LA CROISIERE DES JE T'AIME MOI NON PLUS

Publié le 19 Décembre 2023

Oolala peint par Marie-Thérèse HOARAU

Oolala peint par Marie-Thérèse HOARAU

PREMIER JOUR L’EMBARQUEMENT
 
Ce vendredi de demi-lune, au port de Nice, il ne passait pas inaperçu. Il était même unique de contours sur ce quai dans la file d’attente pour embarquement. Un petit voilier était amarré, perdu entre deux cargos. Sur sa coque en mauvais état on pouvait lire le Cherche Misère.
 
OOlala, chevelure hirsute, oreilles sur un plateau, affublé d’un bouquet de plumes sur la tête et dessiné sur le torse, une trame couturée de couleur cuivre, iI traça un cercle sur le pavé du quai en poussant un hululement rauque et sauta dans l’embarcadère.
Noir de peau, pieds nus et vêtu d’un pagne de bison, il portait sur son épaule une chouette attachée à son cou par une liane découpée à la machette dans un palmier centenaire de son village. En même temps cette liane était un gris-gris des plus chic et des plus tendance en ce moment à Kokopo. OOlala était complètement branchés, du coup.
 
Ils n’étaient pas nombreux, environ une dizaine, tous débarqués de Papouasie, Nouvelle Guinée, pour une croisière en méditerranée, un cadeau de la DEFGHI pour permettre à Flo en contrepartie, de rejoindre la Papouasie en toute sécurité pour une étude poussée de la plante des pieds.
 
Des mots Tok Pisin postillonnaient de la bouche d’OOlala le chef de la tribu, pendant que les autres gonflaient les voiles en langue des signes. Il leur restait encore quelques rites de
kuku kuku que les anciens aimaient honorer pendant leurs ablutions, qu’ils trouvaient ridicules mais néanmoins diablement protecteurs.
 
Passèrent deux jours. OOlala décida de tout quitter. Au mur de pierres et de lierre, il adossa son passé de chef de tribu,. Il cloua les planches du Cherche Misère et il embarqua sur le Comté de Provence, chambre 1809 quatrième étage.
 
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DEUXIÈME JOUR LE REPAS DU CAPITAINE
 
Ce soir il était invité à la soirée du capitaine. Il montrerait sa verve, il en était très fier.
Mimi la chouette s’apprêtait aussi, perché sur une lampe rose, le bec en courant d’air, maniant ses vocalises hululatoires avec grand panache.
Dans une cocotte en fonte, à son creuset, OOlala dû faire revenir avec ail des ours et quelques gouttes de malice, ses champignons hallucinogènes qui avaient pris un peu d’humidité dans le Cherche Misère.
Ensuite il mis de l’ordre dans son coffret à goupillons. Bien alignés ils seraient plus efficaces.
Restait le maquillage. Il bomba le torse pour mieux faire le tour de ses convictions, un si bel effet peint dans les ocres et les framboises. Il était prêt. Ho, lala, comme il était beau !
 
Dans le grand salon étaient déjà installés quelques invités. Gino tenait La Rousseau sur ses genoux pendant que Valentine faisait la gueule. On lui avait dit qu’elle avait des petits... petons. Jean vague, quant à lui berçait son vague à l’âme.
Oolala peu habitué aux rencontres à rencontrer, pris un léger malaise et il dû, d’urgence
se plier à sa transe habituelle, nommée crise des sentiments et…n’ayons pas peur des mots.
 
Il s’accouda au bar avec une tourmente, son amie sirotait un air soupçonneux
avec une paille, penchée sur une perplexité.
En face une indifférence regardait sans le voir, un apathique aux yeux verts.
Entre deux obstinations, une fureur et son garde du corps se précipitèrent sur
ces tas de jalousie pour remplir la poubelle de table de la méprise.
 
Pendant ce temps, on entendait Mimi la chouette hululer une longue prière en latin tandis qu’OOlala, toujours en transe, brandissait son écouvillon au sel gemme, pour éteindre le feux des ondes crochues qui s’enroulaient autour du capitaine. On voyait que notre sorcier avait les poils, son pagne vibrait d’électricité statique à espaces réguliers.
 
Un opiniâtre s’interposa et bondit sur la négligence. Ils s’allièrent avec la brutalité,
l’ambition entre les dents mais une sensibilité invita des charités pour un banc
et ensemble, avec un conciliant et une intègre, ils menèrent avec bienveillance
la médiocrité à son terme et tous s’effondrèrent sur la pétillante tendresse.
 
