L’OUBLIÉ

Publié le 27 Mars 2024

 
Par une belle journée ensoleillée, qu’il fait bon flâner dans notre capitale méditerranéenne. L’air est vivifiant, la température juste à point. C’est décidé, j’opte pour une randonnée citadine à la découverte de l’art urbain. D’humeur joyeuse, sourire aux lèvres me voilà partie, sac à dos, flanquée d’un dépliant touristique faisant la promotion des quatorze œuvres d’art de la ligne 1 du tram niçois. Première escale « le confident ». Cette œuvre originale m’invite à me poser quelques minutes le temps de l’admirer. Un collier de perles colorées enlace ce voile d’acier délicieusement ciselé. Une légère brise joue à cache-cache au travers de cette toile qui sépare 2 espaces relativement autonomes. Un couple discute et je n’y prête aucune attention lorsque, soudain l’homme hausse le ton :
  • Je savais bien que ça finirait par arriver !
Devant le silence de la jeune femme assise à côté de lui, il continue plus violemment
  • Est-ce que tu m’écoutes lorsque je te parle ?
Elle relève la tête et, d’un regard fautif, elle réplique
  • Évidemment !
  • Alors, pour quelles raisons ne l’as-tu pas fait lorsque je te l’ai demandé ?
Intriguée je tends l’oreille et j’essaie de les observer au travers de la structure de métal. Mais silence ! Tandis qu’il fulmine, toute penaude elle reste muette. Que peut-elle bien avoir commis pour qu’elle soit aussi réprimandée en public ? Je ne le saurai jamais car ma pause se termine et les 7 Bouddhas m’attendent patiemment sur la place la plus emblématique de Nice. Un tram vient juste de s’immobiliser à l’arrêt Valrose. La rame est bondée mais, certaine d’arriver à destination en quelques secondes, je m’empresse de m’y frayer une place. Extirpée avec difficulté de cette cohue, je me surprends à réfléchir à voix haute.
  • Place Masséna, tu me fais vibrer. Festive, tu nous invites à partager chaque instant magique, carnaval, Music Live, festival de jazz…. Telle une belle femme, tu ne vieillis pas, tu t’embellis. Fontaine du soleil, tramway, bancs en pierre, pins, lampadaires en fonte à trois têtes, dallage noir et blanc, tu ne cesses de te transformer mais, pour la plus grande fierté des Niçois, tu as su rester fidèle aux couleurs distinctives qui te rendent unique. Tu as même changé ton nom au fil des années, « place du Faubourg » puis « place carrée » ont précédé celui qui te qualifie aujourd’hui.
Perdue dans mes pensées, je lève les yeux pour observer ces étranges curiosités dites propices à la « conversation ». Du haut de leurs 12 mètres, elles trônent sur l’esplanade et s’illuminent de couleur rose, verte, bleue ou jaune dès la tombée de la nuit. Censées représenter les sept continents, leur position exprime tour à tour la tranquillité, la victoire ou la paix. J’avoue avoir du mal à comprendre ce choix. Pourquoi Bouddha ? Pourquoi les 7 continents ? Symboles de la sagesse, sont-ils censés discuter entre eux pour améliorer ce monde qui va mal ? En pleine réflexion, je perçois un murmure à peine audible suivi d’une voix qui monte peu à peu en puissance. J’espère ne pas être la seule à l’entendre, car je ne suis pas l’héritière de Jeanne d’Arc et je ne compte pas terminer ma virée par une visite à Sainte Marie :
  • Eh, là-haut, pourquoi n’êtes-vous que 7 et moi, on m’a oublié ? Vous êtes à l’origine de ma naissance et vous voulez m’exclure ? Vous êtes en plein déni ou quoi !
Yeux écarquillés, l’air abruti, essayant de comprendre ce qui se passe, j’ai l’impression d’évoluer dans une autre dimension.
  • N’est-ce pas là, la conversation niçoise dont tout le monde parle ?
Dans une cacophonie difficilement compréhensible, les bouddhas commencent à réagir et l’Amérique du Nord est le premier à prendre la parole :
  • A nous sept nous représentons le monde, qui es-tu pour nous interpeller d’une manière aussi cavalière ?
  • Le « continent de plastique », crétin. Pour ceux qui ignorent mon existence, sachez que je ne vous ressemble pas. Imaginez une étendue de plastique et de détritus flottant sur les océans, dévorant tout sur son passage, et bien c’est moi ! Formé de cinq gyres, je déambule tranquillement dans le Pacifique et, grâce à vos actions irresponsables, je prospère lamentablement. La pollution ça vous parle ? Je menace la survie de la Terre et vous êtes là, immobiles, admirant je ne sais quoi au lieu de vous mobiliser ! Alors, on se bouge ou on laisse faire ?
Cet échange furtif crée le dialogue sur l’urgence à traiter cet impertinent huitième pseudo continent avec tout le sérieux qui lui est dû. Surpris par la prise de conscience des sept grands de ce monde, ce dernier se délecte des réactions issues de sa provocante altercation. Asie, Amérique, Océanie, Europe, Antartique, à tour de rôle chacun s’exprime:
  • Il a raison, notre planète est en souffrance. Réveillons-nous les amis, il faut agir et vite avant qu’elle ne meure, dit l’Asie.
  • Mais comment ? Nous sommes tous différents et inculquer une morale écologique est loin d’être chose aisée, répond l’Afrique.
  • Différents peut-être, mais n’avons-nous pas un objectif commun, sauver notre planète ? rétorque l’Océanie.
  • Un virage à 180 degrés est indispensable, mettons-nous au travail, réplique l’Antartique.
 
Le débat est lancé et, devant des propos annonciateurs d’une volonté collective, le continent plastique se tait, rassuré mais lucide. Il sait qu’avec un engagement commun, un jour il disparaitra.
 
 
 
 
 
 

Rédigé par Atelier Ecriture

Publié dans #Ville

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article