Publié le 22 Octobre 2019

Nous sommes jumelles et avons eu un destin commun et quelle destinée. Moi qui suis née la première je peux vous dire que nous avons été vernies, peu, il est vrai, une fine couche, peut-être, mais suffisamment pour être remarquées.

Belles, fines, élégantes nous avons parcouru le monde, tenu le haut du pavé, battu tant de trottoirs. Quelle vie ! Une longue histoire pleine de rebondissements que vous n’avez certainement pas envie d’écouter.

  • Oh si, si !

  • Qui a dit si, si ? Moi je dis non.

  • Si, si !

  • Vraiment vous voulez que je vous la raconte ? Et bien je vais vous la raconter. Si, si, complètement, en détail, sans rien omettre, ni les grands drames, ni les petites vétilles. Ah, ah ! Je vous sens moins enthousiastes tout à coup. Mais tant pis, ce qui est dit est dit, choses promises… pluie du matin mouille aussi les escarpins.

Aussi sec j’enchaîne :

Alors voilà, très tôt nous avons été exposées aux regards des passants. Certains pouvaient être envieux, d’autres plus concupiscents, aucun indifférent. Souvent on nous prenait en main.

  • Touchez, quelle douceur, quel souplesse, disaient les unes.

  • Very beautiful, amazing ! ajoutait quelque touriste anglophone.

Maintes fois nous finissions sur la moquette et là je ne vous raconte pas les allers-retours. Ce n’était pas le pied et nous recommencions, caresses, moquette, quel boulot. Un jour nous avons plus plu qu’à l’ordinaire à une riche héritière qui après nous avoir essayées nous a achetées. Paris, Londres, New York chaque fois nous pensions être arrivés à destination mais non, on peut dire qu’on nous a fait marcher. Nous avons même foulé le fameux tapis rouge, non pas celui de Cannes, Kremlin, Moscou qui ne mène pas à une salle de spectacles, quoique, aux appartements privés de… chut, top secret !

Ainsi le temps a passé comme TGV en rase campagne, nous avons vieilli, perdu formes et éclat, mis au placard, sur Leboncoin, pour finir échangées contre trois places cinéma.

Aujourd’hui, si vous observez bien, vous pourrez nous apercevoir, avachies, aux pieds de l’ouvreuse du cinéma Gaumont Palace.

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Rédigé par Hervé

Publié dans #Cinéma

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Publié le 22 Octobre 2019

Le silence envahit soudain le plateau. Lumières et cadrages sont au point. Toute l’équipe est prête à tourner. Toute l’équipe, oui. Les acteurs, bien entendu, et aussi les machinistes, éclairagistes, ‘ingé-son’ et autres perchman sans oublier nous autres, que le vocabulaire usuel relègue au rang d’accessoires, mais sans qui, croyez-moi, la magie ne pourrait se produire.

Le chef-machiniste m’agrippe, me griffonne à la craie quelques signes codés dans le dos, m’ouvre grand la gueule et m’intercale subrepticement entre caméra et décor de la scène. Ça, c’est mon petit frisson quotidien, même après toutes ces années. J’en avais tant rêvé, quand je prenais forme sur l’établi du menuisier ! Honnêtement, qui n’a jamais été tenté de s’imposer devant la caméra, comme ça, juste pour rire ou pour faire la vedette ? Observez donc l’arrière-plan des reportages télévisés en extérieur : comme ils se pressent, tous ces humains, pour envoyer un coucou au public !

Et bien, pour moi, voyez-vous, c’est mon quotidien, ça, apparaître furtivement en surimpression. Et après la formule magique traditionnelle, je claque des dents bien fort, disparais comme j’étais venu et la magie peut opérer.

 

A mes débuts, je claquais d’un ‘clap’ propre et net, le signal idéal pour caler la synchronisation de la bande-son au montage. Mais aujourd’hui, je dois bien reconnaître que je me fais vieux, mes dents se sont un peu élimées à l’usage et ma mâchoire émet parfois un petit grincement de porte rouillée ; j’aurais juste besoin d’un peu d’huile mais personne n’y songe. Ah ! ça, c’est certain, si la vedette du jour a un tantinet soif, tout ce petit monde se précipite et se coupe en quatre pour lui offrir eau, thé, coca, ballon de rouge ou whisky, selon ses caprices. Moi, tout ce que je demande c’est un peu d’huile mais personne ne m’écoute ; c’est comme ça au rang des accessoires.

