LA LIBERTÉ EN 2CV

Publié le 10 Novembre 2021

Ophélie était, des trois jeunes gens, celle qui était restée enfermée le plus longtemps. Les deux garçons, copains de lycée, avaient fugué ensemble en fin de classe de première, à l’âge auquel la révolte contre les parents entraîne de grosses bêtises. A vingt ans à peine, et après une fugue de quelques mois dans les sous-sols parisiens, ils venaient de passer malgré eux plus de deux ans avec la communauté. C’est au début de leur périple en deux-chevaux qu’ils avaient raconté à Ophélie comment un rabatteur du Grand Maître les avait repérés sur les quais du Métro Parisien, là où ils s’étaient rapidement réfugiés après avoir fui l’Internat du Lycée. Ils s’étaient joints par curiosité à deux ou trois personnes qui écoutaient le discours racoleur de cet homme de belle apparence, ils avaient hoché la tête pour approuver ses paroles, lui avaient souri, avaient échangé entre eux des regards complices : la perspective d’être logés et nourris gratis, de pouvoir enfin se doucher, les avait décidé à le suivre. Ils ne savaient pas que le besoin de plaire à cet inconnu les conduirait en définitive vers une restriction de leur liberté individuelle. Ils en avaient un peu assez de se cacher, de faire la manche pour manger, de se laver rarement. Etre libre, un rêve enthousiasment, mais la pénibilité de la vie de SDF leur sautait maintenant au visage. C’est ainsi qu’ils s’étaient retrouvés dans la voiture de l’homme, en route vers les montagnes vosgiennes, vers un lieu sans nom, loin de leurs familles et de la civilisation.

Leur enthousiasme du début s’était brutalement envolé lorsqu’ils avaient réalisé qu’ils étaient véritablement prisonniers, surveillés à tout moment par les gardes du corps qui gravitaient autour du « Grand Maître ». Leur situation s’avérait bien pire qu’à l’Internat de leur Lycée parisien : peu de possibilités d’échanger avec les autres jeunes, de la nourriture juste suffisante pour ne pas mourir de faim, et surtout cette obligation d’étudier des prières et des mantras qui leur faisait regretter les cours de Maths ou de Français de leur professeurs ! Et même s’ils ne voulaient pas l’avouer, ils souffraient d’être privés de leurs familles. Pour qu’on les laisse tranquilles, ils jouaient le jeu de la Communauté : c’était la seule manière de ne pas subir de réflexions ou de punitions…Comme elle était loin, cette Liberté recherchée en fuguant !

Ophélie était heureuse d’être avec ces deux copains, si forts, si courageux, qui la faisaient rire ! Il y avait tellement longtemps qu’elle n’avait pas ri, elle avait presque oublié que ça existait, le rire… Ils essayaient de se diriger vers le Midi en empruntant le plus possible des petites routes pour éviter de rencontrer des gendarmes. Antony leur prouvait jour après jour ses talents de chauffeur. Thomas prenait parfois le volant, ça ne rassurait pas la jeune fille. Il n’était pas un expert de la conduite. En outre, Ophélie ayant fait de la banquette arrière son domaine, il lui adressait constamment dans le rétroviseur des regards énamourés au lieu de se concentrer sur la route. Elle avait un véritable talent pour commenter avec humour et une note de poésie la beauté des paysages traversés, ce qui agrémentait leur voyage et les réconciliait avec la Liberté enfin retrouvée. Elle avait même composé quelques strophes à la manière de Paul Eluard pour décrire leur périple et évoquer leur amitié. Ils déclamaient tous trois ces vers à tue-tête, enthousiastes, tout en avalant les kilomètres :

 

« Sur les journées de souffrance

Sur l’espoir et l’insolence

Sur les rêves de nos consciences

J’écris ton nom

 

Sur le passé effacé

Sur la lumière éclatée

Sur l’infini espéré

J’écris ton nom

 

Sur les prairies les bosquets

Sur les fruits acidulés

Sur les insectes dorés

J’écris ton nom

 

Sur cette chaude amitié

Sur le besoin d’être aimés

Sur notre Trio sacré

J’écris ton nom

Liberté »

 

Ils roulaient maintenant au milieu de roches rouges impressionnantes, ils sentaient déjà l’air de la mer. Bien sûr, ils devaient s’arrêter de temps en temps pour faire la manche, avec plus ou moins de succès, mais jusqu’à maintenant ils avaient pu mettre un peu d’essence dans la voiture, et s’acheter du pain, en complément des quelques fruits cueillis sur le bord du chemin. Ils avaient l’intention de rejoindre un oncle d’Antony, qui possédait une ferme dans la vallée de la Roya. Installé là depuis sa jeunesse, il élevait des chèvres, et vendait sur les marchés de la région ses légumes bio et de délicieux petits fromages qui avaient fait sa réputation. Antony était venu deux ou trois fois les étés précédents pour l’aider, bien sûr, mais aussi pour aller se baigner parfois sur la côte avec les jeunes voisins. Il était certain qu’ils seraient bien accueillis, tous les trois, et que le brave homme les aiderait à faire un retour vers une vie plus normale, sans émettre de jugement sur leur fugue. Il servirait de lien avec leurs parents, qui seraient sans doute heureux d’avoir enfin de leurs nouvelles. Ce serait peut-être le début d’une nouvelle vie…

 

Rédigé par Annie

Publié dans #Liberté

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article