Le capitaine, dans des débris de voix et ne pouvant recoller les morceaux,
quitta les lieux rapidement.
 
Alors seulement, Oolala pu s’approcher de Maya et lui murmurer à l’oreille
quelques mots de kukukuku. Elle était tellement troublée qu’elle n’arrivait
même plus à faire l‘abeille mais Oolala se sentait tellement bien avec sa croquandise
qu’il en remplit son verre.
Ho, lala, quelle ruche !
 
Oolala parlait peut. Il avait quand même fait quelques années de médecine à Marseille avant de revenir aux traditions de son pays d’origine. Ne lui manquait que des volontaires pour se joindre à lui et à son projet, peut-être deux peut être trois ?. Sur ce bateau apparemment, il pourrait se construire un avenir.
 
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TROISIÈME JOUR UNE ESCALE
 
 
Corne de brume, le signal du débarquement imminent à Marseille, Oolala n’avait pas remarqué cette belle brune aux cheveux long. Elle non plus d’ailleurs, mais il avait suffi qu’il
perde une plume pour qu’elle se retourne, Valentine.
 
Etonnée de découvrir notre ami, dans toute son originalité et pas farouche, Valentine commença par caresser coco qui alla se percher immédiatement sur son sac à dos.
Un signe des forces occultes ? Aurait-elle des prédispositions pour un avenir en magie noire ? la collaboratrice qu’il cherchait depuis longtemps ? Mais oublions.
 
Pour l’heure, Oolala avait une mission à Marseille. Il avait promis à une ancienne collègue de la morgue de passer la voir pour visiter ses nouveaux ateliers de thanatopractrice de la fac de la Timone, bâtiment datant de 1955, pensé par René Egger accompagné des Bâtiments de France. Très en longueur, avec trois ailes perpendiculaires, il s’élève sur 6 étages. Sobre et par soucis d’économie, il restera en béton armé brut. De simples poteaux porteurs, au rez-de-chaussée permettront un meilleur éclairage de l’immense hall d’entrée et de on escalier.
 
Maya voulait déjà immortaliser ce beau port de Marseille avec une première photo. Elle était en équilibre sur le bord de la passerelle, un peu embarrassée des bras. Oolala en un instant prémonitoire eut juste le temps de se précipiter sur l’appareil photo de maya avant qu’il ne chut. Maya admirative et confuse remercia notre ami qui lui offrit galamment son bras, juste pour ne plus tomber…
 
Après une somme d’échanges futiles, Oolala expliqua à Maya le but de son escale.
Toujours au bras de son sauveur et curieuse de tout, Maya se laissa conduire jusqu’à la morgue et au laboratoire de Mme Lenoir. Ce n’était pas rien de résister à l’envie de partir en courant mais notre amie finit par trouver les lieux et leur vision des plus naturels et puis surtout des idées pour sa décoration intérieure.
Elle était forte Maya. La mort comme çi ou comme ça, c’est bien connu, on relativise et puis un bras, une jambe ça ne court pas toujours que les rues. Des photos, encore des photos, en couleur surtout. Maya jubilait. Elle n’avait jamais eu autant matière d’inspiration et elle commençait à vouer une admiration grandissante à ce guide fortuit. Il possédait des compétences originale et hors du commun.
 
Vers 18 heures le moment était venu de reprendre la passerelle. Nos deux voyageurs se quittèrent après une accolade corps à corps, collés dos à dos comme là-bas, chez lui.
Ils échangèrent leurs numéros de chambre. Promis, elle lui montrerait les photo et lui le plus beau de ses goupillons….
 
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QUATRIEME JOUR LA TEMPETE
 
Le lendemain, notre Oolala ne quitta pas sa cabine. Il ne débarquerait pas à Barcelone. Ce samedi de pleine lune serait consacré au culte des ancêtres. Les incantations devaient obligatoirement s’accompagner de petits sacrifices d’animaux. Il partit à la chasse aux mouches. Il les piquait avec sa plume crête de coq avant de leur enlever les ailes pour les offrir au pilon de son goupillon.
En même temps il murmurait des chants traditionnels traduits du lalaitou qu’il distribuerait au bord du jour demain.
Il cacheta un certain nombre d’enveloppes qu’il déposa sous les portes palières de tous les garçons de la croisière. Pour ces dames on verrait ensuite.
 