 

Je pourrais vous en conter sur le cinéma ; j’en ai tant vu, tant entendu, tant vécu. Je pourrais vous dire le claquiste débutant qui bafouille l’incantation et laisse choir maladroitement le clap, je pourrais vous parler de l’acteur indélicat qui me colle son chewing-gum entre les dents avant d’entrer dans le champ, ou encore le réalisateur colérique qui hurle son Coupez ! avant même la fin de la formule magique.

Mais voyez-vous, je me sens vieux et bientôt au bout du rouleau, je suis maintenant tout rafistolé, je sais bien que je finirai prochainement enfoui sur une étagère sombre du magasin général, une étiquette numérotée me clouant définitivement le bec. Tant pis ; je l’accepte ; c’est mon karma.

Mon grand regret restera d’avoir été si souvent filmé et jamais montré, toujours coupé au montage.

 

Allez, ciao, les ingrats du cinéma, je vais tirer ma révérence sans cérémonie, c’est mon destin d’accessoire, mais je vous aurai fait part de ma vie d’humilié.

 

*-*-*-*-*-*-*-*-*

 

Ce que ce clap ne pouvait savoir, quand il a jeté sa bouteille à la mer, c’est que les studios ont définitivement fermé après cet ultime tournage, et qu’il trône maintenant pour l’éternité derrière une vitrine du musée au-dessus d’une belle étiquette dorée « Dernier clap utilisé aux studios de la Victorine ».

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Rédigé par Benoît

Publié dans #Cinéma

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Publié le 22 Octobre 2019

Je suis retournée à la cinémathèque voir ce film que je connais presque par cœur. Pourquoi ? Parce qu’il possède cette qualité si rare au cinéma : la grâce. Le film est presque terminé. Catherine a louvoyé de Jules à Jim, de Jim à Jules. Elle a eu d’autres amants. Elle a eu une petite fille avec Jules. Tout est triste et gai à la fois et je sais comment ça va se terminer. Mais non ! Ça ne va pas se passer comme ça, ce n’est pas possible ! Je ne le supporterai pas une fois de plus !

 

Je surgis de mon fauteuil, faisant fi des remarques agacées et autres grommellements des spectateurs. J’avance, bras tendus devant moi comme un somnambule. L’écran s’ouvre avec une facilité déconcertante. Je suis avec eux, tous les trois, ce trio improbable, invivable et si joyeux. Ils ne semblent même par surpris, on dirait que je fais partie de la scène.

 

Ça y est, Catherine monte dans la voiture, elle va inviter Jim à la rejoindre. Je hurle nooooooooon ! Je crie à Catherine « Tu ne peux pas faire ça ! Tu as deux hommes merveilleux qui t’aiment « quoi que tu fasses, quoi qu’il arrive », ils t’ont entraînée dans le tourbillon de la vie, vous êtes jeunes, vous êtes beaux, ta fille est encore petite. Ne fais pas ça, je t’en prie ! La vie est belle, tu n’as pas le droit ! »

 

Catherine me dévisage curieusement, on dirait qu’elle sort d’un rêve, ou peut-être d’un cauchemar. Elle lâche le volant, tourne la tête lentement vers les deux hommes, son regard va de Jules à Jim, de Jim à Jules. Elle serre le frein à main. Soudain, elle part dans un grand éclat de rire comme elle seule en a le secret. « Mais c’était pas pour de vrai, qu’est-ce que tu t’es imaginé ? Je jouais ! La vie est un jeu, tu ne le sais pas ? ». C’est bien une pirouette de Catherine, comme elle en a fait tant de fois !

 

Je ne sais pas si je dois la croire, mais j’ai réussi à éviter le pire : qu’elle monte avec Jim, qu’elle roule jusqu’au bout de ce pont en ruine et qu’ils disparaissent ensemble au fond de la rivière.

 

Catherine a rejoint ses compagnons. Je m’éloigne à reculons des trois comparses. L’écran s’ouvre à nouveau, je me retourne et regagne ma place. Un murmure parcourt la salle. Que vont dire les spectateurs ? Vont-ils m’embrasser ? Me lyncher ? Ai-je trahi l’œuvre de Truffaut ? Réalisé leur plus secret désir ? Je ne suis pas tranquille. Mais j’ai fait ce que j’avais à faire, j’ai ma conscience pour moi.

