Publié le 5 Mars 2020

Depuis l’année dernière, rien de spécial n’est arrivé à mes personnages, Jérôme, sa femme Lucie et leurs deux garçons. Les affaires de Jérôme marchent plutôt bien. Il s’est fait une place parmi les carreleurs appréciés pour leur sérieux, la qualité de leur travail et leur créativité. Sur la Côte d’Azur, les propriétaires de logements luxueux ne manquent pas. Ils savent apprécier du bon travail et sont prêts à y mettre le prix. Ainsi, Jérôme a pu faire un beau voyage en Grèce avec sa famille. Après une première partie culturelle passionnante, un hôtel au bord de mer à Mykonos leur procurait une détente bienvenue.

Ayant l’esprit et les yeux pleins de temples, de ruines et de statues, Jérôme regrette de ne pas pouvoir en contempler une tous les jours. Alors, lors de la dernière assemblée générale des copropriétaires, il proposa qu’on décore le vaste hall d’entrée d’une statue. Son idée trouva un accueil enthousiaste auprès les autres copropriétaires. C’était comme si tout le monde souffrait inconsciemment d’un manque enfin révélé. Il fut convenu que le syndic se renseigne et envoie des propositions d’œuvres aux copropriétaires.


 

Jérôme X

2ème étage
 

Nice, le 2 mars 2020

 

Monsieur Y

Syndic de copropriété


 

Monsieur,

Merci pour l’envoi de ces cinq propositions d’œuvres. Nous les avons étudiées attentivement, mon épouse Lucie et moi, et en avons discuté. Le choix paraissait difficile mais nous sommes finalement tombés d’accord pour Mr. Diana de l’artiste turc Genco Gülan.

Ce n’est pas seulement parce que cette statue nous rappelle nos vacances en Grèce et l’antiquité avec ses formes et proportions parfaites, ses matériaux nobles et sa beauté intemporelle. Elle nous séduit aussi par sa modernité. Comme le dit mon épouse, la problématique du genre s’y trouve exprimée avec une grande justesse. La distinction classique entre hommes et femmes s’estompe. Des à priori, des préjugés, des rôles figés depuis des millénaires peuvent tomber, s’effacer, pour laisser place à des êtres libérés de nombreuses contraintes imposées par la vie en société. La tête d’un homme d’un classicisme parfait s’oppose au corps de Diane qui porte une belle robe dont les plis sont reproduits dans la pure tradition de l’antiquité. Une main lui manque, son bras s’appuie sur un pilier. Si cette main manquante paraît être une copie caricaturale des œuvres antiques, la main intacte surprend. Elle est d’une longueur surdimensionnée, comme si l’artiste avait voulu mettre la matière de la main manquante dans la main existante. Qu’est-ce que l’artiste a voulu exprimer ainsi ? Avec mon épouse, nous en avons discuté des heures et des heures sans trouver la réponse. Si cette statue était installée dans notre hall, les autres résidents tout comme des visiteurs y trouveraient matière à réfléchir et à discuter. De plus, cette statue en marbre, avec ses lignes pures, irait très bien dans notre hall d’entrée. On ne se lasse jamais de regarder une œuvre classique, contrairement aux œuvres modernes qui ne plaisent qu’un temps.

J’espère que vous allez tenir compte de notre choix et des considérations exposées dans ce courrier. Nous vous remercions encore de vous occuper si consciencieusement de l’aménagement de notre hall d’entrée.

Veuilles croire, Monsieur le syndic, à l’expression de ma considération distinguée.


 

Jérôme X

 

Mr Diana - Genco Gülan

Mr Diana - Genco Gülan

Le syndic n’est pas d’accord pour une œuvre aussi chère et propose trois statuettes de fabrication industrielle au choix.et le rédaction d'une nouvelle inspirée par l'une d'elles en vue d'un concours..

JÉRÔME EN 2020

 

Changement d’ère

 

Une colombe est emprisonnée dans les mains de ce colombien de l’ère précolombien. Comment est-elle y arrivé ? Que s’est-il passé ?

