CHASSEUR DE MIEL

Publié le 15 Février 2023

 
Ils se sentaient bien trop à l’étroit Sixième Avenue et 43ème étage gauche.
Cain avait réussi son doctorat sur l’éclairage des vers luisants. Papa l’avait tellement soutenu.
Quant à Abel il n‘avait pas poursuivi sa licence de chaman et pensait fortement,
avec maman, à commercer du miel, un miel hallucinogène
Ils s’installèrent en Himalaya dans la vallée haute du Hongu,
une vaste et luxuriante étendue déserte, très peu fréquentée des âmes qui vivent.
Un à-pic de roches roses humides et friables surplombant une profonde jungle
rempli d’essaims, pulseurs comme un caisson de basse.
Un trésor de la nature juste approché par l’unique et intrépide Mauli.
 
Des abeilles noires, une beauté sauvage. Leur miel, aussi doré qu’un lingot.
Des alvéoles débordantes d’un suc sans pareil.
Des fleurs centenaires aux corolles chatoyantes et aux parfums envoûtants,
des rhododendrons surtout,
toute une équipe de femmes organisées et travailleuses virevoltants entre les cases à remplir.
 
Pendant que Caen jouait à la console avec son père en attendant la nuit,
Abel s’occupait, avec un habit de fortune et une échelle lianes, de récolter le précieux breuvage,
souvent en équilibre sur des hésitations
mais tellement accroché à la certitude d’avoir trouvé un autre paradis.
 
Soudain, un samedi après-midi orageux, une horde de bourdons se posa tout près des ruches.
Des bourdons équarisseurs aux ailes en K.

Dans un défilé de drapeaux rouges et des fumigènes, les molosses s’agitaient hargneux
et menaçants pour jeter la confusion à nos ouvrières juste rentrées de leur fin de journée.
Heureusement, quelques-unes, quand même payées en heures supplémentaires,
étaient restées sur le pas de porte des essaims pour protéger leurs reines.
Ce ne fut pas suffisant pour certaines qui accouchèrent prématurément et dans la douleur,
de spécimens qui resteraient probablement handicapés du dard à jamais.
 
La colonie était en péril. Très vite Abel se précipita au secours de ses protégées.
Avec son taser, il fit exploser le nuage des bourdons mais ce n’était pas suffisant.
Alors il pensa à la valise du paradis et au dernier rayon de lumière enfermé par ses parents.
Il n’hésita pas une seconde et tant pis pour les enchères de Drouot.
Dans un éclair foudroyant les bourdons tombèrent comme des mouches.
 
Mais Cain savait et il s’était tu.
Cain le traître, savait que monseigneur Koko avait pris sa retraite dans l’autre vallée,
le long de la rivière Hongu, chez son cousin kulung.
C’ETAIT CHASSEUR DE MIEL
 
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Le temps allant bon an mal an, d’Eve et d’Adam il ne reste plus qu’un monument.
Partis sans égal , venus sans venir, ils ne jouiront jamais du fin mot de l’histoire.
Nous non plus d’ailleurs.
Trahi par son frère, avec des parents sous une dalle, Abel décida de quitter Hongu
pour la Mongolie et Oulan-Bator.
Le long de la piste du Transsibérien, vivait un chaman et son église.
A la fac, on avait déjà dit à Abel qu’il aurait hérité de la fibre chamaniste de sa mère.
Il n’avait conservé que quelques notions de sa licence de l’époque pourtant
il ne mis pas longtemps à convaincre son nouveau maître.
Désormais toutes les nuits de pleine lune, il partait à la rencontre des esprits,
faisant dialoguer l’invisible avec le visible.
Dans le froid polaire, on allumait un grand feu. Abel se vêtait de son plus simple appareil,
la face cachée par un masque de feuilles de tilleul de la région.
Une danse commençait doucement accompagné de son chant d’incantations, si particulier.
Quand il arrivait tout près de l’Ovoo, des congénères malades fixaient les rubans de couleur
pendant qu’en transe il évoquait les esprits pour leurs guérisons.
Lors d’une première divination un lundi après-midi, Abel entre-aperçu la mitre de monseigneur Koko dévorée par une myriade d’abeilles noires. Au pied de la falaise il restait très peu du visible de notre homme écrasé de remords et de regrets pour le miel en pots.
Caïn de son côté, venait de quitter Hongu aussi, plus du tout intéressé par les vers luisants
convertis désormais aux LEDs. et il s’était spécialisé dans le parapluie.
Pour cause, il avait peur de tout ce qui lui tombait dessus. Chauve, bossu, boiteux, célibataire,
plus de points à son permis, et j’oubliais la console, tombée dans le trou.
Lors d’une vision cette fois un samedi après-midi, le courant de pensée de Caïn se jeta violemment
sur Abel qui n’échappa pas à la diablerie meurtrière de son frère.
Une grosse dépression le secoua tellement fort qu’il finit par couler à pic dans son dernier mot.
Depuis ce jour Caïn erre de terres en îles, de mers en continents, prisonnier de son âme
morte d’éternité et de son bracelet électronique.
Ainsi finira le commencement... ou presque … ou pas … ?
C’ETAIT LE CRIME PREMIER NE
 