 

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Rédigé par Monique

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Publié le 19 Octobre 2019

Ah ! On peut dire que j’en ai vécu des évènements, même si je suis un peu en retrait de la salle. Très en retrait d’ailleurs. Tout au fond en vérité. En en hauteur en plus ! Un poste d’observation génial, rien ne pouvait m’échapper !

 

La salle éclairée qui se remplit petit à petit, s’anime de conversations plus ou moins chuchotées. Il y a ceux qui arrivent et filent directement s’asseoir, un peu comme si leur place était réservée ; généralement des personnes seules. Et puis ceux qui hésitent, discutent, s’assoient, se relèvent pour aller plus loin, plus près, à gauche, à droite, si jamais un chapeau, un chignon ou une coupe afro vient à occulter une partie de l’écran devant eux.

 

Et puis les bruits habituels de papiers de bonbons froissés, de mains plongeantes dans les seaux de pop-corn ou encore des bips, des drings, voire des intro musicales ou jingles agressifs des téléphones dont les propriétaires ne connaissent toujours pas la fonction silence.

 

Ah ! Voilà mon moment favori : le lancement des bandes annonces, les pubs et la lumière qui décline jusqu’à ce que les premières images du film se déroulent sur l’écran. Une nouvelle histoire qui commence, c’est toujours un peu excitant. Les premières images dévoilent un certain évènement, un trait de caractère, un indice, clin d’œil d’une scène future.

 

Et puis, quelque soit l’histoire, les réactions des spectateurs. Certains, impassibles, fixent l’écran, totalement absorbés. Certains, sensibles, se recroquevillant lorsque l’histoire tourne au vinaigre ou que le héros se trouve en difficulté. D’autres dorment du sommeil du juste : ça c’est vexant, je l’avoue. Il y a ceux qui commentent ; ça, ça m’énerve prodigieusement. Et puis ceux qui ne regardent pas grand-chose à l’écran, occupés qu’ils sont à se bécoter consciencieusement. Généralement des ados… Oh ! On l’a tous fait finalement. Et puis des couples de petits vieux dont les mains s’entrecroisent sur l’accoudoir commun. Ceux que j’appelle les lucioles, occupés qu’ils sont à regarder l’écran… de leur « téléphone intelligent ». Mais pourquoi ils viennent au cinéma s’ils ont peur du noir ? Le cours des choses de va pas faire basculer la planète le temps d’un film, alors pourquoi se priver d’une belle histoire ?

 

Moi j’aime quand la salle retentit d’éclats de rire francs. J’aime aussi quand les images, la musique ou l’histoire tirent des larmes. Il y a ceux qui sortent leurs mouchoirs sans honte, et puis ceux qui essayent d’écraser discrètement une larme qui perle au coin de l’œil.

 

C’est la vie le cinéma. Ça fait rêver. Ça fait rire. Ça fait pleurer. Ça fait peur. Ça fait du bien de s’échapper une paire d’heures.

 

Je vais vous avouer ce qui me fait frissonner, ce qui me met le plus en joie : c’est quelques applaudissements timides qui se transforment en ovation. Le générique qui défile peu à peu me rend lui mélancolique. Le bruit des fauteuils qui se replient lorsque la salle se lève alors que la lumière revient lentement sonne comme un au revoir.

 

Beaucoup sortent en silence, comme s’ils voulaient prolonger l’instant. D’autres échangent tout de suite quelques paroles et bientôt, le vide à nouveau…

 

Et moi je suis toujours là. La lumière de la cabine de projection s’éteint et je redeviens un simple petit trou noir dans le mur du fond.

 

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Rédigé par Bernadette

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Publié le 19 Octobre 2019

A Paris, le ciel est bas et gris, la pluie se met à tomber.

Je n’en peux plus de cette grisaille, pensa Evelyne. Elle se dirigea vers sa bibliothèque et sortit son DVD favori, celui des jours où rien ne va. Elle enclencha le disque, appuya sur la télécommande et les couleurs éclatèrent. Du rouge, du jaune, du vert tendre, du parme, les rues de Rochefort s’étaient parées de lumière. Dans les rues, les gens chantaient et dansaient, les femmes portaient d’amples robes colorées qui formaient une corolle autour d’elles, elles rayonnaient de bonheur. Sur la place du marché, les forains venaient d’arriver, ils installaient leurs tréteaux en chantant « nous voyageons de ville en ville nous sommes les forains ». Un souffle de gaîté balayait les badauds, ils se joignirent à la troupe des forains et tous se mirent à tournoyer, à valser, à se déhancher sur une musique entraînante et pleine de gaîté.