Nous sommes en l’an 1539, d’après le calendrier julien, mais notre ami précolombien, appelons le Tiki, ne le connaît pas. Dans sa ville, on n’additionne pas les années qui passent. On les délimite pourtant. Tous les ans, au moment où un alignement de colonnes en pierre, érigé sur la place centrale de la ville, jette l’ombre la plus courte, le chamane grave un tiret de plus sur un grand rocher. Les tirets sont regroupés par dix, puisque chaque homme a dix doigts. Pour Tiki, ce comptage n’avait pas vraiment de sens. A quoi peut-il servir ? Il est beaucoup plus important de savoir quand on peut semer le quinoa, le manioc, le maïs et les pommes de terre. Si on le fait trop tôt, des gelées tardives risquent de détruire les petites plantes à peine sorties de la terre. Si on le fait trop tard, l’hiver arrive avant que la récolte ait eu le temps de mûrir.

Le chamane lui avait expliqué que grâce à ces colonnes, grâce aux observations qu’elles lui permettent, il sait quand il faut semer. Il a ajouté que parfois, il se trompait, mais que, dans l’ensemble, on pouvait se fier à ses observations. Depuis, Tiki consulte le chamane avant de passer aux semailles, et plus souvent qu’avant sa récolte lui permet de nourrir sa famille.

Avant de serrer la colombe dans ses bras, Tiki venait justement de labourer un champ en vue de la plantation du manioc. Fatigué, songeant au travail du lendemain, il avait emprunté le chemin vers la ville, chemin qui traverse une forêt dense. Tout d’un coup, il entendit des voix joyeuses, des hommes qui parlaient fort. Il entendit bien leurs voix mais ne comprenait rien de ce qu’ils disaient. Il avait déjà rencontre des hommes qu’il ne comprenait pas. Le cacique, chef de la ville, lui avait alors expliqué qu’ils venaient d’une autre vallée, d’une autre chefferie. Il pensa d’abord que les hommes de l’autre vallée étaient revenus. Mais en les voyant, il avait des doutes. Ces hommes étaient habillé d’une drôle de façon, avec des étoffes très fins, ajoutés les uns aux autres. Tiki n’avait jamais vu personne habillé comme eux. Tiki était sur le point de s’approcher d’eux pour les amener chez le cacique. Mais avant qu’il puisse sortir de la forêt, il entendait un bruit de tonnerre. Il n’y avait pourtant pas d’orage. Il observa les hommes. Ils avaient des grands bâtons qu’ils tenaient en l’air, les approchant de leurs yeux. Encore le tonnerre. Au même moment, les bouts des bâtons pointés vers le ciel crachaient du feu. Quelques oiseaux tombaient par terre, morts. Contents, les hommes les ramassaient, rigolaient, se montrant leurs proies les uns aux autres. Tiki commença à comprendre que c’était le tonnerre des bâtons qui donnait la mort. Il se cacha encore plus dans la végétation heureusement dense. Finalement, les hommes se lassèrent et partirent avec les oiseaux morts. Tiki sorti du bois. Une colombe roucoula. Il se pencha vers elle. Elle avait une aile brisée. Tiki la prit dans ses bras pour la ramener chez le chamane.

 

Disparition

 

Ça y est, c’est fait ! Ce matin à cinq heures, avec mon apprenti, nous avons enlevé cette horreur du hall de l’immeuble. Nous l’avons chargée sur mon pick-up et déposée dans une maison de vente aux enchères. Autant en tirer quelques sous. Mais ne vous méprenez pas sur mes intentions. Ce n’est pas pour l’argent que j’ai enlevé cette statue, d’autant moins que j’ai quand même refilé cinquante euros à mon apprenti, d’une part pour ces heures sup un peu spéciales, évidemment pas prévues dans son contrat d’apprentissage, ni dans la convention collective des carreleurs, d’autre part pour qu’il tienne bien sa langue. Ce n’était pas facile d’enlever cette statue, je l’aurais cru moins lourde. Mais bon, nous y sommes arrivés. J’ai bien choisi mon apprenti, il est jeune, ce qui est normal pour un apprenti, mais il est aussi assez costaud, fait du sport, ne fume pas, ne se drogue pas et ne semble boire qu’une bière de temps en temps. Il semble aussi avoir un certain goût pour l’aventure. Tant mieux. J’avais choisi une heure à laquelle tout le monde dort, et qui se situe quand même en dehors du couvre-feu imposé par le maire. Il ne manquait plus que la police nous arrête avec une statue volée, même si j’en ai payé une partie.

