MERVEILLES AU FIL DES ÎLES

Publié le 15 Février 2023

 
LE TRÉSOR DE PHAROS
 
Je suis paraît-il, encore aujourd’hui, qualifié de 7ème merveille du monde. Pourtant je n’existe plus depuis bien longtemps maintenant. J’étais un édifice remarquable et même exceptionnel. Ma vie durant j’ai guidé de nombreux marins sur la mer d’Egypte, à l’entrée de la ville d’Alexandrie. J’ai permis à beaucoup d’entre eux de braver les tempêtes et d’échapper au naufrage. Et cela pendant plusieurs siècles. Imaginez ! J’ai été bâti sur l’ordre de Ptolémée 1er au IIIe siècle avant J-C et j’ai fini ma vie au XVe siècle de votre ère !
Les raisons de ma construction ? La première est, bien sûr, celle de toute tour placée comme moi à l’entrée d’un port, donner par mon signal lumineux un repère aux bateaux arrivant à Alexandrie. C’est d’ailleurs parce que j’ai été érigé sur l’île de Pharos que désormais tous les édifices de ce genre s’appellent des phares.
Mais je crois bien qu’une autre raison à ma réalisation colossale, ce fut le désir de Ptolémée 1er de montrer sa puissance. Je mesurais 130 mètres de haut ! C’est extraordinaire n’est-ce pas ? Ils ont mis quinze ans pour m’édifier !
Je rayonnais au propre comme au figuré. Qui n’a pas entendu parler de moi, le phare d’Alexandrie ! Certains m’identifient même parfois à Râ, le dieu égyptien du soleil.
Comment ma vie glorieuse a-t-elle fini ? Eh bien, moi qui avais les pieds sur terre et la tête dans le ciel, moi qui ai consacré toute mon attention à la mer et à ses tempêtes, moi qui ai protégé de toutes mes forces les vaisseaux et leurs équipages chaque nuit pendant plus de dix-sept siècles, j’ai senti un jour, en 1480 je crois, que mon corps de pierre se mettait à trembler. Ce n’était pas tout à fait nouveau, j’avais déjà perçu quelques fois des frémissements de l’île sous ma base, mais rien de bien inquiétant. Là, le tremblement, faible au début, s’est amplifié rapidement, ma lanterne s’est mise à vaciller, je ne comprenais pas ce qui se passait. Des fissures sont apparues sur mon corps robuste. La mer s’est déchainée, je ne pouvais plus rien contrôler. Le bruit des vagues qui venaient cogner contre les rochers en contre-bas était assourdissant et totalement inhabituel, tout comme le grondement lugubre qui montait de la ville d’Alexandrie et de partout. Soudain ce fut la nuit totale et moi, le phare géant, symbole de puissance et de force, je me suis écroulé pierre après pierre et elles ont roulé avec fracas dans la mer.
Mais je suis entré dans la postérité et aujourd’hui, plus de cinq cents ans après cette fin tragique, on parle encore de moi. La preuve !
 