 

Evelyne adorait ce film, les couleurs, la musique tout l’enchantait. Elle commença à fredonner oubliant le gris parisien. Elle se sentait légère et se laissait emporter par la musique de Jacques Demy.

C’est lorsque les sœurs Garnier apparurent, toutes les deux aussi jolies l’une que l’autre, que la magie opéra. Delphine et Solange étaient la grâce et la beauté incarnées. Elles évoluaient avec élégance au milieu des forains, elles riaient, elles s’apostrophaient en riant. Soudain Solange la regarda et lui tendit la main.

Viens avec nous Evelyne, viens partager ce bonheur léger avec nous. Ne reste pas dans la grisaille, nous t’attendons. Regarde Andy est là, ce n’est pas tous les jours que Gene Kelly est de passage à Rochefort !

Allez, saute !

 

Evelyne se sentit traversée par une vague de chaleur et avant même qu’elle ne comprenne ce qui se passait, elle se retrouva au milieu des danseurs. Son vieux jean avait, comme par magie, été remplacé par une jolie robe jaune et lorsque que Gene Kelly s’approcha d’elle et lui tendit la main, elle ne se posa pas de questions et se mit à tournoyer avec entrain. Rochefort brillait sous le soleil, les trottoirs, les fontaines, les volets inondaient la ville de couleurs tendres et lumineuses. Maxence et ses cheveux d’ange était là aussi, il avait apporté son tableau, l’éternel féminin qu’il cherchait obstinément. Ses yeux se posèrent sur Evelyne et soudain il savait c’était elle. Il ne savait pas qui était cette femme mais il l’avait enfin trouvée.

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Rédigé par Evelyne

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Publié le 18 Octobre 2019

Je suis né chanceux. Mes parents m'attendaient depuis longtemps. Ils ne rechignaient pas à la tâche. Ils remettaient souvent sur le sommier leur ouvrage. Je suis arrivé dans une famille aisée, limite bourgeoise. Un beau bébé paraît-il, 2 kg 9, tout en longueur. Mon père, une très bonne situation à la préfecture, était chef de… de plusieurs sous-chefs. Il fréquentait des personnalités de la ville, allait à des réceptions, recevait aussi. Ma mère, altière, un port de tête de reine, paraissait grande malgré son mètre soixante. Elle s'occupait de ses bonnes œuvres, recevait pour un bridge, buvait du thé parfumé au jasmin, cueilli à Grasse, n'oubliait pas de le préciser.

L'été, deux après-midis par semaine, nous allions nous baigner à la plage du Rhul, tout près du Palais de la Jetée. Il ne fallait pas trop s'en approcher car, semblait-il, une pieuvre avait élu domicile dans l'entrelacement des piliers de soutien. La plage de galets changeait parfois d'aspect selon le débit plus ou moins rapide des eaux du Paillon se jetant dans la mer. Les Allemands, venus occuper Nice, nous en éloignèrent car ils démontèrent le palais pour en récupérer la ferraille. Notre nouveau lieu de baignade fut la plage de Beau Rivage. Ce fut notre seul désagrément occasionné par l'occupation allemande.

Nous habitions un très grand appartement au sixième et dernier étage dans un immeuble bourgeois du Quartier des Musiciens à Nice. Au sud, vue sur la mer ; au nord, les montagnes de l'arrière pays avec le Mont Vial, et tout au fond la chaîne du Mercantour.

Tout allait très bien pour moi jusqu'à mon entrée, à sept ans, au cours préparatoire. Mon père descendait d'une vieille famille écossaise dont il en hérita le nom. Facétieux, il m'affubla d'un prénom particulier « Mort ». Sachant que le nom de famille était et est toujours « Mac Habée », je fus la proie de remarques pas toujours judicieuses. Pour mon âge, j'avais une taille et une musculature plus développées que les autres, donc les quolibets cessèrent rapidement. Passée l'adolescence, je devins un très beau jeune homme dont toutes les filles étaient amoureuses. La vie m'a vraiment gâté.

Puis je fis de grandes études : HEC, L'ENA. Je fis des apparitions dans divers gouvernements, j’embrassais la carrière de diplomate. Un très beau parcours dont je ne suis pas peu fier. Mes fonctions au service de l'Etat terminées, je m'inscrivis au tennis-club du Parc Impérial dont je devins l'un des meilleurs éléments. J'eus un peu plus de mal au golf, mais à force de persévérance, je progressais.

