaisait à compléter ce tableau des mille et une nuit. Par contre le nombre de couverts pour chaque convive m’inquiétait. Saurais-je m’en servir à bon escient, sans me faire remarquer ?
Le nom de chaque invité était précisé sur un bristol blanc à chaque place et le menu du soir était déposé devant chacun d’entre nous. A sa lecture, je croyais tenir entre mes mains une poésie où le seul mot que je connaissais était topinambours. Il faut dire que mes parents en ont gardé un souvenir assez mitigé.
Les discussions allaient bon train, quand le commandant fit son entrée. Il commença par nous demander de bien vouloir excuser son retard dû à un problème de service. Ceci dit il se montra charmant et salua avec gentillesse et simplicité chacune et chacun d’entre nous. Il était assez bel homme. L’uniforme le valorisait et son teint buriné par les embruns lui donnait ce petit côté aventurier qui n’avait pas l’air de déplaire aux dames. Les messieurs présents à la table et pour la plupart célibataires se mettaient en quatre pour se faire remarquer. D’ailleurs, en face de moi un certain Eliott qui était très discret avait choisi de se présenter chapeauté d’un casque colonial. On ne pouvait pas le manquer. A côté de moi mon Cicéron s’ingéniait à m’éviter de faire des bourdes dans ce milieu, qui somme toute, était plutôt bourgeois. A côté d’Eliott, une femme, brune aux cheveux longs prénommée Julie, semblait s’intéresser à son voisin. Assez volubile, celui ci se targuait d’une nationalité suédoise en s’appelant Gino Baldino et d’un statut de retraité EDF tout en étant âgé d’une petite quarantaine d’années. Il parlait si fort que l’on allait finir par le croire. Je me demandais si Julie ne l’avait pas croisé dans la salle des pas perdus au tribunal de Nice. Son allure et son comportement auraient pu le placer dans une catégorie de souteneur et non de soutenu. En bout de table j’avais remarqué un certain Oscar, bien mis de sa personne, assez classe qui jetait des coups d’œil furtifs et calculateurs sur la gent féminine. Sa patience et son air de prédateur à l’affût me faisait douter de la motivation qu’il invoquait pour expliquer son voyage. Il prétendait se rendre à Madagascar pour acheter de la vanille. Si c’est ça, moi je suis Bernadette Soubirou.
Le repas fût un enchantement. Les senteurs aromatiques des plats présentés donnaient du relief à cette soirée. Il va de soi que les topinambours du menu n’avaient rien de commun à ceux qui faisaient l’ordinaire de mes parents quelques années auparavant. Les vins et alcools faussement légers mais vraiment traîtres ont largement contribué à une réussite sans fausse note.
 
Sir Edward m’a raccompagné, en me soutenant, à ma cabine. Parfait gentlemen, il m’a aidée à retirer mes escarpins, à la suite de quoi je me suis écroulée sur mon lit.
Demain sera un autre jour.

 

L'ESCALE

Après une nuit bercée par les émanations alcooliques de la veille, j’ai ouvert difficilement les yeux. Lentement, un par un, en prenant le temps de me rappeler où j’étais et permettre aux brumes qui obscurcissaient mon cerveau de se dissiper.
Un copieux déjeuner accompagné d’un café, noir pour la couleur et serré pour l’intensité, me remit d’aplomb. Il était temps que je me prépare car le ‘Comté de Provence‘ avait profité de notre sommeil pour faire escale à Barcelone et Polalydés ou Sir Edward s’était proposé, la veille, pour me faire découvrir tout ce qui devait être vu dans cette belle ville. A quai, les machines du bateau le faisaient ronronner comme un chat en train de faire sa sieste. C’était rassurant et ce calme m’aidait à surmonter ma culpabilité de femme honnête qui me taraudait à l’approche de ce rendez-vous.
Mon chevalier servant vint me chercher aux alentours de dix heures. Il était d’un chic éblouissant. Costume en lin, chemise blanche en soie, col ouvert sur un départ de pilosité des plus virile, barbe de trois jours comme il convient et mocassins beiges de la plus belle facture. Visage aussi buriné que celui du commandant de notre navire, il était franchement... attirant.
- Venez, me dit-il, Barcelone est à nous pour la journée. La plupart des passagers, ce soir à table, vous parleront de la Sagrada Familia, du quartier gothique ou des ramblas. Moi je vais vous faire sentir l’odeur sucrée ou salée des tapas, ou celle d’une vraie paella servie dans un de ces endroits où il faut être né pour y être admis. Nous irons ensuite faire connaissance avec le Flamenco dans une école de danse perdue au fond d’une ruelle. Dans la vieille ville je vous présenterai à des toreros qui ont défié la mort des dizaines de fois devant des centaines d’aficionados, parfois même, devant Pablo PICASSO et qui n’en ont tiré aucune gloire si ce n’est celle d’être sortis vivants de l’arène sous les vivats d’une foule déçue par le sang qu’elle n’a pas vu couler. Mais rassurez-vous, nous visiterons aussi les sites indispensables à connaître pour que vous puissiez les raconter à votre retour. Gaudi n’aura plus de secrets pour vous.
Le programme qu’il me proposait m’avait déjà épuisée avant d’avoir mis un pied à terre.
- Comment se fait-il, Edward, que vous connaissiez si bien cette ville ? Vous en parlez comme si vous l’aviez vécue de nombreuses années.
- Marjolaine, vous êtes très gentille, ne le prenez pas mal, mais si je vous ai pris sous mon aile c’est pour une bonne raison... Il est encore trop tôt pour en parler. Allons ! Ne tardons pas, une longue journée nous attend. Hier est passé. Vivons le présent. Demain sera un autre jour.
 
