RENCONTRE INATTENDUE

Publié le 15 Octobre 2019

Je reste planté là. Sur cette étagère d’un brocanteur du vieux port une résurgence de ma jeunesse a accroché mon regard. Mon intérêt pour cette « chose » n’a pas échappé au vendeur.

-Il vous intéresse ? Un authentique Hollywood-Richardson 1930. Il vient des studios de la Victorine, vous savez !

Ça, je le savais ! C’était le compagnon fétiche de mon père Ernest Dubois, maître incontesté de ces sources intenses qui décident de tout !

 

L’art du cinéma, me disait mon père, est de rendre plus vrai que nature la scène que vivent les acteurs. Accompagner avec tendresse les mélos, laisser crier en pleine lumière les scènes d’action.

-Tiens, je vais te dire ! Tu te rappelles Jeanne Moreau et ses rides ?

Moi, je voyais très bien où il voulait en venir. Une photo de cette scène traîne encore dans sa collection de clichés mémorables qui résume une vie à elle seule.

Jeanne Moreau était apparue lors de cette séquence dans un clair-obscur qui la transformait en une jeune fille à la peau immaculée. Elle en avait embrassée mon père.

-Vous êtes un magicien, lui avait-elle dit.

Hollywood-Richardson n’était pas peu fier ! Voilà que tout me revenait, sans émotion, comme on sourit à un souvenir qui passe brusquement.

 

L’authentique « chose » semblait m’avoir reconnu. Il me fixait avec insistance. Peut-être encore présentes, mes empreintes sur ces formes rondes ?

Mon père me demandait souvent de l’assister dans ses réglages.

-Moins violent ! Couvre-le avec le « scène-ombré » là, à côté de toi !

Lui, sortait sa cellule Paillard et vérifiait.

-Parfait, tu as pigé !

L’environnement semblait obéir, la magie opérait. Le souci du détail juste nous conduisait à ce point crucial où l’on perdait le sens de la fiction. Je me sentais dans l’action.

-Ça fait vrai !

-Mais enfin fiston, si ça n’est pas vrai, personne n’y croira !

Est-ce qu’il savait, à cet instant, que trois ans plus tard Hollywood-Richardson allait figer la photo souvenir de mon mariage ?

 

-Vous m’écoutez ? reprenait le vendeur, une véritable pièce de collection !

-Oui, oui je m’en suis rendu compte.

-Ah, monsieur est un connaisseur !

En fait, je me demandais comment cet accessoire indispensable à une mise en scène réussie avait pu atterrir ici chez ce brocanteur ?

 

Je rêvais à ce passé si loin. A cette manière que mon père avait de me communiquer sa passion, sa façon à lui de respirer, de faire corps avec le scénario.

 

Un vieux monsieur me fixait depuis un instant.

-Je vous ai reconnu, vous êtes Bertrand Dubois ! Toujours dans les pattes d’Ernest ! Je me trompe ?

L’espace d’un éclair, je revis ce visage plus jeune, juché sur une échelle, attentif aux instructions de mon père qui pestait :

-Bon sang Antoine, plus de flou, plus de flou !

 

-Vous savez quoi ? Cet engin c’est moi qui l’ai déposé ici ! Puis s’adressant au brocanteur :

-Il n’est plus à vendre monsieur. Il a trouvé preneur et pas n’importe lequel ! Je vous l’offre Bertrand !

Je m’éloignais avec Antoine, mon paquet sous le bras.

 

Le soleil s’était couché depuis longtemps. Nous nous étions attablés à un café de la place Garibaldi. Les verres se succédaient. Antoine parlait, parlait…

-Ton père disait toujours : on ne traite pas un drame comme on aborde une comédie. Coller au plus près quoi !

Les traces laissées par cet engin reprenaient vie.

Les scènes de « Mélodie en sous-sol » défilaient dans les souvenirs de l’assistant de mon père.

-Gabin le roc, Delon le petit voyou prêt à tout, prévoir un crépuscule dramatique. La scène finale avec des centaines de billets qui remontent à la surface de la piscine du Palm-Beach, se coller à la bienveillance d’une comédie aidé par la musique bien sûr.

Je regarde ce projecteur à côté de moi et je pense à ces tours de force qu’on lui avait demandé. J’écoute Antoine qui raconte, raconte…

Plus tard, j’essayerai de mettre en lumière tout cela avec des mots…

Rédigé par Gérald

Publié dans #Cinéma

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