CONFIDENCES

Publié le 26 Mars 2024

Mes divagations sur les aphorismes de Ben sont brutalement interrompus par l'arrivée de mon amie Céline. Elle me sourit, mais je perçois un je ne sais quoi d'incertain dans son regard. Dans ce tram bondé, difficile d'avoir une conversation privée ; j'en saurais plus bientôt.

Nous descendons à l'arrêt Valrose-Université pour nous diriger vers la fac de sciences. Conférence d'astronomie au menu de ce soir. Mais, arrivées devant "Le Confident", cette œuvre magnifique de Jean-Michel Othoniel, Céline s'arrête. Dans le soleil déclinant, les perles de verre multicolores qui la couronnent s'irisent comme des vitraux. Je serais bien restée là, quelques instants, à admirer la lumière arc-en-ciel, mais Céline m'entraîne vers le petit banc blotti dans l'arrondi du paravent.
- Viens, on s'assoie là, j'ai quelque chose à te dire.
Son ton est grave, son sourcil froncé ; son regard voltigeant n'annonce rien de bon.
Nous nous installons de part et d'autre des anneaux d'aluminium. A travers la fente de notre refuge de métal, Céline murmure :
- Approche, écoute, c'est important.
Intriguée, je me penche pour cueillir, au plus près, ses paroles.
- Je ne sais pas trop par où commencer, dit-t-elle. Je suis dans une merde effroyable. Je peux avoir confiance en toi ?
- Bien sûr, voyons ! Tu n'as même pas à poser la question. Que se passe-t-il ? J'ai bien vu que tu étais en stress, dès que tu es entrée dans le tram.
- Ça a à voir avec l'argent, me répond-elle.
L'étonnement doit se lire sur mon visage, car elle ajoute :
- Mon train de vie, c'est du bluff.
Je reste sans voix ! Céline et Jean, notre couple d'amis le plus à l'aise socialement et économiquement... Comment peuvent-ils avoir des soucis d'argent ? Céline me laisse digérer ma stupéfaction et me confie :
- Ne le répète à personne, surtout ! Voilà : Jean est joueur, un gros joueur. Il y a quelques temps, au casino de Monte-Carlo, il a perdu, perdu et encore perdu. Toutes nos économies y sont passées. Et, comme si ça ne suffisait pas, soit-disant pour se refaire, il a hypothéqué la maison qui y est passée aussi. Depuis une semaine, je dors chez ma mère, avec les enfants. On n'a plus rien. Je fais semblant pour les amis, le boulot, mais on n'a plus rien.
Un sanglot interrompt sa phrase. Je me sens impuissante devant sa détresse.
- Que puis-je faire pour toi ?
- Je ne sais pas, répond-elle.
Dans la rue, des gens marchent, discutent. Des jeunes gens s'interpellent en riant. Des bribes de conversations anodines me parviennent, un petit chien s'approche, renifle le bas de mon pantalon, repart vers son maître... La vie coule, sereine, devant mes yeux, alors que de l'autre côté du paravent, Céline pleure.
- J'ai tellement honte, murmure-t-elle.
- Tu n'as pas à avoir honte, tu n'y es pour rien. Ecoute, tu as une vraie richesse : tes enfants, ta famille, tes amis, ton boulot. Tu vas rebondir, j'en suis sûre.
Elle me regarde comme si elle s'accrochait à moi.
- Tu crois ? Je suis complètement perdue... Tu crois que je devrais divorcer ?
- Je crois surtout que tu va prendre le temps d'y voir plus clair. Tu es trop dans l'émotion, là. Laisse poser les choses. Viens, on va s'évader sur un chemin d'étoiles...
C'est avec une Céline chancelante, agrippée à mon bras, que nous repartons vers la fac de sciences.
 

Rédigé par Mado

Publié dans #Ville

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