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Hier soir sa majesté carnaval à soufflé son cent cinquantième sur la coulée verte.
Une première.
A l’occasion, j’avais loué une paire d’échasses pour mieux passer outre
le périmètre sans oeilletons de l’Office du Tourisme.
Figure toi que j’avais pris l’idée de me lover dans les bras de Britney Spears
spécialement venue en petite tenue polystyrène et fibres de verre
nous montrer le meilleur de ses atouts maquillés et modifiés gonflés.
Tu sais que je suis épuisé. Depuis ce matin je dois garder l’équilibre,
patienter le boire et le manger dans un serpentin de têtes en buste
sans compter les trilles des langues de belle-mère.
Mais voilà enfin qu’au loin j‘aperçois le char numéro 13.
Il avance doucement, précédé, me semble-t-il par la fanfare des Crapauds de la Mare,
Si, si, c’est écrit sur le programme. Je vous jure.
Donc comme tout arrive à qui sait attendre, et elle vient de le dire,
mais là, pas de chance.
Britney s’incline complètement à mon opposé.
Ma contorsion voire plus, devient nécessaire.
Pas le choix, je passe l’échasse gauche sans problème
par-dessus la clôture plus trop zinguée,
puis je tente la droite et vlan, je glisse sur un confetti bleu
à moins que ce ne soit un vert ?
Penchons-nous un peu,
mais non, c’est un énorme… grain de folie.
Plus loin vers le lendemain, à Pasteur city
dans les courants d’air des couloirs,
des paillassous partout,
des Rois, des Reines défilent en désordre, sans fleurs ni couronne.
Et moi, allongé dans un presque plâtre,
j’ai le masque qui pleure de rire
des toquades coincées encore dans ma caboche,
Britney dans ma poche gauche, une photo découpée dans télé Machin
et Carnaval dans ma poche droite, un billet d’entrée plein tarif signé.
C’ETAIT CARNAVALEMENT VOTRE
 
