PAROLES D’IMAGES

Publié le 21 Février 2024

Jacques
Si Jacques avait pu se douter, un seul instant, de ce qui allait lui arriver il n’aurait jamais jeté sa soutane aux orties.
Sa vocation avait failli sans qu’il ne s’en rende compte. Sa foi s’était évaporée dans un désert peuplé d’incohérences qui lui tenaillaient l’esprit. Pourtant, il avait lutté contre cette obligation de désertion mais un sentiment trop fort l’avait poussé à briser ses chaînes.
 
 
Il abandonna sa paroisse et prit la fuite pour se réfugier dans le petit village de montagne qui l’avait vu naître. La demeure parentale semblait avoir attendu son retour. Rien n’avait changé. Des assiettes étaient encore sur la table, et des couverts sagement alignés espéraient reprendre vie et servir à quelque chose.
Derrière la maison, l’atelier, ou son père exerçait le métier de menuisier était toujours rempli d’outils. L’odeur des différentes essences de bois qui imprégnaient encore les murs lui donnèrent l’idée de travailler et de sculpter le bois, pour gagner sa pitance.
Dans le village tout le monde connaissait le petit Jacquot, mais peu connaissaient Frère Jacques. Pour autant on ne l’avait pas écarté et même le curé qui venait dire la messe chaque dimanche et qui savait ce qu’il en était, lui avait offert son aide si nécessaire.
Malgré tout il était seul... Seul avec son âme et un sentiment de culpabilité qui refusait de le quitter. Seul avec des envies que ses vœux passés lui avaient interdit. Seul dans ce atelier ou l’Âme de son père continuait à œuvrer en silence.
Faiblement éclairé par des rayons de soleil habités de poussière de bois tourbillonnant dans leur prison de lumière, Jacques penchait son remord sur l’ouvrage que ses mains s‘appliquaient à réaliser.
Il avait peur ! Mais de quoi ? Ses craintes, même blotties dans les tranchés de son cœur, étaient cernées de barbelés. Il faudra patienter. L’avenir dira ou ne dira pas.
Et si c'était ?

Jacques, malgré son retour dans le cocon réconfortant de son enfance, continuait à trembler intérieurement sans savoir pourquoi.

Il passait ses journées dans le vieil atelier à sculpter des chutes de bois retrouvées sur un monticule d’ouvrages oubliés, certainement destinés à finir en cendres.

Ses mains travaillaient sans lui. Tout à ses réflexions, il finit par s’apercevoir que ses œuvres ressemblaient de plus en plus aux gargouilles qui ornementent Notre Dame de Paris.

 

Sauf aujourd’hui.

Tiens, pensa-t-il... Serais-je capable de reproduire un joli visage d’enfant à la place de ces infâmes démons et autres qui perturbent ma vie ? Qui est-elle ? Je crois bien que je connais cette fillette… Mais oui ! Je sais! C’est la petite fille au vélo qui jouait, ce matin, devant la boulangerie.. Aurais-je du talent ? Je vais le terminer et l’offrir à sa mère, demain, en allant chercher mon pain. Je pourrai peut être lui parler, d’autant plus que cette dame étant veuve, je n’aurais même pas à le confesser à mon ex collègue, quand il vient célébrer l’office chaque Dimanche. Il faut que je retrouve mon âme. Ce portrait va m’y aider, j’en suis sûr.

Cette heureuse circonstance lui redonna une confiance et une sérénité nouvelle. Ses yeux, obstinément fermés sur les choses de la vie, lui offraient maintenant un paysage enchanteur que la rigueur de son passé lui avait interdit d’admirer. Cette lucidité retrouvée lui permit de réfléchir sur son sort… Pourquoi me suis je enfui ? Pourquoi cette hantise que rien ne justifie ? Et si c’était simplement la peur d’exercer un sacerdoce qui n’est pas le mien ? Et si je nettoyais un peu les vitres de mes fenêtres, je verrais défiler les journées du village... Et tout ce qui va avec. J’aurais certainement des réponses à des questions que je n’ose pas me poser pour commencer une vie qui me parle et que je persiste à ne pas entendre.