Maintenant, à plus de quatre vingt six ans, j'ai tendance à parler un peu trop de moi, et je crois fatiguer mon auditoire en invoquant ma vie et ma carrière lisses comme le lac Léman quand aucune brise vient friser la surface de l'eau. Je me suis inscrit à des cours de théâtre pour tenir des rôles de vieux niçois tapant la belote dans des anciens troquets de la vielle ville. Difficile pour moi. Niçois, je ne connais pas ma ville.

Je suis d'accord avec Ben quand il dit que la vie est un film.

Je viens d'écrire le mien !

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Rédigé par Louis

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Publié le 18 Octobre 2019

Synopsis S.F.

 

A douze ans Marcelin est un orphelin rêveur, chasseur de champignons dans la forêt de Montrency. Il sait où les cueillir, ceux sont ses maigres ressources une fois échangés aux bourgeois de la ville contre une écuelle de soupe épaisse ou quelques piécettes.

Alors qu’il s’apprête à couper une trompette de la mort il est surpris par un terrible bruit, un sifflement inconnu, venu d’un autre monde. « Dieu rappelle les siens » est sa première pensée. La terre tremble, les chênes, les hêtres s’entremêlent en tombant dans un vacarme assourdissant, les bouleaux blancs zèbrent les ténèbres. Chevreuils, blaireaux, écureuils fuient en tous sens hurlant des cris déchirants.

Brusquement un silence d’outre-tombe à peine troublé par le bruissement des derniers fuyards dans les fourrés, un épais voile de suie noire couvre toute la nature, et lui aussi. « Dieu est en deuil » est sa deuxième pensée, la troisième « de son étoile, maman ne pourra plus me voir, sans sa protection je vais mourir ».

 

Lové contre la souche d’un frêne cassée, Marcelin se réveille lentement. Dans sa main il serre toujours la craterelle. Une douce chaleur remonte le long de son bras engourdi, il sent le champignon maintenant pourpre étincelant palpiter au rythme de son cœur. Mais la chaleur augmente, les battements s’accélèrent, la forme évolue, grossie, oblongue. Il se lève pour s’apercevoir que les tremblements s’atténuent, l’ardeur diminue, rouge puis rosée la couleur devient opalescente. De cette gangue éclot une sirène d’une taille égale à la sienne. Sa chevelure rousse éclabousse ses épaules jusqu’à ses seins en fleurs de lotus. De son ventre replet part sa queue de poisson vert de gris. Elle baigne dans un limbe de pure clarté.

 

Marcelin a peur, une bulle se forme autour d’eux, imperceptiblement elle s’élève dans la nuit fuligineuse. Mélusine tente de l’attirer, veut le rassurer, Marcelin trépigne, tape contre la paroi, La fée se fâche, explique que ce n’est qu’une fragile bulle de savon, qu’ils ne sont pas encore sortis de l’attraction terrestre, qu’une explosion les ramènerait à leur point de départ. Marcellin s’énerve, lève le bras pour donner une gifle à sa co-bullée. La colère déforme le joli minois, elle lui balance un formidable coup de queue dans un endroit très sensible de l’homme qu’il deviendra plus tard. Prostré, Marcelin coince la bulle, l’empêche de poursuivre son ascension, d’un second coup de queue il est remis à sa place initiale. La progression reprend sa course. L’aube du premier jour interstellaire les surprend, endormis dans les bras l’un de l’autre.

 

Alerté par son septième sens, Mélusine se réveille en sursaut, aperçoit au loin un vaisseau de guerre spatial aztèque, un ancien modèle datant de moins huit cent avant J.C. Heureusement, il est mal placé alors qu’elle a du champ. Rapide, elle suit sa première intuition, pique vers la lucarne formée par les rayons de deux lunes. Le vieil engin n’en a pas suffisamment dans les chaussettes, il tire un antique boulet. Mélusine rit, elle leur fait tout, elle sait que toutes les minutes qui passent lui sont favorables. Assis, Marcelin se demande comment faire pour récupérer ses champignons, il a faim, et sans sa cueillette pas de soupe. Compatissante la sorcière lui explique qu’ils sont sur le chemin de Compostelle, une bourgade située à quelques années lumières sur Andromède où il retrouvera sa Maman.