Oolala était généreux, d’une grande sagesse et toujours prêt à faire le bien.
Une tempête était annoncée. Forte. Il est bien connu que les hommes sont bien plus délicats, souvent des chochottes même, que les femmes. Mais qu’à cela ne tienne, les ancêtres se groupèrent pour que ce moment de forte houle deviennent un doux roulis pour ces messieurs, ébahis.
 
Par contre, une condition, chacun devrait se prier plié en deux et se plier tout court aux lalaitouts du moment de notre ami Oolala et répéter comme un leitmotiv que le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages mais à avoir de nouveaux yeux.
 
Oscar fut le premier à ouvrir la lettre. Très étonné, il frappa à la porte de Sir Edward juste à côté, en train de réviser son prétérit. Sir Edward ne comprenait pas comment avoir de nouveaux yeux. Il mit ses lunettes pour mieux voir mais en vain. Mais non, cher Edward on parle au deuxième degré. Sir Edward ne comprenait toujours pas, il logeait au quatrième étage.
Oscar finit par abandonner Edward, trop compliqué.
 
Tiens, voilà Gino qui s’approchait avec Hector. Ils se dirigeaient vers la cabine d’Oolala pour des explications. Ils avaient pris le raccourci du couloir du capitaine et une porte de cabine était restée ouverte. On entendait le boss jouer aux dames avec Sophie et la partie était presque gagnée. Un peu cavalier notre capitaine mais tellement séduisant disait-elle cramponnée à la vision de son bout du bout… de nez.
 
Au moins-un, au pôle médical, Dominique, Marjolaine, Julie, et encore Valentine étaient au plus mal. Le mal de mer secouait leur volonté. Elles étaient impuissantes. Des haut le cœur avec des envies d’aller-retour à la vue basse, le monde autrement, pâle et défiguré, une découverte pour elles à regarder avec de nouveaux yeux.
 
Mais où sont donc passés les ancêtres ?
On rappela Oolala d’urgence. Il fut obligé de ressortir son meilleur goupillon et de biper Maya.
 
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AU SALON
 
Zut, pas de contact. Le goupillon connecté ne répondait plus. Le wifi était éteint.
Maya qui faisait la gueule ou les ancêtres qui votaient contre ?
 
Oolala venait d’arriver dans le salon suite à la demande du capitaine, impuissant devant ces dames toutes en nausées. Il paiera sa tournée, promis, si notre ami parvient à des fins de non-recevoir pour ces roulis qui n’en finissent plus.
N’ayant aucun moyen à sa disposition Oolala se vit dans l’unique obligation de travailler manuellement. Il commença par Dominique, volontaire pour pratiquer l’imposition des mains sauf que chez Oolala les paumes devraient frôler toutes les parties saillantes du corps pour que les tentations maléfiques soient jetées à tribord.
Le pari fut réussi pour elle et son mal de mer, sous le regard jaloux du capitaine et c’est étrange, comme c’est étrange… tout de suite le goupillon retrouva son voyant vert et sa wifi, un signe fort des ancêtres à ne pas oublier. Même Gino retraité de la lumière n’avait pas réussi à joindre les deux bouts.
 
Loin dans une forêt de coussins, Sophie semblait dormir, les joues roses et sûrement très fatiguées de sa nuit avec le capitaine. Jean Vague buvait une tasse de camomille à la vanille, Gino siphonnait un whisky tout en racontant à Julie et à Valentine qu’il était en pleine forme à cause de la phrase magique trouvée dans le courrier d’Oolala. Julie, Marjolaine et Valentine avalèrent un cachet. Cet Oolala, un charlatan ou un tripoteur invétéré ?
 
Soudain la chouette s’agita bruyamment, louchant de ses gros yeux ronds sur Oolala en prise avec un manche et son balai oubliés là par le technicien de surface. Les plumes en bataille, le pagne en volume, Il marmonnait avec disait-il, la vision d’un ecclésiastique, un certain Monseigneur Koko tout droit venu de l’enfer avec sa mitre cabossée tenant en équilibre avec ce manche à balai car on lui avait confisqué sa crosse en plaqué or. Il implora notre ami pour qu’il intercède auprès des autorité célestes afin d’obtenir le pardon de son ancien monde. Les échanges durèrent bien un tour de petite aiguille.
 
On ne sut pas la suite de l’histoire car Maya entra bruyamment dans le salon, en colère, avec une enveloppe à la main et un cor au pied. Elle avait trop marché avec sa tête, le long de ses pensées, entre Oscar et Laperousse, ses deux hésitations du moment. Précisons que Maya avec sa bonne dose d’électricité statique attirait une majorité de croisiéristes. Elle provoquait même des pannes dans les circuits Wifi. Détonnant non ?

