Publié le 28 Mai 2019

La peur

 

Perdue ! Elle s’est perdue dans la forêt. Quelle idée d’avoir quitté le sentier. Pour suivre une biche qu’elle n’a jamais rattrapée, ni revue d’ailleurs ! Maintenant, elle ne reconnaît plus rien, tout se ressemble et les arbres sont si touffus qu’elle ne sait plus se repérer.

Bon, pas de panique, se dit-elle en sentant une drôle de bête se tortiller dans son ventre. La forêt s’assombrit, les arbres l’encerclent. Elle scrute à travers les troncs une trouée, une ébauche de piste, la trace d’un passage, n’importe quoi qui… un hoquet meurt dans sa gorge, ses yeux piquent… La bête dans son ventre revient, envahit tout son corps, oppresse sa poitrine.

Elle avance, tous ses sens aux aguets. Un bruissement la fait sursauter, son cœur s’accélère… Un craquement derrière elle, son cœur tombe vers ses jambes… impression de se liquéfier, le souffle à l’arrêt. Respire, respire… Un grognement dans un fourré, tout près d’elle, et le cri, incontrôlé, fuse du plus profond d’elle-même, retentit dans la forêt impassible.

 

Ses yeux fous voltigent. Visage cireux, lèvres sèches, décolorées… sa bouche entrouverte reste figée sur un rictus affolé. Ses mains tremblantes, aux gestes désordonnés, se fraient un passage, s’agrippent, serrent les poings comme pour frapper, s’ouvrent devant son visage comme pour se protéger.

Elle court, trébuche, zigzague, irrationnelle…

 

La colère

 

Quelque chose de froid, de dur, métallique, explose dans son ventre, remonte dans sa poitrine. Envie de tuer cet abruti, envie de l’insulter, de le tabasser, de l’écrabouiller ! Ç a le submerge, gicle par ses yeux, sa peau, par un aboiement sauvage où les mots ne sont que prétexte et déversoir. Fallait que ça sorte.

 

Les poings serrés, le visage rouge, le cou gonflé, il est dressé, poitrine en avant, tendu à se rompre. Regard furibond aux étincelles assassines, il éructe, les lèvres retroussés sur ses canines menaçantes, comme un chien à l’attaque.

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Rédigé par Mado

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Publié le 28 Mai 2019

La peur (en focalisation externe)

 

Il avançait à pas de loup, plus que silencieusement, à la fois confiant car il avait tout préparé mais quand même… il y avait bien ces petits picotements au niveau de l’estomac… ça se déroulait comme prévu, jusqu’au déclenchement d’une alarme qui lui hurlait maintenant dans les oreilles.

Il s’arrêta net, surpris, stupéfait, ne sachant pas vraiment quoi faire là tout de suite, comme si ses semelles s’enlisaient dans le sol, l’empêchant de courir. Un vertige, puis les tremblements qui suivirent, servirent de déclic. La bouche ouverte ayant retenu un cri de surprise, les doigts moites de sueur, il se mit à courir en sens inverse vers la sortie. Le souffle court, il devait à présent gérer ce qui n’était pas préparé. La transpiration gluante de ses doigts lui fit lâcher la lampe. Les yeux exorbités, il remontait l’immense couloir sombre, en tentant de se remémorer le chemin parcouru si lentement en sens inverse.

Ses jambes semblaient ne plus répondre, à la fois lourdes d’angoisse et flageolantes d’incertitude. Il n’était même plus capable de réfléchir à quoi que ce soit. Le son de la sirène qui ne s’arrêtait pas lui tordait les boyaux, comme une indigestion. Des gouttes perlaient sur ses tempes et sa chemise trempée collait à sa peau.

Il ne pensait qu’à retrouver la sortie, haletant. Et alors qu’il descendait les marches hors d’haleine, la sonnerie du réveil prit le dessus sur la sirène.