LE MONT-SAINT-MICHEL
 
Maya est une de mes amies depuis longtemps, plutôt aventurière, elle aime les voyages non organisés et souvent en solitaire.
Lors de notre dernière rencontre il y a quelques semaines, je lui ai parlé de mon atelier d’écriture du lundi et notamment de mon texte sur le phare d’Alexandrie. Maya sait que je suis fascinée par ces tours. Voyant mon enthousiasme, elle m’a demandé si elle pouvait lire ce que j’avais écrit à propos de ce monument aujourd’hui disparu. Et c’est là qu’elle s’est exclamée, un sourire aux lèvres : « Je crois que je tiens mon prochain voyage ! »
Quelques jours après, je reçois une carte postale représentant le phare de Cordouan. Et ces quelques mots écrits par Maya au dos de l’image : « Ce n’est pas le phare de l’île de Pharos mais celui-ci est tout de même hors normes ! » La photo me donne envie d’en savoir un peu plus sur ce phare dont j’ai bien sûr déjà entendu parler. Il se trouve à l’embouchure de l’estuaire de la Gironde. Haut de plus de 60 mètres, ce qui est déjà beaucoup, il est loin de rivaliser avec le phare d’Alexandrie ! Mais sa particularité est d’être situé en mer. Et je me dis que cela doit être vraiment impressionnant pour les gardiens notamment lors des tempêtes !
Deuxième carte postale de Maya quelques jours plus tard et deuxième image de phare. Visiblement elle a longé la côte atlantique, la voilà en Bretagne. Cette fois, c’est le phare de Créac’h situé sur l’île de Ouessant, reconnaissable à ses bandes noires et blanches. Décidément, j’aurais bien apprécié ce voyage moi aussi ! « C’est le phare le plus puissant d’Europe » a écrit Maya,  «Savais-tu qu’il a deux lanternes superposées et une portée de soixante kilomètres ? » Et puis en tout petit, elle a écrit : « Je serai bientôt en Normandie… »
Je me mets à attendre la prochaine carte. Ces trois petits points me laissent songeuse. Moi, si je faisais ce périple, j’irai voir le Mont Saint-Michel. Ou plutôt revoir, car j’y suis déjà allée il y a bien longtemps et ce lieu m’a laissé un souvenir indescriptible. Comment dire ce que ce site a éveillé en moi ? De l’éblouissement devant cette abbaye appelée « la Merveille », construite à la demande de l’archange saint Michel il y a plusieurs siècles, puis agrandie et restaurée. Du plaisir à parcourir les charmantes ruelles du village. De l’émotion en pensant au lourd passé de l’édifice qui servit de prison. De l’enchantement en contemplant la beauté du paysage environnant quand le regard parcourt la baie à marée basse. La seule ombre à ce tableau de souvenirs reste la grande fréquentation du lieu, peu propice au recueillement.
La troisième carte postale de Maya réveille en moi des sentiments mélangés. On y voit la stature imposante du Mont au moment des grandes marées, comme un phare au milieu de la mer dont la lanterne serait la statue dorée de Saint Michel terrassant le dragon.

...

