PARTIE 3 : LE VIOLON MIRACULEUX

Publié le 20 Février 2022

Avec un extrait de Mado, en italique

 

Nostalgique, je refermais la porte du studio, et, rêveur, je dégringolais les marches jusqu’à l’appartement du premier étage.

Une bonne nuit de sommeil, et je reprendrai pied dans la vraie vie. Pourquoi me complaire dans des souvenirs mettant l’accent sur tout ce que j’avais raté dans ma vie ? Avec un profond soupir, j’allais prendre une douche pour tenter de me rafraîchir les idées, et je me glissai sous la couette. Des rêves compliqués vinrent envahir mon sommeil. J’entendais des sonorités de violon et de piano, des silhouettes fantomatiques aux cheveux cuivrés s’agitaient dans une brume bleuâtre en mangeant des gâteaux à la crème… Je m’éveillais en pleine nuit, couvert de sueur, essayant de comprendre la signification de ces images de mon inconscient. Je passais le reste de la nuit à me remémorer tous les détails, persuadé que ce rêve avait une signification. Pourquoi cette musique, pourquoi tout ce bleu autour des silhouettes, pourquoi des chevelures blond-roux et des gâteaux à la crème ? J’avais l’impression d’avoir assisté cette nuit à un résumé de ma grande histoire d’amour. Mais je n’avais pas vu le visage d’Adeline. L’avais-je déjà oublié ? Je passai du temps à essayer de reconstituer la finesse des traits de sa frimousse de jeune fille, mais je n’y parvins pas. Ma grand-mère disait que nos rêves ont toujours une signification, qu’il faut tenter de comprendre. Moi, je n’y comprenais rien. C’est bien fatigué que j’entamais ma journée de retraité, en n’ayant qu’une hâte : que l’après-midi arrive, pour que je puisse retourner sur mon banc, dans le jardin public, et que je me replonge dans les souvenirs d’un temps heureux.

Le moment attendu arriva enfin. Je m’écroulais sur mon banc et fermais les yeux. Soudain, le long sanglot d’un violon déchira l’atmosphère. Les oiseaux sur les arbres alentours semblaient vocaliser en harmonie. Je me retournais et aperçut, à quelques bancs du mien, une silhouette masculine vêtue de bleu, à la chevelure ébouriffée blond-roux. Mon jeune copain Honoré prenait plaisir à jouer du violon dans la nature accompagné par les trilles des oiseaux parisiens, dans ce jardin presque désert. Lorsqu’il fit une pause, je me rapprochai en applaudissant. Honoré leva sur moi des yeux étonnés. Nous échangeâmes un sourire complice.

- J’ai joué pour ma maman, me dit-il avec émotion. Elle n’avait pas la force de vivre, elle a préféré partir pour toujours, et ça fait dix ans précisément aujourd’hui.

- Vous avez perdu votre maman bien jeune, Honoré…

- J’avais quinze ans. Après le décès de Maman, mes grands–parents se sont occupés de moi, je suis resté avec eux en Normandie. Depuis trois ans maintenant, je suis venu à Paris pour faire des études de musique. Je viens parfois me détendre dans ce parc, j’aime bien jouer du violon en compagnie des oiseaux.

- Comment s’appelait votre maman, Honoré ?

Avec émotion, je l’entendis murmurer « Adeline… » Soudain, j’eus l’impression qu’un long tunnel lumineux s’ouvrait devant moi pour me conduire vers un soleil éblouissant. Je m’écroulais sur le banc près d’Honoré, qui ne comprenait pas ma réaction ! Des larmes inondaient mes joues. La voix tremblante, j’entrepris de lui raconter brièvement mon histoire avec Adeline. Honoré était ébahi. Je lui proposais de m’accompagner chez moi, dans cet appartement qui n’avait jamais connu les rires d’un enfant. Il dut me soutenir, j’étais à deux doigts de me trouver mal lorsque je réalisais ce que venait de me rendre la vie : pas la femme que j’aimais, partie pour toujours, mais un fils de vingt-cinq ans !

Toute la nuit, nous avons discuté, curieux l’un de l’autre, avides d’apprendre les détails de la vie d’un fils sans père et d’un père sans fils…

Le jour pointe. Derrière la baie vitrée, la nuit est partie à présent. Quelques oiseaux sautillent sur les branches de l’arbre dans le jardin. Bientôt leurs trilles entreront dans le salon. Ça pépiera, ça piaillera, ça sifflera, ça jacassera, ça chantera, ça vocalisera, ça disputera, ça chahutera, ça remplira l’espace de vie. Le monde est à eux, et à nous maintenant, mon fils !

 

Rédigé par Annie

Publié dans #Divers

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article