 

 

La colère (en focalisation interne)

 

C’est au volant que j’avais appris la nouvelle. A peine croyable, et pourtant c’était bien ça, pas de doute possible, je les connaissais par cœur tous ces numéros, ça faisait 17 ans que je jouais les mêmes.

Et maintenant je faisais demi-tour, les mains crispées sur le volant, un sourire béat au bord des lèvres et dans les yeux des étoiles, des papillons, des feux d’artifice, que sais-je encore ?

Je débouche à toute blinde dans ma rue et gare plus ou moins ma voiture avant de me ruer vers la porte d’entrée de la maison. Un coup d’œil dans le hall. Oui ! Mon portefeuille est bien là. Je l’ouvre en trépignant, avide de repérer ce petit morceau de papier validé il y a deux jours chez le buraliste. Rien !

L’agitation me joue des tours. Je remets en marche mes dix doigts pour extirper une à une, cartes de fidélité, vitale, bancaire, senior +, lignes d’azur… Les billets de banque volent à leur tour. Le sang me monte à la tête. La suée qui suinte et coule me fait frissonner. Impossible !

Je m’en veux… Et puis une idée ! Peut-être que j’ai glissé le bulletin dans le paquet de cigarettes que j’ai acheté en même temps. Fébrile, je repars vers la voiture. Fouille. Rien !

L’amertume, le désespoir, le découragement se succèdent dans ma tête. Des idées…. Mais non, rien que des tremblements qui s’emparent de moi. Je tente de retracer dans mon cerveau en surchauffe ce que j’ai fait en sortant du bar-tabacs avant-hier… Je jure copieusement… Rien ne me revient… J’ai le souffle coupé par cette injustice flagrante… -pour une fois !!!- mais je continue d’aller et venir dans la maison : la table de la cuisine, la chambre à coucher, la salle de bains… Je m’en veux, je m’en veux… et soudain j’y pense ! La buanderie !

Lorsqu’enfin arrivé en bas des escaliers j’en pousse la porte, le hublot de la machine à laver me laisse visionner mon pantalon sauvagement entortillé dans un flot mousseux…

Tsunami sur la loterie.

Et mon cri dans la buanderie.

 

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Rédigé par Bernadette

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Publié le 21 Mai 2019

Rédigé par Atelier d'écriture

Publié dans #Les fenêtres

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Publié le 21 Mai 2019

DERRIÈRE MES VOLETS

Derrière mes volets

A l’abri du soleil de l’été

Derrière mes jalousies

Je regardais la vie

 

J’ai vu passer un papillon

Avec une écharpe de laine verte

Accompagné d’un hanneton

Ils s’en allaient d’un pas alerte

 

Vers les sous bois de Peira Cava

Écouter le discours du frelon

Paroles promesses d’élection

Pour laquelle il était candidat

 

Devant une assemblée de fourmis

D’abeilles et d’araignées

Jura qu’il les avait compris

Il protégerait, la forêt

 

J’ai vu passer un papillon

Avec une écharpe de laine verte

Qui revenait joyeux certes

Les yeux remplis d’illusions

 

Derrière mes volets

Mon imaginaire s’est envolé

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Rédigé par Bernard

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Publié le 21 Mai 2019

SLAM d'après PHOTO

Derrière mes persiennes

Je me sens protégé

Le soleil qui se lève

Ne peut pas m’attaquer

Moi j’en profite un peu

Pour ne pas me presser

Réfléchir, réfléchir,

Pour ne pas me mentir

Arrêter de courir

Arrêter de m’enfuir

 

Mais la rue se réveille

Le bruit monte, s’amplifie,

C’est tous les jours pareil

J’en peux plus de ces cris

On nous en a parlé en cours d’écologie

De brancher les voitures, les scooters, les taxis,

Ça ferait moins de bruit…

 

Mais enfin, la parole c’est synonyme d’humain

Un solide bonjour

Vaut mieux qu’une poignée de main

Et les cris des enfants qui sortent de l’école

Je trouve ça rassurant, finalement, qu’ils s’envolent…

 

Derrière mes persiennes

Je serais très inquiet

Si un matin prochain

Aucun son j’entendais

Un monde de silence,

Un sentiment d’absence,

La fée lumière

Règne sur l’univers

Le mage

Retourne à son nuage…

 

Clap de fin.

