RELÂCHE

Publié le 10 Décembre 2019

Je me réveille avec envie de cinéma. Je n'y vais presque jamais, cette aubaine me satisfait. Je compulse la liste des films et un titre attire mon attention. Au Pathé cinéma sur l'avenue Jean Médecin, séance à 20h 30. J'ai un pot avec des amis à 19h, après, la soirée m'appartient. J'arrive devant la salle dix minutes avant le début du film, toutes les portes sont closes. Pourtant sur le fronton du cinéma, le titre du film est écrit en grosses lettres : RELACHE.… Relâche, bien sûr! Les vapeurs de la bière m'enfument, comment ai-je pu croire ! Le banc qui fait face au cinéma se libère, je m'assoie le temps de retrouver ma lucidité, j'étends mes jambes, je suis bien, une douce euphorie m'enveloppe. Je me trouve dans un no man's land entre souvenirs et rêves. Combien de films ai-je vu dans cette salle… Quelques titres me reviennent en vrac, sans ordre chronologique : La bataille du rail, Meurtre, Le virage de Fernandel, son premier rôle tragique après des années de comique troupier. Avant cela, me revient une réplique un peu fade sortie de son complexe : tant plus il pleut bézef, tant moins il pleut longtemps. Jules et Jim, Le pont de la rivière ‘‘kawa’’, les valseuses, qui a marqué un tournant dans le cinéma. Les 'Belmondo', les 'Pagnol' : Jean de Florette, Hugolin... Hugolin, j'ai un peu de tendresse pour lui. Amoureux fou de Manon, on l'entendait dans les collines quand il criait : je t'aime Manon, je t'aime. Un jour, il osa en parler au Papé qui lui donna quelques conseils.

 

PAPE : Manon est une fille de la ville, très belle, elle est courtisée par l'instituteur.Toi, tu n'es qu'un paysan moche.Tu as une paupière qui tombe, la bouche de travers. Tu te laves que quand il pleut, et puis, tu empestes l'ail à des kilomètres. Je vais te dire ce que je pense : Je connais à Marseille un toubib qui pourrait t'arranger ces petits défauts de la face. Le plus difficile, il faut que tu apprennes à t'exprimer. Je connais aussi le patron d'un bistroquet pas loin de la Canebière qui loue des chambres, tu feras des rencontres autres que des lièvres ou sangliers. Tu te méfieras car ils sont plus dangereux que ces bestiaux.

 

HUGOLIN : Je partirai demain à l'aube, je regarderai Manon revenir de la source avec sa cruche d'eau sur l'épaule, puis j'irai à Marseille.

 

