« La nuit est enceinte, qui sait de quoi elle accouchera à l'aube »
La mort des bois » Brigitte Aubert
Tentant de faire rempart de son petit mais large corps, Pélican opine
-Ce chat qui est un signe à vos yeux semble inamical, hostile, voire malveillant. Comment savoir s'il est vacciné ? De quelles maladies il est porteur ? Ne lui trouvez-vous pas un air de dégénéré ? Sa face abâtardie me fait soupçonner une longue suite de croisements consanguins . Tout cela est douteux, trouble, louche, inquiétant et pour tout dire suspect.
Récapitulons : cabine numéro 13, chat noir dégénéré nourri au pâté, au pâté de foie, j'ajouterai au pâté de foie gras conduisant tout droit ce qui fut un félin à la stéatose hépatique métabolique. Signes, présages, révélateurs, que d'indices demoiselle Satine. La parfaite scène de crime ! S'exclame triomphant petit Pélican en se frottant l'une contre l'autre deux mains roses et dodues.
-Je m'incline devant votre sagacité, votre discernement, votre flair Agent Pélican, mais permettez à une jeune femme inexpérimentée de ne pas voir le rapport entre cette scène certes intrigante avec notre Stradivarius ?
- Comment quel rapport ? Hum, hum, voyons voir...Quel rapport ?.....A priori aucun. Mais qui recèle un chat peut soustraire un violon ! Le voilà le rapport !
Monsieur le chef de bord, nous allons, mon adjointe débutante mais néanmoins sagace et moi-même, procéder à une fouille dans les règles de l'art. Veuillez, je vous prie, mentionner, citer, consigner, relater dans ce calepin nos observations. Et ceci, j'insiste, strictement,soigneusement, minutieusement, méticuleusement, scrupuleusement,...
Le chef de bord, agacé, coupe Pélican dans son élan lyrique
-Monsieur, sauf votre respect, je crois que nous avons compris.
-Oui, oui, je m'égare un peu. Trop de surmenage. Je retourne dans ma cabine prendre quelque repos. C'est ainsi que je procède. Une tisane de nénuphar, un dodo et un rêve. Hercule Poirot se présente dans ma phase de sommeil paradoxal et il a l'extrême amabilité de délivrer sous formes de devinettes, charades ou rébus, des pistes qui permettent la résolution de l'énigme. Seul moi Glorieux-Pélican est capable de déchiffrer ces messages sibyllins, obscurs et pour tout dire abscons.
Sur ce, Mademoiselle, Monsieur, je rentre en hibernation temporaire cabine 17. Monsieur le chef de bord ,ayez l'amabilité de me faire porter mon breuvage au nénuphar de Saïgon parsemé de graines de pavots ainsi qu'un petit verre de grappa, aide indispensable au processus de l'entrée au royaume de Morphée, le dieu des rêves.
Le chef de bord claque des talons, trop heureux de quitter la compagnie de cet étrange équipage.
Satine plus interloquée que désemparée mais toujours amusée quoique déçue du report sine die du grand frisson, retient l'agent Pélican par le col élimé de sa redingote de Roi Soleil
-Et les passagers consignés dans le salon de musique, y avez-vous songé ?
-Allez leur dire de faire un petit somme sur place. Faites porter des plaids, couvertures, coussins et polochons pour leur confort. Signifiez-leur que la vérité est en marche. Elle marche, elle trotte, elle file, elle court, elle galope !
Et sur ces entrefaites, Agent Pélican, pressé de regagner sa douillette cabine numéro 17, accroche et laisse un pan de sa redingote à la poignée de l'habitacle.
-Encore un mot, jeune apprentie. Méditez la devise de mon maître Hercule Poirot : « L'impossible ne peut se produire, donc l'impossible doit devenir possible, malgré les apparences. »
A l'instant où il sort, par la fenêtre, un éclair zèbre le ciel suivi d'un tonnerre assourdissant.
Nous sommes plongés au cœur de l'incompréhensible, l'hermétique, l'inexplicable, l'insondable. Bref nous nageons en plein suspense.
Satine reste seule pensive et songeuse :
« Ne cède pas à l'imagination, c'est toujours le pire, elle ne sert que la littérature »*
*Le cycle de la vérité, la théorie Gaïa-Maxime Chattam