Vous me demandez en quoi cette statue m’a gêné ? Vous pensez que je n’avais qu’à regarder ailleurs en passant devant ? Ça, c’est bien ce que j’avais fait, tout en regrettant chaque fois que mon petit colombien, avec sa colombe dans ses bras, n’ait pas été choisi. Je ne m’étais pas fait d’illusion sur le résultat du concours d’écriture. Un carreleur ne risque guère de le gagner. Mais j’espérais qu’un voisin ou une voisine avec une plume plus alerte aurait pu aimer cette statue qui m’avait tant touché. A ranger dans le tiroir des espoirs perdus !

Non, si j’ai fait disparaître cette statue, c’est parce que je ne pouvais plus voir les yeux rougis de mon épouse. Le chat statufié la faisait penser à notre petit Poutou, mort il y a un an après avoir beaucoup souffert. Le vétérinaire avait diagnostiqué une insuffisance rénale, il avait dit qu’il n’y avait plus rien à faire. C’est moi qui lui aie tenu la pâate, qui lui ait parlé doucement pendant que le vétérinaire lui faisait deux piqûres, une pour le calmer et une pour lui donner le coup de grâce. Je me sentais traître, d’abord en l’amenant chez le vétérinaire et ensuite en lui promettant des crevettes, un homard et une langouste s’il se laissait faire. Peut-être existe-t-il un ciel de chats où les promesses fallacieuses de leurs traîtres de maîtres sont tenues, où ils peuvent profiter de tout ça.

Mon épouse, donc, tous les soirs en rentrant du travail, je voyais ses yeux rouges. Elle me parlait d’une allergie, mais je n’étais pas dupe, d’autant moins que parfois ses sanglots me réveillaient pendant la nuit, et lorsqu’elle dormait, elle murmurait souvent « Poutou, Poutou, je suis si désolée. Pardonne-moi ».

Après avoir déposé la statue à la maison de vente, je suis allé directement au travail. J’aurais bien pris un petit déjeuner costaud dans un bistrot, mais tout est fermé. J’ai travaillé toute la journée. En rentrant à la maison, il y avait l’effervescence dans le hall. La statue avait disparue, tous les habitants étaient surexcités. En apprenant la nouvelle, j’ai ouvert grand mes yeux, incrédule, j’ai dit « mais qui a pu faire ça ? ». Personne ne savait rien. Stéphane, qui se prend pour un intellectuel, a dit « Le moins que l'on puisse demander à une sculpture, c'est qu'elle ne bouge pas » et il a ajouté que ça, c’est de Dali. Il a même précisé que Dali avait vécu de 1904 à 1989, alors que ça n’intéresse personne et que ça ne nous permet pas de retrouver la statue, ou sculpture, comme on veut. Je le lui ai dit tout cru en pensant tant mieux.

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Les aventures de Jérôme en 2019 sont ici :

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Rédigé par Iliola

Publié dans #Ecriture collective

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Publié le 4 Mars 2020

Aujourd’hui 2 mars 2020, je peux dire qu’il fait bon vivre dans mon immeuble. Depuis l’expérience du tableau en 2019 ma vie s’est transformée. Moi le petit artiste peintre, je suis aujourd’hui devenu le directeur de l’école du Louvre et pour certain une référence en matière d’art. L’immeuble aussi a changé ; depuis, chaque trimestre, les locataires se réunissent pour aborder différents sujets de la vie de notre résidence. Ce mois-ci, l’ordre du jour était d’acquérir une sculpture pour décorer notre hall d’entrée. Il va s’en dire que nous ne sommes pas tous d’accord sur le choix. Aussi la décision fut prise que chacun d’entre nous écrive au syndic pour qu’il puisse faire l’arbitrage.

