LA SOIRÉE

Publié le 16 Novembre 2023

 
J’étais loin de m’attendre à cette invitation. Lorsque Polalydés est venu me l’annoncer, j’ai cru défaillir. Invitée par le Commandant du bateau ? Mais qu’avais-je fait pour mériter un tel traitement ? Déjà mon estomac se tordait dans tous les sens. Rassurez-vous, me dit-il, nous ne serons pas seul et cette invitation est une tradition à bord d’un bateau de croisière. Je ne vous demanderai qu’une chose : Au cours de ce dîner appelez-moi ‘ sir Edward ‘.
- Mais pourquoi ?
Je vous expliquerai ça plus tard. J’ai eu une vie assez remplie et le commandant connaît bien mon existence passée. Nous avons eu l’occasion de nous rencontrer au cours d’événements lointains où nos priorités n’étaient pas les mêmes.
- Comment vais-je m’habiller ? Je n’avais absolument pas prévu de me trouver dans une situation pareille.
- Votre robe rouge, des escarpins noirs et le collier de fausses perles, que vous cachez dans le tiroir de votre salle de bain conviendront très bien pour cette soirée.
- Je suis déjà une fausse blonde, vous ne pensez pas que pour les tromperies ça fasse un peu beaucoup ?
- Pas du tout ! Vous verrez, l’ambiance sera très décontractée. Et puis, qui sait ce qui est faux et ce qui est vrai ?
- Justement ! Parlons-en. Comment se fait-il que vous sachiez tout de moi alors qu’il y a deux jours nous ne nous étions jamais rencontrés ?
- Nous dirons que cela fait partie de mes talents cachés. Je viendrai vous chercher à vingt heures.
 
Nous nous rendîmes au carré des officiers où le dîner devait être donné. J’avoue avoir été éblouie. Ce salon resplendissait de bois précieux et d’ornements en cuivre dorés. Un grand lustre de cristal inondait de rayons violets et rouges, une table de rêve, habillée du blanc le plus pur et chargée d’une vaisselle de porcelaine fine qui conjuguait le bleu de la mer avec celui de l’horizon. L’argenterie se plaisait à compléter ce tableau des mille et une nuit. Par contre le nombre de couverts pour chaque convive m’inquiétait. Saurais-je m’en servir à bon escient, sans me faire remarquer ?
Le nom de chaque invité était précisé sur un bristol blanc à chaque place et le menu du soir était déposé devant chacun d’entre nous. A sa lecture, je croyais tenir entre mes mains une poésie où le seul mot que je connaissais était topinambours. Il faut dire que mes parents en ont gardé un souvenir assez mitigé.
Les discussions allaient bon train, quand le commandant fit son entrée. Il commença par nous demander de bien vouloir excuser son retard dû à un problème de service. Ceci dit il se montra charmant et salua avec gentillesse et simplicité chacune et chacun d’entre nous. Il était assez bel homme. L’uniforme le valorisait et son teint buriné par les embruns lui donnait ce petit côté aventurier qui n’avait pas l’air de déplaire aux dames. Les messieurs présents à la table et pour la plupart célibataires se mettaient en quatre pour se faire remarquer. D’ailleurs, en face de moi un certain Eliott qui était très discret avait choisi de se présenter chapeauté d’un casque colonial. On ne pouvait pas le manquer. A côté de moi mon Cicéron s’ingéniait à m’éviter de faire des bourdes dans ce milieu, qui somme toute, était plutôt bourgeois. A côté d’Eliott, une femme, brune aux cheveux longs prénommée Julie, semblait s’intéresser à son voisin. Assez volubile, celui ci se targuait d’une nationalité suédoise en s’appelant Gino Baldino et d’un statut de retraité EDF tout en étant âgé d’une petite quarantaine d’années. Il parlait si fort que l’on allait finir par le croire. Je me demandais si Julie ne l’avait pas croisé dans la salle des pas perdus au tribunal de Nice. Son allure et son comportement auraient pu le placer dans une catégorie de souteneur et non de soutenu. En bout de table j’avais remarqué un certain Oscar, bien mis de sa personne, assez classe qui jetait des coups d’œil furtifs et calculateurs sur la gent féminine. Sa patience et son air de prédateur à l’affût me faisait douter de la motivation qu’il invoquait pour expliquer son voyage. Il prétendait se rendre à Madagascar pour acheter de la vanille. Si c’est ça, moi je suis Bernadette Soubirou.
Le repas fût un enchantement. Les senteurs aromatiques des plats présentés donnaient du relief à cette soirée. Il va de soi que les topinambours du menu n’avaient rien de commun à ceux qui faisaient l’ordinaire de mes parents quelques années auparavant. Les vins et alcools faussement légers mais vraiment traîtres ont largement contribué à une réussite sans fausse note.
 
Sir Edward m’a raccompagné, en me soutenant, à ma cabine. Parfait gentlemen, il m’a aidée à retirer mes escarpins, à la suite de quoi je me suis écroulée sur mon lit.
Demain sera un autre jour.
 

Rédigé par Fernand

Publié dans #Ecriture collective

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