 

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Rédigé par Bernadette

Publié dans #Les fenêtres

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Publié le 21 Mai 2019

FENÊTRE SUR COUR..

Les murs blancs te rassurent,
Les lézards, les fissures,
La lumière qui fredonne
La portée des volets
sous l'écho de la vitre..
Ça y est le jour se lève
Sur tes paupières balai
Qui frissonnent et s'agitent
D'un rêve encore tout frais..
Le Mistral en rafale
qui s'incruste en sourdine
Fait claquer le volet
comme une invite mutine..
Sortir du duvet, ouvrir les écouteurs,
Faire claquer le palais,
soulever tes fissures,
Et glisser le regard au-delà du dedans..
Mur de pierre qui s'égoutte au soleil,
Les colombes qui papotent
et s'ébrouent dans les trous,
Le chantier à l'arrêt,
la pelleteuse en berne,
Les archis qui jouent
à semer des cailloux,
Mesurer des arpents,
déplier de vieux plans,
Là-bas sur la terrasse
les jeunes cons qui s’la jouent,
À fumer au soleil,
lorgnant sur l’ barbecue..
Un gamin qu’ enjambe la grille
pour roder en solo,Va cramer du papier, puis souffler illico..
Se prouver qu'il est cap’
de pas faire comme il faut..
Le vent souffle à l'envers
T’ as la fumée dans l' œil,
C'est pas faute au soleil
Mais tu plisses les paupières,
C'est pas faute au soleil..
La Masure en galère,
Un couvent bien couvert
Qu’est tombé en misère,
Les nonnes qui sont parties,
Laissant là les débris,
Les débris, les petits os,
De leur progéniture..
C'est l'époque qui veut ça,
Du fric et des touristes,
Des gens biens, des huppés,
Sur des ruines de bébés..
Le vent qui se fracasse
Le volet qui éructe,
Et va briser ton rêve
Aux allures délétères..
Le café qui s'insurge
Au fin fond de ton mug
Et t'appelle en silence..
C'est pas jour d ’résilience..

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Rédigé par Nadine

Publié dans #Les fenêtres

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Publié le 21 Mai 2019

OUVREZ LA FENÊTRE

                                                                    Ouvrez la fenêtre me dit-on !

                                                                    J'imagine, imaginons

                                                                    Un volet se replie doucement

                                                                    Je ne veux pas être vue

                                                                    Jetons un œil prudent

                                                                    Les deux si je veux.

 

                                                                    Là, dehors un homme, gilet rayé

                                                                    Visage blanchi, il bouge

                                                                    Il mime, sans bruit, éveillé

                                                                    Doucement une musique s'élève

                                                                    Les gens s'arrêtent et rêvent.

 

                                                                    J'ouvre le second volet et là

                                                                    Tout entier, je le vois

                                                                    Mozart prend sa place et vibre

                                                                    La création du Monde, revit

                                                                    La foule est subjuguée et prie!

 

                                                                    J'ai bien fait d'ouvrir ma fenêtre

                                                                    Un ange passe, une minute m'est offerte

                                                                    La poésie des gestes sans les mots

                                                                    Le concerto 21 s'efface et le mime au repos

                                                                    L'instant de détente et de joie, que c'est beau !

 

                                                                    Ouvrez la fenêtre, me dit-on

                                                                    C'est fait, la rue grouille de vies

                                                                    Un instant se sont arrêtés les cris

                                                                    Du repos, non un bruit étrange, un son

                                                                    Il suffit de peu pour changer l'esprit...

