CARNAVAL, L’HÉRITAGE

Publié le 18 Février 2023

 
Il était une fois, aux temps lointains que les moins de dix mille ans ne peuvent pas connaître, Rahan, le fils des âges farouches, qui rentre bredouille de la chasse. Le froid, la neige, la glace ont tout figé dans la région. Le gibier a disparu, la végétation est moribonde, la tribu affamée. Alors le sorcier met son masque magique à la grimace terrifiante, coiffe sa tête de plumes et de rameaux de l’arbre sacré, enfile son habit de peau de bête sauvage et convoque tout le monde pour invoquer les esprits et chasser le froid et la mort. Ils franchissent le rocher venteux qui vole quelques plumes et les rares feuilles au chapeau du sorcier, descendent le long de la baie jusqu’à l’embouchure du fleuve en tapant sur des bâtons pour faire peur et éloigner les forces maléfiques.
 
Cela dut fonctionner car neuf mille neuf cent soixante-deux ans plus tard, la tribu a survécu, prospéré et le camp, devenu village d’une province romaine, s’appelle désormais Nicaea. La danse magique du sorcier préhistorique, ayant fait ses preuves, s’est transformée en fête en l’honneur d’autres dieux, tout en restant basée sur la vieille crainte originelle.
Gracchus Garovirus, gouverneur romain de Condate, suite à une mission ratée contre deux irréductibles et célèbres Gaulois, vient passer les Saturnales, dans le bourg et le relate dans ses mémoires :
[… les esclaves, coiffés du pileus, emblème de la liberté, s’amusent, disent et font ce qui leur plaît; ils changent de vêtements avec leurs maîtres. Tout est plaisir et joie. Les enfants courent les rues en criant : Io saturnalia. A la nuit, la fête se poursuit à la lueur des flambeaux et partout de somptueux repas où ce sont les maîtres qui servent les esclaves…]
La magie de la fête continue à vaincre l’hiver, le froid, le faim, la mort et permet maintenant de se libérer de la servitude, exutoire salutaire, pendant quelques jours.
 
Quelques mille six cent ans plus tard, Catherine Ségurane danse au Carnaval de Nice, réjouissance désormais profane. Il y a bien longtemps qu’un autre dieu, unique celui-ci, a abattu les idoles romaines. L’Église a décrété le jeune pascal, carnem levare (supprimer la viande), mots desquels dérive le nom de Carnaval. L’organisation et la réglementation de ces festivités sont confiées aux « abbés des fous » qui organisent quatre bals dans la cité selon les classes sociales : nobles, marchands, artisans et ouvriers. Catherine va de bal en bal, rit en traversant les ruelles de la cité, essaye de reconnaître quelques hommes sous leurs masques. Toutes les fenêtres des maisons sont éclairées de lumignons, des feux de joie s’embrasent sur les places et des banquets régalent tout le monde. Carnaval exutoire, liberté, joie chassent les ténèbres et l’hiver.
 
Aujourd’hui, samedi 18 février 2023, Betty Boop danse sur un char. Le Carnaval, devenu spectacle, muré derrière des palissades, a perdu son côté festif et populaire et son sens premier. Pourtant, les vieilles peurs reviennent avec le changement climatique, les menaces de guerre, mais Carnaval ne le sait pas encore. Betty Boop, dans son joli costume, rit, lance des confettis et des baisers à la foule bien rangée sur les gradins.
Derrière les palissades, mon vieux pote Louis fulmine :
« Nice, ville de carnaval ! Mais que reste-t-il du carnaval populaire, grotesque volontairement, créé pour les Niçois du peuple, personnages rustiques. Je ne suis pas contre le progrès, le changement. J'ai assisté au fil des ans à son évolution, les cavalcades ont disparu mais les chars sont devenus des œuvres d'art. Les grands panneaux noirs ont encerclé de plus en plus la place Masséna au pied de laquelle ont poussé des gradins pour touristes fortunés. De fête populaire le carnaval est devenu interdit aux Niçois. Les anciens n'y vont plus. Les plus jeunes s'essaient à resquiller, mais impossible, les forces de l'ordre encerclent tout le parcours du défilé. »
 
Que d’amertume chez mon ami ! Allez, vene Louis, anen faire virar lo paillassou e petar lo petadou !*
 
Mado
*Allez, viens Louis, on va faire tourner le paillassou et péter le pétadou !
 
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Rédigé par Mado

Publié dans #Carnaval

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