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LA FIN DE LA CROISIÈRE

Cette nuit du dernier jour, Oolala voulut une ultime fois profiter de ce moment de demi-lune, pendant que dans le salon, les passagers se déhanchaient sur des airs de disco.
Chacun semblait avoir trouvé sa chacune pour profiter de cette dernière soirée mais Oolala, lui, avait rapidement quitté la piste. Il aurait préféré danser comme en Papouasie, entre hommes, les femmes n’étaient pas conviées, elles devaient faire le lit en attendant le retour des pachas.
Il était allongé sur un transat quand il aperçut Jean Vague tourner au coin du pont. Il s’avançait vers lui d’un pas désabusé, lui aussi peu intéressé par cette dernière et équivoque soirée. Oolala lui proposa de rester en sa compagnie.
Notre ami n’avait jamais eu de discussion avec Jean. Rapidement il comprit qu’il avait du mal à parler, qu’il bégayait. Tard dans la nuit, il lui raconta toute la difficulté qu’il avait de vivre en toute quiétude dans ce monde où pour réussir, on doit être bien propre sur soi, sans une seule tâche qui persiste et signe, sans les lessives jusqu’à faire bouillir.
Notre gourou cherchait un aide de camp depuis longtemps. Il s’était inscrit dans cette croisière pour trouver un ou une partenaire et l’emmener en Papouasie. Là-bas il manquait de sorciers comme il manque de docteurs à Nice. Jean avait vite accepté. Il voulait changer de cap, voir ailleurs, loin très loin d’ici, une porte s’ouvrait, là où sa propre langue n’aurait plus d’importance, là où une autre la remplacerait. Et puis surtout, Oolala avait un sœur célibataire…
Tard ou tôt, et tôt ou tard, des rires et bruits de talons envahirent l’espace tranquille et coupèrent court à la discussion. C’était Valentine avec Gino, bras dessus bras dessous tandis que Julie et Alistair se mélangeaient les caresses du bout des doigts. Sophie arriva à son tour, une potiche bedonnante dans les bras en guise d’un doux matou, tellement hésitante sur ses charmes, plus du tout certaine du croquant de son profil, ni du gonflé de ses lèvres, le sex-appeal complètement en berne, quoi.
Elle fit le tour du pont en virevoltant entre les transats sur un air de tango qui persistait au loin. Dans un hic du bateau et l’alcool aidant, elle perdit l’équilibre et se trouva nez-à-nez avec Jean et Oolala. Ils mâchouillaient un boulette de CBD. En restait une, d’un achat précipité de Jean à sa dernière escale qu’il offrit à cette pauvre Sophie.
Le jour se levait déjà. Chacun regagna sa cabine pour boucler les valises. Oolala finissait de fermer sa mallette à goupillons et de mettre sa chouette en cage quand il entendit frapper à sa porte. Sophie et Jean, quelle surprise. Ils avaient fini la nuit à échanger et pris une grande décision. Jean avait convaincu Julie de partir avec lui, avec eux.
C’est alors qu’Oolala ne put que se plier à une nouvelle transe, une énorme crise de sentiments, la deuxième de la croisière.
Une confiance électrique, alliée à une profonde amitié, ruisselait sur le torse tatoué de notre sorcier. Des sillons de bienveillance creusaient son havre de complicité où petit-à-petit s’engouffra le feu de l’envie. Dans une nuée de frivolités et de transparence, les vêtements virevoltèrent. Des décolletés volcaniques s’emmêlèrent sur fond de caleçon pur coton.
Ils se donnaient le cœur sur la main, des émoustillés plein les sentiments. Les états d’âme se mélangèrent aux chaudes ondes, à corps perdu. Ils finirent par décrocher la timbale.
 
Epilogue :
 
Très amoureuse de son sorcier, Sophie s’installa définitivement auprès d’Oolala. Pendant que notre ami continuait ses cours de médecine par visio, Sophie acheta une cahutte pour se mettre à son compte et ouvrir un atelier de tatouage tandis que Jean, qui maintenant parlait couramment le tok pisin, parcourait la savane avec les goupillons, maintenant tous wifi, en compagnie de sa femme Huu, pour sauver le monde.

 

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Rédigé par Dany-L

Publié dans #Ecriture collective

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