PARTIE 2 : LA PISTE

Publié le 28 Janvier 2022

Avec un extrait de Inge

Le jour se levait sur la jungle. Matéo une tasse de maté en main regardait la brume de la nuit se dissiper. La forêt grouillait de vie furtive, battements d’ailes, fuites précipitées, aras rouges et bleus traversant la piste avec leurs cris désapprobateurs. Seuls les singes s’étaient éloignés depuis longtemps de cette saignée. La transamazonienne se traçait dans la poussière et la fureur.

C’est la route de la fuite en avant. L’immense ruban qui traverse le brésil d’Est en Ouest, ondule de Belem à Patajà, serpente jusqu’à Santarem au travers de terres rouges et grises. C’est la route de ceux qui fuient la misère, les propriétés minuscules, les inondations qui ne fertilisent rien. Brusquement un col, une possibilité de s’installer : Mon Dieu, on est enfin arrivé !

Matéo est géomètre-topographe sur cet immense chantier. C’est lui qui dirige toutes les équipes du kilomètre 1600. Deux cent kilomètres en pleine jungle pour rejoindre la section Manaus à Realidade.

-Bon sang ! Ces camions-citernes qui auraient dû être là depuis deux jours ! Nous n’avons que trois jours de carburant pour tous ces engins !

Il va relancer la logistique, sachant qu’il se heurtera toujours à la même réponse.

-Ils sont partis Matéo ! Mais vous connaissez mieux que nous l’état de la piste non ? Alors ils vont arriver, patientez.

Il ne peut s’empêcher de penser avec tendresse à Corinne. Pourquoi a-t-il fallu qu’elle se lance dans cette aventure ? Ils étaient si bien ensemble. Il a suffit d’une brouille, insignifiante pour lui et qui aura provoqué ce point de non retour chez elle. Partie un matin pour retrouver ces peuplades reculées.

-Ce sont eux qui sont dans le vrai, lui avait-elle dit, pas vous avec vos moyens démesurés. Qu’elle lui manquait. C’était peut être pour ça qu’il était toujours en colère.

Ayant saisi une paire de jumelles Matéo aperçut le manège d’un bull qui abattait un énorme Hévéa Brasiliensis

-Mais qu’est ce qu’il fait celui là ?

Quand on pense à l’envolée des prix du caoutchouc !

Il descendit quatre à quatre l’escalier de son bungalow. Le fracas des énormes V12 Caterpillar s’installait.

Il fallait avancer un maximum avant la saison des pluies. Les fossés de part et d’autre ne suffiraient pas à absorber les trombes d’eau récurrentes.

Son quatre/quatre rejoignit très vite la zone de l’incident.

-Eh ! Arrêtez-vous, qu’est ce que vous faites ?

Le chauffeur surpris stoppe son engin et sort de la cabine.

-Patron, avec le talus, il ne demandait qu’à tomber cet arbre. A la première pluie il sera en travers de la route !

Matéo dût en convenir, la remarque était pertinente. Pourtant combien d’hectares défrichés de part et d’autre qui devaient accueillir ces paysans, voulus par le gouvernement, et qu’on ne voyait pas. Un arbre de plus ça l’interpellait.

-Alors ? Questionna le chauffeur, Je fais quoi ?

-Évidement, finissez proprement le travail !

Rageur, il claque la porte de sa voiture et retourne au campement. Face à lui le convoi de camions-citernes arrive avec force appels de phares dans le jour déjà installé.

Le premier camion s’arrête, des hommes courent. On descend un individu titubant, à moitié conscient.

- Encore un accident, bon sang des fous furieux ces chauffeurs, ils se croient tout permis.

-Je l’ai trouvé sur le bord de la piste, disait le chauffeur.

Matéo s’approche du groupe et reconnaît…Diego.

Leurs regards se croisent, Diego essaye de parler,

-Ah ! Matéo…Corinne… Les autres… Il faut y aller…Les tirer de là…

On le laisse se reposer, on lui donne à boire. Matéo ressent une très grande douleur dans la poitrine et le pire de tout c’est qu’il la pressentait depuis le début de cette aventure. Diego veut raconter.

Une voix saccadée... Le premier contact assez accueillant…Le campement découvert invisible sous les feuillages…Les enfants qui courent vers eux freinés par les mères et puis le sorcier qui voyait ça d’un mauvais œil…La caméra cassée…L’équipe jetée au fond d’une case en attendant l’avis des esprits…Lui avait réussit à s’échapper au petit matin.

Matéo attendra le rétablissement de Diego. Il ira, il faudra traverser la petite rivière en contre bas, et s’enfoncer dans la jungle…

La nuit se passe mal, il a un sommeil agité.

La brise se lève, elle ne tarde pas à s’imposer.

Elle descend des montagnes toutes proches et transporte avec elle une odeur de terre mouillée…

Ce n’est pas encore le cas ici pourtant des signes annonciateurs ne trompent pas, de fines gouttelettes commencent à tomber éclaboussant la poussière de la piste. Brusquement à quelques pas du bungalow, un coup de vent d’une vigueur inattendue fait virevolter les poussières en mini tornades et ébranle porte et fenêtres.

Les branches des arbres pratiquement immobiles jusqu’alors se mirent à remuer comme pour débarrasser les feuilles des gouttes qui les dérangent.

Puis il commence à pleuvoir pour de vrai, sans mesure. Le déchaînement de l’orage a interrompu tous les autres bruits. Le silence relatif fait ressortir le crépitement de la pluie de plus en plus intense.

Par endroits, la piste est traversée de ruisseaux en cru qui s’échappent vers les terrains en contre bas et se répandent parmi les herbes couchées…

L’horizon apparaissait illuminé par les éclairs qui déchirent le ciel tandis que roule le tonnerre…

« Il était comme paralysé, hypnotisé par tout ce vacarme. Il y prêtait toute son attention, cherchant à comprendre. Il se mentait à lui-même, il avait déjà tout compris. La rivière était sortie de son lit, elle s’était transformée en torrent, qui charriait avec elle tout ce qui se trouvait sur son chemin. » (Inge)

Et pourtant il faudra la traverser. Il trouvera la force et les moyens…

 

Gérald IOTTI

Rédigé par Gérald

Publié dans #Divers

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