Que penser de lui ? Est-il, n’est-il pas ? Après tout il a raison, vivons le moment présent.
Carpe diem, quam minimum credula postero.

 

LE MESSAGE

Ce matin en ouvrant mes yeux, je découvris une feuille de papier glissée sous ma porte. Surprise et malgré tout un peu inquiète, je quittai mon lit et m’en saisit.
Une seule phrase :
Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à découvrir de nouveaux paysages mais à avoir de nouveaux yeux.
 
Pas de signature, ni de destinataire. Un texte ambigu à souhait qui peut vouloir dire ce que l’on souhaite y lire et pour lequel une réponse peut entraîner une foule de confusions où je risque de me noyer. Pourtant le fait que quelqu’un me témoigne de l’attention n’est pas pour me déplaire. Je vais écrire une réponse en essayant d’être réservée, comme il se doit à une femme dans ma condition.
 
-Cher Vous ! Je ne sais pas qui a eu la gentillesse de me faire parvenir et connaître cette belle citation. Des nouveaux yeux...Oui mais pour voir qui ? Si je devais répondre à cette question je dirai que mes yeux ont servi de relais à d’autres sentiments qui se sont ouverts à mon âme. Certains me culpabilisent, d’autres me transportent dans une forme de bonheur inconnu de moi jusqu’à ce jour. Mes yeux nouveaux ont donné vie à un entourage qui n’était pas le leur jusqu’à présent. Ils ont accepté toute une palette de couleurs ensoleillées qui contrastent bellement avec la grisaille de mon quotidien habituel. Cette nuit ils ont refusé de se fermer. Le souvenir de la visite de cette belle ville en compagnie d’un cicérone, attaché à satisfaire mes moindres désirs, revivait sans arrêt dans ma tête. Par le hublot de la cabine la Lune semblait se moquer affectueusement de moi.
 
-Qui que vous soyez, sachez que mes yeux nouveaux vous voient. D’autres yeux leur ont aussi appris des belles citations dont: Carpe diem quam minimun credula postero. Cueille le jour présent sans te soucier du lendemain.
 
-Je vais plier ma lettre et la glisser ce soir sous ma porte. J’espère que le facteur du jour sera celui du lendemain... Advienne que pourra.

 

