L'ÉCHAPPÉE BELLE

Publié le 4 Mars 2024

Le départ

 

17 h 02 ! Une gare assourdissante !

 
Mon train s’apprête à partir et quand Olga rentrera chez nous, je serais déjà très loin.
Très loin de cette ville, très loin d’elle, très loin de tout. Rester, je ne le pouvais plus.
 
Cela faisait des jours, des semaines, des mois que ce besoin de retrouver une destination inconnue me malmenait l’esprit : je n’en dormais plus.
 
17 h 06 ! Nouvelle annonce dans les hauts parleurs pour un départ imminent.
Au même instant, à quelques minutes de là, Olga arrive devant notre immeuble en fouillant dans son sac à la recherche de son trousseau de clés. Elle imagine sans doute nos retrouvailles quotidiennes de son retour de travail. Mais une fois la porte d’entrée passée, ce sera un appartement vide et silencieux qui l’attendra.
 
17 h 08 ! Je me cale au fond de mon siège en skaï, ma joue collée sur la vitre froide et terne de mon wagon.
Je me cache à la vue de tous ces anonymes qui partagent mon voyage. Et le convoi donne un premier à-coup, un deuxième et la marche amorce son mouvement lancinant.
Je commence une autre étape dans mon existence, qui s’apparente, j’en conviens, à une sorte de fuite, mais rester devenait compliqué, comme dans cette chanson qui dit que partir c’est laisser un peu de son âme, partir c’est laisser un peu de son cœur, partir c’est quitter une femme. Ça me ressemble étrangement.
 
18 h 12 ! On a déjà dépassé les limites de la métropole et ses frontières limitrophes. On roule à grande vitesse et le paysage défile en un ruban multicolore et abstrait. Parfois, à l’approche de certaines agglomérations, il ralentit et je distingue des habitations aux pièces éclairées, ainsi que les silhouettes furtives qui les peuplent. Je me mets alors à imaginer les histoires qu’elles détiennent, la trame qu’elles vivent. Ces personnes sont-elles heureuses ?
Dans la poche intérieure de mon blouson, mon téléphone vibre de nouveau. Je sais que c’est elle. Pour l’instant, je ne pourrais pas, je ne saurais pas trouver les mots justes pour mon départ et ma présence dans ce train. Je sais que je me montre injuste envers elle, elle n’y est pour rien, car tout est de ma faute. Comment pourrais-je lui expliquer que je la quitte alors que je l’aime, que je pars malgré tout cet amour.
Oui, je pourrais la rassurer, lui dire que c’est juste un mauvais moment que je vais revenir. Juste la nécessité de retrouver le fil de mon histoire, tout ce qui nous réunit, elle et moi depuis tout ce temps. J’ai paumé quelque chose, je ne sais pas où, ni quand, et c’est pour cela que je m’éloigne de plus en plus, avec ce train, ce destin, projeté sur cette trajectoire en diagonale.
 
18 h 35, il est temps de dormir un peu.

Tumulte

A peine arrivé, débarqué de mon train, le pied posé sur le quai, je quitte cette gare anonyme de ma ville étape.
Me voilà à présent en plein centre-ville ; ma quête sur l’instant, trouver un hôtel pour me reposer.
Derrière, soudain, des cris, hurlements, un tintamarre assourdissant.
Je fais volte-face, et face à moi un attroupement en marche lancinante.
A quelques mètres, sur le qui-vive, un cordon de police qui canalise et balise sa progression saccadée.
Sur des pancartes en carton et autres supports de tissus, érigés comme autant d’étendards baroques, peints à la bombe noire, des revendications et slogans pour les droits civiques.
Moi qui voulais de l’espace du calme et du temps pour esquisser ma nouvelle destination, me voilà servi, épinglé sur ce point sur la carte, en pleine tourmente.
 
J’éprouve depuis longtemps une certaine défiance pour tous ces groupes syndicalistes et associatifs qui se lancent sans détour, baïonnettes au canon.
Crier, hurler, vociférer à outrance, renforce-t-il les causes et combats à mener ?
S’exprimer avec calme, mesure, ne serait-il pas plus judicieux ?
L’individu lui-même arrive-t-il à se frayer une place quand il se retrouve submergé par la masse ?
 
Olga mène aussi son combat, sa révolte contre moi, suite à mon départ, mon absence inexplicable.
« Pourquoi me quitter alors qu’il ne cesse de me dire qu’il tient à moi ?
Dois-je être triste, en furie, et subir l’afflux de mes cris qui se bousculent en moi ? »
 
Ici, près de moi, les esprits s’échauffent, la menace de débordement gronde, donc je fais demi-tour. Vite un train pour reprendre ma révolte solitaire, sans heurts, sans clameurs, juste mon silence.

