​LES ROUAGES DU ROSSIO

Publié le 28 Février 2023

 
« Chère Grand-mère, je t'écris de Lisbonne où il se passe de drôles de choses.
Ne t'inquiète pas, j'ai été très bien reçu par tante Clotilde. Elle est aux petits soins pour moi. J'ai goûté le Baccalao sous toutes ses formes. Mais je dirais que c'est son attitude de tous les jours qui me laisse rêveur. Je crois qu'elle perd un peu la tête. Son célibat prolongé a peut-être fini par l'ébranler ?
Tu te rappelles sa maison sur la colline de l'Alfama, pas très loin de la gare centrale, située sur la ligne du tramway 28 ? Tu sais, cette antiquité brinquebalante en acajou qui fait le bonheur des touristes et que l'on voit sur toutes les cartes postales. Figure-toi que tous les mercredis matin à six heures, j'entends la maison vibrer comme si un convoi ferroviaire passait sous les fondations. Et bien, Clotilde essaie de me convaincre que c'est l'horloge de la gare centrale de Rossio qui est la cause de tout cela !
Bon, je veux bien que cette gare aux allures de palais du XIXe siècle porte à la rêverie, mais de là à affirmer que c'est l'arrivée du train a vapeur de Porto, je pense qu'elle délire gentiment.
J'ai beau tenter de la convaincre, en souriant, que les trains à vapeur n'existent que dans les musées, rien n'y fait !
-Tu ne ressens pas ces vibrations, tu n'entends pas ce roulement cadencé ?
-Mais Tatie, ce sont les calèches à touristes sur cette route pavée à l'ancienne !
-C'est ça, me dit-elle en s'éloignant, tu me prends pour une vieille folle, n'en parlons plus.
Heureusement que mercredi prochain je dois prendre mon TGV à Rossio pour rentrer.
Je te raconterai tout cela en détail. A bientôt. »
 
Mercredi arrive. J'embrasse cette chère Clotilde, qui me laissera un souvenir perplexe. Je me dirige vers la gare de Rossio. L'horloge digitale indique 6H45. je suis juste un peu en avance pour mon train. Je valide mon ticket et j'attends sur le quai.
J'en profite pour ouvrir mon sac à dos, le délicieux sandwich que m'a préparé tante Clotilde est bien là.
Je relève la tête. Les quais sont vides, noyés dans une sorte de brouillard. Sur ma droite, au loin apparaît une locomotive à vapeur entourée de son nuage de vapeur blanche. Elle entre en gare, a une vitesse qui me semble tirée d'un film au ralenti. J'entends cet halètement poussif si caractéristique. Les freins crissent et le nuage de vapeur s'étale. Sur un autre quai, au loin, une locomotive se recharge en eau. Je n'en crois pas mes yeux. C'est comme si on avait reculé d'un siècle.
C'est quoi cette histoire ? Subitement les délires de tante Clotilde me reviennent en mémoire. Elle avait dit six heures. Je regarde ma montre il est sept heures.
L'horloge digitale de la gare a disparue au profit d'une immense horloge à aiguilles dorées et elle indique six heures ???
Je me précipite à l'accueil pour avoir une explication. Je m'entends interpeller l'employé des chemins de fer,
-Votre horloge est complètement déréglée, il n'est pas six heures, mais sept heures !
-Ah ? Me répond-t-il, pas plus surpris que ça,
-Matteo, les rouages !
 

Un jeune homme sorti de je ne sais où, vêtu d'un short et d'une veste en velours côtelé d'un autre âge, apparaît et ouvre un boîtier. Un énorme balancier se dévoile. Matteo s'accroupit actionne divers rouages aussi impressionnants les uns que les autres. Il en arrête certains, en avance d'autres. Des poulies se mettent à tourner. Lui saisit le balancier à pleines mains, le stoppe...et le relance avec force. Les aiguilles s'envolent. Au bout d'une seconde...deux tout au plus le balancier se stabilise. Un Tic...Tac...Tic...Tac régulier s'installe.

-Voilà, me dit l'employé, votre Train entre en gare. Je le regarde avec de grands yeux. Tout cela a l'air si normal. Sur les quais, le brouillard se dissipe. Le TGV est bien là, le chuintement du mécanisme d'ouverture automatique des portes me le rappelle.
Je m'approche, pas rassuré du tout. Les hauts parleurs appellent les retardataires, les portes vont se fermer. Je grimpe comme dans un rêve. Le TGV démarre. Par la vitre j'aperçois L'horloge digitale qui est revenue. Elle indique 7H05, ma montre aussi !!!
Tante Clotilde tu m'as ensorcelé...
 
Gérald IOTTI
 
 

Rédigé par Gérald

Publié dans #Ecrire sur des photos

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