IL LAGO MAGGIORE
Maya ne m’avait pas donné de ses nouvelles pendant plusieurs jours après sa visite au Mont-Saint-Michel. Puis je reçus un texto d’elle me disant qu’elle traversait la France en diagonale depuis la Normandie. Elle envisageait même de passer par l’Italie du Nord avant son retour à Nice. Elle avait écrit : « Tu m’as tellement parlé de cet endroit magique qu’il faut que j’aille le voir de mes propres yeux ». J’ai compris tout de suite à quel lieu Maya faisait allusion. Je lui avais décrit la région sud du lac Majeur entre le Piémont et la Lombardie avec force détails et avec tout l’enthousiasme que cet endroit avait fait naître en moi quand je l’avais découvert quelques années auparavant.
Et voilà que tous les souvenirs des moments heureux passés au bord du lac Majeur me revinrent pêle-mêle intensément en mémoire. La première fois qu’il m’était apparu au détour de la route après plusieurs heures de voiture au départ de Nice, cela avait été comme un coup de foudre. Enfin il était là ! Sa couleur verte reflétant la nature environnante et son calme avaient ravi mes yeux, quelque chose d’impalpable s’en émanait et j’ai su à cet instant là que cette rencontre allait donner un autre sens à ma vie.
Il avait plu souvent en fin de journée lors de mes séjours à Angera, petite ville italienne au bord de l’eau. Au crépuscule, de la fenêtre de l’hôtel ouverte sur le lac, j’aimais écouter le bruit de la pluie tombant sur les larges feuilles des bananiers, le crépitement des gouttes sur l’eau, et sentir l’odeur âcre de l’herbe mouillée. Dans le silence de la nuit, ce murmure me berçait, le lac me paraissant plus sombre, presque noir.
La journée, je prenais souvent la navette pour aller sur l’autre rive et découvrir ses pittoresques petits villages. Certains, comme Arona, étaient animés les jours de marché par les commerçants et leurs voix italiennes chantantes et je me mêlais avec plaisir à cette ambiance chaleureuse. D’autres étaient plus tranquilles mais tout aussi charmants, comme Belgirate. Celui-ci me plaisait particulièrement avec son église bleue que l’on apercevait de loin, son joli restaurant aux jardinières fleuries qui embaumaient l’air et son tiramisu un régal pour les papilles !
Mais la beauté du lac Majeur je l’ai surtout trouvée éclatante quand, de Stresa, j’ai pris le bateau pour aller aux îles Borromées. Trois îles bien différentes, telles des bijoux posés sur l’eau dans ce décor magnifique qui enchante le visiteur. Je me souviens des parfums des jardins d’isola Bella et d’isola Madre et de la saveur des plats de poissons dégustés sur l’isola dei Pescatori dans un sympathique restaurant au bord de l’eau.
Je trouvais tellement de charme aux petits ports endormis le long des berges, juste quelques barques souvent, dont certaines même prenaient l’eau. Elles semblaient se laisser porter avec douceur et confiance par le clapotis de cette onde paisible. A certains endroits il était facile d’approcher la rive et de toucher l’eau, elle était fraîche et pure sous mes doigts et je m’étais contentée d’y plonger une main et un pied.
Dans cet environnement grandiose entre plan d’eau et montagnes, les belles villas d’époque parsemées sur les rives me faisaient rêver et naître en moi une imagination débordante.
Je me sentais inspirée par leur stature imposante, entourée de jardins verdoyants qui descendaient parfois jusqu’au lac ou par leur ressemblance à de petits châteaux de conte de fée. Et j’inventais, derrière leurs volets souvent fermés, des histoires romanesques de couples valsant sur les parquets cirés.
Maya allait donc découvrir ce lieu qui est devenu pour moi comme un trésor, inspirant et émouvant. Je sentis alors le besoin irrépressible d’y retourner pour revivre toutes ces sensations, poursuivre l’écriture de ce roman commencé là-bas et retrouver cette ambiance italienne, celle de la terre de mes ancêtres. En un instant ma valise à roulette fut remplie. Demain j’irai rejoindre Maya, je reverrai il Lago Maggiore et j’entendrai à nouveau le capitaine de la navette annoncer « Prossima fermata ! »
...
LA BEFANA
J’avais donc rejoint mon amie Maya à Angera au bord du lac Majeur. Nous étions au début du mois de janvier. L’Épiphanie approchait. En France on trouvait déjà des galettes dans les boulangeries. J’étais descendue bien sûr au même hôtel que lors de mes précédents séjours. J’avais noué des liens amicaux avec les hôteliers Louisa et Mattéo qui parlaient parfaitement le français. Ce jour-là nous avions fait, Maya et moi, une balade dans les rues d’Angera et nous avions remarqué dans plusieurs boutiques, sans en comprendre la raison, de grosses chaussettes de laine colorées qui décoraient les vitrines.
En rentrant à l’hôtel, je sentis une bonne odeur de biscuits et je rejoignis Louisa dans sa cuisine. Il y avait sur la grande table toutes sortes de bonbons et de confiseries. Louisa semblait très affairée. Mattéo un sourire aux lèvres vint me saluer. Louisa, elle, resta penchée sur sa préparation.
– Comme ça sent bon Louisa, que nous prépares-tu pour le dessert de ce soir ? demandai-je, les narines réjouies.
– Des biscuits bien sûr, ce sont des befanini ! me répondit-elle souriante en levant la tête. Mais désolée, ils ne sont pas pour les clients.
Devant ma mine interrogative et un peu déçue, Louisa s’empressa de me rappeler que nous étions le 5 janvier et qu’en Italie ce jour-là on prépare la fête de la Befana.
– Ah oui ! J’en ai souvent entendu parler, m’écriai-je. Peux-tu m’en dire plus sur ce personnage du folklore italien ? C’est une sorcière n’est-ce pas ?
Louisa afficha un grand sourire et se mit à me raconter la légende de la Befana, tout en surveillant la cuisson des biscuits et en commençant à remplir de bonbons quelques grosses chaussettes de laine. « Tiens !, me dis-je, les mêmes que dans les vitrines d’Angera »
Befana vient du mot Epifania. On la représente comme une vieille femme, au physique ingrat et à l’allure négligée, qui se déplace sur son balai. Selon la légende, dans la nuit du 5 au 6 janvier, la Befana vient distribuer aux enfants sages des bonbons et aux enfants plus turbulents du charbon.
Je demandais alors à Louisa comment une sorcière pouvait faire des cadeaux aux enfants. Elle se mit à rire en me précisant : « C’est une gentille femme en fait, elle n’a de sorcière que son physique, c’est pour cela qu’on croit qu’elle est méchante avec son dos bossu, son nez crochu, ses vêtements peu soignés et même le balai qui lui sert de monture, mais elle est souriante et aime faire des cadeaux aux enfants ».
Louisa ajouta que cette fête était très populaire et très attendue par les petits italiens qui accrochent des grosses chaussettes à leur porte le 5 janvier au soir et qui ont hâte d’être au matin du 6 pour déguster les biscuits et les friandises.
– Et ceux qui reçoivent des morceaux de charbon alors ? fis-je remarquer.
– Rassure-toi, aujourd’hui on fabrique des bonbons à la réglisse ! me répondit Louisa avec un clin d’œil.
J’étais ravie de cette conversation et je réussis à obtenir un befanini lorsque Louisa les sortit du four, sous le regard amusé de Mattéo qui me trouvait sans doute un peu gamine.
La nuit venue, Maya et moi sommes allées scruter le ciel au-dessus du lac dans l’espoir de voir passer sur son balai la gentille sorcière aux souliers cassés et au chapeau pointu portant son sac plein de confiseries.
...