 

Monsieur,

 

Comme vous le savez, depuis 2019 suite à la mise en place d’un tableau dans notre entrée, pose qui avait soulevé différents problèmes, les habitants ont formé un comité qui se réunit une fois par trimestre. Lors de la dernière réunion du comité, des habitants de l’immeuble ont décidé d’entrevoir la possibilité d’acquérir une œuvre d’art (sculpture) pour décorer le hall d’entrée de notre immeuble.

La mise en place d’une sculpture permettrait d’occuper la partie laissée pour compte auprès des boites aux lettres. Zone qui aujourd’hui sert souvent de poubelle aux publicités qui envahissent nos boites malgré le travail irréprochable de notre concierge.

En tant qu’artiste peintre et Directeur de l’école du Louvre, je me permets de vous demander d’orienter votre choix vers une sculpture classique qui serait en adéquation avec le style de notre immeuble.

Ne prenez pas exemple sur la Ville de Nice, qui nous oblige à voir le chien Totor à la place du commandant Jérôme ou les pseudos Bouddhas de la place Masséna comme des œuvres d’art.

 

Je viens par cette lettre non pas vous imposer mais plutôt de vous supplier de regarder l’œuvre de cet artiste contemporain GENCO GÜLAND ( photo jointe), intitulée Mr Diana, cette homme femme, symbole de notre société, semble attendre votre décision qui, j’en suis sûr, sera la bonne.

 

Veuillez agréer monsieur le syndic mes sincères salutations.

 

Stéphane

Mr Diana - Genco Gülan

Mr Diana - Genco Gülan

Le syndic n’est pas d’accord pour une œuvre aussi chère et propose trois statuettes de fabrication industrielle au choix.et le rédaction d'une nouvelle inspirée par l'une d'elles en vue d'un concours..

STÉPHANE EN 2020

Ah non ! Pas le Chat monsieur le syndic, comme je vous l’avais dit dans ma lettre, la ville de Nice nous a imposé Totor le chien place du commandant Jérôme. Vous imaginez que je ne peux cautionner cette sculpture. Sans flagornerie de ma part je vous rappelle que je suis directeur de l’école du Louvre. Mon choix ne peut que s’orienter vers un style classique ou ancien et lorsque je regarde vos propositions, la sculpture de l’homme de type négroïde tenant dans sa main une écuelle fait disparaître le hall d’entrée de notre immeuble. Je me retrouve dans ce petit village du Burkina Faso assis sous l’arbre des palabres ou le soir tombant, j’écoutais le Griot nous raconter les histoires, celles que l’on n’écrit pas, mais qui se transmettent par la parole. J’entends le chant des femmes

« Malaika nakupenda malaika manini fagnégué » amour du passé, l’amour tout simplement. Cet homme derrière ses yeux fermés regarde le monde, notre monde, notre quartier où se mélangent des personnes venues des différents continents. Accroupi auprès de nos boites aux lettres, il sera un symbole et un jour il se lèvera et il élèvera l’amitié des habitants de notre immeuble. « Malaika nakupenda malaika manini fagnégué. »

 

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Rédigé par Bernard

Publié dans #Ecriture collective

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Publié le 3 Mars 2020

2 mars 2020

 

Depuis l’année dernière, Marc a changé. Sa rencontre avec l’art l’a transformé. Il a progressivement délaissé le foot pour courir les musées, il prend des cours d’histoire de l’art, s’intéresse aux peintres, aux sculpteurs, aussi, quand l’idée d’installer une statue dans l’immeuble s’est propagée parmi les locataires, il a été enthousiasmé.

 

Il y a un artiste qu’il a découvert récemment et qu’il aime beaucoup, c’est Genco Gülan et une œuvre qu’il adore, Mr Diana. Avoir Mr Diana dans le hall… ou une copie si c’est possible… ce serait le top ! Il y songe depuis quelques temps… Pourquoi ne pas le demander au syndic ?

Marc s’installe à la table de sa cuisine avec un café bien chaud et du papier à lettre.

 

 

 

Nice le 2 mars 2020

 

Monsieur le Syndic,

 

Je viens vers vous pour vous parler d’un hall d’immeuble en manque d’art, Le Bon Voyage.