Le lendemain, très tôt, caché derrière un arbre, il voit arriver Manon, guillerette, remplir sa cruche à la source, la porter sur son épaule, et repartir en chantonnant vers son logis. Il esquisse deux pas pour la rejoindre, puis abandonne en pensant aux conseil du Papé. Il prend le chemin de Marseille, ce n'est pas la porte à côté. Il se rend de suite au bistro dont il a l'adresse, se présente en disant qu'il vient de la part du Papé. Au nom du Papé, le tenancier lui pose un tas de questions, s'étonne qu'il ne l'ait plus vu depuis longtemps. Il l'amène à sa chambre après être d'accord sur le prix de la pension. Le lendemain, sans perdre de temps, Ugolin va voir le chirurgien, qui après consultation, le rassure. C'est un nerf trop court correspondant à la lèvre et à la paupière qui tire l'une vers le bas et l'autre vers le haut. Une petite incision pour réajuster le nerf, dans un mois vous aurez un nouveau visage. Un mois, un mois, le toubib était optimiste, la plaie ne se refermait pas. Il avait la moitié de la face rouge, puis elle vira au noir. Un semestre plus tard, enfin une figure humaine, un léger défaut restant sur la paupière lui donnait un air coquin. Il fut pendant longtemps la tête de turc des clients du bar, rustres bien sûr, mais sans méchanceté. Il pris part à des parties de belote, laborieusement il fit des progrès. Son pécule s'amenuisait, il s'adressa au patron, lui demandant où il pouvait s'adresser pour trouver un travail de « bautchou », enfin de manœuvre. Le patron lui proposa de travailler pour lui. Il ferait l'ouverture le matin, un coup de balai, de temps en temps un coup de serpillière, il étalerait la sciure devant le comptoir, servirait les rares clients du matin, s'il avait le temps un peu de rangement. Il aiderait au service à midi, et à partir de quatorze heures, il serait libre jusqu'au lendemain. Une sieste l'après midi, puis il s'attabla de plus en plus pour des tournois de belote ou de tarot. Il jouait souvent avec les mêmes trois partenaires qui voulaient intéresser les parties. Il gagnait souvent, donc il se laissa entraîner à jouer de plus en plus gros malgré les conseils de son patron. Ce qui devait arriver arriva, les trois compères commencèrent à gagner, Hugolin ne vit pas le piège, de plus ils le firent boire, et Hugolin s'enfonça de plus en plus. Au moment de faire les comptes, Hugolin fut effaré de constater la somme qu'il avait perdue, et ne put faire face. Les trois lascars lui laissèrent trois jours pour être payés, avec une pénalité en plus, par jours de retard. Penaud de s'être fait avoir, il n'en dit rien à qui que ce soit, le troisième jour, les trois furent là, menaçants,quand Hugolin leur avoua qu'il n'avait pas l'argent. C'était un subterfuge pour l'obliger à accepter la proposition qu'ils allaient lui faire : Un cargo avec quelques cabines pour d'éventuels passagers appareillerait de Marseille dans les trente-six heures. Un matelot malade devait être remplacé et Hugolin ferait très bien l'affaire. Le bateau devait rejoindre Tunis puis ferait du cabotage le long des côtes de l'Afrique du nord entre Tunis et Tanger. Ensuite le détroit de Gibraltar, Rabat, Casablanca, puis Dakar avant d'aller faire le plein de carburant aux îles du Cap-Vert, et finir le périple à Madagascar. Autrement dit, plusieurs mois de navigation. Un des trois truands l'amena le jour dit à l'embarcadère pour être sûr qu'il ne se défilerait pas. Hugolin trouva sa place sur le bateau et sa nouvelle vie, après quelques jours d'adaptation, lui plaisait bien. Un serveur étant resté a Dakar, il fut désigné pour s'occuper des passagers. Parmi ceux-là, il sympathisa avec une jeune femme, pas si jeune que ça, qui cherchait aventure, et il connut avec elle les plaisirs de l'amour. Pourtant, dans ses moments de solitude, c'était toujours Manon qui le hantait. Il se passa quatre années avant que le bateau revienne à Marseille, et ce pour réparer quelques avaries. Il bénéficia d'un mois de congé et s'empressa de remonter dans ses collines. Sa première visite fut pour le Papé à qui il offrit une boite de cigarillo qu'il apprécia. Ils parlèrent du parcours d'Hugolin, qui lui, voulait avoir des nouvelles de Manon. Le Papé lui apprit le mariage de Manon avec l'instituteur. Leur bonheur ne dura qu'un an car l'instit devint jaloux sans raison, s'adonna à la boisson, et mena une vie infernale à Manon. Un jour d'ébriété avancée, parti à la chasse au lièvre, il butta sur un remblai en bordure de falaise et dégringola dans le vide pour aller s'écraser sur des rochers à quelques mètres d'un torrent. Depuis Manon avait repris sa vie d'avant, cultivant un petit lopin de terre, toujours accompagnée de sa chèvre Hugoline. Hugolin en eu les larmes aux yeux.

Tu crois qu’elle pense à moi ? demanda t-il au Papé..

C'est peut être un signe lui répondit-il.

Hugolin décida d'aller le lendemain rencontrer Manon à son retour de la source. Comme il était en avance, il cueillit quelques fleurs des champs et s'avança vers elle qui ne le vit qu'au dernier moment car elle marchait le visage triste et la tête baissée.

 

HUGOLIN : Bonjour Manon, tu me reconnais… ? J'ai ramassé quelques fleurs pour toi.

Manon le regarde longuement et lui dit : Pourquoi tu es parti ?

Abasourdi mais tellement heureux, Hugolin met un temps à réagir puis ils tombent dans les bras l'un de l'autre.

 

Oui, je sais, j'ai un peu chamboulé l'histoire, mais moi j'aime quand les histoires finissent bien.

Pourtant, pourtant, la vie parfois perverse laisse entrevoir le bonheur, mais la vie est une kermesse qui joue avec les cœurs.

Manon avait retrouvé le bonheur, elle gambadait avec sa chèvre, pieds nus dans les fourrés, malencontreusement elle posa son pied sur un nid de vipères, elle fut piquée en plusieurs endroits et mourut dans l'heure.

Rédigé par Louis

Publié dans #Cinéma

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