Les surprises gastronomiques des couleurs nissardes

Publié le 27 Janvier 2024

 
A la fin d’une partie de pétanque entre l’équipe des Niçois et l’équipe des Parisiens, à l’initiative de l’équipe niçoise, les joueurs ont décidé d’aller ensemble déguster des spécialités niçoises dans un restaurant situé au vieux Nice. Carole, soixantenaire parisienne qui s’était récemment installée à Nice, était réticente. Elle avait déjà goûté certains plats présentés comme niçois qu’elle n’avait pas appréciés. D’autres spécialités niçoises ne lui donnaient même pas envie d’en goûter ; comme « la Socca » qu’elle considérait comme « une moche pâte brunâtre » !
Finalement, elle a décidé d’y aller uniquement pour faire plaisir à ses amis et surtout pas pour manger. Elle s’est dit : « je pourrai à la limite prendre une « salade de mesclun » qui est à la fois délicieuse et bonne pour ma ligne » !
Le groupe s’est mis en route pour le vieux Nice et est entré dans l’une des ruelles. La façade du restaurant était visible du loin. Les amis s’y sont dirigés et ont demandé une table pour six. On les a installés autour d’une table couverte d’une nappe jaune à l’effigie des olives noires et des feuilles d’olivier. Un parfum de la lavande mélangée avec des herbes de Provence envahissait l’espace. De leur côté, les cigales faisaient sentir leur présence depuis un endroit qui n’était pas très loin.
Soudain, Bernard qui n’arrêtait pas de taquiner et de blaguer ses coéquipiers, s’est adressé à Carole :
– Alors Carole, comment va le mimosa que tu avais récupéré à la chambre d’hôtel de tes amis ?
– Il est devenu resplendissant grâce à vos conseils ! J’ai l’impression qu’il a une âme ce mimosa ; je lui parle et il comprend tout ! a répondu Carole.
– Superbe!  Si tu veux plus de conseils, je pourrai te présenter un ami qui cultive des mimosas.
– Avec plaisir ! 
Le serveur est arrivé, calepin et stylo à la main :
– Messieurs- dames, qu’est-ce que je vous sers à boire ?
Etant donné qu’en jouant, ils avaient fini deux bouteilles de pastis que Carole avait apportées, en bons sportifs responsables, ils ont décidé de boire uniquement de l’eau.
– … et à manger ?
Les membres de la bande se sont regardés un instant. Puis, Bernard a répondu :
– On fait comme d’habitude ? On prend des plats à partager ?
Et il a eu la confirmation des autres. Le serveur leur a servi une carafe d’eau. Puis, une assiette de croûtons avec un bol de la tapenade au milieu.
– On a bien picolé, mais qu’est-ce que j’ai faim !  a relevé Bernard.
Les autres ont hoché la tête en signe d’approbation :
– Pareil !
Le serveur est revenu avec un petit bol plein des caillettes. Carole qui avait toujours l’intention de ne rien manger, n’a pas pu résister face à ces ovoïdes perles violets qui n’arrêtaient pas de lui faire des clins d’œil. Les caillettes avaient une texture beaucoup plus fine par rapport aux olives qu’elle avait connues. Elles se fondaient facilement en bouche. Carole s’est extasiée :
– C’est excellent !
– Alors, il faut que tu goûtes de la tapenade aussi ! lui recommande sa voisine de table.
Carole a jeté un regard dégoûté à la tapenade noire qui était posée devant elle.
– C’est quoi cette pâte noire ? on dirait du vomi…
Mais, sa voisine de table qui lui avait préparé une tartine de tapenade, ne lui a pas laissé le temps de continuer sa réflexion. Elle lui a proposé sa tartine et lorsqu’elle a senti que Carole allait la refuser, elle l’a approchée du nez de celle-ci :
– Tiens, hume- moi ça d’abord ! 
L’odeur salée et herbacée de la tapenade, a fait saliver Carole. A la dégustation, elle se sentait étourdie.
– Elle est grisante cette tapenade. J’imagine qu’il y a autre chose que des olives et des anchois là-dedans ! a exprimé Carole.
– Oui, elle est bien parfumée avec de l’ail et des herbes de Provence, lui a répondu sa voisine.
– Ici, c’est notre restaurant favoris. On s’y trouve souvent après les parties, a dit un membre du groupe.
– Tu vas voir ce soir, toi aussi vas devenir adepte de la gastronomie niçoise ! a ajouté un autre.
Quelques minutes plus tard, Bernard a annoncé qu’il voyait la socca arrive
– Attention, c’est chaud ! 
Carole réfléchissait à la manière dont elle allait refuser la socca, bien qu’au fond d’elle, elle commençait à être tentée par son odeur brûlante. L’un des amis l’a avertie :