Effluves

Voilà presque un mois aujourd’hui que j’habite cette petite maison, dans ce petit village au creux de la vallée au cœur des Alpes. Contre mon aide pour l’entretien de sa ferme, Gustave m’offre le gîte et le couvert pour le temps que je veux. Je suis tombé sur lui en faisant du stop sur la nationale. Nous avons sympathisé de suite. Chaque jour qui passe il me raconte sa vie d’aventures aussi incroyables que rocambolesques. Un jour après avoir parcouru le monde, retour au pays et pour reprendre la ferme de ses parents aujourd’hui disparus.
Je ne sais pas si je dois y voir le fruit du hasard ou un signe du destin, mais cette rencontre mais je me demande si elle était aussi imprévue que ça. Je trouve en lui mon Jiminy Cricket, ma conscience personnifiée qui trouve réponses à tous mes questionnements. Quand je lui raconte mes questionnements, mes tourments, au lieu de jouer les moralistes, lui il éclate de rire.
Le soir, après le dîner, on s’adonne à notre rituel : on sort dehors sous la pergola, on allume une cigarette, il pose sa bouteille de whisky, sur le petit muret, la libère du bouchon cacheté de cire noire, et verse de ce liquide aux reflets caramel ambré dans deux verres. Au début, la première gorgée cogne un peu le palais mais à partir de la deuxième tout s’adoucit, s’assagit, comme si par magie l’alcool de ce breuvage possédait la vérité du monde, de chacun de nous.
Je ne parle pas d’ivresse mais d’évasion. Et Gustave, emporté par son bien être nocturne, me gratifie de nouveau d’un pan incroyable de son existence. Finalement cette flasque de verre, son contenu couleur cuir, devient un vaisseau immatériel pour partir à l’espace et le temps.
 
Quand je regagne mon lit souvent l’aube arrive. Le soleil annonce sa venue en colorant petit à petit les crêtes des montagnes alentours.
Ce matin, j’ai dormi jusqu’à très tard et empiété sur un après-midi bien entamé. Accoudé au rebord de ma fenêtre, une tasse de café très fort près de moi, je regarde le paysage : les herbes hautes du pré qui ondulent sous l’effet de la brise, le chien qui roupille sous la table du jardin, des pies qui voltigent au-dessus des pommiers fraîchement élagués, tous ensembles de choses qui rendent ce tableau, vivant mouvant et émouvant. Je ne sais pas si le paradis existe mais cela devait être le cas, j’espère de tout cœur qu’il puisse ressembler à tout ça. Mais une chose tout à coup me rend triste. Comme le dit Christopher Mc Candeless dans «  Into the Wild » un bonheur ne vaut rien si on ne peut pas le partager.
Ce soir j’appelle Olga.

Equinoxe

Assis sous la pergola, je participe, passif, au lent déclin des rayons solaires par-delà les crêtes des montagnes.
La fin de journée impatiente s’apprête à nous recouvrir de ses draps nocturnes en tissus de nuit.
Dans le pré l’herbe monotone s’embrase de teintes orange et feu.
Vers le ciel d’automne, les arbres érigent le squelette de leurs branches dépourvues de feuillage.
C’est à présent toute ma vallée qui s’assoupit au rythme de la douce mélopée de la quiétude. Et je pense à Olga.
Au cours de nos derniers échanges téléphoniques, peut-être que ce n’est qu’une simple impression factice, je ressentais une gêne latente en filigrane silencieux de nos conversations.
Elle me manque. L’absence, c’est le souffle du vent qui fait taper sans cesse un volet mal fermé contre la fenêtre.
Ça résonne interminablement dans la tête, ça cogne comme une piqûre de rappel indélébile.
Monseigneur SOIR ayant pris enfin ses quartiers, je distingue au loin, au tout début du long chemin qui mène jusqu’à la ferme, deux points minuscules, comme la lanterne dansante d’une libellule en errance sauvage. Au fur et à mesure de leurs déambulations leurs formes se renforcent, grandissent jusqu’à devenir le regard aveuglant d’un fauve surgissant, rugissant devant moi. Crissement de freins brusque, feulement final du moteur, une portière qui s’ouvre, une ombre qui se dandine sur le gravier, sans réflexion, j’élucide l’énigme et Olga se poste devant moi, intacte et solaire sous le clair de lune naissant.
J’ignore comment elle a su où je me terrais, elle est juste là !

On se jette l’un contre l’autre, on s’enlace, je la laisse faire. Elle abandonne un murmure dans le creux de mon oreille.

Certains mots sont futiles, ne servent à rien d’autre que faire des phrases, être écrits ou juste prononcés dans le vide.
Mais pas le mien.
J’étais juste une île posée à l’écart d’un océan très pacifique, au-dessus de moi, explose une bombe atomique.
Une déflagration hallucinante pulvérise, emporte tout. Son souffle nucléaire déferle sur chaque once de ma surface. La fission de ses atomes fonce et son panache incommensurable monte très haut jusqu’ à toucher mon firmament ultime. Dans ma poitrine, irradiation totale. La chair qui encercle mon organe cardiaque se consume, craquelle et reçoit la sanction inoubliable du moment vécu.
 
Le monde, le mien que je côtoyais jusqu’à présent : détruit.
Celui qui renaît de ces cendres débute juste après : maintenant.
Le mot c’est : « ENCEINTE »
 
 
Jean-Michel
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Rédigé par Jean-Michel

Publié dans #Ecrire sur des photos

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