Jacques en était venu, sans s’en rendre compte, à penser qu’il pourrait devenir un boulanger convenable. Un nouveau futur se dessinait et une flopée d’idées nouvelles se bousculaient dans sa tête. Oui mais...

Peut-être devra-il libérer ses sens, obéir à la nature, faire ce pourquoi il est venu sur terre. Et aussi… Donner la vie, comme on lui a offert la sienne… Mais bon, patience, laissons du temps au temps.

Qui vivra verra. Dieu est là pour ça !

Pourquoi pas !
 
Marie ! Elle s’appelle Marie. Dans sa boulangerie, des senteurs de viennoiseries se mêlent à celles de la terre et à la sueur des hommes. La nature fait partie du décor et l’odeur du pain, à peine cuit, confère à ce endroit un sentiment de sécurité à nul autre pareil.
Ah ! La voilà qui revient avec mon pain de campagne, qui a demandé quelques minutes de cuisson supplémentaires.
- Je ne sais comment vous remercier pour le beau cadeau que vous venez de m’offrir. Sophie sera ravie pour son portrait sculpté dans ce bois d’olivier venu de la plaine et si doux au toucher que l’on a l’impression de caresser son visage.
- C’est moi qui vous remercie Marie. J’ai tellement eu de plaisir à représenter votre petite fille, que le résultat de mon travail n’est rien par rapport au sourire de Sophie qui est la plus belle des récompenses que je pouvais espérer.
- Vous savez Jacques, je suis au courant des problèmes qui vous assaillent et combien vous souffrez de cette situation peuplée d’incertitudes. Mais rassurez-vous.Tout vient à point à qui sait attendre et toutes les questions que l’on se pose amènent à leur suite une profusion de réponses propres à satisfaire le commun des mortels. Pour parler de nous... Vous savez que notre village n’est pas riche. De ce fait je participe, comme tant d’autres, à l’entretien de notre petite église. Nous sommes pauvres, mais en fait nous possédons un trésor inestimable depuis la nuit des temps. Et peu de nos concitoyens en connaissent l’origine. Ni la présence d’ailleurs.
- Un trésor ! dites-vous ? Mes parents ne m’en ont jamais parlé…
- Je vous le ferai découvrir. La crypte de l’église jouxte une pièce fermée par une vieille porte en bois, datant de l’époque où ce lieu de culte était encore une chapelle romane. A l’intérieur, une table toute simple occupe le centre de la pièce. Sur cette table, un bougeoir habillé de quatre bougies, une boite d’allumettes entamée et un coffre en bois recouvert d’un drap de coton blanc immaculé reposent dans le calme et le respect du temps passé. A l’intérieur du petit coffre, notre trésor. Un Évangile à la reliure en or massif et argent, parsemée de pierres précieuses. Chaque face de la couverture est décorée d’une croix avec en son milieu un médaillon en émail représentant le saint qui protège notre paroisse depuis des siècles. Quant on ose l’ouvrir, les pages de vélin enluminés sont peuplées de personnages, plus beaux les uns que les autres qui vous sautent à la figure et qui font certainement partie de ceux qui ont donné la foi à nos ancêtres. Chaque texte est une gifle qui vous fait baisser la tête et tendre l’autre joue. Mais cela n’est rien. Le reliquaire, associé à cet ouvrage millénaire et, lui-même, en or serti de pierres et décoré d’émaux, contient un des clous qui ont servi à crucifier le Christ. La salle du trésor n‘est éclairée que par des bougies et leurs lueurs à la fois diffuses et dansantes sanctifient l’éclat de ces objets sacrés. Je suis sûre que le temps que vous passerez avec eux vous fera retrouver le repos de l’âme et la sérénité nécessaire pour exprimer vos sentiments... Ne parlez pas ! Nous sommes seul et seules, vous Sophie et moi. Nous ne serons jamais la Sainte Trinité, mais si chacun et chacune d’entre nous y met un peu de bonne volonté, vous pourriez bien finir par devenir un bon boulanger… Qui sait ?