– Il faut que tu te dépêches, la socca se mange chaude.
Ayant été ainsi prise de court, Carole s’est précipitée pour se servir un morceau de la socca qu’elle comptait déguster comme tel. Mais, soudain, l’une des amies l’a informée que la socca poivrée était mille fois meilleure. Finalement, après l’avoir poivrée, Carole a goûté de la socca. Elle était bien croustillante à l’extérieur et moelleuse à l’intérieur. Carole a affirmé :
– Effectivement, le poivre change tout ! Il y a une saveur réconfortante très agréable.
– Alors, tu adhères à la socca ?
– Avec grand plaisir !  D’ailleurs, pour moi qui n’aime pas les pois chiches en entier, ça va être une bonne manière d’en manger de temps en temps !
Il y a eu un moment de silence. Puis, Carole a repris :
– Tout ça est très délicieux. Mais, regardez-moi les couleurs : noir, brun, violette. On n’est pas en enterrement non plus !
– C’est vrai que la gastronomie niçoise n’a pas encore montré ses couleurs !  Mais, ne t’inquiète pas, les farcis vont arriver et au niveau des couleurs, tu seras bien servie ! a fait remarquer l’un des amis.
Carole a répliqué :
– Je n’ai rien contre les légumes mais je ne supporterai pas la farce. La chapelure mélangée avec de la viande, fait une croûte sèche et rugueuse. Et puis, la mauvaise odeur de la viande ne m’en parlez même pas.
– N’importe quoi ! ils sont tellement bons que même moi qui suis végétarienne, j’en mange et je me régale ! a riposté l’une de ses coéquipiers.
Quelques minutes plus trad, un arc-en-ciel de légumes a fait apparition sur la table : des tomates, des aubergines, des oignons et des poivrons tricolores ! Ils étaient pittoresques, dignes d’un tableau de Caravage !
Les amis de Carole ont commencé à se servir des farcis de légumes. Carole a observé qu’ayant été découpés, des légumes farcis formaient également un arc-en-ciel de manière individuelle. Une fois ses amis s’étant servis, Carole a glissé le plateau contenant le reste des farcis en sa direction. Puis, les a reniflés un par un. Contrairement aux farcis qui lui avaient été servis auparavant et l’avait dégoûtée, il n’y avait pas des effluves de rancidité de la viande. En revanche, elle dégageait un parfum ensoleillé méditerranéen du fait d’être marinée dans de l’ail, de l’huile d’olive et des herbes de Provence. Carole a découpé un premier farci. Puis, a examiné la farce qu’elle a trouvée bien homogène. Puis, s’est mise à la dégustation. C’était exquis ! La cuisson des légumes était bien ajustée. La farce, quant à elle, était succulente.
– De beaux arc-en ciels visuels et gustatifs !  Toutes les saveurs y sont présentes !nN’était-ce pas « umami » ?
– Toutes les saveurs y sont et tous les nutriments aussi ! a dit l’un des membres du groupe.
– Mangés avec du pain, ces farcis font déjà un repas complet ! a souligné Bernard.
Un autre membre de l’équipe des Niçois a ajouté :
– Notre bonne cuisine niçoise ravit bien sûr les papilles mais elle fait aussi partie du régime méditerranéen qui est le plus recommandé pour la santé. Regardez-moi la composition des assiettes : au moins cinquante pour cent de légumes, vingt-cinq pour cent de céréales et vingt-cinq pourcent de bonnes protéines ! C’est ce qui est le mieux pour notre corps ! 
Le serveur a demandé qu’on lui fasse un peu de place sur la table pour poser la pissaladière. Carole qui avait dégusté tous les farcis sauf celui d’oignon, étaient en train de penser qu’heureusement que celui-ci ait été mangé par quelqu’un d’autre et qu’elle n’ait pas eu à en déguster. En effet, elle n’appréciait pas trop les oignons cuits sauf lorsqu’ils étaient frits. A ce moment-là, l’une des amies, étant en train de savourer les pissaladières, s’est exclamée :
– Elles sont très bonnes leurs pissaladières.
Puis, a tourné son regard vers Carole et lui a demandé :
– Tu n’en as pas goûté ?
Carole qui craignait que des oignons en si grande quantité lui fassent mal au ventre a déclaré : – Je pense que les oignons ont un goût fort et ne doivent pas être consommés en tant qu’ingrédient principal mais seulement en garniture.
L’une des amies a précisé :
– C’est vrai que l’oignon cru en grande quantité est piquant et indigeste. Mais, là, ça n’a rien à voir. Goûtes-en Carole, tu vas voir.
