RETROSPECTIVE

Publié le 18 Octobre 2019

Je suis né chanceux. Mes parents m'attendaient depuis longtemps. Ils ne rechignaient pas à la tâche. Ils remettaient souvent sur le sommier leur ouvrage. Je suis arrivé dans une famille aisée, limite bourgeoise. Un beau bébé paraît-il, 2 kg 9, tout en longueur. Mon père, une très bonne situation à la préfecture, était chef de… de plusieurs sous-chefs. Il fréquentait des personnalités de la ville, allait à des réceptions, recevait aussi. Ma mère, altière, un port de tête de reine, paraissait grande malgré son mètre soixante. Elle s'occupait de ses bonnes œuvres, recevait pour un bridge, buvait du thé parfumé au jasmin, cueilli à Grasse, n'oubliait pas de le préciser.

L'été, deux après-midis par semaine, nous allions nous baigner à la plage du Rhul, tout près du Palais de la Jetée. Il ne fallait pas trop s'en approcher car, semblait-il, une pieuvre avait élu domicile dans l'entrelacement des piliers de soutien. La plage de galets changeait parfois d'aspect selon le débit plus ou moins rapide des eaux du Paillon se jetant dans la mer. Les Allemands, venus occuper Nice, nous en éloignèrent car ils démontèrent le palais pour en récupérer la ferraille. Notre nouveau lieu de baignade fut la plage de Beau Rivage. Ce fut notre seul désagrément occasionné par l'occupation allemande.

Nous habitions un très grand appartement au sixième et dernier étage dans un immeuble bourgeois du Quartier des Musiciens à Nice. Au sud, vue sur la mer ; au nord, les montagnes de l'arrière pays avec le Mont Vial, et tout au fond la chaîne du Mercantour.

Tout allait très bien pour moi jusqu'à mon entrée, à sept ans, au cours préparatoire. Mon père descendait d'une vieille famille écossaise dont il en hérita le nom. Facétieux, il m'affubla d'un prénom particulier « Mort ». Sachant que le nom de famille était et est toujours « Mac Habée », je fus la proie de remarques pas toujours judicieuses. Pour mon âge, j'avais une taille et une musculature plus développées que les autres, donc les quolibets cessèrent rapidement. Passée l'adolescence, je devins un très beau jeune homme dont toutes les filles étaient amoureuses. La vie m'a vraiment gâté.

Puis je fis de grandes études : HEC, L'ENA. Je fis des apparitions dans divers gouvernements, j’embrassais la carrière de diplomate. Un très beau parcours dont je ne suis pas peu fier. Mes fonctions au service de l'Etat terminées, je m'inscrivis au tennis-club du Parc Impérial dont je devins l'un des meilleurs éléments. J'eus un peu plus de mal au golf, mais à force de persévérance, je progressais.

Maintenant, à plus de quatre vingt six ans, j'ai tendance à parler un peu trop de moi, et je crois fatiguer mon auditoire en invoquant ma vie et ma carrière lisses comme le lac Léman quand aucune brise vient friser la surface de l'eau. Je me suis inscrit à des cours de théâtre pour tenir des rôles de vieux niçois tapant la belote dans des anciens troquets de la vielle ville. Difficile pour moi. Niçois, je ne connais pas ma ville.

Je suis d'accord avec Ben quand il dit que la vie est un film.

Je viens d'écrire le mien !

Rédigé par Louis

Publié dans #Cinéma

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