En l’an de grâce mille deux, quatre jours avant la fête de Pâques, une météorite heurte la terre dans la région des puys. Il faudra un long temps avant que ne repoussent les champignons.

 

Clap de fin !

 

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Rédigé par Hervé

Publié dans #Cinéma

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Publié le 17 Octobre 2019

Depuis 1946, j'habite au 1 Boulevard de la Croisette, à Cannes. Je suis un fauteuil, pareil aux autres, de la salle dans laquelle on projette les films en compétition du festival et ce depuis le 24 septembre 1946. Je me fais vieux, mes ressorts ont dû être révisés plusieurs fois mais j'ai toute ma tête. Que d'actrices, d'acteurs, metteurs en scène , écrivain(e)s ; etc. sont venus s'asseoir sur moi. Un jour alors qu'on passait un western, Gary Cooper est monté à cheval sur mon dossier et avec l'aide de son lasso a capturé et emmené une femme dont on ne connut jamais l'identité. J'ai bien cru à cet instant qu'on allait me mettre au rebut Mais non et nombreux sont celles et ceux venus s'asseoir sur mon siège.

 

Je me souviens  plus spécialement de Georges Simenon, la pipe au bec accompagné du commissaire Maigret (à chaque séance c'était toute une histoire pour qu'il éteigne cette foutue pipe ). Plusieurs fois j'ai eu chaud aux fesses si je puis me permettre..
 

Je me souviens de Brigitte Bardot, une vraie vamp, accompagnée de Vadim. C'était agréable pour moi de sentir ses jolies fesses tressaillir de temps à autre pendant le film. Il me semble l'avoir aperçue, assise sur un autre fauteuil – Dieu merci pour moi – il y a deux ou trois ans, mais je l'ai à peine reconnue tant elle a vieilli.

 

Je me souviens d'Anouk Aimé avec Jean-Louis Trintignant, Claude Lelouch venus présenter le film Un homme une femme, de Romy Schneider avec Alain Delon (qu'ils étaient beaux ces deux-là)et ils se tenaient si serrés qu’un fauteuil leur aurait suffit. Et tant d’autres…

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Un de mes regrets c'est que Marilyn ne se soit jamais relaxée sur moi. Mais j'ai en ma mémoire à tout jamais l'affiche de 2012 ; je la revois au dessus d'une bouche de métro sa mythique robe blanche irrésistiblement soulevée par la grâce d’une bouche de métro.

 

Mes ressorts grincent, je suis fatigué et pourtant ma journée n'est pas terminée, Gérard Depardieu s’assoit lourdement. Dans mes oreillettes j'entends chanter Jacques Dutron Un jour, tu verras...
Une autre fois je vous parlerai peut-être de Johnny, Bernard Blier, Jean Rochefort, Simone Signoret etc.. qui eux aussi se sont assis sur mon siège.

 

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Rédigé par Françoise M.

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Publié le 15 Octobre 2019

Je peux dire que j’en ai vu passer des kilomètres de gélatine, enfin, de pellicule. Sans moi et ma famille, pas de stars, pas de festival, pas de cinéma, l’écran blanc dans les salles obscures serait resté un simple drap, pour ombres chinoises.

 

Je me souviens l’histoire de ma grand-mère : elle était sur le quai de la gare de la Ciotat au milieu d’une fumée ; il a fallu qu’elle saisisse l’arrivée d’un train. Il parait qu’elle a participé à une révolution, la naissance du cinéma. Elle m’a raconté que c’était un jeune opérateur qui lui tournait la manivelle et qu’il aurait pu lui faire tourner la tête. Heureusement que mon grand-père veillait au grain.

 

Mes parents, eux, se sont ouverts au grand public, de 8 en super 8 ; ils ont filmé les premiers congés payés, les baptêmes, les mariages... la pellicule coulait à flots. Ils travaillaient beaucoup avec Kodak, ils filmaient et lui, développait... une époque de rêve, peuplée d’incertitudes sur le résultat.

 

Pour moi aujourd’hui, fini de sentir en moi et sur moi la caresse de la pellicule ; je suis dans mon époque, une carte informatique me sert de mémoire, je filme, je regarde, j’efface et je recommence. Parfois je regrette le temps de mes grands-parents, je crois que nous avons perdu la part de magie qui était en nous, le rêve de l’inexpliqué.