L’année dernière, ce hall a eu le plaisir d’héberger pendant quelques temps un tableau qui l’a sublimé, mais aujourd’hui, il est nu et cherche une œuvre d’art pour l’habiller. Son choix, comme le mien, s’est porté sur une statue de l’artiste turc contemporain Genco Gülan, Mr Diana.

 

C’est une œuvre originale représentant une statue grecque à la fois homme et femme. Un corps de femme drapé dans une tunique d’inspiration grecque mais avec une pose virile et une tête d’homme barbu à la chevelure joliment coiffée. Une statue antique actuelle, pulvérisant les clivages, le sexisme, le genre, le temps, pour présenter un être humain, jute un être humain. Une statue tranquille qui interpelle, explose les codes de la soi-disant normalité pour libérer le point de rencontre où fondent les différences.

 

C’est pourquoi je me fais le porte-parole de notre hall désemparé pour solliciter de votre bienveillance l’acquisition de cette œuvre – ou d’une copie – pour Le Bon Voyage.

Ce serait une belle et bonne œuvre de vivre ensemble… 

 

Bien cordialement

 

Marc

 

PS : je joins à ce courrier un texte à son sujet et une photo de Mr Diana.

 

Mr Diana - Genco Gülan

Mr Diana - Genco Gülan

 

9 mars 2020

 

Le syndic a refusé. Marc a reçu la réponse ce matin. Mais une drôle d’aventure est proposée : trois statuettes dont l’une doit inspirer un texte pour un concours de nouvelles. Le lauréat déterminera le choix définitif pour la décoration du hall.

Marc secoue la tête.. Ça ne vaut pas Mr. Diana, mais bon… va pour la statuette..

Il y a un chat fleuri, une statuette qui semble provenir d’Amérique du sud, une autre, africaine. C’est celle-ci que Marc préfère.

MARC EN 2020

Il s’installe à nouveau à la table de la cuisine avec un café, son ordi et commence son texte :

La statuette enchantée

 

Je suis de ce pays depuis si longtemps…

J’ai traversé les déserts et les vents de sable, habité les tentes nomades, protégé les hommes et les troupeaux.

Je suis né en Afrique, pétri de la terre rouge cuite par le soleil. J’ai voyagé parmi les objets usuels d’une tribu. Quand la caravane s’arrêtait pour bivouaquer, je trônais au centre de la tente, comme un talisman.

 

Un jour, un homme a quitté la tribu, il m’a emmené avec lui. Il est parti seul, il m’a choisi comme compagnon, confident, porte-bonheur peut-être.. C’est ainsi que je l’ai ressenti quand, dans le soir serti d’étoiles, il murmurait quelques chants tristes. J’aurais voulu lui dire que je l’entendais, que je le comprenais, mais que peut faire une statuette muette sinon écouter ?

Peu à peu, j’ai connu son histoire. L’homme est seul au monde, rejeté par les siens pour je ne sais quelle raison – ça, il ne me l’a jamais dit. Depuis il va par les routes, les dunes, les déserts avec deux chameaux et quelques chèvres. Son souhait le plus vif, est de trouver l’amour, une caractéristique spécifique de la race humaine, me semble-t-il.

 

Moi, j’en ai de l’amour. Plein mon être de pierre. Et je veux tellement l’aider que j’implore le vent, le désert, les étoiles de me donner vie, ou plutôt, de me donner la mobilité. Muette et immobile, je suis incompatible avec le plan que j’ai élaboré. Un dieu m’a entendue ; tout doucement, je réussis à me déplacer. Imperceptiblement. Et un clair matin tout doré de soleil, à l’orée d’un village, je me débrouille pour me laisser tomber aux pieds de la plus jolie des jeunes filles. Elle m’a recueilli, m’a rapportée à mon propriétaire.

Quand elle m’a tendue vers lui, leurs mains se sont touchées et j’ai bien senti le courant me traverser. Un couple est né ce jour-là. Une famille a suivi peu après et moi, depuis, je trône à nouveau dans le foyer, idolâtré comme un dieu protecteur, immobile et silencieux, mais toujours à l’écoute des hommes.

