BÉBÉ ARRIVE
Publié le 10 Janvier 2022
Joseph rangea soigneusement les deux ballots de foin récupérés dans l’étable voisine. Voilà, ce sera une couche idéale pour l’enfant à naître : l’herbe séchée à l’odeur entêtante, piquée çà et là de boutons fripés de coquelicots et de bleuets, lâchera ses effluves comme une brise caressante sur la peau douce de l’enfant.
Marie, émue par l’empressement de son époux occupé à préparer la future naissance, en oubliait presque les remugles qui parvenaient par moments de l’angle du mur derrière elle, là où était remisé un vieux bouc avant leur arrivée.
Le petit âne qui avait porté la future maman jusqu’à Bethléem était encore recouvert d’une transpiration poisseuse à l’odeur aigre. Joseph voulait l’essuyer avec une poignée de foin, avant de l’attacher près de la couche. Si le bébé s’avisait de montrer cette nuit le bout de son nez comme les premières contractions de Marie le laissaient prévoir, le souffle fétide mais tiède du baudet réchaufferait le nouveau-né.
Joseph sécha d’un geste délicat les gouttes de sueur au parfum de rose qu’il avait vu sourdre sur le front de son épouse : il ne savait pas qu’une femme en train de mettre au monde son enfant pouvait sentir aussi bon !
Il avait hâte que le petit être soit là. Il se voyait déjà mettre, avec tendresse, son nez dans le cou du bébé, et humer la subtile fragrance de pureté du nouveau-né…
Soudain, la porte de l’étable s’ouvrit avec fracas : le paysan d’à côté emmenait un gros bœuf malodorant pour réchauffer un peu plus l’atmosphère du jour qui déclinait. Marie pensait mettre au monde son enfant dehors, au pied d’un palmier à l’odeur sucré, dans les senteurs végétales et les cris des animaux nocturnes, allongée sur la cape à l’odeur âcre de Joseph. Mais ils avaient eu la chance de trouver sur leur chemin ce brave paysan qui leur avait proposé la cabane de son bouc : il mettrait provisoirement le vieux mâle avec sa vache.
Joseph était préoccupé : comment serait accueilli le nouveau né dans cet environnement cruel ? Si c’était un garçon, pourrait-il lui apprendre son métier de charpentier, lui qui aimait tant manier la scie et le rabot et respirer à plein nez la chaude odeur du bois séché ?Cet enfant arriverait-il facilement à trouver sa place dans ce monde si compliqué ? Quel serait son destin ?
Annie TIBERIO