LA REUNION

Le commandant de bord ayant appris, je ne sais comment, que certains d'entre nous avaient reçu un message anonyme au texte identique, avait décidé de nous réunir dans un salon du navire pour essayer de dénouer cette intrigue. Cafés et liqueurs nous ont soulagé du sentiment de gêne que nous ressentions tous. Après quelques propos de politesse et de mise en train, le commandant en vint au fait... Mesdames et messieurs, les questions que nous devons nous poser sont : qui, pourquoi et comment ? Je vous avoue que quelques suggestions de votre part serraient les bienvenues et pourraient contribuer à résoudre ce mystère. Je vous écoute.
Un silence étourdissant répondit à sa question. Il était évident que ceux, qui comme moi, ont répondu à ce billet l'on fait en pensant à un expéditeur qui correspondait à leur souhait, sans pour autant être certains de quoi que ce soit. Les regards de chacun et de chacune allait furtivement de l'un à l'autre en se posant mutuellement des questions muettes. Les yeux demandaient mais les bouches se taisaient. Il est vrai que le poids de certaines réponses commençait à peser lourd sur les épaules. Le bel Italo/Suédois, qui comme tout bon scandinave qui se respecte se prénommait Gino, avait perdu de sa superbe. L'homme au casque colonial, baissait son regard sur ses chaussures de marche. L'autre prédateur, amateur de vanille, qui passait le plus clair de son temps à évaluer le cheptel féminin du bateau avait décidé de ne pas être là et son esprit s'était envolé ailleurs.
Je m'étais, moi même, dévoilée comme jamais je ne l'avais fait. Mes sentiments s'étaient délivrés de leur chaînes et je les avais laissés s'échapper au hasard d'une rencontre, plus ou moins aléatoire. Les dames, autour de moi, semblaient dépitées et déçues par le comportement de ces messieurs à qui certaines avaient répondu, sur un coup de dé, avec un engouement clair comme de l'eau de roche. Les contacts et les promesses à venir avaient pris du plomb dans l'aile.
Assis à côté de moi, Edward se taisait, mais ses yeux rieurs semblaient s'amuser de la situation. Je lui posais, malgré tout la question.
- Quel est votre sentiment sur cette affaire ? Qui, parmi nous aurait pu jouer à ce petit jeu ?
En se penchant vers moi, il chuchota à mon oreille :
- Ne demandez pas au facteur le secret de sa tournée. Je sais qui est qui et j'ai fait la récolte des réponses. Ne dites rien et laissez les s'embourber dans ce marécage incompréhension. Le commandant est mon complice. N'y voyez pas malice, car grâce à nous ils vont avoir des tas de choses à raconter à leur retour. La nature humaine étant ce qu'elle est, chacun d'eux y trouvera son compte et l'enjolivera de fantasmes qui embelliront leurs souvenirs qui, racontés par eux à leurs amis, deviendront inoubliables.
- Des souvenirs dites vous ? Des simples souvenirs ?
- Ne soyez pas déçue Marjolaine. Vous aurez toutes les réponses que vous attendez. Je répondrai même aux questions que vous ne me posez pas. Pour l'instant, profitez du spectacle et apprenez des autres. Et comme vous le dites si bien " Carpe diem " et...
Et oui, je sais, demain sera un autre jour.

 