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Cette année la ville de Nice, comme pour chaque carnaval, a passé de nombreuses annonces pour recherche de conducteur ou conductrice de tracteurs, ceux qui servent à porter les personnages du carnaval pour les défilés
Justine et Marius ont retenu l’attention de la Collégiale des Festivités.
Agriculteurs en retraite mais encore verts ils avaient toujours rêvé de voir la mer.
Originaire de Roucouler-les-Bains, ils seraient disponibles pour une semaine voir deux mais pas plus à cause des cochons en demi-pension chez Georgette, la première adjointe de la mairie de Roucouler-les-bains, leur village commun.
  • Dis la Justine, nous z’ont prêté un hôtel de luxe pour ce carnaval , le 150e y paraît.
On a même la télé et un balcon avec deux chaises.
Et puis penche-toi un peu. On voit la mer là-bas juste derrière ce palmier. C’est bizarre
Reste plus qu’un trognon. Peut-être z ont enlevées les palmes pour les donner aux paysans d’ici à cause du four de cet été ?
  • Le Marius, tu dis n’importe quoi. Occupe-toi donc de remonter le réveil pour 4 heures et n’oublie pas tes cachets. Fait vraiment chaud ici. Tu peux bien quitter tes chaussettes, tu dormiras mieux.
  • Mais z’ont dit, y’a l’appareil pour le chaud et le froid. Là regarde y’a une boîte.
  • Commence pas à toucher tous les boutons. Ouvre plutôt la fenêtre.
Mais dis donc le Marius ça me fait penser, tu as bien fermé le cajibi des cochons ?
  • Pour sûr la Justine.
  • Alors bonne nuit mon Marius.
  • Ce soir z’ai pas eu mon bisou à débordement, ma Justine ?
Le lendemain après un petit déjeuner rapide, un car de ramassage venait prendre nos amis directement dans le parking de l’hôtel en direction du hangar.
Tout était très bien organisé. Les costumes, les accessoires, les grosses têtes et les chars qui étaient alignés dans l’ordre de sortie.
  • Bonjour messieurs dame moi c’est Jérôme.
  • Nous Marius et Justine pour le char numéro deux. Le char Koko je crois.
  • D’accord je vais vous y conduire. Je vous donne une tablette et un panier garni.
Nos deux amis étaient émerveillés par l’endroit eux qui n’avaient jamais été plus loin que Roucouler-les-Bains. Une sympathique équipe les avait pris en charge.
Vint le grand moment, faire connaissance avec le tracteur, l’engin de tous les rêves de Marius, lui qui n’avait que le très vieux Fergsson de son père. Justine hésitait tandis que Marius, sa moitié avait déjà ouvert la porte de la machine.
  • La Justine dépêche-toi de monter.
  • C’est un peu étriqué là-dedans et zut, en plus, J’ai oublié de mettre mes bas de contention et …
  • Dépêche-toi de monter la Justine. Le Jérôme m’a tout expliqué pour conduire le tracteur.
Nos joyeux lurons étaient tellement impatients de démarrer, Justine un tantinet inquiète quand même. Marius avait installé sa tablette avec tout le programme sur ses genoux. A Roucouler on disait que Marius est particulièrement doué en informatique. Ca et puis aussi, pour saigner les cochons. Le reste c’était Justine.
Le grand portail du hangar s’ouvrit sous des olas de l’équipe. Première sortie du Carnaval.
Marius les yeux dans le mollet de monseigneur Koko et tout près de l’ourlet de sa soutane, était fou de joie.
Il embraya sur l’avenir juste derrière la cavalerie de Mongolie, un rythme déjà endiablé sur des airs culotés.
Koko était impressionnant. Encore plus laid que dans la vrai vie. Il avait réussi à figurer dans le défilé
étant le seul médaillé encore de ce monde, pour ses excellents pots de miels.
Par ailleurs, il descendrait lui aussi à Nice pour jouir de la plus vue sur la mer du Negraisseco.
Sur le char, des jolies jeunes filles virevoltaient de toutes parts et Marius jubilait des vibrations gratuites et régulières des danses de ces demoiselles, un changement avec celles des trayeuses de Roucouler.
  • Marius, un bisou qui déborde, s’il te plaît …mon chou.
  • Minute La Justine. Mets donc tes yeux en face des trous pour voir dehors et
dis-moi si je z’peux avancer un peu sur la gauche. Je dois laisser le passage à la dame de la Police Municipale et son canasson.
  • Voilà tu peux. Dépêche-toi elle a priorité.
Soudain un grand bruit. Marius tente désespérément de redresser le char. Koko est touché de plein fouet, la mitre toute neuve accrochée à la caténaire du bus électrique. Un énorme soubresaut, une panique sur la zone.
Marius quitte précipitamment la cabine pour constater les dégâts, Koko décapité, la tête qui pend sur l’épaule, la fin d’un règne, le début du purgatoire.
Restera l’homme du Négraisseco. Caïn s’engouffre dans le moins quatre pour récupérer
la Porche de Monseigneur Koko. Une ombre se glisse au diable Vauvert du parking.
Soigné et discret, Caïn enfile sa casquette et ouvre la boîte à gants…
C’ETAIT SOUS LES JUPES
 
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Rédigé par Dany-L

Publié dans #Trésors du monde

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