Carole a manifesté une perplexité. Elle a eu par la suite, l’encouragement d’un autre ami :
– Allez, tu ne vas pas en mourir, je te rassure !
Puis, la menace d’un autre :
– On ne va pas t’adopter comme niçoise si tu ne manges pas de la pissaladière !
Carole a pensé : « ça a l’air sacré pour eux ! allez, je vais faire un effort ! » et a découpé un petit morceau de la pissaladière : la pâte était d’une juste épaisseur. Elle avait une bonne consistance. A la dégustation, les oignons étaient à la fois tendres et croquants. Ils généraient un agréable goût caramélisé.
– C’est vrai que ça n’a rien à voir avec ce que je pensais. D’ailleurs, s’il n’y avait pas d’anchois, ça aurait pu être servi en dessert ! a annoncé Carole
– Ne t’inquiète pas pour le dessert, il y aura « la tourte de blettes » ! l’a prévenu l’un des niçois.
Carole a riposté :
– Hors de question que je prenne du légume vert en dessert. Ils font n’importe quoi aujourd’hui. Des ananas dans la pizza, des légumes en dessert. Je me demande vraiment où on va. A force de vouloir être avant-gardiste, ils font des salmigondis très kitch. Mais, faites-une pause ! Epargnez-nous un peu vos idées novatrices ; je vous assure que l’humanité survivra !
– Oui, mais la tourte de blette ne date pas d’hier quand-même !
Carole a continué :
– Non, mais chaque chose à sa place : les légumes en entrée, les fruits en dessert. Quoique personnellement, je n’adhère non plus aux fruits en dessert. Ça perturbe la digestion du repas.
– Mais, la tourte de blettes n’a rien à voir avec tout ça ! Tu vas voir !
Quelques minutes plus tard, la tourte de blette a fait son atterrissage sur la table. Carole l’ayant à peine regardée, a dit en rigolant :
– Ça va être le dessert le plus vert que je n’aie jamais mangé !
Puis, elle s’est mise à la scruter : des feuilles vertes de blettes étaient interposées entre deux couches de pâtes à tourte rectangulaires. La couche supérieure était couverte du sucre glace : – On dirait un terrain en gazon enrobé dans un terrain enneigé !
Elle avait une senteur légèrement sucrée.
– J’aimerais bien voir la tête du gars qui a eu pour la première fois l’idée de mettre des blettes dans le dessert ! a fait remarquer Carole.
– En effet, au départ, les tourtes étaient souvent carnées. La première recette écrite de la tourte de blettes remonte au XVe siècle et selon le Wikipédia, c’est le cuisinier italien, Martino Rossi qui était à l’origine de cette création, a répondu l’un des Niçois.
– Elle fait partie des treize desserts provençaux de Noël, non ? a demandé la coéquipière de Carole.
– Oui, c’est vrai ! dans sa version niçoise !
Carole a découpé une infime tranche de la tourte de blettes qu’elle s’est mise à déguster avec appréhension. La texture était moelleuse, un peu fibreuse mais aussi croquante grâce aux pignons de pin qu’il y avait à l’intérieur. Le goût sucré était contrebalancé par la touche fruitée que lui avait apporté des raisins secs trempés dans le rhum et des pommes. En effet, le goût de la tourte de blette n’avait rien à envier à une tarte de fruit classique. C’était même mieux ! Car, elle n’avait pas le goût acidulé que la plupart des fruits apportent au dessert.
C’était l’un des meilleurs desserts qu’elle n’ait jamais mangés !
– Un vrai régal ! C’est fou, j’imaginais que la blette l’empêcherait d’avoir un goût de « dessert » mais ce n’est pas le cas du tout ! Personnellement, vue que je ne prends pas de fruit au dessert, j’avais souvent l’habitude de prendre des desserts à base de crème. Mais, là, pour le coup, la tourte de blette est beaucoup plus légère.
La fin du repas s’approchait. Les amis attendaient l’arrivée du serveur pour demander l’addition. Bernard a interpellé Carole :
– Alors, le verdict sur la gastronomie niçoise ?
Carole a répondu tout en souriant :
– C’est un peu le monde à l’envers avec de la blette au dessert. Mais, c’est exactement ça qui me plaît ; le fait de sortir des légumes du rôle qui leur était prédestiné !
– Tu vois que Nice t’avait réservé plein de surprises, l’a fait constater un coéquipier de Bernard avant que celui-ci l’ait prévenue :
– Et tu n’en as vu qu’une partie !

Rédigé par Fatemeh

Publié dans #Patrimoine & Méditerranée

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