Le gardien du square

Publié le 4 Avril 2024

 
Le soleil, fatigué d’avoir tant œuvré pendant cette longue journée du mois de mai, décida de se retirer. Dans un rougeoiement digne de la palette d’un grand peintre, il laissa la douceur de la soirée s’emparer du jardin d’enfant. La pénombre, accompagnée de la luminosité diffuse des équipements urbains, accordait un certain relief aux bacs à sable et aux bancs de bois qui meublaient cette oasis de paix destinée aux familles.
Assis depuis quelques heures sur mon banc, je mettais à profit le regard que je portais sur l’insouciance de ces enfants qui ne pensaient qu’à s’amuser, pour me plonger dans des souvenirs bien cachés dans mon âme depuis longtemps. Bien trop longtemps d’ailleurs. Cerné par les murailles des années passées, je mis un certain temps pour m’apercevoir qu’un petit garçon se tenait devant moi. Perché sur son petit vélo, ses yeux grands ouverts plongeaient dans les miens.
— Je cherche mon ballon rouge. Tu sais ? Un grand ballon, bien beau, pas abîmé, un cadeau de ma mamie. J’y tiens beaucoup. Ma sœur le cherchait aussi, mais depuis, je cherche ma sœur, car elle a disparu. Tu te rends compte ?
Interloqué, voire abasourdi par cette situation qui me prenait de cours, j’essayais de balbutier une réponse d’adulte à une question d’enfant.
— Euh… Je suis sûr qu’en cherchant bien, tu vas les retrouver rapidement et...*
Benoît ! Arrête d’embêter les gens avec tes questions qui n’amèneront aucune réponse. Depuis le temps, tu devrais le savoir. Allez ! Tu devrais être raisonnable et rejoindre ta sœur, avec ou sans ballon. On t’attend avec impatience, ne fait pas languir les guides responsables de ton prochain destin.
Un vieil homme s’était immiscé entre l’enfant et moi. Il était vêtu d’une sorte d’uniforme froissé par les années et coiffé d’une casquette façon garde municipal, qui devait le protéger du soleil depuis des lustres. Il vint vers moi, main tendue, et malgré son âge qui me paraissait bien avancé, sa démarche était celle d’un homme dont la force n’avait pas subi le déclin habituel d’une fin de vie annoncée.
—  Bonjour, je suis Pierre. De par ma fonction, je dirige un peu les allées et venues du square et j’apporte mon aide à certaines personnes qui ont du mal à comprendre le nouveau statut dans lequel elles vont devoir évoluer. C’est le cas de Benoît qui cherche son ballon. En fait, c'est un prétexte, car ce futur qu’il doit rencontrer, comme tous les autres, lui fait peur.
Je ne comprenais pas un seul mot de ce que Pierre tentait de m’expliquer. Quel futur ? Pourquoi avoir peur ? Et peur de quoi ? Où suis-je tombé ? Et puis, ce Pierre qui était-il en réalité ?
— Bonjour, monsieur Pierre. Excusez-moi, mais comprenez que je me pose des questions à votre sujet et que je ne comprends pas bien la situation dans laquelle je me trouve. Malgré moi…
— N’ayez crainte, j’ai l’habitude. Tout ce qui vous tarabuste est normal. Regardez. Le soleil s’en va. Un cycle s’éteint et un cycle nouveau va naître. Vous en ferez partie, avec Benoît et tant d’autres qui attendent le départ pour le grand voyage.
- Grand voyage ? Mais je n’ai rien prévu de tel. On m’attend, j’ai des affaires à traiter, des factures à régler, pouvez-vous croire que je vais laisser perdre le rendez-vous avec mon docteur que j’ai dû attendre plus de deux mois ? Jamais de la vie !
— Jamais de la vie ! Vous avez dit le mot. La vie. Mais cher ami, la vie n’est qu’un passage. Comme qui dirait d’une rue à l’autre. Il suffit de traverser dans les clous et votre sécurité est assurée. Sauf naturellement si une mauvaise âme ne respecte pas le respect qu’elle vous doit. C’est le genre de chose qui vous emmène ici... Et vous y êtes ! Les soucis que vous allez rencontrer ne sont pas ceux que vous avez laissés en cours de route. La différence vous sautera aux yeux.
- Mais alors, dois-je penser que…
— Vous devez penser ! Oui ! Vous devez.
— Quand ?
— Maintenant !
— Où ? Vous ne répondez pas ? Faites un effort. Non ?
 
 

Rédigé par Fernand

Publié dans #Divers

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