 

 

Marc relit son texte. Pas facile cet exercice ! Mais amusant. Peut-être que le côté magique et porte-bonheur de sa statuette séduira le jury… ?  En tout cas, il aura essayé.

16 mars 2020

 

Le résultat de concours est arrivé dans les boîtes aux lettres il y a trois jours. Marc n’est pas encore remis de sa stupéfaction. Bon sang ! Il n’aurait jamais parié sur elle ! Eve… l’esthéticienne évaporée du deuxième… cucul-la-praline comme pas deux cette fille… A choisi le chat, m’étonne pas d’elle…

Depuis, le matou fleuri trône dans le hall, moche comme tout ! Avis partagé par pas mal de voisins d’après Lucien le concierge. Enfin, faudra faire avec… Marc pousse la porte du hall, pile net. Le chat fleuri a disparu. Lucien est là qui se gratte la tête, l’air perplexe..

L’histoire se répète, dit-il à Marc, la statuette s’est envolée comme le tableau de l’an passé.

Ce n’est pas une grande perte, répond Marc, mais tout de même, le moins que l’on puisse demander à une sculpture, c’est qu’elle ne bouge pas 

Encore que… avec toutes ces histoires… comme ce chat plus ou moins auvergnat, ce cha pousse et cha fleuri raconté par Lucile, la nouvelle du troisième, ou le gourmand Grobis, le chat à fleurs, sans compter tous les matous énumérés par Judith, l’artiste du second… tout est possible..

Peut-être le pouvoir de l’écriture lui a donné la vie et il est parti la vivre.. et traquer la tourterelle Ramina.. Magie, magie…

 

Marc se souvient.. L’année dernière, il avait aperçu l’autre côté des choses, la vérité du tableau. La vérité… matérialisée par la bille d’un stylo au bout duquel sourit une fée… non, pas une fée, juste l’animatrice d’atelier d’écriture qui l’a créé en personnage de papier. Il n’a pas oublié le vertige et ne veut surtout pas revivre cette angoissante plongée dans le monde parallèle. Son intuition lui dit que c’est encore un sale coup de sa génitrice, mais sa raison refuse.

Non, l’explication est ailleurs. Dans le récit d’Eve sûrement. Son chat-pochoir et le chat fleuri ne font qu’un. L’animal statue, animal-totem peut-être, est retourné à sa maîtresse pour la révéler. Eve, sous son vernis et maquillage, cache un être lumineux, une magicienne du quotidien capable de transformer le monde en poésie.

C’est comme ça que vont les choses dans cet immeuble. D’ailleurs, à y regarder de plus près, c’est le cas de tous ses voisins. Tous magiques ! Féerie dans laquelle il aime se perdre, se fondre jusqu’à disparaître.. comme un chat furtif...

 

Marc sourit, m’adresse un clin d’œil complice. Il n’est pas dupe mais cette fois, c’est lui qui se joue de moi… avant de repartir dans le limon des mythes et des fables... ²

 

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¹  « Le moins que l'on puisse demander à une sculpture, c'est qu'elle ne bouge pas. » Salvador Dali

 

² « Tous les personnages sont des dormeurs clandestins nourris de nos rêves et de nos pensées, eux-mêmes pétris dans le limon des mythes et des fables... » Sylvie Germain

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Les aventures de Marc en 2019 sont ici :

 

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Rédigé par Mado

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Publié le 2 Mars 2020

Atelier 1 : DESCRIPTION - ÉCRITURE ÉPISTOLAIRE

Reprenez vos personnages, ou créez-en un nouveau. Racontez brièvement ce qu’ils sont devenus depuis l’an passé ou, pour les nouveaux, leur arrivée dans l'immeuble et amenez le texte vers le désir de décorer l’entrée de l'immeuble par une statue.

Laissez-les choisir une des statues présentées et rédiger une lettre au syndic pour demander l’acquisition d’une œuvre de l’artiste choisi. Expliquer votre choix, faites une petite description de la sculpture que vous avez choisie.

UNE STATUE DANS L’IMMEUBLE : atelier 1

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Rédigé par Atelier Ecriture

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