FANFARES ET BATUCADA AU CARNAVAL

Après la fête de la Befana, Maya et moi avions passé encore quelques semaines en Italie. Le mois de janvier touchait à sa fin et cela avait sonné le moment de rentrer à Nice.

Quelques jours après notre retour, Maya me fit savoir qu’elle aimerait bien assister au défilé du corso de Carnaval qui commençait en ce début de février. « Cette année on fête le 150ème anniversaire du Carnaval, le thème « Roi des trésors du monde » va sûrement t’intéresser aussi ! » avait-elle ajouté avec enthousiasme. Nous décidâmes d’y aller ensemble.
Cela faisait de nombreuses années que je n’étais plus allée me mêler à la foule et partager l’ambiance particulière de cette fête. Je me contentais d’admirer les chars du Roi et de la Reine installés sur la place Masséna durant toute la durée de l’évènement.
La proposition de Maya faisait remonter en moi des souvenirs d’un autre temps.
Le défilé avait déjà commencé quand nous sommes arrivées à proximité du corso et les sons mêlés des fanfares parvenaient jusqu’à nous. Nous approchâmes rapidement pour profiter du spectacle. La foule était dense, les confettis colorés voletaient et les serpentins se déroulaient silencieusement dans une ambiance festive et bruyante. La musique se faisait de plus en plus tonitruante. Juste au moment où nous prenions place en bordure du corso une fanfare militaire défilait. Les cuivres envahirent l’espace, des sons graves qui résonnaient dans tout mon corps, faisaient vibrer l’air environnant, éclataient comme des tonnerres. Le son des cors étaient les plus impressionnants pour moi. Les percussions les précédaient et l’ensemble créait une composition musicale flamboyante.
Un groupe de grosses têtes suivait la fanfare, une s’en détacha et s’approcha de nous. Et soudain je n’étais plus en 2023, mais revenue quelques décennies en arrière. J’étais cette petite fille qui regardait avec étonnement et émerveillement même, ces chars colorés et animés qui défilaient devant elle. Ces personnages de cartons articulés aux costumes chatoyants l’impressionnaient par leur taille. Le bruit des moteurs couverts par les musiques diverses, les danses et les chants des enfants et des adultes qui accompagnaient les chars, le claquement des sabots des chevaux créaient une atmosphère assourdissante et débordante pour elle. Les grosses têtes l’effrayaient un peu quand l’une d’entre elles s’approchait et s’inclinait vers elle pour la taquiner.
Un air de samba brésilienne me tira de cette rêverie mélancolique. Ah ! La Batucada ! J’ai un faible pour ces ensembles de percussion. Je trouve cette musique si chaleureuse et entraînante qu’elle me donne envie de prendre un tambourin et des claves et de m’inviter dans le groupe. Je sentis que Maya appréciait aussi car elle se mit à taper dans les mains en suivant le rythme endiablé. Gagnée par son enthousiasme, je fis comme elle et nous voilà suivant le groupe de musiciens. La musique sud-américaine faisait danser nos corps au son vibrant et cadencé des tambours.
Sourire aux lèvres, je me dis que c’était une bien joyeuse façon de terminer notre magnifique périple qui nous avait menées d’Egypte en Italie en passant par la Normandie.
...
L’AMITIÉ, UN TRÉSOR INESTIMABLE
Les dernières semaines avaient été riches de découvertes et de moments agréables partagés avec mon amie Maya. Le lien qui nous unissait depuis de nombreuses années s’en trouvait renforcé. Je retrouvais dans cette relation tout l’aspect précieux de l’amitié qui avait toujours été essentiel pour moi depuis l’enfance : complicité, bienveillance, joie du partage, respect et confiance réciproques. L’amitié, la vraie, ne pâtit ni du temps ni de la distance. Je fis part à Maya de ces réflexions lors de la pause-café qui suivit notre après-midi au Carnaval. Elle fut visiblement émue de mes paroles et me confia qu’elle aussi attachait de la valeur à notre relation.
L’amitié, pour Maya comme pour moi, était un refuge chaleureux, une île merveilleuse, un trésor du monde.
 
Mireille SANTICCIOLI
 

Rédigé par Mireille

Publié dans #Trésors du monde

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