TROIS PETITS TOURS...

Publié le 9 Avril 2024

 
Aujourd'hui, alors que je descendais tranquillement l'escalier de la Porte Fausse, je suis stoppée net par une impression fugitive, une couleur au coin de l’œil. Dans le bac des Postes Restantes, comme si elle m'attendait, une enveloppe rose fluo.
A l'intérieur, aussi farfelu que sa couleur, ce message en lettres capitales : 
 
TOURNEZ TROIS FOIS SUR VOUS-MÊME ET DESCENDEZ L'ESCALIER.
                                                         SURPRISE VOUS TROUVEREZ.
 
Injonction ridicule, mais j'ai joué le jeu. J'ai tourné trois fois sur moi-même, sous le regard ahuri d'un touriste qui passait par là. Mon troisième tour terminé, c'est moi qui suis restée ahurie ! Dans l'escalier, l'or, le pourpre, le touriste, tout avait disparu pour laisser place à un étroit passage sombre.
Quoi ! C'est ça la surprise ? La transformation de l’œuvre splendide de Sarkis en ce truc d'un autre temps ?... d'un autre temps...? Mon cœur rate un battement... Se pourrait-il...?
J'avance prudemment, je débouche sur la rue de la Boucherie. Une pestilence me saute au nez, me donne la nausée. Du sang, des lambeaux de tripes jonchent le caniveau. La venelle est encombrée de charrettes, de gens qui vocifèrent en niçois, vêtus à la mode du XIXe siècle. C'est un gag ! Où est la caméra ? Le voyage dans le temps, ça n'existe pas !
 
J'essaie d'intercepter quelqu'un pour avoir une explication, mais personne ne semble me voir. On me frôle, on me bouscule, on m'ignore. J'ai du feu dans ma tête. Je tente de me raccrocher à une pensée rationnelle, il n'y en a aucune qui vient à mon secours. Juste cette constatation terrifiante : le message de la lettre rose m'a envoyée dans le passé sans mode d'emploi pour le retour au présent.
 
Mon cœur tombe dans mon ventre, la panique me gagne... souffle, ressaisis-toi... Quelques respirations profondes plus tard - merci le yoga - mon cerveau consent à se remettre en état de marche. J'ai une idée : et si je faisais trois tours dans l'autre sens...?
Je reviens sur mes pas, m'engage dans le passage sombre, progresse à tâtons jusqu'à l'endroit où j'ai débarqué tout à l'heure. Trois tours, donc. Dans l'autre sens. Dans quel sens ? Je ne sais plus si j'ai tourné dans le sens des aiguilles d'une montre ou l'inverse. L'inverse, sans doute, c'est ce qui m'a fait reculer. Je me lance, trois tours pour remonter le temps, les yeux fermés, bien concentrée, toute ma volonté, mon espoir rassemblés dans ce tourbillon. Trois tours. J'ouvre les yeux... rien n'a changé. Passage sombre, odeur pourrie, tout est là, et moi aussi.
 
L'angoisse monte, la panique la suit, j'étouffe. Je me réfugie dans l'angle du mur, m'accroupis la tête entre mes mains, attendant... je ne sais quoi, quand une voix jaillit :
- J'ai retrouvé ton foulard, tu l'avais oublié à la terrasse du café...
Mon mari me regarde, l'air aussi éberlué que le touriste de tantôt.
- Mais qu'est-ce que tu fous, blottie contre ce mur ? Tu es sûre que ça va bien ?
- Oui, oui, ça va bien, je me racontais juste une histoire...
 
 

Rédigé par Mado

Publié dans #Ville

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