En attendant la fouille de sa cabine, Laurent s’installe dans un fauteuil, la corde de violon entre ses doigts, pour réfléchir aux divers éléments de cette affaire :
- un bruit mat
- un étui vide
- une corde de violon
- un violon absent
Fais marcher tes petites cellules grise… si seulement…
Il lui faudrait bien un Hercule Poirot pour l’aider à y voir clair !
A force de tourner et retourner les choses, d’élaborer des hypothèses farfelues, d’envisager des scénarios débiles, il se perd dans une brume ouatée, dans laquelle son esprit divague, flottant comme une algue entre deux eaux. C’est là, dans ce carrefour entre la conscience et l’espace-temps, qu’apparaît l’unique, le grand, l’incontournable, l’inégalé détective : Hercule Poirot !
Laurent reçoit l’apparition en plein cœur. Son ventre se tord, sa poitrine se noue, sa gorge se serre. Yeux écarquillés, sueurs froides, teint blafard, bouche ouverte, il est incapable de prononcer le moindre mot. Poirot s’en charge :
– Mon bon monsieur, vous raisonnez à l’envers. Me permettez-vous de donner mon point de vue ?
– Avec plaisir, bredouille Laurent qui peine à retrouver quelques couleurs et quelques neurones.
– Commençons par le commencement, propose Poirot. Ce bruit mat, ne serait-ce pas celui d’un étui de violon que l’on referme d’un coup sec ? Un bruit inquiet, avez-vous dit dans le texte précédent…
Hercule sourit :
– Hé oui, je lis par-dessus votre épaule. Comment croyez-vous que je sois venu jusqu’à vous ?
– Justement, je me posais la question. Je vous croyais un personnage de roman…
– Vous l’êtes aussi, mon cher !
Regard éperdu de Laurent...
– C’est impossible, je dois rêver…
– L’impossible ne peut se produire, donc l’impossible doit devenir possible, malgré les apparences, rétorque Poirot à ce pauvre Laurent en complète désintégration. Mais ne nous égarons pas. Ce bruit inquiet est en fait un bruit pressé. Pressé de s’enfuir avec un soi-disant violon.
– Un soi-disant violon ?!!
– Oui, un soi-disant violon. Ne vous fiez pas à cet agent Pelican qui perd la mémoire. Tournez-vous plutôt vers ce passager, dans la cabine d’en face, un homme perspicace, observateur, rationnel. Il a résolu le mystère : le capitonnage de l’étui ne porte aucune trace d’instrument. Flambant neuf, jamais servi ! Donc, il n’y a jamais eu de Stradivarius.
– Mais… mais… comment le savez-vous… ?
– J’enquête, j’écoute, je réfléchis.
– Certes, mais la corde, elle existe bien, elle ! Alors ?
Poirot prend son air mystérieux et malicieux.
– Oui, oui, elle existe… là, maintenant. Mais pour comprendre, changez de point de vue, mon cher. Ne vous voyez plus comme une personne réelle, mais comme un personnage dans une histoire sans queue ni tête. Alors, vous comprendrez.
Laurent, déboussolé, se prend la tête entre les mains.
– Je ne comprends rien et j’ai la migraine.
Poirot soupire. Sa moustache lustrée, impeccable, frémit, le coin de son œil se plisse, il s’amuse bien, le bougre !
– Cette corde n’est qu’un indice stupide, sans intérêt, laissé par l’auteure de cette histoire en manque d’imagination. Elle ne sert à rien, oubliez-la, explique-t-il. Quand le professeur Glorieux, l’agent Pélican si vous préférez, viendra inspecter votre cabine, elle ne sera plus là, ou il ne la verra pas. Au revoir, cher M. Delaplace, ajoute Poirot en inclinant son chapeau avant de disparaître, juste au moment où on frappe à la porte.
Le professeur Glorieux entre pour l’inspection.