LAURA

Publié le 28 Novembre 2023

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Laura avait décidé de mettre fin à son calvaire le jour suivant ses 40 ans. A 39 ans et 7 mois, après son énième casting, elle se dit « C'est foutu ma fille, tu ne feras jamais de cinéma. Et le mannequinat, à mon âge c'est mort »
Laura après avoir posé pour Vogue devant l'objectif d'Helmut Newton, avait choisi, diplôme de sciences po en poche, de gagner sa vie comme escort girl . Conversation brillante en sept langues dont le swahili, humour féroce, fine analyste du monde diplomatique et des relations internationales, elle était réclamée dans le monde entier. Elle évoluait dans l'univers des multi milliardaires et des puissants de la planète. Ses contrats spécifiaient bien qu'elle ne couchait pas ; « Et puis quoi encore ! »
Toutes ses qualités ne lui avaient pas permis d'atteindre le seul Graal qu'elle convoitait. Oh, elle ne demandait pas d'avoir son étoile sur le Walk of fame, juste un rôle, un petit rôle au cinéma et si possible aux côtés de son idole. Pauvre idiote que je suis, jamais nos univers ne vont se croiser. A l'époque des Nuits de la pleine lune, j'aurais très bien pu tenir le rôle de Pascale Ogier donnant la réplique à ce parfait inconnu mal dégrossi avec un drôle de phrasé, mais aujourd'hui qu'il remplit les salles et les scènes de théâtre...
Le miracle s'annonça un jeudi matin. Il s'afficha sous la forme d'un SMS laconique « Essai samedi 10h studio A cartoucherie de Vincennes ». Mettre une robe simple et printanière. Je réponds OUI, Oui j'y serai dans les sept langues que je pratique.
Samedi 10h, devant la porte A l'écriteau «  La laitière et le pot au lait ». J'entre. Un petit bonhomme vient me saluer, mais, mais c'est Woody Allen himself.
Il me sourit me tend la main, me dit qu'il n'a vu aucun de mes films (et pour cause) mais que le mois dernier, il m'a remarquée assise sur un banc dans Central Park lisant le livre d'entretien de François Truffaut avec Alfred Hitchcock.. Il m'a discrètement photographiée et a fait des recherches. « And voilà sweetheart. Are you ready, because M. Lucchini is on le plateau, you know and he waits for you. »
Et là, sur la photo, c'est moi, c'est lui, c'est nous. Je dois juste lui servir du thé.
Tu m'as frôlé l'épaule et même à travers mon gilet en laine, j'ai senti la soie de ton bras. C'est ce que Fabrice m'a dit plus tard. Mais là, je vais trop vite.
Baisse les yeux Laura, suis les indications du metteur en scène. Tu es la laitière de la ferme d'à côté. Lui, Fabrice est un grand écrivain qui vit dans le château de ses ancêtres. Ce jour-là, la servante Zerline s'est absentée et tu lui proposes de mettre délicatement un nuage de lait dans son thé. Tu trembles, tu es émue car secrètement amoureuse du châtelain. Comme moi ? Je dois improviser car je suis plus habituée à me faire servir qu'à servir. Tu vas y arriver Laura, tu as tellement attendu cet instant. Essai réussi, Woody était enchanté. Fabrice ne m'a pas adressé la parole, mais j'ai bien capté l'étonnement ravi de son regard.
Comme toujours, le film a été projeté en avant première au festival de Cannes. Marion Cotillard monte les marches au bras de Fabrice d'un côté et de Woody de l'autre mais je suis aussi sur la photo même si on a coupé ma scène au montage, car, parait-il, elle n'apportait rien à l'intrigue.
Je ne fais toujours pas de cinéma, mais je tiens toujours mon rôle dans la jet-set, là au bras d'un émir à Dubaï, ici avec un capitaine d'industrie japonais, mais presque chaque semaine, je saute dans un avion direction paris Les Buttes Chaumont rejoindre Fabrice. And that's all baby !
 

Rédigé par Odile

Publié dans #Ecrire sur des photos

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