 

 

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Rédigé par Dominique

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Publié le 20 Mai 2019

DERRIÈRE LES PERSIENNES

Vu de ma fenêtre, les persiennes vertes, à peine entrouvertes

Et le jour naissant qui passe à travers.

Je sais la rue, en bas, le store de la boulangerie couine,

Je sais l’odeur des croissants chauds qui, peut-être, viendront jusqu’à moi…

 

Sans ouvrir la fenêtre, je sais déjà les gens ;

Il y a cette mère qui accompagne ses enfants,

L’école n’est pas loin, ça braille au bout de la rue,

Ça réveille le quartier, ces gosses et leur boucan..

 

Et puis, y a ces quidams, les pressés, les stressés, les énervés

Les piétons, les trottinettes, les voitures et leurs klaxons ;

Lucy sur son vélo, son sac en bandoulière,

Sans ouvrir la fenêtre, je sais déjà tout ça.

 

Sans ouvrir la fenêtre, je peux imaginer la rue

Comme un jardin aux fleurs de Paradis,

Les abeilles, les oiseaux, les papillons, les fruits,

Le parfum du jasmin par-dessus le diesel..

 

Sans ouvrir la fenêtre, mon rêve peut advenir,

Franchir les persiennes closes pour habiter ma vie, ma rue, ma chambre.

Derrière les volets, je mets ce qui me plaît, une autre réalité,

Celle qu’est dans ma tête, et ça, personne ne peut me l’enlever

Tant que je n’ouvre pas la fenêtre.

 

Sans ouvrir la fenêtre, je peux même voir la mer,

Le soleil sur les vagues, l’écume et les poissons,

Je peux voir les bateaux, leurs voiles blanches, au loin,

Et le port où le vent chante avec les marins.

 

Et puis, si j’ai envie, je peux voir la montagne.

Tiens, voilà un chamois, là-haut, sur le sommet.

Sans ouvrir la fenêtre, je peux tout décider,

Mais…

 

Le bruit de la rue, un gros camion qui passe,

Et Ludo qui gueule : ‘‘Hé, Manu, ! Tu descends ?’’

Pulvérisent le rêve…

Derrière les persiennes aux airs pourtant champêtres

Y a la ville qui bouge, y a la vie, y a les gens.

Alors j’ouvre la fenêtre pour crier :

‘‘Oui, Ludo, je descends !’’.

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Rédigé par Mado

Publié dans #Les fenêtres

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Publié le 18 Mai 2019

Edward Hopper

Edward Hopper

Le plaisir de la lecture entraîne le lecteur dans l’histoire. Focalisé sur les aventures des personnages, il se perd dans les péripéties.

Pour améliorer son écriture, un autre genre de lecture est souhaitable : lire comme un écrivain, en prenant du recul et en analysant comment le texte tient en haleine, provoque l’émotion... ou en relevant ses imperfections, exercice très profitable !

Cette lecture peut se faire sur un roman, bien sûr, mais aussi sur une nouvelle.

 

Voici les critères propres à la nouvelle qu’il convient d’évaluer :

 

L’ÉCRITURE

La qualité de l’écriture est essentielle.

L’auteur a-t-il évité les pièges courants comme les répétitions, redondances, clichés, abus d’adverbes, d’adjectifs, de conjonctions, lourdeurs, fautes d’orthographe ou de syntaxe, ponctuation inadéquate, etc... ?

L’écriture doit être fluide, simple, équilibrée, plaisante à lire.

Notez les phrases et les mots intéressants, les métaphores ou comparaisons originales qui peuvent déclencher des idées pour vos futurs textes.

 

LA CONSTRUCTION

Classique ou pas, elle doit être cohérente, avec un titre accrocheur, des personnages crédibles, un vocabulaire bien choisi. Les situations et le cadre (lieu et temps) sont parfaitement intégrés dans l’histoire.

Le texte doit présenter une harmonie, une unité.