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Rédigé par Bernard

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Publié le 15 Octobre 2019

Je reste planté là. Sur cette étagère d’un brocanteur du vieux port une résurgence de ma jeunesse a accroché mon regard. Mon intérêt pour cette « chose » n’a pas échappé au vendeur.

-Il vous intéresse ? Un authentique Hollywood-Richardson 1930. Il vient des studios de la Victorine, vous savez !

Ça, je le savais ! C’était le compagnon fétiche de mon père Ernest Dubois, maître incontesté de ces sources intenses qui décident de tout !

 

L’art du cinéma, me disait mon père, est de rendre plus vrai que nature la scène que vivent les acteurs. Accompagner avec tendresse les mélos, laisser crier en pleine lumière les scènes d’action.

-Tiens, je vais te dire ! Tu te rappelles Jeanne Moreau et ses rides ?

Moi, je voyais très bien où il voulait en venir. Une photo de cette scène traîne encore dans sa collection de clichés mémorables qui résume une vie à elle seule.

Jeanne Moreau était apparue lors de cette séquence dans un clair-obscur qui la transformait en une jeune fille à la peau immaculée. Elle en avait embrassée mon père.

-Vous êtes un magicien, lui avait-elle dit.

Hollywood-Richardson n’était pas peu fier ! Voilà que tout me revenait, sans émotion, comme on sourit à un souvenir qui passe brusquement.

 

L’authentique « chose » semblait m’avoir reconnu. Il me fixait avec insistance. Peut-être encore présentes, mes empreintes sur ces formes rondes ?

Mon père me demandait souvent de l’assister dans ses réglages.

-Moins violent ! Couvre-le avec le « scène-ombré » là, à côté de toi !

Lui, sortait sa cellule Paillard et vérifiait.

-Parfait, tu as pigé !

L’environnement semblait obéir, la magie opérait. Le souci du détail juste nous conduisait à ce point crucial où l’on perdait le sens de la fiction. Je me sentais dans l’action.

-Ça fait vrai !

-Mais enfin fiston, si ça n’est pas vrai, personne n’y croira !

Est-ce qu’il savait, à cet instant, que trois ans plus tard Hollywood-Richardson allait figer la photo souvenir de mon mariage ?

 

-Vous m’écoutez ? reprenait le vendeur, une véritable pièce de collection !

-Oui, oui je m’en suis rendu compte.

-Ah, monsieur est un connaisseur !

En fait, je me demandais comment cet accessoire indispensable à une mise en scène réussie avait pu atterrir ici chez ce brocanteur ?

 

Je rêvais à ce passé si loin. A cette manière que mon père avait de me communiquer sa passion, sa façon à lui de respirer, de faire corps avec le scénario.

 

Un vieux monsieur me fixait depuis un instant.

-Je vous ai reconnu, vous êtes Bertrand Dubois ! Toujours dans les pattes d’Ernest ! Je me trompe ?

L’espace d’un éclair, je revis ce visage plus jeune, juché sur une échelle, attentif aux instructions de mon père qui pestait :

-Bon sang Antoine, plus de flou, plus de flou !

 

-Vous savez quoi ? Cet engin c’est moi qui l’ai déposé ici ! Puis s’adressant au brocanteur :

-Il n’est plus à vendre monsieur. Il a trouvé preneur et pas n’importe lequel ! Je vous l’offre Bertrand !

Je m’éloignais avec Antoine, mon paquet sous le bras.

 

Le soleil s’était couché depuis longtemps. Nous nous étions attablés à un café de la place Garibaldi. Les verres se succédaient. Antoine parlait, parlait…

-Ton père disait toujours : on ne traite pas un drame comme on aborde une comédie. Coller au plus près quoi !

Les traces laissées par cet engin reprenaient vie.

Les scènes de « Mélodie en sous-sol » défilaient dans les souvenirs de l’assistant de mon père.

-Gabin le roc, Delon le petit voyou prêt à tout, prévoir un crépuscule dramatique. La scène finale avec des centaines de billets qui remontent à la surface de la piscine du Palm-Beach, se coller à la bienveillance d’une comédie aidé par la musique bien sûr.

Je regarde ce projecteur à côté de moi et je pense à ces tours de force qu’on lui avait demandé. J’écoute Antoine qui raconte, raconte…

Plus tard, j’essayerai de mettre en lumière tout cela avec des mots…

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Rédigé par Gérald

Publié dans #Cinéma

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