VENT PORTEUR

Publié le 10 Octobre 2019

Je me balade entre nuages, collines et routes poussiéreuses. Un tourbillon, c’est un plaisir. Le calme plat j’aime aussi, c’est du repos pour moi. J’attends. L’action ne va pas tarder, elle ne tarde jamais. J’adore le désert du Nevada, ses buissons que je déplace, ses rapaces que je fixe pour le plaisir de caresser leurs ailes, sa vie au ralenti.

 

Une voiture s’arrête, une valise s’écrase sur la piste. Une femme rondelette avec chapeau à plume en descend, bras ballants, désemparée. La voiture redémarre en trombe dans un nuage de projections. La portière claque, emportée par la vitesse.

J’entends : -Adieu Jasmine !

Je m’approche gentiment, une brise de jour d’été :

-vous avez besoin d’aide peut-être ?

Elle, hagarde, me fixe sans me voir, ne répond pas…

Elle se décide à faire rouler cette lourde valise.

Je n’ai rien d’autre à faire, je décide de l’aider. J’envoie une bourrasque dégager l’horizon. Je sais qu’il y a l’auberge de Brenda un peu plus loin.

Allons bon, le vent se soulève ! ll ne manque plus que ça !

Quelle ingratitude ! Je prends de la hauteur. A l’auberge aussi scène de ménage, claquement de portes (je n’y suis pour rien), haussements de voies.

Jasmine entre dans ce motel de quatrième zone, demande une chambre et attend que Brenda daigne lever les yeux.

J’interviens : un souffle envoi valser la pile de feuilles déposée en désordre sur un semblant de bureau.

-Ah bon sang, ce maudit vent, quel pays !

Brenda toise sa visiteuse :

-Vous voulez une chambre ici ? En cette saison ? C’est vingt dollars payable d’avance !

La rondelette au chapeau à plume paye et se dirige vers sa chambre sordide.

Des cris, encore des cris.

Incapable de réparer la machine à café ? Le compagnon propre-à-rien de la logeuse décide de quitter le domicile conjugal. La vieille guimbarde s’ébranle porte ouverte. La fille adolescente du couple arrive au même instant, assise sur le dossier de la banquette arrière d’une décapotable hors d’âge, accompagnée de déjantés de la côte Ouest qui ne pensent qu’à la fête.

La logeuse effondrée n’arrive pas à pleurer. Jasmine dans l’embrasement de la porte de sa chambre a tout vu.

Par la fenêtre, le soleil se couche dans un grand nuage rouge.

Je décide d’intervenir…

 

La nuit est profonde. La fenêtre ouverte. Je m’infiltre, me glisse dans les courriers. J’ouvre les tiroirs. J’écris, je note les adresses, ne regardant que mes doigts qui filent comme le vent. Ma main esquisse ce que je sens être le futur de

cette maison et chaque mot devrait porter. J’écoute la parole de mes aïeux, ces tornades qui soufflaient et pliaient tout sur leurs passages, inondaient les campagnes et favorisaient l’apparition du soleil qui succédait et tout recommençait.

Je note encore et je file. Je survole Bradbury, la Miranda, Monterey. Les gens dorment englués dans leurs rêves, j’y dépose la nouvelle.

Lorsque je m’arrête, l’horizon s’éclaircit…

 

La femme au chapeau a troqué son galurin contre un tablier Bavarois d’un effet identique. Elle s’installe à la cuisine et prépare des Bretzels, genre de pâtisserie salée, et des délicieux Bavarois au café avec sa petite cafetière de voyage, à faire craquer tous les adeptes de régime.

Des voitures arrivent, se garent n’importe comment, des jeunes, des moins jeunes en sortent.

-C’est ici ? demandent-ils.

Le brouhaha s’installe, les conversations fusent, les claques dans le dos résonnent, les rires sonores s’envolent de table en table.

-Mais qu’est-ce-que c’est ce Bazar ? s’interroge Brenda.

La salle se remplit, on en redemande.

-Mais c’est vrai ce qui se dit, c’est excellent ici !

Jasmine s’éponge le front.

-On va tomber en panne de café, il faudrait faire des provisions.

Brenda se dit qu’elle rêve, mais comment ont-ils su ?

 

Je m’éloigne. Un tourbillon sur la route 66 que personne ne perçoit. Je m’élève à la recherche d’air frais et de hauteurs.

Un rapace flotte dans le ciel d’azur, j’en profite pour lui caresser les plumes.

Ils n’ont plus besoin de moi. Il y a bien quelque part un endroit où je serais utile,

Je grimpe, je grimpe…

 

Rédigé par Gérald

Publié dans #Cinéma

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