Retour de bâton

Réfugié dans l’ancien atelier de son père, Jacques commençait à envisager le futur d’une nouvelle vie. Il est vrai que les paroles de Marie l’avaient réconforté et l’ambiance de son environnement était enfin au beau fixe. Le feu de bois qui ronronnait dans le poêle au fond de la pièce chantait une douce mélodie qui l’emmenait, malgré lui, vers une somnolence difficile à refuser. Les fenêtres, enfin nettoyées, lui offraient un paysage printanier que la nature se plaisait à embellir, jour après jour. La vie éclatait partout où portait son regard et une sérénité nouvelle lui promettait un avenir plein de promesses. Mais...

Un sentiment profond et soudain obligea Jacques à ouvrir ses yeux qu’il n’avait d’ailleurs pas souvenir d’avoir fermés. L’atelier s’était évanoui dans une brume malfaisante. Le froid avait envahi son corps. Il se retrouva par terre, comme si quelqu’un l’avait jeté, ordure parmi les ordures, sur une route de terre et de boue glacée. Le paysage qui l’entourait était fait de pics enneigés cernés par des nuages noirs et gris qui se débattaient dans un ciel qui n’en était pas un. Des averses de glace punissaient ce sol ingrat et des larmes aussi acérées que des lames d’acier de Damas traçaient des allées sanglantes sur le visage du gisant.

Que se passe-t-il ? Où suis-je ? Quel est ce personnage tout vêtu de noir qui vient vers moi ? L’ombre sombre s’approcha lentement de lui.
- Te voila enfin Jacques. Me reconnais-tu ? Non ? Pourtant nous sommes intimes.
- Je ne vous ai jamais vu. Pourquoi cette tenue noire et misérable ? Surtout par ce froid sans pitié qui fige notre sang.
- Pourquoi ? Tu devrais le savoir ! Plus qu’un autre ! Jadis je portais une robe blanche éblouissante, j’étais blonde et mes yeux bleus distribuaient un monde enchanteur à qui les regardait. Mes cheveux avaient la couleur des épis fraîchement fauchés, mes ongles étaient des diamants et mon sourire était un collier de perles fines. Maintenant, j’ai des cheveux noirs comme du charbon, mes yeux se perdent dans la noirceur de mon regard et les dépouilles noires de mon vêtement me font ressembler à une créature issue de l’enfer le plus profond. Et tu me demandes qui je suis ? Pauvre imbécile ! Je suis ton âme ! Ce qu’il en reste, ce que tu en as fait... L’abandon du chemin qui était le tien n’a pas abouti à ta délivrance. Tu n’as pas expié tes fautes.
Que croyais-tu? Que Marie allait te sauver ? Elle t’a, malgré tout, donné l’occasion de te repentir devant un livre sacré venu de la nuit des temps. Une relique, témoin du calvaire du Christ, t’a parlé mais tu es resté sourd. Ta seule ambition a été d’embrasser la profession de boulanger. Aucun remord, aucune repentance. Quand il aurait été nécessaire que tu sois un saint tu n’as été qu’un homme.
-Cessez vos reproches, laissez moi tranquille. Je veux retourner dans mon atelier !
Ton atelier ? Rassure-toi, ton corps y est. Toi tu as un chemin à faire. Tu marcheras souvent pieds nus. Tes pensées décideront de l’état de la route. Celle-ci sera longue et pénible. Tu pleureras souvent. Tu prieras haut et fort avec l’espoir d’être entendu, mais parfois les mots se perdent dans l’immensité du ciel. Je vais t’abandonner à ton sort et me dépêcher de revêtir un vêtement immaculé. Pour toi la dette sera lourde à porter. Elle te sciera les épaules… Mais un temps viendra ou une petite lueur te dira « Viens ! »Une porte s’ouvrira. Il te faudra la franchir sans hésiter ! Ou bien...
 
 
Fernand
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Rédigé par Fernand

Publié dans #Ecrire sur des photos

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