CATHERINE, NON !
Publié le 22 Octobre 2019
Je suis retournée à la cinémathèque voir ce film que je connais presque par cœur. Pourquoi ? Parce qu’il possède cette qualité si rare au cinéma : la grâce. Le film est presque terminé. Catherine a louvoyé de Jules à Jim, de Jim à Jules. Elle a eu d’autres amants. Elle a eu une petite fille avec Jules. Tout est triste et gai à la fois et je sais comment ça va se terminer. Mais non ! Ça ne va pas se passer comme ça, ce n’est pas possible ! Je ne le supporterai pas une fois de plus !
Je surgis de mon fauteuil, faisant fi des remarques agacées et autres grommellements des spectateurs. J’avance, bras tendus devant moi comme un somnambule. L’écran s’ouvre avec une facilité déconcertante. Je suis avec eux, tous les trois, ce trio improbable, invivable et si joyeux. Ils ne semblent même par surpris, on dirait que je fais partie de la scène.
Ça y est, Catherine monte dans la voiture, elle va inviter Jim à la rejoindre. Je hurle nooooooooon ! Je crie à Catherine « Tu ne peux pas faire ça ! Tu as deux hommes merveilleux qui t’aiment « quoi que tu fasses, quoi qu’il arrive », ils t’ont entraînée dans le tourbillon de la vie, vous êtes jeunes, vous êtes beaux, ta fille est encore petite. Ne fais pas ça, je t’en prie ! La vie est belle, tu n’as pas le droit ! »
Catherine me dévisage curieusement, on dirait qu’elle sort d’un rêve, ou peut-être d’un cauchemar. Elle lâche le volant, tourne la tête lentement vers les deux hommes, son regard va de Jules à Jim, de Jim à Jules. Elle serre le frein à main. Soudain, elle part dans un grand éclat de rire comme elle seule en a le secret. « Mais c’était pas pour de vrai, qu’est-ce que tu t’es imaginé ? Je jouais ! La vie est un jeu, tu ne le sais pas ? ». C’est bien une pirouette de Catherine, comme elle en a fait tant de fois !
Je ne sais pas si je dois la croire, mais j’ai réussi à éviter le pire : qu’elle monte avec Jim, qu’elle roule jusqu’au bout de ce pont en ruine et qu’ils disparaissent ensemble au fond de la rivière.
Catherine a rejoint ses compagnons. Je m’éloigne à reculons des trois comparses. L’écran s’ouvre à nouveau, je me retourne et regagne ma place. Un murmure parcourt la salle. Que vont dire les spectateurs ? Vont-ils m’embrasser ? Me lyncher ? Ai-je trahi l’œuvre de Truffaut ? Réalisé leur plus secret désir ? Je ne suis pas tranquille. Mais j’ai fait ce que j’avais à faire, j’ai ma conscience pour moi.