Analysez les rebondissements, comment l’intrigue est amenée, quelles sont les techniques utilisées pour attirer le lecteur.

 

L’UNIVERS FICTIF

Évaluez l’idée : étonnante, originale, exploitée pour évoluer de manière cohérente, surprenante. Les personnages principaux sont-ils bien cernés ?

 

LE COUP DE CŒUR

C’est l'impression qui reste après la lecture. Un texte fluide, original, juste, crée une véritable émotion contrairement à un texte faible, trop mécanique et attendu, ou peu crédible.

***

Ci-dessous une grille d'évaluation en fonction des critères propres à la nouvelle.

Cliquer dessus pour l'agrandir.

LIRE POUR ÉCRIRE

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Pour la lecture d’un roman, voir le lien ci-dessous :

***

LES ATELIERS

 

Atelier n°1 :

Atelier n°2 :

Atelier n°3 :

Atelier n°4 :

Atelier n°5 :

Atelier n°6 :

***

LES TEXTES

Atelier n°2 :

Atelier n°3 :

Atelier n°4 :

Atelier n°5

Atelier n°6

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Rédigé par Atelier Ecriture

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Publié le 16 Mai 2019

ATELIER n°6

 

Evaluation de la nouvelle, analyse du temps du récit :

 

LA PAGE 47

Pierre-Émile Bisbal

LA PAGE 47

Maman prépare ma valise. Une valise en plastique vert avec une fermeture Éclair qui court sur trois côtés. En rangeant les vêtements, elle essaye d’avoir un air détaché comme si ce qui se prépare ne présente pas d’importance particulière. Mon père se tient à ses côtés. Lui aussi affiche une attitude trop détendue pour être naturelle. Maman me dit :
  « Pierre-Émile, écoute, c’est important. Dans cette enveloppe, j’ai mis de l’argent. Je la cache dans ton pull bleu. Quand tu arriveras à Port-Vendres, si pépé et mémé ne sont pas à la descente du bateau, demande à la dame qui t’accompagne de te mettre dans un taxi pour Amélie-les-Bains. Les sous, c’est pour le taxi. »
  Sur une jolie enveloppe prévue pour une carte de fête est écrit : M. et Mme Bisbal Pierre, chez Mme Ferrer, Avenue du Général de Gaulle (Face au garage Cedo) – Amélie-les-Bains (P.O).
  Je reconnais la calligraphie appliquée de mon père. Maman va fermer la valise. Je crie :
  « Faut mettre le livre que je suis en train de lire ! »
  Je quitte la chambre de mes parents, cavale dans le couloir et rentre dans mon salon de lecture, c’est-à-dire la chambre de ma grand-mère Ascension. Elle est assise sur son lit. Elle pleure en silence. Mon livre est à côté d’elle. Je fais semblant de ne pas remarquer ses larmes pour ne pas en faire couler davantage. Je sais bien ce qui se passe. Je pars seul car mes parents veulent me soustraire au danger qui enveloppe nos vies. Bab-El-oued vient de subir un bouclage de plusieurs jours, une guerre en miniature. Mon père, comme tous les hommes du quartier, a dû suivre les militaires venus le chercher à la maison.
  « Ce ne sera pas long, a dit un soldat à maman. Juste le temps d’une vérification d’identité. »
  Pendant plusieurs jours, nous avons été sans nouvelles de papa. Après son départ, l’angoisse a englué notre petit appartement de l’avenue de la Bouzaréah. Et puis mon père est revenu. Il m’a simplement demandé si j’avais été sage avec maman et mémé, comme pour vérifier si j’étais capable de tenir mon rôle quand les choses prennent une vilaine tournure.
  Je retourne à la valise, le livre au bout de mon bras tendu. J’ai fait une petite corne à la page que je lisais.
  « Mais c’est un livre de la bibliothèque ! », remarque maman.
  Je réponds que oui, mais que ce n’est pas grave. La bibliothèque de la rue Leroux est fermée. Je rapporterai le livre quand je reviendrai. Je dis la chose crânement. Je soutiens le regard de ma mère. Moi aussi, je joue le jeu. Le jeu de celui qui croit partir en vacances et qui ne se doute de rien. C’est également mon devoir de les rassurer tous. La valise verte avale le livre.
 