RETOUR DE CROISIÈRE

La veille de notre retour le Commandant a organisé, comme il est de coutume, une soirée d’adieu animée par un jeune guitariste. Ce jeune homme, grand, brun, aux yeux de feu nous a gratifié d’une ambiance top niveau. Habillé d’un pantalon noir et d’une chemise rouge assortie à sa guitare, il ressemblait à un hidalgo fier et fougueux. Ces dames, esseulées pour la plupart, ne le quittaient pas du regard. Même Valentine, pourtant très proche de Gino, semblait subjuguée. Julie avait oublié sa chasse aux mâles et ne songeait plus au mystérieux inconnu qu’elle avait convié à boire un verre pour mieux faire connaissance. Sans aucun doute avait-elle une idée derrière la tête, mais bon … Elle est majeure et vaccinée et ça ne regarde qu’elle. Anne-Sophie, qui avait fantasmé sur le Commandant, ne s’avouait pourtant pas vaincue et continuait à distribuer des œillades sans équivoque à qui voudrait bien les attraper. Elle ressemblait à un pécheur lançant sa ligne au hasard de l’eau en surveillant le bouchon pour voir si une prise s’était accrochée à l’hameçon.
Je nageai pour ma part avec difficulté dans cet océan de désinvolture où tout semblait facile à cette communauté d’initiés. Une flaque d’eau aurait suffit pour que je me noie dans les détails d’un environnement qui n’était pas le mien. Heureusement Edward m’avait accompagnée. Sa présence à mes côtés m’avait permis de profiter de cette merveilleuse croisière sans coup férir. Je lui dois beaucoup. Sa distinction et son calme naturel en toute circonstance étaient comme un paratonnerre qui me protégeaient des orages les plus violents. Il faut dire aussi que je n’avais jamais été la cavalière d’un homme aussi élégant. Il m’a appris à danser certaines danses de salon avec la facilité du professeur auquel aucun élève ne résiste. J’étais aux anges mais en moi-même, je savais que demain la féerie prendrait fin et la médiocrité de ce que j’allais retrouver me nouait l’estomac.
Vers la fin de la soirée il m’invita à prendre l’air sur le pont. Allait-il enfin répondre à mes questions ? La nuit était calme … Comme la douce mer d’huile sur laquelle nous naviguions. La lune, complice des éléments, semblait vouloir répondre à mes angoisses mais ses paroles consolatrices n’arrivaient pas jusqu’à moi. Accoudé au bastingage, Edward me prit la main et, les yeux dans les yeux, il me dit :
- Marjolaine, il faut que vous sachiez que l’instant du moment et les circonstances de certaines situations que nous vivons ne sont pas toujours évidentes. Je me suis rapproché de vous parce que je vous connais de longue date. Ne soyez pas surprise. En ce temps là, nous avons été très près l’un de l’autre. Ne me posez pas la question qui vous vient à l’esprit, je n’y répondrais pas. Mon souhait est que, au cours de cette croisière, vous ayez pris conscience de toutes les qualités qui sont les vôtres et que vous vous plaisez à rejeter. Ne subissez plus, soyez conquérante dans tous les domaines et votre proche avenir me donnera raison. Je dois vous quitter maintenant. Demain je repartirai avec cette famille canadienne que j’accompagne depuis longtemps. Je serai près de vous autant que vous le désirerez.
Il me laissa seule sur le pont et s’évanouit dans la pénombre. Je regagnai ma cabine. Mille réponses affluaient dans ma tête répondant à des questions que je n’osais pas me poser.
Le lendemain, arrivant à bon port, je le cherchais des yeux alors que je commençais à descendre la passerelle du bateau. Ne l’apercevant pas, je portais mon regard sur le quai et je vis mon mari et mes deux fils me faire de grands signes, semblables à des ailes de moulin à vent. Et là j’entendis mon mari :
- Dépêche-toi Marjo, on va rater le début du match !
La réalité du jour venait de me sauter à la figure. J’étais redevenue Cendrillon et mon carrosse une citrouille. Mais moi j’étais devenue quelqu’un d’autre. Marjo la fausse blonde était maintenant Marjolaine la vraie brune. Ils vont voir de quel bois je me chauffe. Il est temps de mettre fin à certaines choses et il est urgent d’en commencer d’autres.
 
ÉPILOGUE
 
Une nouvelle page s’était tournée mais c’est moi qui l’écrivais. Ma famille se contentait maintenant de se rallier sans rouspéter à mes bonnes idées. Tout allait pour le mieux, mais je ne pouvais m’empêcher de repenser à un détail qui me turlupinait ...
 
En regagnant la terre ferme, lors de notre retour de croisière, j’aperçus le Canadien qui était sensé être avec Edward. Je m’étais approchée de lui en demandant des nouvelles de mon mentor que j’aurais aimé saluer une dernière fois. Se tournant vers moi, il m’avait regardé bizarrement.
- Excusez-moi, mais êtes-vous déjà venue chez nous ?
- Non ! avais-je répondu. Et je ne connais pas le Canada. Pourquoi cette question ?
- Figurez-vous, Madame, que dans notre chalet de montagne nous avons un mannequin en bois représentant un officier au long court de sa gracieuse Majesté. Nous l’avons installé dans un fauteuil près de la cheminée et notre chat adore faire sa sieste sur ses genoux. Il amuse beaucoup nos invités. La légende du coin veut qu’il s’agisse d’un marin célèbre à son époque pour avoir fait des misères à une escadre de Napoléon. Il a été anobli pour ce haut fait d’armes. Son nom est : Sir Edward James Nottinghales. C’est pour cela que nous l’avons baptisé « Sir Edward ». Curieux n’est-ce pas ? Je dois vous laisser car ma famille s’éloigne. Vous aurez une belle histoire à raconter. Bon retour !
Je n’ai rien raconté. Cette histoire appartient à Marjo, la fausse blonde, Marjolaine n’aura que des questions qui se transformeront en souvenirs difficiles à raconter. Laissons le temps au temps. Carpe diem.
 
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Rédigé par Fernand

Publié dans #Ecriture collective

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