  Je suis parti. Ce voyage, beaucoup l’ont fait. Au troisième pont, allongé sur un transat à la toile maculée, éclairé par une lumière électrique indigente, abruti par le bruit constant des machines, respirant les remugles aigres de vomis, les relents de mazout, les odeurs écœurantes des voyageurs entassés. Mes grands-parents m’attendaient au débarcadère. Dommage, je n’ai pas eu besoin de sortir l’argent de sa cachette pour vivre l’aventure du taxi à prendre seul.
  Sitôt arrivé et ma valise défaite, j’ai replongé dans mon livre. Sa lecture s’est achevée à Amélie-les-Bains, paisible village de curistes dans les Pyrénées-Orientales. Petite cité catalane sans attentat, sans déflagration de bombe, sans sirène stridente, sans décompte macabre de victimes, sans inquiétude au moindre retard d’un membre de la famille, sans mort sur le trottoir avec, comme je l’ai vu, un suaire improvisé constitué d’un exemplaire de L’Écho d’Alger dont les pages imbibées de sang se plaquaient sur le corps. Dissimulé à la vue des passants, le cadavre n’existait plus. Un homme pressé ne contourna pas la victime et l’enjamba d’une large foulée blasphématoire.
  Les années se sont accrochées les unes aux autres et ont fait défiler le temps, mais je possède toujours ce livre emporté d’Algérie. Ce n’est pas un larcin que de l’avoir conservé, à qui aurais-je pu le rendre ? Au cours de mes nombreux déménagements, il m’est arrivé de croire à sa perte mais, à chaque fois, le petit bouquin à la couverture jaune est réapparu. Il est devenu plus qu’un livre, c’est un témoin. Sur une des premières pages, deux cachets à l’encre violette déclinent son identité. Un petit tampon carré dit : Ville d’Alger Bibliothèque rue Pierre Leroux. Un autre, plus grand, plus officiel, se compose de deux ovales concentriques. Dans le premier ovale, il est inscrit : Ville d’Alger Bibliothèque Municipale. Dans le second, au centre, le mot Inventaire avec un nombre marqué à la main : 128 685.
  Ces tatouages administratifs appartiennent à une réalité aujourd’hui disparue. Il me serait possible de retourner sur ma terre natale. Certains l’ont fait. Arpentant les rues de leur quartier, vibrant sous l’assaut des souvenirs, submergés de bonheur et de joie. Je ne pense pas pouvoir vivre la même expérience qu’eux. Les causes et les conséquences de mon départ me l’interdisent. Elles s’intercaleraient forcément entre moi et ces retrouvailles. Elles projetteraient une ombre épaisse et froide qui voilerait le bonheur engendré par ce pèlerinage sur les lieux de mon enfance. Je ne souhaite pas vivre cette épreuve. Mes souvenirs me suffisent. Et puis, nul ne peut s’en retourner quand le chemin n’existe plus. C’est ce que me rappelle mon livre avec, comme une frontière infranchissable entre l’époque de « là-bas » et ma vie « ici », sa petite corne à la page 47.

LA PAGE 47 Pierre-Émile Bisbal

Écriture :

La page 47, ou 48, ou 50, ou celle que vous voulez, s'est échappée de son livre. Alors, pour poursuivre votre lecture, vous la réécrivez. Vous pouvez choisir un roman réel et donc, rédiger votre page en vous immisçant dans le récit, ou bien partir d'un roman fictif et utiliser analepse, ellipse, sommaire, etc... pour donner quelques indications sur l'histoire.

LES TEXTES :

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Rédigé par Atelier Ecriture

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